Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Modrévius

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MODRÉVIUS (André-Fricius), secrétaire de Sigismond Auguste, roi de Pologne, se fit estimer beaucoup par son savoir et par ses ouvrages. Il goûta d’assez bonne heure ce qu’on appelait les nouvelles opinions [a] ; et quoiqu’il se ménageât, il devint suspect aux catholiques, et enfin il se découvrit jusques au point qu’ils le regardèrent comme un apostat (A). On s’aperçoit par une lettre [b], qu’il écrivit à Jean Laski, l’an 1536, qu’il n’était pas ennemi des luthériens. Son traité de Ecclesiâ qui devait être le quatrième livre de l’ouvrage de Republicâ emendandâ, qu’il fit mettre sous la presse à Cracovie, l’an 1551, trouva des censeurs qui en arrêtèrent l’impression deux ou trois ans [c]. Il le publia ensuite avec une apologie qui éclaircissait les choses dont on s’était scandalisé. Il devait aller à Trente avec les ambassadeurs de Pologne ; mais cette désignation fut changée [d]. Les anti-trinitaires de Pologne l’ont mis dans le catalogue de leurs auteurs. On verra ci-dessous le titre de ses principaux ouvrages (B), avec quelques particularités. Grotius l’a mis au nombres des conciliateurs de religion [e].

  1. Stanislas Lubiénicius, Histor. Reformat. Polon. lib. I, cap. V, pag. 18.
  2. Elle est la IXe. de la première Centurie, dans le recueil de lettres publié par Simon Abbès Gabbéma.
  3. Voyez l’Épître dédicatoire et la préface du IVe. livre de Républicâ emendandâ.
  4. Modrevius, præfat. lib. IV de Republicâ emendandâ, pag. 193 édit. Basil. 1554, in-folio.
  5. Grotius, in Consultationem Cassandri.

(A) Les catholiques le regardèrent comme un apostat. ] Voici de quelle manière Simon Starovolscius parle de lui : Regius secretarius, seu mavis lutulenti illius subulci Lutheri, cujus nefariis dogmatibus imbutus, infestabat ecclesiæ portas, dicendo quæ non oportuit, scribendo quæ non licuit, et agendo quæ non decuit [1]. Il paraît, par une préface de Modrévius, que Pie V ordonna de le punir, car voici les plaintes qu’il fait à ce pape : Non abs re mihi facere visus sum, si ipse ad te has controversias deferrem, tibique hunc librum dicarem, qui occasionem præberet tibi eas dijudicandi : simulque studia mea exilia tibi commendaret. De quibus tu videris sinistram opinionem concepisse : ac proptereà iis, penès quos est potestas, edixisse ut me de possessiunculis meis dejicerent : fortunis everterent : ac extorrem facerent domo, foro, penatibus, congressu hominum. Hoccine humanum factum sanctissime pater [2] ? Le pape Paul IV, ajoute-t-il, avait fait expédier de semblables ordres adressés à l’évêque de Vladislavie ; mais il s’apaisa quand il eut ouï mes raisons. Non sum oblitus, à Paulo papâ ejus nomini quarto simile edictum in me scriptum fuisse ad Johannem Droievium episcopum Wladislaviæ. Cui quidem papæ rescripsi ego libro illi dicato de ordinibus ecclesiæ. In quo rationem illi reddidi vitæ, et actionum mearum : simulque causas ostendi quamobrem in me non debuerit esse immitis et adeò ferox. Assensus est ille orationi nostræ non obscurè ; nec ullam deinceps perniciem nobis machinatus est. Droievius quoque nihil in me cogitavit, quàm quod virum bonum et optimum principem deceret [3]. Je suis persuadé que cette préface de Modrévius ni le Traité qui la suit n’eussent point porté Pie V à révoquer son ordonnance, et que la condition de l’auteur ne fut pas meilleure après la composition de cet ouvrage que pendant qu’il y travaillait. Il nous apprend qu’il le fit au milieu de mille soins, obligé de changer souvent de demeure, et inquiété de la peur de perdre son patrimoine. Partim labores domestici, partim cura liberorum, partim negotia civilia, maximè autem frequens cursitatio domicilii quærendi causâ me sibi vendicârunt [4]. Hæc scripsi sollicitus de bonis meis patriis avitisque, de quibus periclitor authoritatis tuæ pretextus, quæ abs te tanquàm fulmen quoddam vulnificum vibrata est [5].

(B) On verra... le titre de ses principaux ouvrages. ] Ses cinq livres de Republicâ emendanda, dont le 1er. traite de Moribus, le 2e. de Legibus, le 3e. de Bello, le 4e. de Ecclesiâ, le 5e. de Scholâ, furent imprimés à Cracovie l’an 1551, si l’on en croit l’abréviateur de Gesner [6] ; mais il ne faut pas l’en croire [7]. Ils furent réimprimés à Bâle, chez Oporin, in-8°. et in-folio, l’an 1554, avec deux dialogues du même auteur, De utrâque specie Eucharistiæ à laïcis sumendâ, et avec son explication de ces paroles de saint Paul [8], il est bon à l’homme de ne toucher point de femme. On publia à Bâle, en 1562, in-4°., un autre recueil de ses écrits, qui contient trois livres : de Peccato originis ; de Libero arbitrio ; de Providentiâ et Prædestinatione, trois livres de Mediatore, quibus accessit Naratio simplex rei novæ et ejusdem pessimi exempli : simul et Querela de Injuriis, et Expostulatio cum Stanislao Orichovio Roxolano [9]. Il fit un autre ouvrage par l’ordre du roi son maître, pour tâcher d’assoupir les différends qui régnaient dans la Pologne au sujet de la Trinité. Il est divisé en quatre silves. La Ire est datée du mois de décembre 1565, et traite de tribus Personis et unâ Essentiâ Dei. La IIe. est de même date, et traite de necessitate Conventis habendi ad sedandas Religionis Controversius. La IIIe. est datée du mois de juin 1568, et traite de Jesu Christo filo Dei et hominis, eodemque Deo et Domino nostro. La IVe. est datée du mois de juin 1569, et traite de Homousio et de iis quæ hùc pertinent. Ces quatre silves, accompagnées d’un Appendix sur la question quomodo unio divinæ et humanæ naturæ Christi facta sit in personâ non in naturâ, cùm tamen eadem prorsùs res sint natura et persona in Domino nostro, furent imprimées à Racovie, l’an 1590 [10]. L’abréviateur de Gesner fit mention de cet ouvrage, l’an 1583, comme d’un livre qui n’était pas imprimé, et qui contenait seulement trois silves, dont la dernière traitait du baptême des enfans [11]. Le premier de ces trois faits est véritable, les deux autres sont faux. Notez que Modrévius avait envoyé ses silves à Bâle afin qu’elles fussent imprimées par Oporin, qui en devait envoyer des exemplaires aux universités catholiques, luthériennes et calvinistes [12] ; mais Trécius, voulant empêcher la publication de ce livre, pria Oporin de lui en montrer le manuscrit, et l’ayant eu une fois, il ne le voulut point rendre [13]. L’auteur s’en plaignit au palatin de Cracovie, et demanda instamment que le plagiaire fût obligé à restituer. Il n’en put venir à bout, et il se vit obligé de refaire son ouvrage. Tandem potentiæ Palatini Trecio patrocinantis cedere : postremò scrinia sua excutere et rejectâ omni morâ, opus illud ex adversariis et chartis ferè rejectaneis denuò moliri, et absolvere, antequàm mors eum occuparet. Atque ita tandem præstantissimum illud, licet mole perexiguum Sylvarum opus, ab interitu vindicatum habemus [14]. L’auteur de ce latin suppose que Trécius en usa ainsi, parce que Modrévius donnait plus de force aux raisons des Anti-trinitaires qu’à celles des Trinitaires. Ille prædam petitam in casses suos nactus et inibi argumenta veritatis responsionibus, exceptionibus, et objectionibus Trinitariorum longè fortiora animadvertens, Basileà protinùs excessit, evasit, erupit, et librum Fricianum bonâ fide sibi commodatum abstulit, et sic editionem libri sufflaminavit [15]. Zanchius avait vu en manuscrit la première de ces IV silves, et la trouvant dangereuse, il la réfuta dans son livre de Tribus Elohim. Il ne désigne l’auteur que par le nom de Mediator ; et il en fait cas, comme il paraît par son épître dédicatoire à Edmond Grindal[16].

La manière sceptique dont Modrévius a examiné les mystères a déplu aux catholiques et aux protestans. Il est néanmoins vrai que pour s’acquitter de l’ordre qu’il avait du roi de Pologne, il devait en user de cette manière. On l’avait chargé de l’instruction du procès, comme le médiateur de la concorde[17] : il fallait donc qu’il rapportât sincèrement les raisons des deux parties, et qu’il se défît de tout préjugé. Il avait ouï dire à Dudithius une chose qui lui parut très-solide ; c’est qu’un homme qui a pris parti pour ou contre la Trinité, n’est propre ni à être arbitre ni à être juge entre ceux qui la nient et ceux qui la croient. Is negabat eum qui alterutri seu de Trinitate seu de quavis re aliâ sententiæ adhærescat, medium se inter partes ipsas inferre, controversiamque dirimere atque sedare posse. Neutri parti addictum esse oportere qui vel partes ipsas in concordiam reducere vellet æqualitate decernendi, vel secundùm parte alteram decernere quod justum et legibus consonum esse judicaret. Qui ad eum modum neuter non esset, eum partes judicem capere non solere, et ab alio datum ejurare consuesse : nimirum quem ex opinione imbibitâ pendentem verisimile esset vel tacitâ reprehensione contrarium sensientes condemnâsse. Nam ut pius esset et eruditus qui et dissereret et judicaret, fieri tamen posse ut opinione præjudicatâ nitens falsum judicaret[18]. Cette pensée de Dudithius est très-conforme à l’usage, car où est l’homme qui veuille choisir pour arbitres ou pour juges de ses différends ceux qu’il sait être persuadés qu’il a tort ? Il est même vrai que de telles gens ne sont guère propres à prononcer une sentence équitable. C’est dommage qu’une maxime comme celle-là ne puisse avoir lieu dans les disputes de religion ; mais l’état des choses est tel, qu’il faut nécessairement que ces disputes soient jugées dans l’église même où elles naissent, ce qui entraîne inévitablement que les mêmes personnes soient juges et parties. Il serait inutile de murmurer là-dessus, car la nécessité n’a point de loi. Notez en passant l’une des raisons qui ont rendu vain le travail des médiateurs de religion, et qui les ont fait haïr. Si l’on croit qu’ils sont parfaitement neutres, on les déteste comme des impies ; si l’on croit qu’ils penchent plus d’un côté, ils sont suspects et odieux à l’un des partis, et ne contentent pas pleinement l’autre : l’on veut tout ou rien.

Au reste, les livres de Republicâ emendandâ sont fort estimés ; ils ont fait ranger l’auteur parmi ceux qui ont écrit le plus sensément de la politique. Gravioribus politicis haud dubiè annumerandus est, egregiè enim disputat, magnâque libertate in vulgares errores politicos invehitur[19]. Je joins à cela un passage de la harangue que fit Cunæus, pour montrer que l’académie de Leyde avait eu raison de condamner au dernier supplice un écolier qui avait tué un bourgeois. Le prince Janutius Radziwil, qui étudiait alors à Leyde, avait déclamé aigrement contre les juges : Novit illustrissimus princeps Razevilius, c’est Cunæus qui parle[20], noverunt omnes qui ejus studiis præsunt quàm sint pulchra et luculenta ea quæ de cæde cujuscumque hominis in regno Poloniæ ultimo supplicio punienda scripsit vir amplissimus et rerum civilium ac Republicæ regundæ gnarissimus Andreas Fricius Modrevius ad Sigismundum secundum Poloniæ regem. Modrévius, dans l’épître dédicatoire de son ouvrage de Republicâ emendandâ, a fait mention du livre où il expliqua amplement la nécessité de punir de mort les homicides. Ce traité a pour titre : Lasicius, et consiste en quatre harangues qui ont été ajoutées au volume de Republicâ emendandâ, à l’édition de Bâle 1559.

Qu’il me soit permis de n’effacer pas une chose que j’avais écrite avant que d’avoir pu consulter l’ouvrage de Republicâ emendandâ. La voici : « C’est sans doute pour ce livre-là que Modrévius reçut les louanges que l’on rapporte dans la Bibliothéque des anti-trinitaires [21]. C’est sans doute celui de ses livres qui fut traduit en français, en allemand et en espagnol. J’en parlerais plus affirmativement si j’avais en main la préface dont on rapporte un morceau dans cette Bibliothéque. Sandius, qui le rapporte, n’est pas excusable de nous laisser en suspens. Il devait employer une parenthèse pour déterminer la notion vague de ces paroles de Modrévius, est qui laudando librum meum dicat, etc. Je suis bien persuadé qu’elles sont très-claires dans l’original : ce qui les précède fait sans doute entendre quel est le livre dont il s’agit. Mais quand elles sont détachées de leur masse, elles sont obscures. C’était le devoir de Sandius d’y remédier ; et voilà un bon avis à ceux qui citent et à ceux qui prétendraient que j’allonge trop les citations. Je ne le fais qu’afin que chacun entende sans peine ce que je cite ». Ceux qui sauront juger des choses conviendront que j’ai pu laisser ceci dans l’état où je l’ai trouvé après avoir vu par la lecture de Modrévius, qu’il s’agit du livre de Republicâ emendandâ.

  1. Simon Starovolscius, in centum Polonorum Elogiis, pag. 81.
  2. Modrevius, in præf, Silvæ tertiæ, pag. 152, 153.
  3. Idem, ibid., pag. 154, 155.
  4. Idem, in 2 præfat. Sylvæ III, pag. 157.
  5. Idem, in fine Sylvæ III, pag. 216.
  6. Epitome Biblioth. Gesneri, pag. m. 43.
  7. On n’imprima alors que les trois premiers. Voyez la préface du IVe.
  8. Ire. aux Corinth., chap. VII.
  9. Epit. Gesneri, pag. 43.
  10. Biblioth. Antitrinit., pag. 36.
  11. Epitome Gesneri, pag. 43.
  12. Modrev., præf. Silva IV.
  13. Stanisl. Lubieniecius, Histor. Reform. Polonicæ, lib. III, cap. IX, pag. 221.
  14. Idem, ibidem, pag. 222. Voyez aussi Biblioth. antitrin., pag. 38.
  15. Lubieniecius, Histor. Reform. Polon., pag. 221.
  16. Voyez la préface de celui qui fit imprimer les IV Sylves.
  17. Voyez l’épître dédicatoire de sa Ire. Sylve.
  18. Modrevius, præfat. Silvæ I.
  19. Job. Andreas Bosius, Dissert. Isagogica de comparandâ Prudentiâ civili, pag. m. 361.
  20. Cunæus, orat. XVIII, pag. 341, edit. Lips., 1693. Cette harangue fut prononcée, l’onzième de février 1632.
  21. À la page 37, ex præfatione Silvæ tertiæ Modrevii.

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