Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Myrrha

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MYRRHA, mère d’Adonis et fille de Cinyras (A), roi de Cypre, ou d’Assyrie, devint amoureuse de son père, et ne se donna point de repos qu’elle n’eût couché avec lui. Sa nourrice, à qui elle fit confidence de sa passion, lui donna les moyens de se contenter. Elle prit son temps lorsqu’à cause de la fête de Cérès, la reine était neuf jours sans coucher avec son mari (B), et fit accroire à ce prince qu’une jeune fille fort belle souhaitait de lui accorder la dernière faveur sans être vue. La proposition fut acceptée : on mena donc de nuit la jeune Myrrha à son père Cinyras. Quand ce jeu eut assez duré, on eut envie de voir celle dont on avait eu la jouissance : on fit apporter de la lumière ; et l’on connut qu’on avait couché avec sa fille [a]. Cinyras prit son épée pour tuer Myrrha : celle-ci prit la fuite, et se sauva jusques au pays des Sabéens, où elle fut métamorphosée en l’arbre qui fournit la myrrhe. L’enfant dont elle était grosse ne laissa pas de croître, et de sortir de ce tronc d’arbre (C) quand son terme fut venu. Les naïades en prirent soin. Ce fut le plus beau garçon du monde, en un mot ce fut Adonis, dont j’ai parlé en son temps [b]. Plusieurs auteurs disent que Myrrha ne conçut point d’elle-même cette passion, et que le mal venait de plus haut, et de quelque divinité offensée (D) ; car voilà comment les païens se représentaient leurs dieux, sous l’idée d’un être qui punit le crime, en poussant le criminel dans un nouveau crime. Ovide n’a point suivi ces auteurs dans le fait particulier de Myrrha : il a déclaré au contraire que Cupidon s’en lavait les mains [c]. Il en a donné tout le blâme aux Furies infernales. Ceux qui croient que Myrrha était la femme de Cham, fils de Noé (E), amènent la chose d’un peu bien loin.

  1. Cùm tandem Cinyras avidus cognoscere amantem
    Post tot concubitus, illato lumine, vidit
    Et scelus et natam.
    Ovidius, Metam. lib. X, vs. 472.

  2. Ex Ovidio, Metamorphos. lib. X. Voyez aussi Plutarque, dans ses Parallèles, pag. m. 310 citant les Métamorphoses de Théodore ; Servius in Eclog. X Virgil.
  3. Voyez la remarque (D).

(A) Fille de Cinyras. ] Antonius Libéralis [1] l’a nommée Smyrna et l’a fait naître de Théias et de la nymphe Orithye sur le mont Liban. Mais, selon d’autres, elle fut fille de Cinyras et de Cenchréis. Ovide a été de ce sentiment ; et je m’étonne que M. de Méziriac [2] l’ait nié à l’égard de Cenchréis. Ce poëte remarque, 1°. Que la mère de Myrrha était femme de Cinyras, lorsque Myrrha était amoureuse de son père :

.........Conataque sæpè fateri,
Sæpè tenes vocem, pudibundaque vestibus ora
Texit, et O, dixit felicem conjuge matrem !


2°. Que la nourrice de Myrrha prit son temps lorsque Cinyras couchait seul, sa femme Cenchréis étant occupée avec les autres femmes aux mystères de Cérès :

.........Turbâ Cenchreis in illâ
Regis abest conjux, arcanaque sacra frequentat.
Ergò legitimâ vacuus dum conjuge lectus.


N’est-ce pas dire que Cenchéis était la mère de Myrrha ?

(B) La reine était neuf jours sans coucher avec son mari. ] Quelle prodigieuse différence de ces siècles-là au nôtre ! Car puisqu’il fallut que la nourrice se servît de cette occasion, c’est une preuve que pendant le reste de l’année le roi couchait aussi régulièrement avec sa femme, chaque nuit, que le plus petit bourgeois. À présent tous les mois de l’année seraient propres à cette nourrice si elle avait un tel coup à faire.

(C) L’enfant ne laissa pas... de sortir de ce tronc d’arbre. ] Les uns [3] disent que la fille de Cinyras devint un arbre, pendant que son père la poursuivait l’épée à la main pour la tuer. On ajoute que le coup qu’il donna à cet arbre fit naître Adonis. D’autres [4] disent que Myrrha se délivra de son fruit dès qu’elle eut été reconnue, et qu’ensuite Jupiter la changea en arbre, pour exaucer la prière qu’elle faisait de n’être ni parmi les vivans, ni parmi les morts.

(D) Plusieurs auteurs disent que le mal venait de quelque divinité offensée. ] Les uns [5] disent que la colère du Soleil fut cause de cette passion incestueuse. D’autres [6] recourent à Vénus irritée de ce que Cenchréis, mère de Myrrha, avait préféré à la beauté de cette déesse celle de sa fille ; ou de ce que Myrrha avait dit en se peignant, que ses cheveux étaient plus beaux que ceux de Vénus [7]. Toutes ces hypothèses étaient impies : c’était se jouer de la nature divine avec plus d’audace qu’un historien honnête homme ne voudrait en témoigner contre des gens de mauvaise réputation, s’il manquait de preuves certaines. Voyez la note [8], et notez qu’Ovide a disculpé Cupidon, et qu’il rejette sur les Furies toute la faute de Myrrha :

Ipse negat nocuisse tibi sua tela Cupido,
Myrrha, facesque suas à crimine vindicat isto.
Stipite te Stygio tumidisque adflavit Echidnis,
E tribus una soror............. [9].

(E) Quelques-uns croient que Myrrha était la femme de Chan, fils de Noé. ] Ils supposent [10] que la femme de Cham accompagnée d’Adonis, le plus jeune de sa famille, s’aperçut toute la première de la nudité de Noé, et qu’elle en fit avertir Cham qui le dit encore à ses frères. Or comme dans le style des Hébreux, voir ou découvrir la nudité de quelqu’un [11], signifie deux choses, la simple vue ou la jouissance ; il est arrivé que Myrrha, qui n’avait fait que voir, a eu la mauvaise réputation d’être passée au dernier acte. On confirme cette explication [12] par un passage où nous lisons que la nourrice de Myrrha trouva Cinyras ivre :

Nacta gravem vino Cyniram malè sedula nutrix [13].


Mais comme il y a des auteurs qui disent que Myrrha enivra son père, afin de coucher avec lui ; il semblerait plus à propos de la prendre pour l’une des filles de Loth, que pour l’une des belles-filles de Noé, si d’ailleurs les faits s’accordaient également avec cette conjecture.

  1. Cap. XXXIV.
  2. Commentaires sur les Épîtres d’Ovide, pag. 397.
  3. Hygin., cap. CLXIV, Fulgent., Mythol., lib. III, cap. VIII.
  4. Anton. Liberal., cap. XXXIV.
  5. Servius, in Eclog. X Virgil.
  6. Hygin., cap. LVIII.
  7. Scholiast. Theocriti in Idyll. I.
  8. Conférez l’article Alcinoé, tom. I, pag. 394, et l’article Égialée, tom. VI, pag. 100, remarque (C).
  9. Ovid., Metam., lib. X, vs. 311.
  10. Voyez la Bibliothéque universelle, tom. III, pag. 8.
  11. Là même, pag. 21.
  12. Là même, pag. 20.
  13. Ovid., Metam., lib. X, vs. 438.
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