Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Nazianze

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NAZIANZE (Grégoire de), l’un des plus illustres pères de l’église, au IVe. siècle. J’en pourrais faire un très-long article ; mais comme il me faudrait répéter ce qu’en ont dit de grands auteurs [a], dont les ouvrages sont entre les mains de tout le monde ; et ont encore la grâce de la nouveauté, je serai très-court. On a fait une faute de chronologie en censurant Grégoire de Nazianze d’avoir écrit contre l’empereur Julien (A). Quelques critiques trop délicats prétendent qu’il a corrompu la pureté de la langue grecque, et donné lieu à la barbarie des théologiens latins (B). Ils se plaignent aussi de ce qu’on substitua ses vers grecs pour l’instruction de la jeunesse aux poésies des anciens païens, brûlées à l’instigation des prêtres (C) [* 1].


(A) On a fait une faute de chronologie, en censurant Grégoire de Nasianze d’avoir écrit contre l’empereur Julien.] C’est Cunéus, professeur dans l’académie de Leyde, qui est tombé dans cette faute. Voici ses paroles [1] : Fuit profecto, fuit Græcorum quorumdam, qui ed tempestate ecclesiam rexêre, magnâ imprudentiâ. Etenim, uti causæ suæ servirent, principem christianis infestunt lacessebant, quem tolerare satius fuisset. Sunt in hominum manibus orationes eorum, in quibus, tanquàm in scenâ, palàm eum omnibus ludibrium fecêre, et faciem illius, formamque corporis, atque gestus, tum alia fortuita, quæ vulgus et imperitissimus quisque notat, traxerunt in culpam. Qui viri, si meminissent temporum, quibus nati erant, sanè necessitati, quæ pertinax regnum tenet, sinè contumaciâ paruissent, et quod magnæ prudentiæ est, obsequio mitigâssent imperia. Cela fut relevé dans un écrit qui parut l’an 1690. « Un célèbre professeur, y trouve-t-on [2], a falsifié l’histoire, en accusant d’une fort grande imprudence les prélats dont nous avons encore les invectives contre Julien. Il eût bien mieux valu, dit-il, adoucir la nécessité des temps par une humble soumission, et supporter le chagrin de ce prince contre les chrétiens, que de l’irriter encore davantage. N’est-ce pas supposer que saint Grégoire de Nazianze, et saint Cyrille, les seuls dont Cunéus a pu parler, ont publié leurs invectives du vivant de cet empereur, ce qui est une fausseté toute visible ; car saint Grégoire n’a écrit les siennes qu’après la mort de Julien, et saint Cyrille n’a vécu qu’assez long-temps après la mort de ce prince. Où est donc la grande imprudence de ces deux prélats ? » Le père Pétau, dans l’épître dédicatoire de son édition des Œuvres de Julien, se fâcha beaucoup contre Cunéus, et lui reprocha entre autres choses l’ignorance chronologique rapportée ci-dessus. Voici ce qu’il dit après avoir copié les mêmes termes latins de Cunéus que j’ai allégués : Hæc ille non solùm imprudenter talibus de viris, sed etiam imperitè. Etenim græci illi patres, quos imprudentiæ arguit, quorumque contrà Julianum extare orationes asserit, sunt omninò duo. Gregorius Nazianzenus et Cyrillus ; quorum alter haud paucis post Juliani obitum annis vixit, ac scripsit, alter æqualis quidem fuit illius. Sed eo mortuo στηλιτευτικοὺς illos duos conscripsit, ex quibus, cæterisque fide dignioribus liquet ; fuisse imperatorem istum multis, verisque vitiis præditum, etc. Cunéus aurait pu répondre aux autres plaintes mordantes du père Pétau ; mais il eût été contraint de passer condamnation à l’égard de celle-ci.

(B) Quelques critiques… prétendent qu’il a corrompu la pureté de la langue grecque, et donné lieu à la barbarie des théologiens latins.] J’ai lu cette plainte dans un ouvrage d’Alcyonius. Vous y trouverez un bel éloge de saint Grégoire, mais qui finit par ces termes [3] : Utinàm incorruptam græcæ linguæ integritatem servâsset in tantâ rerum silvâ et tam magnâ librorum vi, certè sanctissimum illum pontificem omni laude cumulatum judicarem… ex illius maximè scriptis barbariem irrepsisse in theologiam latinam arbitror. Nam veteres nostri interpretes mediocris litteraturæ, nullius ferè judicii homines cum animadverterent theologum hunc frequenter usurpare voces quasdam novas easque non satis aptè fictas, necesse sibi esse crediderun illas latinè reddere atque hunc in modum sordidâ barbarie est lingua latina infuscata. C’est le cardinal Jean de Médicis qui parle.

(C)Et se plaignirent de ce qu’on substitua ses vers grecs aux poésies des anciens païens, brûlées à l’instigation des prêtres.] Continuons d’entendre le même Jean de Médicis. Audiebam etiam puer ex Demetrio Chalcondylâ græcarum rerum peritissimo, sacerdotes græcos tantâ floruisse auctoritate apud Cæsares Byzantios, ut integrâ illorum gratiâ complura de veteribus Græcis poemata combusserint inprimisque ea ubi amores, turpes lusus, et nequitiæ amantum continebantur, atque ita Menandri, Diphili, Apollodori, Philemonis, Alexis fabellas, et Saphiîs, Erinnæ, Anacreontis, Mimnermi, Bionis, Alcmanis, Alcæi carmina intercidisse. Tùm pro his substituta Nazianzeni nostri poemata ; quæ excitant animos nostrorum hominum ad flagrantiorem religionis cultum, non tamen verborum atticorum proprietætem et græcæ linguæ elegantiam edocent. Turpiter quidem sacerdotes isti in veteres Græcos malevoli fuerunt, sed integritatis, probitatis, et religionis maximum dedere testimonium [4].

  1. * Joly dit que D. Liron, dans ses Singularités Historiques, I, 161, a fort bien prouvé la ridicule fable que les prêtres grecs avaient brûlé à Constantinople quantité de poëtes anciens : et tout en admettant Le témoignage de Liron, auteur du 18°. siècle, Joly, comme Leclerc, admet ceux d’Alcyonius et de Démétrius Chalcondyle, qui vivaient au seizième.
  1. M. Dupin, dans sa Nouvelle Bibliothèque des Auteurs-ecclésiastiques, tom. II, pag. 201 et suiv., édit. de Hollande, et M. Leclerc, au commencement du XVIIIe. tome de la Bibliothèque universelle.
  1. Cunæus, præfat. in Juliani Casares, pag. m. 119.
  2. Avis important aux Réfugiés, pag. 43, 44.
  3. Petrus Alcyonius, in Medico legato priore folio ciii verso.
  4. Idem, ibidem.

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