Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Année platonique

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Henri Plon (p. 38-39).

Année platonique. On appelle année platonique un espace de temps à la fin duquel tout doit se retrouver à la même place. Les uns comptent seize mille ans pour cette révolution, d’autres trente-six mille[1]. Il y en eut aussi qui croyaient anciennement qu’au bout de cette période le monde serait renouvelé, et que les âmes rentreraient dans leurs corps pour commencer une nouvelle vie semblable à la précédente. On conte là-dessus cette petite anecdote :

Des Allemands, arrêtés dans une auberge de Châlons-sur-Marne, amenèrent la conversation sur cette grande année platonique où toutes les choses doivent retourner à leur premier état ; ils voulurent persuader au maître du logis qu’il n’y avait rien de si vrai que cette révolution ; « de sorte, disaient-ils, que, dans seize mille ans d’ici, nous serons à boire chez vous à pareille heure et dans cette même chambre. »

La-dessus, ayant très-peu d’argent, en vrais Allemands qu’ils étaient, ils prièrent l’hôte de leur faire crédit jusque-là.

Le cabaretier champenois leur répondit qu’il le voulait bien. « Mais, ajouta-t-il, parce qu’il y a seize mille ans, jour pour jour, heure pour heure, que vous étiez pareillement à boire ici comme vous faites, et que vous vous êtes retirés sans payer, acquittez le passé, et je vous ferai crédit du présent… »

 
Allemands causant de l’année platonique
Allemands causant de l’année platonique
Allemands causant de l’année platonique.
 


  1. Quelques-uns disaient que les corps célestes seulement se retrouvaient au même point au bout de la grande année. Cicéron, dans un passage de son Hortensius, conservé par Servius, fait cette grande année de douze mille neuf cent cinquante-quatre des nôtres.