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Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/NOBLESSE

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NOBLESSE : la noblesse dans l’ancien régime avoit d’abord été le premier corps de l’état, elle en étoit devenu le second pour avoir humblement cédé la primauté au clergé, qui s’en accommodoit assez bien, quand cette maudite révolution est venue confondre les premiers avec les seconds, les seconds avec les premiers, & le tout avec ceux qu’ils ne comptoient pour rien. La noblesse s’estimoit une caste pure & distincte d’une autre caste qu’elle appelloit noblement les vilains ou roturiers. Cette pureté de linage, la noblesse l’établissoit malgré les entures frauduleuses de nombreux beaux vilains qui avoient osé élever leurs pensées vers leurs hautes & puissantes dames.

De cette souche auguste, greffée de tant de manieres, sortoient une multitude de branches dont les vieilles étoient les plus estimées ; mais il étoit facile de les confondre avec les jeunes, lorsque celles-ci étoient parvenues à se couvrir d’une écorce qui est souvent pareilles à celle des vieilles branches. La Roque, qui a écrit un épais volume sur ces branches, les nomme toutes avec une patience digne du temps où il écrivoit. « Il y a de ces branches, dit-il, qui n’ont que l’écorce, mais qui, toutes grêles qu’elles sont, n’en élevent pas moins leurs tiges à une hauteur incroyable. Les branches appellées gentilhommieres, continue cet auteur (qu’on va me permettre de copier pour un instant) ont une particularité singuliere, c’est que leur écorce ressemble parfaitement à du vieux parchemin, & que le blerau, qui est une espece de rat, en est très-friand. Au pied de la souche s’élevent de grosses branches fongueuses, qui tiennent du champignon & croissent de même. Les naturalistes ne sont point d’accord sur leur vrai nom. D’Hosier, qui a traité plus particuliérement de cette famille, la nomme noblesse-financiere. Feu M. Cherin, qui a laissé tous ses talens à M. Cherin fils, ne la désignoit pas autrement que par noblesse-vénale. Quoi qu’il en soit, cette branche parasite est très-charnue & attire à elle toute la seve de sa souche ; elle s’éleve même en froissant les branches gentilhommieres, & mêle ses tiges aux tiges desséchées des vieilles branches, &c., &c. »

Ce morceau d’histoire naturelle de la Roque est très-intéressant, & mériteroit d’être lu en entier dans l’auteur, si l’on n’étoit pas occupé entiérement par les 83 journaux qui paroissent tous les jours ou au moins deux fois par semaine.

En passant de l’histoire naturelle à l’histoire féodale, je remarque que dans l’ancien régime la noblesse avoit ce qu’on appelloit alors des privileges ; c’est-à-dire, que s’il y avoit des oiseaux dans les airs, c’étoit elle qui les mangeoit ; que s’il y avoit des poissons dans les eaux, c’étoit elle qui les mangeoit ; qu’elle mangeoit encore les nombreux quadrupedes qu’Adam avoit pris tant de peine à nommer, & le vilain qui osoit y toucher étoit livré à l’infamie & réduit au pain de douleur… Mais tout cela n’est plus ; aux vains noms dont la Roque qualifioit la noblesse, on a substitué celui de noblesse-citoyenne. Ce qu’elle mangeoit seule nous le mangerons avec elle, nous le partagerons en freres & nous lui offrirons même d’en jouir seule, si elle oublie les lentilles d’Esaü.