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Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Âme

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Éd. Garnier - Tome 17
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ÂME.

SECTION PREMIÈRE[1].


C’est un terme vague, indéterminé, qui exprime un principe inconnu d’effets connus que nous sentons en nous. Ce mot âme répond à l’anima des Latins, au πνεῦμα des Grecs, au terme dont se sont servies toutes les nations pour exprimer ce qu’elles n’entendaient pas mieux que nous.

Dans le sens propre et littéral du latin et des langues qui en sont dérivées, il signifie ce qui anime. Ainsi on a dit : l’âme des hommes, des animaux, quelquefois des plantes, pour signifier leur principe de végétation et de vie. On n’a jamais eu, en prononçant ce mot, qu’une idée confuse, comme lorsqu’il est dit dans la Genèse[2] : « Dieu souffla au visage de l’homme un souffle de vie, et il devint âme vivante ; et l’âme des animaux est dans le sang ; et ne tuez point son âme, etc. »

Ainsi l’âme était prise en général pour l’origine et la cause de la vie, pour la vie même. C’est pourquoi toutes les nations connues imaginèrent longtemps que tout mourait avec le corps. Si on peut démêler quelque chose dans le chaos des histoires anciennes, il semble qu’au moins les Égyptiens furent les premiers qui distinguèrent l’intelligence et l’âme ; et les Grecs apprirent d’eux à distinguer aussi leur νοῦς et leur πνεῦμα. Les Latins, à leur exemple, distinguèrent animus et anima ; et nous, enfin, nous avons aussi eu notre âme et notre entendement. Mais ce qui est le principe de notre vie, ce qui est le principe de nos pensées, sont-ce deux choses différentes ? est-ce le même être ? Ce qui nous fait digérer et ce qui nous donne des sensations et de la mémoire ressemble-t-il à ce qui est dans les animaux la cause de la digestion et la cause de leurs sensations et de leur mémoire ?

Voilà l’éternel objet des disputes des hommes : je dis l’éternel objet, car, n’ayant point de notion primitive dont nous puissions descendre dans cet examen, nous ne pouvons que rester à jamais dans un labyrinthe de doutes et de faibles conjectures.

Nous n’avons pas le moindre degré où nous puissions poser le pied pour arriver à la plus légère connaissance de ce qui nous fait vivre et de ce qui nous fait penser. Comment en aurions-nous ? il faudrait avoir vu la vie et la pensée entrer dans un corps. Un père sait-il comment il a produit son fils ? une mère sait-elle comment elle l’a conçu ? Quelqu’un a-t-il jamais pu deviner comment il agit, comment il veille, et comment il dort ? Quelqu’un sait-il comment ses membres obéissent à sa volonté ? a-t-il découvert par quel art des idées se tracent dans son cerveau et en sortent à son commandement ? Faibles automates mus par la main invisible qui nous dirige sur cette scène du monde, qui de nous a pu apercevoir le fil qui nous conduit ?

Nous osons mettre en question si l’âme intelligente est esprit ou matière ; si elle est créée avant nous ; si elle sort du néant dans notre naissance ; si après nous avoir animés un jour sur la terre, elle vit après nous dans l’éternité. Ces questions paraissent sublimes ; que sont-elles ? des questions d’aveugles qui disent à d’autres aveugles : Qu’est-ce que la lumière ?

Quand nous voulons connaître grossièrement un morceau de métal, nous le mettons au feu dans un creuset. Mais avons-nous un creuset pour y mettre l’âme ? Elle est esprit, dit l’un. Mais qu’est-ce qu’esprit ? personne assurément n’en sait rien ; c’est un mot si vide de sens qu’on est obligé de dire ce que l’esprit n’est pas, ne pouvant dire ce qu’il est. L’âme est matière, dit l’autre. Mais qu’est-ce que matière ? nous n’en connaissons que quelques apparences et quelques propriétés ; et nulle de ces propriétés, nulle de ces apparences ne paraît avoir le moindre rapport avec la pensée.

C’est quelque chose de distinct de la matière, dites-vous ? Mais quelle preuve en avez-vous ? Est-ce parce que la matière est divisible et figurable, et que la pensée ne l’est pas ? Mais qui vous a dit que les premiers principes de la matière sont divisibles et figurables ? Il est très vraisemblable qu’ils ne le sont point ; des sectes entières de philosophes prétendent que les éléments de la matière n’ont ni figure ni étendue. Vous criez d’un air triomphant : La pensée n’est ni du bois, ni de la pierre, ni du sable, ni du métal ; donc la pensée n’appartient pas à la matière. Faibles et hardis raisonneurs ! la gravitation n’est ni bois, ni sable, ni métal, ni pierre ; le mouvement, la végétation, la vie, ne sont rien non plus de tout cela ; et cependant la vie, la végétation, le mouvement, la gravitation, sont donnés à la matière. Dire que Dieu ne peut rendre la matière pensante, c’est dire la chose la plus insolemment absurde que jamais on ait osé proférer dans les écoles privilégiées de la démence. Nous ne sommes pas assurés que Dieu en ait usé ainsi ; nous sommes seulement assurés qu’il le peut. Mais qu’importe tout ce qu’on a dit et tout ce qu’on dira sur l’âme ? qu’importe qu’on l’ait appelée entéléchie, quintessence, flamme, éther ; qu’on l’ait crue universelle, incréée, transmigrante, etc. ?

Qu’importent, dans ces questions inaccessibles à la raison, ces romans de nos imaginations incertaines ? Qu’importe que les Pères des quatre premiers siècles aient cru l’âme corporelle ? Qu’importe que Tertullien, par une contradiction qui lui est familière, ait décidé qu’elle est à la fois corporelle, figurée et simple ? Nous avons mille témoignages d’ignorance, et pas un qui nous donne une lueur de vraisemblance.

Comment donc sommes-nous assez hardis pour affirmer ce que c’est que l’âme ? Nous savons certainement que nous existons, que nous sentons, que nous pensons. Voulons-nous faire un pas au delà ? nous tombons dans un abîme de ténèbres ; et dans cet abîme nous avons encore la folle témérité de disputer si cette âme, dont nous n’avons pas la moindre idée, est faite avant nous ou avec nous, et si elle est périssable ou immortelle.

[3] L’article Âme, et tous les articles qui tiennent à la métaphysique, doivent commencer par une soumission sincère aux dogmes indubitables de l’Église. La révélation vaut mieux, sans doute, que toute la philosophie. Les systèmes exercent l’esprit, mais la foi l’éclaire et le guide.

Ne prononce-t-on pas souvent des mots dont nous n’avons qu’une idée très confuse, ou même dont nous n’en avons aucune ? Le mot d’âme n’est-il pas dans ce cas ? Lorsque la languette ou la soupape d’un soufflet est dérangée, et que l’air qui est entré dans la capacité du soufflet en sort par quelque ouverture survenue à cette soupape, qu’il n’est plus comprimé contre les deux palettes, et qu’il n’est pas poussé avec violence vers le foyer qu’il doit allumer, les servantes disent : L’âme du soufflet est crevée. Elles n’en savent pas davantage ; et cette question ne trouble point leur tranquillité.

Le jardinier prononce le mot d’âme des plantes, et les cultive très bien sans savoir ce qu’il entend par ce terme.

Le luthier pose, avance ou recule l’âme d’un violon sous le chevalet, dans l’intérieur des deux tables de l’instrument ; un chétif morceau de bois de plus ou de moins lui donne ou lui ôte une âme harmonieuse.

Nous avons plusieurs manufactures dans lesquelles les ouvriers donnent la qualification d’âme à leurs machines. Jamais on ne les entend disputer sur ce mot ; il n’en est pas ainsi des philosophes.

Le mot d’âme parmi nous signifie en général ce qui anime. Nos devanciers les Celtes donnaient à leur âme le nom de seel, dont les Anglais ont fait le mot soûl, les Allemands seel ; et probablement les anciens Teutons et les anciens Bretons n’eurent point de querelles dans les universités pour cette expression.

Les Grecs distinguaient trois sortes d’âmes : ψυχὴ, qui signifiait l’âme sensitive, l’âme des sens ; et voilà pourquoi l’Amour, enfant d’Aphrodite, eut tant de passion pour Psyché, et que Psyché l’aima si tendrement ; πνεῦμα, le souffle qui donnait la vie et le mouvement à toute la machine, et que nous avons traduit par spiritus, esprit, mot vague auquel on a donné mille acceptions différentes ; et enfin νοῦς, l’intelligence.

Nous possédions donc trois âmes, sans avoir la plus légère notion d’aucune. Saint Thomas d’Aquin[4] admet ces trois âmes en qualité de péripatéticien, et distingue chacune de ces trois âmes en trois parties.

ψυχὴ était dans la poitrine, πνεῦμα se répandait dans tout le corps, et νοῦς était dans la tête. Il n’y a point eu d’autre philosophie dans nos écoles jusqu’à nos jours, et malheur à tout homme qui aurait pris une de ces âmes pour l’autre.

Dans ce chaos d’idées il y avait pourtant un fondement. Les hommes s’étaient bien aperçus que dans leurs passions d’amour, de colère, de crainte, il s’excitait des mouvements dans leurs entrailles. Le foie et le cœur furent le siège des passions. Lorsqu’on pense profondément, on sent une contention dans les organes de la tête : donc l’âme intellectuelle est dans le cerveau. Sans respiration, point de végétation, point de vie : donc l’âme végétative est dans la poitrine, qui reçoit le souffle de l’air.

Lorsque les hommes virent en songe leurs parents ou leurs amis morts, il fallut bien chercher ce qui leur était apparu. Ce n’était pas le corps, qui avait été consumé sur un bûcher, ou englouti dans la mer et mangé des poissons. C’était pourtant quelque chose, à ce qu’ils prétendaient : car ils l’avaient vu ; le mort avait parlé ; le songeur l’avait interrogé. Était-ce ψυχὴ, était-ce πνεῦμα, était-ce νοῦς, avec qui on avait conversé en songe ? On imagina un fantôme, une figure légère : c’était σκιὰ, c’était δαὶμον, une ombre, des mânes, une petite âme d’air et de feu extrêmement déliée qui errait je ne sais où.

Dans la suite des temps, quand on voulut approfondir la chose, il demeura pour constant que cette âme était corporelle, et toute l’antiquité n’en eut point d’autre idée. Enfin Platon vint, qui subtilisa tellement cette âme qu’on douta s’il ne la séparait pas entièrement de la matière ; mais ce fut un problème qui ne fut jamais résolu jusqu’à ce que la foi vînt nous éclairer.

En vain les matérialistes allèguent quelques Pères de l’Église qui ne s’exprimaient point avec exactitude. Saint Irénée dit[5] que l’âme n’est que le souffle de la vie, qu’elle n’est incorporelle que par comparaison avec le corps mortel, et qu’elle conserve la figure de l’homme afin qu’on la reconnaisse.

En vain Tertullien s’exprime ainsi : « La corporalité de l’âme éclate dans l’Évangile[6] ; corporalitas animæ in ipso Evangelio relucescit. » Car si l’âme n’avait pas un corps, l’image de l’âme n’aurait pas l’image du corps.

En vain même rapporte-t-il la vision d’une sainte femme qui avait vu une âme très brillante, et de la couleur de l’air.

En vain Tatien dit expressément[7] : ψυχὴ μὲν οὖν ὴ τῶν ἀνθρώπων πολυμερής ὲστι ; l’âme de l’homme est composée de plusieurs parties.

En vain allègue-t-on saint Hilaire, qui dit dans des temps postérieurs[8] : « Il n’est rien de créé qui ne soit corporel, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni parmi les visibles, ni parmi les invisibles : tout est formé d’éléments, et les âmes, soit qu’elles habitent un corps, soit qu’elles en sortent, ont toujours une substance corporelle. »

En vain saint Ambroise, au vie siècle, dit : « Nous[9] ne connaissons rien que de matériel, excepté la seule vénérable Trinité. »

Le corps de l’Église entière a décidé que l’âme est immatérielle. Ces saints étaient tombés dans une erreur alors universelle ; ils étaient hommes, mais ils ne se trompèrent pas sur l’immortalité, parce qu’elle est évidemment annoncée dans les Évangiles.

Nous avons un besoin si évident de la décision de l’Église infaillible sur ces points de philosophie que nous n’avons en effet par nous-mêmes aucune notion suffisante de ce qu’on appelle esprit pur, et de ce qu’on nomme matière. L’esprit pur est un mot qui ne nous donne aucune idée ; et nous ne connaissons la matière que par quelques phénomènes. Nous la connaissons si peu que nous l’appelons substance : or le mot substance veut dire ce qui est dessous ; mais ce dessous nous sera éternellement caché. Ce dessous est le secret du Créateur, et ce secret du Créateur est partout. Nous ne savons ni comment nous recevons la vie, ni comment nous la donnons, ni comment nous croissons, ni comment nous digérons, ni comment nous dormons, ni comment nous pensons, ni comment nous sentons.

La grande difficulté est de comprendre comment un être, quel qu’il soit, a des pensées.


SECTION II[10].
DES DOUTES DE LOCKE SUR L’ÂME.


L’auteur de l’article Âme[11] dans l’Encyclopédie a suivi scrupuleusement Jaquelot ; mais Jaquelot ne nous apprend rien. Il s’élève aussi contre Locke, parce que le modeste Locke a dit[12] : « Nous ne serons peut-être jamais capables de connaître si un être matériel pense ou non, par la raison qu’il nous est impossible de découvrir par la contemplation de nos propres idées, sans révélation, si Dieu n’a point donné à quelque amas de matière, disposée comme il le trouve à propos, la puissance d’apercevoir et de penser ; ou s’il a joint et uni à la matière ainsi disposée une substance immatérielle qui pense. Car par rapport à nos notions, il ne nous est pas plus malaisé de concevoir que Dieu peut, s’il lui plaît, ajouter à notre idée de la matière la faculté de penser, que de comprendre qu’il y joigne une autre substance avec la faculté de penser ; puisque nous ignorons en quoi consiste la pensée, et à quelle espèce de substance cet être tout-puissant a trouvé à propos d’accorder cette puissance, qui ne saurait être créée qu’en vertu du bon plaisir et de la bonté du Créateur. Je ne vois pas quelle contradiction il y a que Dieu, cet être pensant, éternel et tout-puissant, donne, s’il veut, quelques degrés de sentiment, de perception et de pensée à certains amas de matière créée et insensible, qu’il joint ensemble comme il le trouve à propos. »

C’était parler en homme profond, religieux et modeste[13].

On sait quelles querelles il eut à essuyer sur cette opinion, qui parut hasardée, mais qui en effet n’était en lui qu’une suite de la conviction où il était de la toute-puissance de Dieu et de la faiblesse de l’homme. Il ne disait pas que la matière pensât ; mais il disait que nous n’en savons pas assez pour démontrer qu’il est impossible à Dieu d’ajouter le don de la pensée à l’être inconnu nommé matière, après lui avoir accordé le don de la gravitation et celui du mouvement, qui sont également incompréhensibles.

Locke n’était pas assurément le seul qui eût avancé cette opinion : c’était celle de toute l’antiquité, qui, en regardant l’âme comme une matière très déliée, assurait par conséquent que la matière pouvait sentir et penser.

C’était le sentiment de Gassendi, comme on le voit dans ses objections à Descartes. « Il est vrai, dit Gassendi, que vous connaissez que vous pensez ; mais vous ignorez quelle espèce de substance vous êtes, vous qui pensez. Ainsi quoique l’opération de la pensée vous soit connue, le principal de votre essence vous est caché ; et vous ne savez point quelle est la nature de cette substance, dont l’une des opérations est de penser. Vous ressemblez à un aveugle qui, sentant la chaleur du soleil et étant averti qu’elle est causée par le soleil, croirait avoir une idée claire et distincte de cet astre parce que si on lui demandait ce que c’est que le soleil il pourrait répondre : C’est une chose qui échauffe, etc. »

Le même Gassendi, dans sa Philosophie d’Épicure, répète plusieurs fois qu’il n’y a aucune évidence mathématique de la pure spiritualité de l’âme.

Descartes, dans une de ses lettres à la princesse palatine Élisabeth, lui dit : « Je confesse que par la seule raison naturelle nous pouvons faire beaucoup de conjectures sur l’âme, et avoir de flatteuses espérances, mais non pas aucune assurance. » Et en cela Descartes combat dans ses lettres ce qu’il avance dans ses livres ; contradiction trop ordinaire.

Enfin nous avons vu que tous les Pères des premiers siècles de l’Église, en croyant l’âme immortelle, la croyaient en même temps matérielle ; ils pensaient qu’il est aussi aisé à Dieu de conserver que de créer. Ils disaient : « Dieu la fit pensante, il la conservera pensante. »

Malebranche a prouvé très bien que nous n’avons aucune idée par nous-mêmes, et que les objets sont incapables de nous en donner : de là il conclut que nous voyons tout en Dieu. C’est au fond la même chose que de faire Dieu l’auteur de toutes nos idées : car avec quoi verrions-nous dans lui, si nous n’avions pas des instruments pour voir ? et ces instruments, c’est lui seul qui les tient et qui les dirige. Ce système est un labyrinthe, dont une allée vous mènerait au spinosisme, une autre au stoïcisme, et une autre au chaos.

Quand on a bien disputé sur l’esprit, sur la matière, on finit toujours par ne se point entendre. Aucun philosophe n’a pu lever par ses propres forces ce voile que la nature a étendu sur tous les premiers principes des choses ; ils disputent, et la nature agit.


SECTION III[14].

DE L’ÂME DES BÊTES, ET DE QUELQUES IDÉES CREUSES.


Avant l’étrange système qui suppose les animaux de pures machines sans aucune sensation, les hommes n’avaient jamais imaginé dans les bêtes une âme immatérielle ; et personne n’avait poussé la témérité jusqu’à dire qu’une huître possède une âme spirituelle. Tout le monde s’accordait paisiblement à convenir que les bêtes avaient reçu de Dieu du sentiment, de la mémoire, des idées, et non pas un esprit pur. Personne n’avait abusé du don de raisonner au point de dire que la nature a donné aux bêtes tous les organes du sentiment pour qu’elles n’eussent point de sentiment. Personne n’avait dit qu’elles crient quand on les blesse, et qu’elles fuient quand on les poursuit, sans éprouver ni douleur ni crainte.

On ne niait point alors la toute-puissance de Dieu ; il avait pu communiquer à la matière organisée des animaux le plaisir, la douleur, le ressouvenir, la combinaison de quelques idées ; il avait pu donner à plusieurs d’entre eux, comme au singe, à l’éléphant, au chien de chasse, le talent de se perfectionner dans les arts qu’on leur apprend ; non seulement il avait pu douer presque tous les animaux carnassiers du talent de mieux faire la guerre dans leur vieillesse expérimentée, que dans leur jeunesse trop confiante ; non seulement, dis-je, il l’avait pu, mais il l’avait fait : l’univers en était témoin,

Pereira et Descartes soutinrent à l’univers qu’il se trompait, que Dieu avait joué des gobelets, qu’il avait donné tous les instruments de la vie et de la sensation aux animaux, afin qu’ils n’eussent ni sensation, ni vie proprement dite. Mais je ne sais quels prétendus philosophes, pour répondre à la chimère de Descartes, se jetèrent dans la chimère opposée ; ils donnèrent libéralement un esprit pur aux crapauds et aux insectes :


In vitium ducit culpæ fuga....

Hor., de Art. poet.


Entre ces deux folies, l’une qui ôte le sentiment aux organes du sentiment, l’autre qui loge un pur esprit dans une punaise, on imagina un milieu : c’est l’instinct ; et qu’est-ce que l’instinct ? Oh ! oh ! c’est une forme substantielle ; c’est une forme plastique ; c’est un je ne sais quoi : c’est de l’instinct. Je serai de votre avis tant que vous appellerez la plupart des choses je ne sais quoi, tant que votre philosophie commencera et finira par je ne sais ; mais quand vous affirmerez, je vous dirai avec Prior dans son poëme sur les vanités du monde :


Osez-vous assigner, pédants insupportables,
Une cause diverse à des effets semblables ?
Avez-vous mesuré cette mince cloison
Qui semble séparer l’instinct de la raison ?
Vous êtes mal pourvus et de l’un et de l’autre.
Aveugles insensés, quelle audace est la vôtre !
L’orgueil est votre instinct. Conduirez-vous nos pas
Dans ces chemins glissants que vous ne voyez pas ?

L’auteur de l’article Âme dans l’Encyclopédie s’explique ainsi : « Je me représente l’âme des bêtes comme une substance immatérielle et intelligente ; mais de quelle espèce ? Ce doit être, ce me semble, un principe actif qui a des sensations, et qui n’a que cela... Si nous réfléchissons sur la nature de l’âme des bêtes, elle ne nous fournit rien de son fonds qui nous porte à croire que sa spiritualité la sauvera de l’anéantissement. »

Je n’entends pas comment on se représente une substance immatérielle. Se représenter quelque chose, c’est s’en faire une image ; et jusqu’à présent personne n’a pu peindre l’esprit. Je veux que, par le mot représente, l’auteur entende je conçois ; pour moi, j’avoue que je ne le conçois pas. Je conçois encore moins qu’une âme spirituelle soit anéantie, parce que je ne conçois ni la création ni le néant ; parce que je n’ai jamais assisté au conseil de Dieu ; parce que je ne sais rien du tout du principe des choses.

Si je veux prouver que l’âme est un être réel, on m’arrête en me disant que c’est une faculté. Si j’affirme que c’est une faculté, et que j’ai celle de penser, on me répond que je me trompe ; que Dieu, le maître éternel de toute la nature, fait tout en moi, et dirige toutes mes actions et toutes mes pensées ; que si je produisais mes pensées, je saurais celles que j’aurai dans une minute ; que je ne le sais jamais ; que je ne suis qu’un automate à sensations et à idées, nécessairement dépendant, et entre les mains de l’Être suprême, infiniment plus soumis à lui que l’argile ne l’est au potier.

J’avoue donc mon ignorance ; j’avoue que quatre mille tomes de métaphysique ne nous enseigneront pas ce que c’est que notre âme.

Un philosophe orthodoxe disait à un philosophe hétérodoxe : « Comment avez-vous pu parvenir à imaginer que l’âme est mortelle de sa nature, et qu’elle n’est éternelle que par la pure volonté de Dieu ? — Par mon expérience, dit l’autre. — Comment ! est-ce que vous êtes mort ? — Oui, fort souvent. Je tombais en épilepsie dans ma jeunesse, et je vous assure que j’étais parfaitement mort pendant plusieurs heures. Nulle sensation, nul souvenir même du moment où j’étais tombé. Il m’arrive à présent la même chose presque toutes les nuits. Je ne sens jamais précisément le moment où je m’endors ; mon sommeil est absolument sans rêves. Je ne peux imaginer que par conjectures combien de temps j’ai dormi. Je suis mort régulièrement six heures en vingt-quatre. C’est le quart de ma vie. »

L’orthodoxe alors lui soutint qu’il pensait toujours pendant son sommeil sans qu’il en sût rien. L’hétérodoxe lui répondit : « Je crois par la révélation que je penserai toujours dans l’autre vie ; mais je vous assure que je pense rarement dans celle-ci. »

L’orthodoxe ne se trompait pas en assurant l’immortalité de l’âme, puisque la foi et la raison démontrent cette vérité ; mais il pouvait se tromper en assurant qu’un homme endormi pense toujours.

Locke avouait franchement qu’il ne pensait pas toujours quand il dormait ; un autre philosophe a dit : « Le propre de l’homme est de penser ; mais ce n’est pas son essence. »

Laissons à chaque homme la liberté et la consolation de se chercher soi-même, et de se perdre dans ses idées.

Cependant il est bon de savoir qu’en 1730 un philosophe[15] essuya une persécution assez forte pour avoir avoué, avec Locke, que son entendement n’était pas exercé tous les moments du jour et de la nuit, de même qu’il ne se servait pas à tout moment de ses bras et de ses jambes. Non seulement l’ignorance de cour le persécuta, mais l’ignorance maligne de quelques prétendus littérateurs se déchaîna contre le persécuté. Ce qui n’avait produit en Angleterre que quelques disputes philosophiques produisit en France les plus lâches atrocités : un Français fut la victime de Locke.

Il y a eu toujours dans la fange de notre littérature plus d’un de ces misérables qui ont vendu leur plume, et cabale contre leurs bienfaiteurs mêmes. Cette remarque est bien étrangère à l’article Âme ; mais faudrait-il perdre une occasion d’effrayer ceux qui se rendent indignes du nom d’hommes de lettres, qui prostituent le peu d’esprit et de conscience qu’ils ont à un vil intérêt, à une politique chimérique, qui trahissent leur amis pour flatter des sots, qui broient en secret la ciguë dont l’ignorant puissant et méchant veut abreuver des citoyens utiles ?

Arriva-t-il jamais dans la véritable Rome qu’on dénonçât aux consuls un Lucrèce pour avoir mis en vers le système d’Épicure ? un Cicéron pour avoir écrit plusieurs fois qu’après la mort on ne ressent aucune douleur ? qu’on accusât un Pline, un Varron, d’avoir eu des idées particulières sur la Divinité ? La liberté de penser fut illimitée chez les Romains. Les esprits durs, jaloux et rétrécis, qui se sont efforcés d’écraser parmi nous cette liberté, mère de nos connaissances, et premier ressort de l’entendement humain, ont prétexté des dangers chimériques. Ils n’ont pas songé que les Romains, qui poussaient cette liberté beaucoup plus loin que nous, n’en ont pas moins été nos vainqueurs, nos législateurs, et que les disputes de l’école n’ont pas plus de rapport au gouvernement que le tonneau de Diogène n’en eut avec les victoires d’Alexandre.

Cette leçon vaut bien une leçon sur l’âme : nous aurons peut-être plus d’une occasion d’y revenir.

Enfin, en adorant Dieu de toute notre âme, confessons toujours notre profonde ignorance sur cette âme, sur cette faculté de sentir et de penser que nous tenons de sa bonté infinie. Avouons que nos faibles raisonnements ne peuvent rien ôter, rien ajouter à la révélation et à la foi. Concluons enfin que nous devons employer cette intelligence, dont la nature est inconnue, à perfectionner les sciences qui sont l’objet de l’Encyclopédie, comme les horlogers emploient des ressorts dans leurs montres, sans savoir ce que c’est que le ressort.


SECTION IV[16].

SUR L’ÂME, ET SUR NOS IGNORANCES.


Sur la foi de nos connaissances acquises, nous avons osé mettre en question si l’âme est créée avant nous, si elle arrive du néant dans notre corps ? à quel âge elle est venue se placer entre une vessie et les intestins cœcum et rectum ? si elle y a reçu ou apporté quelques idées, et quelles sont ces idées ? si après nous avoir animé quelques moments, son essence est de vivre après nous dans l’éternité sans l’intervention de Dieu même ? si étant esprit, et Dieu étant esprit, ils sont l’un et l’autre d’une nature semblable[17]? Ces questions paraissent sublimes : que sont-elles ? des questions d’aveugles-nés sur la lumière.

Que nous ont appris tous les philosophes anciens et modernes ? un enfant est plus sage qu’eux ; il ne pense pas à ce qu’il ne peut concevoir.

Qu’il est triste, direz-vous, pour notre insatiable curiosité, pour notre soif intarissable du bien-être, de nous ignorer ainsi ! J’en conviens, et il y a des choses encore plus tristes ; mais je vous répondrai :


Sors tua mortalis, non est mortale quod optas.

Ovid., Met., II, 56.

Tes destins sont d’un homme, et tes vœux sont d’un dieu[18].


Il paraît, encore une fois, que la nature de tout principe des choses est le secret du Créateur. Comment les airs portent-ils des sons ? comment se forment les animaux ? comment quelques-uns de nos membres obéissent-ils constamment à nos volontés ? quelle main place des idées dans notre mémoire, les y garde comme dans un registre, et les en tire tantôt à notre gré, et tantôt malgré nous ? Notre nature, celle de l’univers, celle de la moindre plante, tout est plongé pour nous dans un gouffre de ténèbres.

L’homme est un être agissant, sentant et pensant : voilà tout ce que nous en savons ; il ne nous est donné de connaître ni ce qui nous rend sentants et pensants, ni ce qui nous fait agir, ni ce qui nous fait être. La faculté agissante est aussi incompréhensible pour nous que la faculté pensante. La difficulté est moins de concevoir comment ce corps de fange a des sentiments et des idées que de concevoir comment un être, quel qu’il soit, a des idées et des sentiments.

Voilà d’un côté l’âme d’Archimède, de l’autre celle d’un imbécile : sont-elles de même nature ? Si leur essence est de penser, elles pensent toujours, et indépendamment du corps, qui ne peut agir sans elles. Si elles pensent par leur propre nature, l’espèce d’une âme qui ne peut faire une règle d’arithmétique sera-t-elle la même que celle qui a mesuré les cieux ? Si ce sont les organes du corps qui ont fait penser Archimède, pourquoi mon idiot, mieux constitué qu’Archimède, plus vigoureux, digérant mieux, faisant mieux toutes ses fonctions, ne pense-t-il point ? C’est, dites-vous, que sa cervelle n’est pas si bonne. Mais vous le supposez ; vous n’en savez rien. On n’a jamais trouvé de différences entre les cervelles saines qu’on a disséquées ; il est même très vraisemblable que le cervelet d’un sot sera en meilleur état que celui d’Archimède, qui a fatigué prodigieusement, et qui pourrait être usé et raccourci.

Concluons donc ce que nous avons déjà conclu, que nous sommes des ignorants sur tous les premiers principes. À l’égard des ignorants qui font les suffisants, ils sont fort au-dessous des singes.

Disputez maintenant, colériques argumentants ; présentez des requêtes les uns contre les autres ; dites des injures, prononcez vos sentences, vous qui ne savez pas un mot de la question.


SECTION V[19].

DU PARADOXE DE WARBURTON SUR L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME.


Warburton, éditeur et commentateur de Shakespeare et évêque de Glocester, usant de la liberté anglaise, et abusant de la coutume de dire des injures à ses adversaires, a composé quatre volumes pour prouver que l’immortalité de l’âme n’a jamais été annoncée dans le Pentateuque, et pour conclure de cette preuve même que la mission de Moïse, qu’il appelle légation, est divine. Voici le précis de son livre, qu’il donne lui-même, pages 7 et 8 du premier tome.

« 1° La doctrine d’une vie à venir, des récompenses et des châtiments après la mort, est nécessaire à toute société civile.

« 2° Tout le genre humain (et c’est en quoi il se trompe), et spécialement les plus sages et les plus savantes nations de l’antiquité, se sont accordés à croire et à enseigner cette doctrine.

« 3° Elle ne peut se trouver en aucun endroit de la loi de Moïse ; donc la loi de Moïse est d’un original divin. Ce que je vais prouver par les deux syllogismes suivants :


Premier syllogisme.


« Toute religion, toute société qui n’a pas l’immortalité de l’âme pour son principe, ne peut être soutenue que par une providence extraordinaire ; la religion juive n’avait pas l’immortalité de l’âme pour principe : donc la religion juive était soutenue par une providence extraordinaire.


Second syllogisme.


« Les anciens législateurs ont tous dit qu’une religion qui n’enseignerait pas l’immortalité de l’âme ne pouvait être soutenue que par une providence extraordinaire ; Moïse a institué une religion qui n’est pas fondée sur l’immortalité de l’âme : donc Moïse croyait sa religion maintenue par une providence extraordinaire. »

Ce qui est bien plus extraordinaire, c’est cette assertion de Warburton, qu’il a mise en gros caractères à la tête de son livre. On lui a reproché souvent l’extrême témérité et la mauvaise foi avec laquelle il ose dire que tous les anciens législateurs ont cru qu’une religion qui n’est pas fondée sur les peines et les récompenses après la mort ne peut être soutenue que par une providence extraordinaire ; il n’y en a pas un seul qui l’ait jamais dit. Il n’entreprend pas même d’en apporter aucun exemple dans son énorme livre farci d’une immense quantité de citations, qui toutes sont étrangères à son sujet. Il s’est enterré sous un amas d’auteurs grecs et latins, anciens et modernes, de peur qu’on ne pénétrât jusqu’à lui, à travers une multitude horrible d’enveloppes. Lorsque enfin la critique a fouillé jusqu’au fond, il est ressuscité d’entre tous ces morts pour charger d’outrages tous ses adversaires.

Il est vrai que vers la fin de son quatrième volume, après avoir marché par cent labyrinthes, et s’être battu avec tous ceux qu’il a rencontrés en chemin, il vient enfin à sa grande question qu’il avait laissée là. Il s’en prend au livre de Job, qui passe chez les savants pour l’ouvrage d’un Arabe, et il veut prouver que Job ne croyait point l’immortalité de l’âme. Ensuite il explique à sa façon tous les textes de l’Écriture par lesquels on a voulu combattre son sentiment.

Tout ce qu’on en doit dire, c’est que, s’il avait raison, ce n’était pas à un évêque d’avoir ainsi raison. Il devait sentir qu’on en pouvait tirer des conséquences trop dangereuses[20]. Mais il n’y a qu’heur et malheur dans ce monde ; cet homme, qui est devenu délateur et persécuteur, n’a été fait évêque, par la protection d’un ministre d’État, qu’immédiatement après avoir fait son livre.

À Salamanque, à Coimbre, à Rome, il aurait été obligé de se rétracter et de demander pardon. En Angleterre il est devenu pair du royaume avec cent mille livres de rente : c’était de quoi adoucir ses mœurs.


SECTION VI[21].

DU BESOIN DE LA RÉVÉLATION.


Le plus grand bienfait dont nous soyons redevables au Nouveau Testament, c’est de nous avoir révélé l’immortalité de l’âme. C’est donc bien vainement que ce Warburton a voulu jeter des nuages sur cette importante vérité, en représentant continuellement dans sa Légation de Moïse que « les anciens Juifs n’avaient aucune connaissance de ce dogme nécessaire, et que les saducéens ne l’admettaient pas du temps de notre seigneur Jésus ».

Il interprète à sa manière les propres mots qu’on fait prononcer à Jésus-Christ[22]. « N’avez-vous pas lu ces paroles que Dieu vous a dites : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ? or Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » Il donne à la parabole du mauvais riche un sens contraire à celui de toutes les Églises. Sherlock, évêque de Londres, et vingt autres savants, l’ont réfuté. Les philosophes anglais même lui ont reproché combien il est scandaleux dans un évêque anglican de manifester une opinion si contraire à l’Église anglicane : et cet homme après cela s’avise de traiter les gens d’impies ; semblable au personnage d’Arlequin, dans la comédie du Dévaliseur de maisons, qui, après avoir jeté les meubles par la fenêtre, voyant un homme qui en emportait quelques-uns, cria de toutes ses forces : Au voleur !

Il faut d’autant plus bénir la révélation de l’immortalité de l’âme, et des peines et des récompenses après la mort, que la vaine philosophie des hommes en a toujours douté. Le grand César n’en croyait rien ; il s’en expliqua clairement en plein sénat lorsque, pour empêcher qu’on fît mourir Catilina, il représenta que la mort ne laissait à l’homme aucun sentiment, que tout mourait avec lui ; et personne ne réfuta cette opinion.

L’empire romain était partagé entre deux grandes sectes principales : celle d’Épicure, qui affirmait que la Divinité était inutile au monde, et que l’âme périt avec le corps ; et celle des stoïciens, qui regardaient l’âme comme une portion de la Divinité, laquelle après la mort se réunissait à son origine, au grand tout dont elle était émanée. Ainsi, soit que l’on crût l’âme mortelle, soit qu’on la crût immortelle, toutes les sectes se réunissaient à se moquer des peines et des récompenses après la mort.

Il nous reste encore cent monuments de cette croyance des Romains, C’est en vertu de ce sentiment profondément gravé dans tous les cœurs que tant de héros et tant de simples citoyens romains se donnèrent la mort sans le moindre scrupule ; ils n’attendaient point qu’un tyran les livrât à des bourreaux.

Les hommes les plus vertueux même, et les plus persuadés de l’existence d’un Dieu, n’espéraient alors aucune récompense, et ne craignaient aucune peine. Nous verrons à l’article Apocryphe, que Clément, qui fut depuis pape et saint, commença par douter lui-même de ce que les premiers chrétiens disaient d’une autre vie, et qu’il consulta saint Pierre à Césarée. Nous sommes bien loin de croire que saint Clément ait écrit cette histoire qu’on lui attribue ; mais elle fait voir quel besoin avait le genre humain d’une révélation précise. Tout ce qui peut nous surprendre, c’est qu’un dogme si réprimant et si salutaire ait laissé en proie à tant d’horribles crimes des hommes qui ont si peu de temps à vivre,

et qui se voient pressés entre deux éternités.
SECTION VII[23].

ÂMES DES SOTS ET DES MONSTRES.


Un enfant mal conformé naît absolument imbécile, n’a point d’idées, vit sans idées ; et on en a vu de cette espèce. Comment définira-t-on cet animal ? des docteurs ont dit que c’est quelque chose entre l’homme et la bête ; d’autres ont dit qu’il avait une âme sensitive, mais non pas une âme intellectuelle. Il mange, il boit, il dort, il veille, il a des sensations ; mais il ne pense pas.

Y a-t-il pour lui une autre vie, n’y en a-t-il point ? le cas a été proposé, et n’a pas été encore entièrement résolu.

Quelques-uns ont dit que cette créature devait avoir une âme, parce que son père et sa mère en avaient une. Mais par ce raisonnement on prouverait que si elle était venue au monde sans nez, elle serait réputée en avoir un, parce que son père et sa mère en avaient.

Une femme accouche, son enfant n’a point de menton, son front est écrasé et un peu noir, son nez est effilé et pointu, ses yeux sont ronds, sa mine ne ressemble pas mal à celle d’une hirondelle ; cependant il a le reste du corps fait comme nous. Les parents le font baptiser à la pluralité des voix. Il est décidé homme et possesseur d’une âme immortelle. Mais si cette petite figure ridicule a des ongles pointus, la bouche faite en bec, il est déclaré monstre, il n’a point d’âme, on ne le baptise pas.

On sait qu’il y eut à Londres, en 1726, une femme qui accouchait tous les huit jours d’un lapereau[24]. On ne faisait nulle difficulté de refuser le baptême à cet enfant, malgré la folie épidémique qu’on eut pendant trois semaines à Londres de croire qu’en effet cette pauvre friponne faisait des lapins de garenne. Le chirurgien qui l’accouchait, nommé Saint-André, jurait que rien n’était plus vrai, et on le croyait. Mais quelle raison avaient les crédules pour refuser une âme aux enfants de cette femme ? elle avait une âme, ses enfants devaient en être pourvus aussi ; soit qu’ils eussent des mains, soit qu’ils eussent des pattes, soit qu’ils fussent nés avec un petit museau ou avec un visage : l’Être suprême ne peut-il pas accorder le don de la pensée et de la sensation à un petit je ne sais quoi, né d’une femme, figuré en lapin, aussi bien qu’à un petit je ne sais quoi, figuré en homme ? L’âme qui était prête à se loger dans le fœtus de cette femme s’en retournera-t-elle à vide ?

Locke observe très bien, à l’égard des monstres, qu’il ne faut pas attribuer l’immortalité à l’extérieur d’un corps ; que la figure n’y fait rien. Cette immortalité, dit-il, n’est pas plus attachée à la forme de son visage ou de sa poitrine qu’à la manière dont sa barbe est faite ou dont son habit est taillé.

Il demande quelle est la juste mesure de difformité à laquelle vous pouvez reconnaître qu’un enfant a une âme ou n’en a point ? quel est le degré précis auquel il doit être déclaré monstre et privé d’âme ?

On demande encore ce que serait une âme qui n’aurait jamais que des idées chimériques ? il y en a quelques-unes qui ne s’en éloignent pas. Méritent-elles ? déméritent-elles ? que faire de leur esprit pur ?

Que penser d’un enfant à deux têtes, d’ailleurs très bien conformé ? Les uns disent qu’il a deux âmes puisqu’il est muni de deux glandes pinéales, de deux corps calleux, de deux sensorium commune. Les autres répondent qu’on ne peut avoir deux âmes quand on n’a qu’une poitrine et un nombril[25].

Enfin on a fait tant de questions sur cette pauvre âme humaine que, s’il fallait les déduire toutes, cet examen de sa propre personne lui causerait le plus insupportable ennui. Il lui arriverait ce qui arriva au cardinal de Polignac dans un conclave. Son intendant, lassé de n’avoir jamais pu lui faire arrêter ses comptes, fit le voyage de Rome, et vint à la petite fenêtre de sa cellule chargé d’une immense liasse de papiers. Il lut près de deux heures. Enfin, voyant qu’on ne lui répondait rien, il avança la tête. Il y avait près de deux heures que le cardinal était parti. Nos âmes partiront avant que leurs intendants les aient mises au fait ; mais soyons justes devant Dieu, quelque ignorants que nous soyons, nous et nos intendants.

Voyez dans les Lettres de Memmius ce qu’on dit de l’âme

(Mélanges, année 1771).
SECTION VIII[26].


Il faut que je l’avoue, lorsque j’ai examiné l’infaillible Aristote, le docteur évangélique, le divin Platon, j’ai pris toutes ces épithètes pour des sobriquets. Je n’ai vu dans tous les philosophes qui ont parlé de l’âme humaine que des aveugles pleins de témérité et de babil, qui s’efforcent de persuader qu’ils ont une vue d’aigle, et d’autres curieux et fous qui les croient sur leur parole, et qui s’imaginent aussi de voir quelque chose.

Je ne craindrai point de mettre au rang de ces maîtres d’erreurs Descartes et Malebranche. Le premier nous assure que l’âme de l’homme est une substance dont l’essence est de penser, qui pense toujours, et qui s’occupe dans le ventre de la mère de belles idées métaphysiques et de beaux axiomes généraux qu’elle oublie ensuite.

Pour le P. Malebranche, il est bien persuadé que nous voyons tout en Dieu ; il a trouvé des partisans, parce que les fables les plus hardies sont celles qui sont le mieux reçues de la faible imagination des hommes. Plusieurs philosophes ont donc fait le roman de l’âme ; enfin c’est un sage qui en a écrit modestement l’histoire. Je vais faire l’abrégé de cette histoire, selon que je l’ai conçue. Je sais fort bien que tout le monde ne conviendra pas des idées de Locke : il se pourrait bien faire que Locke eût raison contre Descartes et Malebranche, et qu’il eût tort contre la Sorbonne ; je parle selon les lumières de la philosophie, non selon les révélations de la foi.

Il ne m’appartient que de penser humainement ; les théologiens décident divinement, c’est tout autre chose : la raison et la foi sont de nature contraire. En un mot, voici un petit précis de Locke, que je censurerais si j’étais théologien, et que j’adopte pour un moment comme hypothèse, comme conjecture de simple philosophie, humainement parlant. Il s’agit de savoir ce que c’est que l’âme.

1o Le mot d’âme est de ces mots que chacun prononce sans les entendre ; nous n’entendons que les choses dont nous avons une idée ; nous n’avons point d’idée d’âme, d’esprit : donc nous ne l’entendons point.

2o Il nous a donc plu d’appeler âme cette faculté de sentir et de penser, comme nous appelons vie la faculté de vivre, et volonté la faculté de vouloir.

Des raisonneurs sont venus ensuite, et ont dit : L’homme est composé de matière et d’esprit ; la matière est étendue et divisible ; l’esprit n’est ni étendu ni divisible : donc il est, disent-ils, d’une autre nature. C’est un assemblage d’êtres qui ne sont point faits l’un pour l’autre, et que Dieu unit malgré leur nature. Nous voyons peu le corps, nous ne voyons point l’âme ; elle n’a point de parties : donc elle est éternelle ; elle a des idées pures et spirituelles : donc elle ne les reçoit point de la matière ; elle ne les reçoit point non plus d’elle-même : donc Dieu les lui donne ; donc elle apporte en naissant les idées de Dieu, de l’infini, et toutes les idées générales.

Toujours humainement parlant, je réponds à ces messieurs qu’ils sont bien savants. Ils nous disent d’abord qu’il y a une âme, et puis ce que ce doit être. Ils prononcent le nom de matière, et décident ensuite nettement ce qu’elle est. Et moi je leur dis : Vous ne connaissez ni l’esprit ni la matière. Par l’esprit, vous ne pouvez imaginer que la faculté de penser ; par la matière, vous ne pouvez entendre qu’un certain assemblage de qualités, de couleurs, d’étendues, de solidités ; et il vous a plu d’appeler cela matière, et vous avez assigné les limites de la matière et de l’âme avant d’être sûrs seulement de l’existence de l’une et de l’autre.

Quant à la matière, vous enseignez gravement qu’il n’y a en elle que l’étendue et la solidité ; et moi je vous dis modestement qu’elle est capable de mille propriétés que ni vous ni moi ne connaissons pas. Vous dites que l’âme est indivisible, éternelle ; et vous supposez ce qui est en question. Vous êtes à peu près comme un régent de collège qui, n’ayant vu d’horloge de sa vie, aurait tout d’un coup entre ses mains une montre d’Angleterre à répétition. Cet homme, bon péripatéticien, est frappé de la justesse avec laquelle les aiguilles divisent et marquent les temps, et encore plus étonné qu’un bouton, poussé par le doigt, sonne précisément l’heure que l’aiguille marque. Mon philosophe ne manque pas de trouver qu’il y a dans cette machine une âme qui la gouverne et qui en mène les ressorts. Il démontre savamment son opinion par la comparaison des anges qui font aller les sphères célestes, et il fait soutenir dans sa classe de belles thèses sur l’âme des montres. Un de ses écoliers ouvre la montre ; on n’y voit que des ressorts, et cependant on soutient toujours le système de l’âme des montres, qui passe pour démontré. Je suis cet écolier ouvrant la montre que l’on appelle homme, et qui, au lieu de définir hardiment ce que nous n’entendons point, tâche d’examiner par degrés ce que nous voulons connaître.

Prenons un enfant à l’instant de sa naissance, et suivons pas à pas le progrès de son entendement. Vous me faites l’honneur de m’apprendre que Dieu a pris la peine de créer une âme pour aller loger dans ce corps lorsqu’il a environ six semaines ; que cette âme à son arrivée est pourvue des idées métaphysiques ; connaissant donc l’esprit, les idées abstraites, l’infini, fort clairement ; étant, en un mot, une très savante personne. Mais malheureusement elle sort de l’utérus avec une ignorance crasse ; elle a passé dix-huit mois à ne connaître que le téton de sa nourrice ; et lorsqu’à l’âge de vingt ans on veut faire ressouvenir cette âme de toutes les idées scientifiques qu’elle avait quand elle s’est unie à son corps, elle est souvent si bouchée qu’elle n’en peut concevoir aucune. Il y a des peuples entiers qui n’ont jamais eu une seule de ces idées. En vérité, à quoi pensait l’âme de Descartes et de Malebranche, quand elle imagina de telles rêveries ? Suivons donc l’idée du petit enfant, sans nous arrêter aux imaginations des philosophes.

Le jour que sa mère est accouchée de lui et de son âme, il est né dans la maison un chien, un chat, et un serin. Au bout de dix-huit mois je fais du chien un excellent chasseur ; à un an le serin siffle un air ; le chat, au bout de six semaines, fait déjà tous ses tours ; et l’enfant, au bout de quatre ans, ne sait rien. Moi, homme grossier, témoin de cette prodigieuse différence, et qui n’ai jamais vu d’enfant, je crois d’abord que le chat, le chien, et le serin, sont des créatures très intelligentes, et que le petit enfant est un automate. Cependant petit à petit je m’aperçois que cet enfant a des idées, de la mémoire, qu’il a les mêmes passions que ces animaux ; et alors j’avoue qu’il est comme eux une créature raisonnable. Il me communique différentes idées par quelques paroles qu’il a apprises, de même que mon chien par des cris diversifiés me fait exactement connaître ses divers besoins. J’aperçois qu’à l’âge de six ou sept ans l’enfant combine dans son petit cerveau presque autant d’idées que mon chien de chasse dans le sien ; enfin, il atteint avec l’âge un nombre infini de connaissances. Alors que dois-je penser de lui ? irai-je croire qu’il est d’une nature tout à fait différente ? non, sans doute : car vous voyez d’un côté un imbécile, et de l’autre un Newton ; vous prétendez qu’ils sont pourtant d’une même nature, et qu’il n’y a de la différence que du plus au moins. Pour mieux m’assurer de la vraisemblance de mon opinion probable, j’examine mon chien et mon enfant pendant leur veille et leur sommeil. Je les fais saigner l’un et l’autre outre mesure ; alors leurs idées semblent s’écouler avec le sang. Dans cet état je les appelle, ils ne me répondent plus ; et si je leur tire encore quelques palettes, mes deux machines, qui avaient auparavant des idées en très grand nombre et des passions de toute espèce, n’ont plus aucun sentiment. J’examine ensuite mes deux animaux pendant qu’ils dorment : je m’aperçois que le chien, après avoir trop mangé, a des rêves ; il chasse, il crie après la proie. Mon jeune homme, étant dans le même état, parle à sa maîtresse, et fait l’amour en songe. Si l’un et l’autre ont mangé modérément, ni l’un ni l’autre ne rêve ; enfin je vois que leur faculté de sentir, d’apercevoir, d’exprimer leurs idées, s’est développée en eux petit à petit, et s’affaiblit aussi par degrés. J’aperçois en eux plus de rapports cent fois que je n’en trouve entre tel homme d’esprit et tel homme absolument imbécile. Quelle est donc l’opinion que j’aurai de leur nature ? Celle que tous les peuples ont imaginée d’abord avant que la politique égyptienne imaginât la spiritualité, l’immortalité de l’âme. Je soupçonnerai même, avec bien de l’apparence, qu’Archimède et une taupe sont de la même espèce, quoique d’un genre différent ; de même qu’un chêne et un grain de moutarde sont formés par les mêmes principes, quoique l’un soit un grand arbre, et l’autre une petite plante. Je penserai que Dieu a donné des portions d’intelligence à des portions de matière organisée pour penser ; je croirai que la matière a des sensations à proportion de la finesse de ses sens ; que ce sont eux qui les proportionnent à la mesure de nos idées ; je croirai que l’huître à l’écaille a moins de sensations et de sens, parce que ayant l’âme attachée à son écaille, cinq sens lui seraient inutiles. Il y a beaucoup d’animaux qui n’ont que deux sens, nous en avons cinq, ce qui est bien peu de chose. Il est à croire qu’il est dans d’autres mondes d’autres animaux qui jouissent de vingt ou trente sens, et que d’autres espèces encore plus parfaites ont des sens à l’infini.

Il me paraît que voilà la manière la plus naturelle d’en raisonner, c’est-à-dire de deviner et de soupçonner. Certainement, il s’est passé bien du temps avant que les hommes aient été assez ingénieux pour imaginer un être inconnu qui est nous, qui fait tout en nous, qui n’est pas tout à fait nous, et qui vit après nous. Aussi n’est-on venu que par degrés à concevoir une idée si hardie. D’abord ce mot âme a signifié la vie, et a été commun pour nous et pour les autres animaux ; ensuite notre orgueil nous a fait une âme à part, et nous a fait imaginer une forme substantielle pour les autres créatures. Cet orgueil humain demande ce que c’est donc que ce pouvoir d’apercevoir et de sentir, qu’il appelle âme dans l’homme, et instinct dans la brute. Je satisferai à cette question quand les physiciens m’auront appris ce que c’est que le son, la lumière, l’espace, le corps, le temps. Je dirai, dans l’esprit du sage Locke : La philosophie consiste à s’arrêter quand le flambeau de la physique nous manque. J’observe les effets de la nature ; mais je vous avoue que je ne conçois pas plus que vous les premiers principes. Tout ce que je sais, c’est que je ne dois pas attribuer à plusieurs causes, surtout à des causes inconnues, ce que je puis attribuer à une cause connue ; or je puis attribuer à mon corps la faculté de penser et de sentir : donc, je ne dois pas chercher cette faculté de penser et de sentir dans une autre[27] appelée âme ou esprit, dont je ne puis avoir la moindre idée. Vous vous récriez à cette proposition : vous trouvez donc de l’irréligion à oser dire que le corps peut penser ? Mais que diriez-vous, répondrait Locke, si c’est vous-même qui êtes ici coupable d’irréligion, vous qui osez borner la puissance de Dieu ? Quel est l’homme sur la terre qui peut assurer, sans une impiété absurde, qu’il est impossible à Dieu de donner à la matière le sentiment et le penser ? Faibles et hardis que vous êtes, vous avancez que la matière ne pense point, parce que vous ne concevez pas qu’une matière, quelle qu’elle soit, pense.

Grands philosophes, qui décidez du pouvoir de Dieu et qui dites que Dieu peut d’une pierre faire un ange[28], ne voyez-vous pas que, selon vous-mêmes, Dieu ne ferait en ce cas que donner à une pierre la puissance de penser ? car, si la matière de la pierre ne restait pas, ce ne serait plus une pierre, ce serait une pierre anéantie et un ange créé. De quelque côté que vous vous tourniez, vous êtes forcés d’avouer deux choses, votre ignorance et la puissance immense du Créateur : votre ignorance, qui se révolte contre la matière pensante ; et la puissance du Créateur, à qui certes cela n’est pas impossible.

Vous qui savez que la matière ne périt pas, vous contesterez à Dieu le pouvoir de conserver dans cette matière la plus belle qualité dont il l’avait ornée ! L’étendue subsiste bien sans corps par lui, puisqu’il y a des philosophes qui croient le vide ; les accidents subsistent bien sans la substance parmi les chrétiens qui croient la transsubstantiation. Dieu, dites-vous, ne peut pas faire ce qui implique contradiction. Il faudrait en savoir plus que vous n’en savez : vous avez beau faire, vous ne saurez jamais autre chose, sinon que vous êtes corps et que vous pensez. Bien des gens qui ont appris dans l’école à ne douter de rien, qui prennent leurs syllogismes pour des oracles, et leurs superstitions pour la religion, regardent Locke comme un impie dangereux. Ces superstitieux[29] sont dans la société ce que les poltrons sont dans une armée : ils ont et donnent des terreurs paniques. Il faut avoir la pitié de dissiper leur crainte ; il faut qu’ils sachent que ce ne seront pas les sentiments des philosophes qui feront jamais tort à la religion. Il est assuré que la lumière vient du soleil, et que les planètes tournent autour de cet astre : on ne lit pas avec moins d’édification dans la Bible que la lumière a été faite avant le soleil, et que le soleil s’est arrêté sur le village de Gabaon. Il est démontré que l’arc-en-ciel est formé nécessairement par la pluie : on n’en respecte pas moins le texte sacré, qui dit que Dieu posa son arc dans les nues, après le déluge, en signe qu’il n’y aurait plus d’inondation.

Le mystère de la Trinité et celui de l’Eucharistie ont beau être contradictoires aux démonstrations connues, ils n’en sont pas moins révérés chez les philosophes catholiques, qui savent que les choses de la raison et de la foi sont de différente nature. La nation des antipodes a été condamnée par les papes[30] et les conciles ; et les papes ont reconnu les antipodes, et y ont porté cette même religion chrétienne dont on croyait la destruction sûre en cas qu’on pût trouver un homme qui, comme on parlait alors, aurait la tête en bas et les pieds en haut par rapport à nous, et qui, comme dit le très peu philosophe saint Augustin, serait tombé du ciel.

Au reste, je vous répète encore qu’en écrivant avec liberté, je ne me rends garant d’aucune opinion ; je ne suis responsable de rien. Il y a peut-être parmi ces songes des raisonnements et même quelques rêveries auxquelles je donnerais la préférence ; mais il n’y en a aucune que je ne sacrifiasse tout d’un coup à la religion

et à la patrie.
SECTION IX[31].


Je suppose une douzaine de bons philosophes dans une île où ils n’ont jamais vu que des végétaux. Cette île, et surtout douze bons philosophes, sont fort difficiles à trouver ; mais enfin cette fiction est permise. Ils admirent cette vie qui circule dans les fibres des plantes, qui semble se perdre et ensuite se renouveler ; et ne sachant pas trop comment les plantes naissent, comment elles prennent leur nourriture et leur accroissement, ils appellent cela une âme végétative. « Qu’entendez-vous par âme végétative ? leur dit-on. — C’est un mot, répondent-ils, qui sert à exprimer le ressort inconnu par lequel tout cela s’opère. — Mais ne voyez-vous pas, leur dit un mécanicien, que tout cela se fait naturellement par des poids, des leviers, des roues, des poulies ? — Non, diront nos philosophes : il y a dans cette végétation autre chose que des mouvements ordinaires ; il y a un pouvoir secret qu’ont toutes les plantes d’attirer à elles ce suc qui les nourrit : et ce pouvoir, qui n’est explicable par aucune mécanique, est un don que Dieu a fait à la matière, et dont ni vous ni moi ne comprenons la nature. »

Ayant ainsi bien disputé, nos raisonneurs découvrent enfin des animaux. « Oh ! oh ! disent-ils après un long examen, voilà des êtres organisés comme nous ! Ils ont incontestablement de la mémoire, et souvent plus que nous. Ils ont nos passions ; ils ont de la connaissance ; ils font entendre tous leurs besoins ; ils perpétuent comme nous leur espèce. » Nos philosophes dissèquent quelques-uns de ces êtres ; ils y trouvent un cœur, une cervelle. « Quoi ! disent-ils, l’auteur de ces machines, qui ne fait rien en vain, leur aurait-il donné tous les organes du sentiment afin qu’ils n’eussent point de sentiment ? Il serait absurde de le penser. Il y a certainement en eux quelque chose que nous appelons aussi âme, faute de mieux, quelque chose qui éprouve des sensations, et qui a une certaine mesure d’idées. Mais ce principe, quel est-il ? est-ce quelque chose d’absolument différent de la matière ? Est-ce un esprit pur ? est-ce un être mitoyen entre la matière, que nous ne connaissons guère, et l’esprit pur, que nous ne connaissons pas ? est-ce une propriété donnée de Dieu à la matière organisée ? »

Ils font alors des expériences sur des insectes, sur des vers de terre ; ils les coupent en plusieurs parties, et ils sont étonnés de voir qu’au bout de quelque temps il vient des têtes à toutes ces parties coupées ; le même animal se reproduit, et tire de sa destruction même de quoi se multiplier. A-t-il plusieurs âmes qui attendent, pour animer ces parties reproduites, qu’on ait coupé la tête au premier tronc ? Ils ressemblent aux arbres, qui repoussent des branches et qui se reproduisent de bouture ; ces arbres ont-ils plusieurs âmes ? Il n’y a pas d’apparence ; donc il est très probable que l’âme de ces bêtes est d’une autre espèce que ce que nous appelions âme végétative dans les plantes ; que c’est une faculté d’un ordre supérieur, que Dieu a daigné donner à certaines portions de matière : c’est une nouvelle preuve de sa puissance ; c’est un nouveau sujet de l’adorer.

Un homme violent et mauvais raisonneur entend ce discours et leur dit : « Vous êtes des scélérats dont il faudrait brûler les corps pour le bien de vos âmes ; car vous niez l’immortalité de l’âme de l’homme. » Nos philosophes se regardent tout étonnés ; l’un d’eux lui répond avec douceur : « Pourquoi nous brûler si vite ? sur quoi avez-vous pu penser que nous ayons l’idée que votre cruelle âme est mortelle ? — Sur ce que vous croyez, reprend l’autre, que Dieu a donné aux brutes, qui sont organisées comme nous, la faculté d’avoir des sentiments et des idées. Or cette âme des bêtes périt avec elles, donc vous croyez que l’âme des hommes périt aussi. »

Le philosophe répond : « Nous ne sommes point du tout sûrs que ce que nous appelons âme dans les animaux périsse avec eux ; nous savons très bien que la matière ne périt pas, et nous croyons qu’il se peut faire que Dieu ait mis dans les animaux quelque chose qui conservera toujours, si Dieu le veut, la faculté d’avoir des idées. Nous n’assurons pas, à beaucoup près, que la chose soit ainsi : car il n’appartient guère aux hommes d’être si confiants ; mais nous n’osons borner la puissance de Dieu. Nous disons qu’il est très probable que les bêtes, qui sont matière, ont reçu de lui un peu d’intelligence. Nous découvrons tous les jours des propriétés de la matière, c’est-à-dire des présents de Dieu, dont auparavant nous n’avions pas d’idées. Nous avions d’abord défini la matière une substance étendue ; ensuite nous avons reconnu qu’il fallait lui ajouter la solidité ; quelque temps après il a fallu admettre que cette matière a une force qu’on nomme force d’ inertie : après cela nous avons été tout étonnés d’être obligés d’avouer que la matière gravite.

« Quand nous avons voulu pousser plus loin nos recherches, nous avons été forcés de reconnaître des êtres qui ressemblent à la matière en quelque chose, et qui n’ont pas cependant les autres attributs dont la matière est douée. Le feu élémentaire, par exemple, agit sur nos sens comme les autres corps ; mais il ne tend point à un centre comme eux : il s’échappe, au contraire, du centre en lignes droites de tous côtés. Il ne semble pas obéir aux lois de l’attraction, de la gravitation, comme les autres corps. L’optique a des mystères dont on ne pourrait guère rendre raison qu’en osant supposer que les traits de lumière se pénètrent les uns les autres. Il y a certainement quelque chose dans la lumière qui la distingue de la matière connue : il semble que la lumière soit un être mitoyen entre les corps et d’autres espèces d’êtres que nous ignorons. Il est très vraisemblable que ces autres espèces sont elles-mêmes un milieu qui conduit à d’autres créatures, et qu’il y a ainsi une chaîne de substances qui s’élèvent à l’infini.

Usque adeo quod tangit idem est, tamen ultima distant[32] !

« Cette idée nous paraît digne de la grandeur de Dieu, si quelque chose en est digne. Parmi ces substances, il a pu sans doute en choisir une qu’il a logée dans nos corps, et qu’on appelle âme humaine ; les livres saints que nous avons lus nous apprennent que cette âme est immortelle. La raison est d’accord avec la révélation : car comment une substance quelconque périrait-elle ? tout mode se détruit, l’être reste. Nous ne pouvons concevoir la création d’une substance, nous ne pouvons concevoir son anéantissement ; mais nous n’osons affirmer que le maître absolu de tous les êtres ne puisse donner aussi des sentiments et des perceptions à l’être qu’on appelle matière. Vous êtes bien sûr que l’essence de votre âme est de penser, et nous n’en sommes pas si sûrs : car lorsque nous examinons un fœtus, nous avons de la peine à croire que son âme ait eu beaucoup d’idées dans sa coiffe ; et nous doutons fort que dans un sommeil plein et profond, dans une léthargie complète, on ait jamais fait des méditations. Ainsi il nous paraît que la pensée pourrait bien être, non pas l’essence de l’être pensant, mais un présent que le Créateur a fait à ces êtres que nous nommons pensants ; et tout cela nous a fait naître le soupçon que, s’il le voulait, il pourrait faire ce présent-là à un atome, conserver à jamais cet atome et son présent, ou le détruire à son gré. La difficulté consiste moins à deviner comment la matière pourrait penser qu’à deviner comment une substance quelconque pense. Vous n’avez des idées que parce que Dieu a bien voulu vous en donner : pourquoi voulez-vous l’empêcher d’en donner à d’autres espèces ? Seriez-vous bien assez intrépide pour oser croire que votre âme est précisément du même genre que les substances qui approchent le plus près de la Divinité ? Il y a grande apparence qu’elles sont d’un ordre bien supérieur, et qu’en conséquence Dieu leur a daigné donner une façon de penser infiniment plus belle ; de même qu’il a accordé une mesure d’idée très médiocre aux animaux, qui sont d’un ordre inférieur à vous. J’ignore comment je vis, comment je donne la vie, et vous voulez que je sache comment j’ai des idées : l’âme est une horloge que Dieu nous a donnée à gouverner ; mais il ne nous a point dit de quoi le ressort de cette horloge est composé.

« Y a-t-il rien dans tout cela dont on puisse inférer que nos âmes sont mortelles ? Encore une fois, nous pensons comme vous sur l’immortalité que la foi nous annonce ; mais nous croyons que nous sommes trop ignorants pour affirmer que Dieu n’ait pas le pouvoir d’accorder la pensée à tel être qu’il voudra. Vous bornez la puissance du Créateur, qui est sans bornes, et nous retendons aussi loin que s’étend son existence. Pardonnez-nous de le croire tout-puissant, comme nous vous pardonnons de restreindre son pouvoir. Vous savez sans doute tout ce qu’il peut faire, et nous n’en savons rien. Vivons en frères, adorons en paix notre Père commun : vous, avec vos âmes savantes et hardies ; nous, avec nos âmes ignorantes et timides. Nous avons un jour à vivre : passons-le doucement sans nous quereller pour des difficultés qui seront éclaircies dans la vie immortelle qui commencera demain. »

Le brutal, n’ayant rien de bon à répliquer, parla longtemps et se fâcha beaucoup. Nos pauvres philosophes se mirent pendant quelques semaines à lire l’histoire ; et après avoir bien lu, voici ce qu’ils dirent à ce barbare, qui était si indigne d’avoir une âme immortelle :

« Mon ami, nous avons lu que dans toute l’antiquité les choses allaient aussi bien que dans notre temps ; qu’il y avait même de plus grandes vertus, et qu’on ne persécutait point les philosophes pour les opinions qu’ils avaient : pourquoi donc voudriez-vous nous faire du mal pour les opinions que nous n’avons pas ? Nous lisons que toute l’antiquité croyait la matière éternelle. Ceux qui ont vu qu’elle était créée ont laissé les autres en repos. Pythagore avait été coq, ses parents cochons, personne n’y trouva à redire ; sa secte fut chérie et révérée de tout le monde, excepté des rôtisseurs et de ceux qui avaient des fèves à vendre.

« Les stoïciens reconnaissaient un Dieu, à peu près tel que celui qui a été si témérairement admis depuis par les spinosistes ; le stoïcisme cependant fut la secte la plus féconde en vertus héroïques et la plus accréditée.

« Les épicuriens faisaient leurs dieux ressemblants à nos chanoines, dont l’indolent embonpoint soutient leur divinité, et qui prennent en paix leur nectar et leur ambrosie en ne se mêlant de rien. Ces épicuriens enseignaient hardiment la matérialité et la mortalité de l’âme. Ils n’en furent pas moins considérés : on les admettait dans tous les emplois, et leurs atomes crochus ne firent jamais aucun mal au monde.

« Les platoniciens, à l’exemple des gymnosophistes, ne nous faisaient pas l’honneur de penser que Dieu eût daigné nous former lui-même. Il avait, selon eux, laissé ce soin à ses officiers, à des génies qui firent dans leur besogne beaucoup de balourdises. Le dieu des platoniciens était un ouvrier excellent, qui employa ici-bas des élèves assez médiocres. Les hommes n’en révérèrent pas moins l’école de Platon.

« En un mot, chez les Grecs et chez les Romains, autant de sectes, autant de manières de penser sur Dieu, sur l’âme, sur le passé, et sur l’avenir : aucune de ces sectes ne fut persécutante. Toutes se trompaient, et nous en sommes bien fâchés ; mais toutes étaient paisibles, et c’est ce qui nous confond ; c’est ce qui nous condamne ; c’est ce qui nous fait voir que la plupart des raisonneurs d’aujourd’hui sont des monstres, et que ceux de l’antiquité étaient des hommes. On chantait publiquement sur le théâtre de Rome :


Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil[33].

Rien n’est après la mort, la mort même n’est rien.


« Ces sentiments ne rendaient les hommes ni meilleurs ni pires : tout se gouvernait, tout allait à l’ordinaire ; et les Titus, les Trajan, les Marc-Aurèle, gouvernèrent la terre en dieux bienfaisants[34].

« Si nous passons des Grecs et des Romains aux nations barbares, arrêtons-nous seulement aux Juifs. Tout superstitieux, tout cruel, et tout ignorant qu’était ce misérable peuple, il honorait cependant les pharisiens qui admettaient la fatalité de la destinée et la métempsycose ; il portait aussi respect aux saducéens, qui niaient absolument l’immortalité de l’âme et l’existence des esprits, et qui se fondaient sur la loi de Moïse, laquelle n’avait jamais parlé de peine ni de récompense après la mort. Les esséniens, qui croyaient aussi la fatalité, et qui ne sacrifiaient jamais de victimes dans le temple, étaient encore plus révérés que les pharisiens et les saducéens. Aucune de leurs opinions ne troubla jamais le gouvernement. Il y avait pourtant là de quoi s’égorger, se brûler, s’exterminer réciproquement si on l’avait voulu. misérables hommes ! profitez de ces exemples. Pensez, et laissez penser. C’est la consolation de nos faibles esprits dans cette courte vie. Quoi ! vous recevrez avec politesse un Turc qui croit que Mahomet a voyagé dans la lune ; vous vous garderez bien de déplaire au pacha Bonneval, et vous voudrez mettre en quartier votre frère parce qu’il croit que Dieu pourrait donner l’intelligence à toute créature ? »

C’est ainsi que parla un des philosophes ; un autre ajouta[35] : « Croyez-moi, il ne faut jamais craindre qu’aucun sentiment philosophique puisse nuire à la religion d’un pays. Nos mystères ont beau être contraires à nos démonstrations, ils n’en sont pas moins révérés par nos philosophes chrétiens, qui savent que les objets de la raison et de la foi sont de différente nature. Jamais les philosophes ne feront une secte de religion ; pourquoi ? c’est qu’ils sont sans enthousiasme. Divisez le genre humain en vingt parties ; il y en a dix-neuf composées de ceux qui travaillent de leurs mains, et qui ne sauront jamais s’il y a eu un Locke au monde. Dans la vingtième partie qui reste, combien trouve-t-on peu d’hommes qui lisent ! et parmi ceux qui lisent, il y en a vingt qui lisent des romans, contre un qui étudie la philosophie. Le nombre de ceux qui pensent est excessivement petit, et ceux-là ne s’avisent pas de troubler le monde.

« Qui sont ceux qui ont porté le flambeau de la discorde dans leur patrie ? Est-ce Pomponace, Montaigne, Levayer, Descartes, Gassendi, Bayle, Spinosa, Hobbes, le lord Shaftesbury, le comte de Boulainvilliers, le consul Maillet, Toland, Collins, Fludd, Woolston, Bekker, l’auteur déguisé sous le nom de Jacques Massé[36], celui de l’Espion turc[37], celui des Lettres persanes[38], des Lettres juives[39], des Pensées philosophiques[40], etc. ? Non ; ce sont, pour la plupart, des théologiens qui, ayant eu d’abord l’ambition d’être chefs de secte, ont bientôt eu celle d’être chefs de parti. Que dis-je ? tous les livres de philosophie moderne, mis ensemble, ne feront jamais dans le monde autant de bruit seulement qu’en a fait autrefois la dispute des cordeliers sur la forme de leurs manches et de leurs capuchons. »


SECTION X.

DE L’ANTIQUITÉ DU DOGME DE l’IMMORTALITÉ DE l’ÂME[41].

FRAGMENT.


Le dogme de l’immortalité de l’âme est l’idée la plus consolante, et en même temps la plus réprimante que l’esprit humain ait pu recevoir. Cette belle philosophie était, chez les Égyptiens, aussi ancienne que leurs pyramides ; elle était avant eux connue chez les Perses. J’ai déjà rapporté ailleurs[42] cette allégorie du premier Zoroastre, citée dans le Sadder, dans laquelle Dieu fit voir à Zoroastre un lieu de châtiments, tel que le Dardarot ou le Keron des Égyptiens, l’Hadès et le Tartare des Grecs, que nous n’avons traduit qu’imparfaitement dans nos langues modernes par le mot enfer, souterrain. Dieu montre à Zoroastre, dans ce lieu de châtiments, tous les mauvais rois. Il y en avait un auquel il manquait un pied : Zoroastre en demanda la raison ; Dieu lui répondit que ce roi n’avait fait qu’une bonne action en sa vie, en approchant d’un coup de pied une auge qui n’était pas assez près d’un pauvre âne mourant de faim. Dieu avait mis le pied de ce méchant homme dans le ciel ; le reste du corps était en enfer.

Cette fable, qu’on ne peut trop répéter, fait voir de quelle antiquité était l’opinion d’une autre vie. Les Indiens en étaient persuadés, leur métempsycose en est la preuve. Les Chinois révéraient les âmes de leurs ancêtres. Tous ces peuples avaient fondé de puissants empires longtemps avant les Égyptiens. C’est une vérité très importante, que je crois avoir déjà prouvée[43] par la nature même du sol de l’Égypte. Les terrains les plus favorables ont dû être cultivés les premiers ; le terrain d’Égypte était le moins praticable de tous, puisqu’il est submergé quatre mois de l’année : ce ne fut qu’après des travaux immenses, et par conséquent après un espace de temps prodigieux, qu’on vint à bout d’élever des villes que le Nil ne pût inonder.

Cet empire si ancien l’était donc bien moins que les empires de l’Asie ; et dans les uns et dans les autres on croyait que l’âme subsistait après la mort. Il est vrai que tous ces peuples, sans exception, regardaient l’âme comme une forme éthérée, légère, une image du corps ; le mot grec qui signifie souffle ne fut longtemps après inventé que par les Grecs. Mais enfin, on ne peut douter qu’une partie de nous-même ne fût regardée comme immortelle. Les châtiments et les récompenses dans une autre vie étaient le grand fondement de l’ancienne théologie.

Phérécide fut le premier chez les Grecs qui crut que les âmes existaient de toute éternité, et non le premier, comme on l’a cru, qui ait dit que les âmes survivaient au corps. Ulysse, longtemps avant Phérécide, avait vu les âmes des héros dans les enfers ; mais que les âmes fussent aussi anciennes que le monde, c’était un système né dans l’Orient, apporté dans l’Occident par Phérécide. Je ne crois pas que nous ayons parmi nous un seul système qu’on ne retrouve chez les anciens : ce n’est qu’avec les décombres de l’antiquité que nous avons élevé tous nos édifices modernes.


SECTION XI[44].


Ce serait une belle chose de voir son âme. Connais-toi toi-même[45] est un excellent précepte, mais il n’appartient qu’à Dieu de le mettre en pratique : quel autre que lui peut connaître son essence ?

Nous appelons âme ce qui anime. Nous n’en savons guère davantage, grâce aux bornes de notre intelligence. Les trois quarts du genre humain ne vont pas plus loin, et ne s’embarrassent pas de l’être pensant ; l’autre quart cherche ; personne n’a trouvé ni ne trouvera.

Pauvre pédant, tu vois une plante qui végète, et tu dis végétation, ou même âme végétative. Tu remarques que les corps ont et donnent du mouvement, et tu dis force ; tu vois ton chien de chasse apprendre sous toi son métier, et tu cries instinct, âme sensitive ; tu as des idées combinées, et tu dis esprit.

Mais, de grâce, qu’entends-tu par ces mots ? Cette fleur végète ; mais y a-t-il un être réel qui s’appelle végétation ? ce corps en pousse un autre, mais possède-t-il en soi un être distinct qui s’appelle force ? ce chien te rapporte une perdrix, mais y a-t-il un être qui s’appelle instinct ? Ne rirais-tu pas d’un raisonneur (eût-il été précepteur d’Alexandre) qui te dirait : Tous les animaux vivent, donc il y a dans eux un être, une forme substantielle qui est la vie ?

Si une tulipe pouvait parler, et qu’elle te dît : Ma végétation et moi nous sommes deux êtres joints évidemment ensemble ; ne te moquerais-tu pas de la tulipe ?

Voyons d’abord ce que tu sais, et de quoi tu es certain : que tu marches avec tes pieds ; que tu digères par ton estomac ; que tu sens par tout ton corps, et que tu penses par ta tête. Voyons si ta seule raison a pu te donner assez de lumières pour conclure sans un secours surnaturel que tu as une âme.

Les premiers philosophes, soit chaldéens, soit égyptiens, dirent : Il faut qu’il y ait en nous quelque chose qui produise nos pensées ; ce quelque chose doit être très subtil, c’est un souffle, c’est du feu, c’est de l’éther, c’est une quintessence, c’est un simulacre léger, c’est une entéléchie, c’est un nombre, c’est une harmonie. Enfin, selon le divin Platon, c’est un composé du même et de l’autre. Ce sont des atomes qui pensent en nous, a dit Épicure après Démocrite. Mais, mon ami, comment un atome pense-t-il ? avoue que tu n’en sais rien.

L’opinion à laquelle on doit s’attacher sans doute, c’est que l’âme est un être immatériel ; mais certainement vous ne concevez pas ce que c’est que cet être immatériel. — Non, répondent les savants, mais nous savons que sa nature est de penser. — Et d’où le savez-vous ? — Nous le savons, parce qu’il pense. — Oh ! savants, j’ai bien peur que vous ne soyez aussi ignorants qu’Épicure ; la nature d’une pierre est de tomber, parce qu’elle tombe ; mais je vous demande qui la fait tomber.

Nous savons, poursuivent-ils, qu’une pierre n’a point d’âme. — D’accord, je le crois comme vous. — Nous savons qu’une négation et une affirmation ne sont point divisibles, ne sont point des parties de la matière. — Je suis de votre avis. Mais la matière, à nous d’ailleurs inconnue, possède des qualités qui ne sont pas matérielles, qui ne sont pas divisibles ; elle a la gravitation vers un centre, que Dieu lui a donnée. Or cette gravitation n’a point de parties, n’est point divisible. La force motrice des corps n’est pas un être composé de parties. La végétation des corps organisés, leur vie, leur instinct, ne sont pas non plus des êtres à part, des êtres divisibles ; vous ne pouvez pas plus couper en deux la végétation d’une rose, la vie d’un cheval, l’instinct d’un chien, que vous ne pourrez couper en deux une sensation, une négation, une affirmation. Votre bel argument, tiré de l’indivisibilité de la pensée, ne prouve donc rien du tout.

Qu’appelez-vous donc votre âme ? quelle idée en avez-vous ? Vous ne pouvez par vous-même, sans révélation, admettre autre chose en vous qu’un pouvoir à vous inconnu de sentir, dépenser. À présent, dites-moi de bonne foi, ce pouvoir de sentir et de penser est-il le même que celui qui vous fait digérer et marcher ? Vous m’avouez que non, car votre entendement aurait beau dire à votre estomac : Digère, il n’en fera rien s’il est malade ; en vain votre être immatériel ordonnerait à vos pieds de marcher : ils resteront là s’ils ont la goutte.

Les Grecs ont bien senti que la pensée n’avait souvent rien à faire avec le jeu de nos organes ; ils ont admis pour ces organes une âme animale, et pour les pensées une âme plus fine, plus subtile, un νοῦς.

Mais voilà cette âme de la pensée qui, en mille occasions, a l’intendance sur l’âme animale. L’âme pensante commande à ses mains de prendre, et elles prennent. Elle ne dit point à son cœur de battre, à son sang de couler, à son chyle de se former ; tout cela se fait sans elle : voilà deux âmes bien embarrassées et bien peu maîtresses à la maison.

Or cette première âme animale n’existe certainement point, elle n’est autre chose que le mouvement de vos organes. Prends garde, ô homme ! que tu n’as pas plus de preuve par ta faible raison que l’autre âme existe. Tu ne peux le savoir que par la foi. Tu es né, tu vis, tu agis, tu penses, tu veilles, tu dors, sans savoir comment. Dieu t’a donné la faculté de penser, comme il t’a donné tout le reste ; et s’il n’était pas venu t’apprendre dans les temps marqués par sa providence que tu as une âme immatérielle et immortelle, tu n’en aurais aucune preuve.

Voyons les beaux systèmes que ta philosophie a fabriqués sur ces âmes.

L’un dit que l’âme de l’homme est partie de la substance de Dieu même ; l’autre, qu’elle est partie du grand tout ; un troisième, qu’elle est créée de toute éternité ; un quatrième, qu’elle est faite et non créée ; d’autres assurent que Dieu les forme à mesure qu’on en a besoin, et qu’elles arrivent à l’instant de la copulation ; elles se logent dans les animalcules séminaux, crie celui-ci ; non, dit celui-là, elles vont habiter dans les trompes de Fallope. Vous avez tous tort, dit un survenant ; l’âme attend six semaines que le fœtus soit formé, et alors elle prend possession de la glande pinéale ; mais si elle trouve un faux germe, elle s’en retourne, en attendant une meilleure occasion. La dernière opinion est que sa demeure est dans le corps calleux ; c’est le poste que lui assigne La Peyronie ; il fallait être premier chirurgien du roi de France pour disposer ainsi du logement de l’âme. Cependant son corps calleux n’a pas fait la même fortune que ce chirurgien avait faite.

Saint Thomas, dans sa question 75e et suivantes, dit que l’âme est une forme subsistante per se, qu’elle est toute en tout, que son essence diffère de sa puissance, qu’il y a trois âmes végétatives, savoir, la nutritive, l’augmentative, la générative ; que la mémoire des choses spirituelles est spirituelle, et la mémoire des corporelles est corporelle ; que l’âme raisonnable est une forme « immatérielle quant aux opérations, et matérielle quant à l’être ». Saint Thomas a écrit deux mille pages de cette force et de cette clarté ; aussi est-il l’ange de l’école.

On n’a pas fait moins de systèmes sur la manière dont cette âme sentira quand elle aura quitté son corps avec lequel elle sentait ; comment elle entendra sans oreilles, flairera sans nez, et touchera sans mains ; quel corps ensuite elle reprendra, si c’est celui qu’elle avait à deux ans ou à quatre-vingts ; comment le moi, l’identité de la même personne subsistera ; comment l’âme d’un homme devenu imbécile à l’âge de quinze ans, et mort imbécile à l’âge de soixante et dix, reprendra le fil des idées qu’elle avait dans son âge de puberté ; par quel tour d’adresse une âme dont la jambe aura été coupée en Europe, et qui aura perdu un bras en Amérique, retrouvera cette jambe et ce bras, lesquels, ayant été transformés en légumes, auront passé dans le sang de quelque autre animal. On ne finirait point si on voulait rendre compte de toutes les extravagances que cette pauvre âme humaine a imaginées sur elle-même.

Ce qui est très singulier, c’est que dans les lois du peuple de Dieu il n’est pas dit un mot de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme, rien dans le Décalogue, rien dans le Lévitique ni dans le Deutéronome.

Il est très certain, il est indubitable que Moïse en aucun endroit ne propose aux Juifs des récompenses et des peines dans une autre vie, qu’il ne leur parle jamais de l’immortalité de leurs âmes, qu’il ne leur fait point espérer le ciel, qu’il ne les menace point des enfers ; tout est temporel.

Il leur dit avant de mourir, dans son Deutéronome : « Si, après avoir eu des enfants et des petits-enfants, vous prévariquez, vous serez exterminés du pays, et réduits à un petit nombre dans les nations.

« Je suis un Dieu jaloux, qui punis l’iniquité des pères jusqu’à la troisième et quatrième génération.

« Honorez père et mère afin que vous viviez longtemps.

« Vous aurez de quoi manger sans en manquer jamais.

« Si vous suivez des dieux étrangers, vous serez détruits....

« Si vous obéissez, vous aurez de la pluie au printemps ; et en automne, du froment, de l’huile, du vin, du foin pour vos bêtes, afin que vous mangiez et que vous soyez soûls.

« Mettez ces paroles dans vos cœurs, dans vos mains, entre vos yeux, écrivez-les sur vos portes, afin que vos jours se multiplient.

« Faites ce que je vous ordonne, sans y rien ajouter ni retrancher.

« S’il s’élève un prophète qui prédise des choses prodigieuses, si sa prédiction est véritable, et si ce qu’il a dit arrive, et s’il vous dit : Allons, suivons des dieux étrangers... tuez-le aussitôt, et que tout le peuple frappe après vous.

« Lorsque le Seigneur vous aura livré les nations, égorgez tout sans épargner un seul homme, et n’ayez aucune pitié de personne.

« Ne mangez point des oiseaux impurs, comme l’aigle, le griffon, l’ixion, etc.

« Ne mangez point des animaux qui ruminent et dont l’ongle n’est point fendu, comme chameau, lièvre, porc-épic, etc.

« En observant toutes les ordonnances, vous serez bénis dans la ville et dans les champs ; les fruits de votre ventre, de votre terre, de vos bestiaux, seront bénis...

« Si vous ne gardez pas toutes les ordonnances et toutes les cérémonies, vous serez maudits dans la ville et dans les champs... vous éprouverez la famine, la pauvreté ; vous mourrez de misère, de froid, de pauvreté, de fièvre ; vous aurez la rogne, la gale, la fistule... vous aurez des ulcères dans les genoux et dans le gras des jambes.

« L’étranger vous prêtera à usure, et vous ne lui prêterez point à usure... parce que vous n’aurez pas servi le Seigneur.

« Et vous mangerez le fruit de votre ventre, et la chair de vos fils et de vos filles, etc. »

Il est évident que dans toutes ces promesses et dans toutes ces menaces il n’y a rien que de temporel, et qu’on ne trouve pas un mot sur l’immortalité de l’âme et sur la vie future.

Plusieurs commentateurs illustres ont cru que Moïse était parfaitement instruit de ces deux grands dogmes ; et ils le prouvent par les paroles de Jacob, qui, croyant que son fils avait été dévoré par les bêtes, disait dans sa douleur : « Je descendrai avec mon fils dans la fosse, in infernum (Genèse, chap. xxxvii, vers. 35), dans l’enfer ; » c’est-à-dire je mourrai, puisque mon fils est mort.

Ils le prouvent encore par des passages d’Isaïe et d’Ézéchiel ; mais les Hébreux auxquels parlait Moïse ne pouvaient avoir lu ni Ézéchiel ni Isaïe, qui ne vinrent que plusieurs siècles après.

Il est très inutile de disputer sur les sentiments secrets de Moïse. Le fait est que dans les lois publiques il n’a jamais parlé d’une vie à venir, qu’il borne tous les châtiments et toutes les récompenses au temps présent. S’il connaissait la vie future, pourquoi n’a-t-il pas expressément étalé ce dogme ? et s’il ne l’a pas connue, quel était l’objet et l’étendue de sa mission ? C’est une question que font plusieurs grands personnages : ils répondent que le Maître de Moïse et de tous les hommes se réservait le droit d’expliquer dans son temps aux Juifs une doctrine qu’ils n’étaient pas en état d’entendre lorsqu’ils étaient dans le désert.

Si Moïse avait annoncé le dogme de l’immortalité de l’âme, une grande école des Juifs ne l’aurait pas toujours combattue. Cette grande école des saducéens n’aurait pas été autorisée dans l’État ; les saducéens n’auraient pas occupé les premières charges ; on n’aurait pas tiré de grands-pontifes de leur corps.

Il paraît que ce ne fut qu’après la fondation d’Alexandrie que les Juifs se partagèrent en trois sectes : les pharisiens, les saducéens, et les esséniens. L’historien Josèphe, qui était pharisien, nous apprend, au livre XIII (chap. ix) de ses antiquités[46], que les pharisiens croyaient la métempsycose ; les saducéens croyaient que l’âme périssait avec le corps ; les esséniens, dit encore Josèphe, tenaient les âmes immortelles : les âmes, selon eux, descendaient en forme aérienne dans les corps, de la plus haute région de l’air ; elles y sont reportées par un attrait violent, et après la mort celles qui ont appartenu à des gens de bien demeurent au delà de l’Océan, dans un pays où il n’y a ni chaud ni froid, ni vent ni pluie. Les âmes des méchants vont dans un climat tout contraire. Telle était la théologie des Juifs.

Celui qui seul devait instruire tous les hommes vint condamner ces trois sectes ; mais sans lui nous n’aurions jamais pu rien connaître de notre âme, puisque les philosophes n’en ont jamais eu aucune idée déterminée, et que Moïse, seul vrai législateur du monde avant le nôtre, Moïse, qui parlait à Dieu face à face, a laissé les hommes dans une ignorance profonde sur ce grand article. Ce n’est donc que depuis dix-sept cents ans qu’on est certain de l’existence de l’âme et de son immortalité.

Cicéron n’avait que des doutes ; son petit-fils et sa petite-fille purent apprendre la vérité des premiers Galiléens qui vinrent à Rome.

Mais avant ce temps-là, et depuis dans tout le reste de la terre où les apôtres ne pénétrèrent pas, chacun devait dire à son âme : Qui es-tu ? d’où viens-tu ? que fais-tu ? où vas-tu ? Tu es je ne sais quoi, pensant et sentant, et quand tu sentirais et penserais cent mille millions d’années, tu n’en sauras jamais davantage par tes propres lumières, sans le secours d’un Dieu.

Ô homme ! ce Dieu t’a donné l’entendement pour te bien conduire, et non pour pénétrer dans l’essence des choses qu’il a créées[47].

C’est ainsi qu’a pensé Locke, et avant Locke Gassendi, et avant Gassendi une foule de sages ; mais nous avons des bacheliers qui savent tout ce que ces grands hommes ignoraient.

De cruels ennemis de la raison ont osé s’élever contre ces vérités reconnues par tous les sages. Ils ont porté la mauvaise foi et l’impudence jusqu’à imputer aux auteurs de cet ouvrage d’avoir assuré que l’âme est matière. Vous savez bien, persécuteurs de l’innocence, que nous avons dit tout le contraire. Vous avez dû lire ces propres mots contre Épicure, Démocrite[48] et Lucrèce : « Mon ami, comment un atome pense-t-il ? avoue que tu n’en sais rien. » Vous êtes donc évidemment des calomniateurs.

Personne ne sait ce que c’est que l’être appelé esprit, auquel même vous donnez ce nom matériel d’esprit qui signifie vent. Tous les premiers Pères de l’Église ont cru l’âme corporelle. Il est impossible à nous autres êtres bornés de savoir si notre intelligence est substance ou faculté : nous ne pouvons connaître à fond ni l’être étendu, ni l’être pensant, ou le mécanisme de la pensée.

On vous crie, avec les respectables Gassendi et Locke, que nous ne savons rien par nous-mêmes des secrets du Créateur. Êtes-vous donc des dieux qui savez tout ? On vous répète que nous ne pouvons connaître la nature et la destination de l’âme que par la révélation. Quoi ! cette révélation ne vous suffit-elle pas ? Il faut bien que vous soyez ennemis de cette révélation que nous réclamons, puisque vous persécutez ceux qui attendent tout d’elle, et qui ne croient qu’en elle.

Nous nous en rapportons, disons-nous, à la parole de Dieu ; et vous, ennemis de la raison et de Dieu, vous qui blasphémez l’un et l’autre, vous traitez l’humble doute et l’humble soumission du philosophe, comme le loup traita l’agneau dans les fables d’Ésope ; vous lui dites : Tu médis de moi l’an passé, il faut que je suce ton sang, La philosophie ne se venge point ; elle rit en paix de vos vains efforts ; elle éclaire doucement les hommes, que vous voulez abrutir pour les rendre semblables à vous.


SECTION XII[49].


  1. Voyez ci-après, page 132.
  2. Genèse, II, 7.
  3. C’est ici que commençait la première section dans les Questions sur l’Encyclopédie, 1770. (B.)
  4. Somme de saint Thomas, édition de Lyon, 1738. (Note de Voltaire.)
  5. Livre V, chapitres vi et vii. (Note de Voltaire.)
  6. Oratio ad Grœcos, chapitre xxiii. (Id.)
  7. De Anima, chapitre vii. (Id.)
  8. Saint Hilaire sur saint Matthieu, page 633. (Id.)
  9. Sur Abraham, livre II, chapitre viii (Id.)
  10. Questions sur l’Encyclopédie, 1770. (B.)
  11. L’abbé Yvon, qui, ayant été excommunié, se retira de l’Encyclopédie. Il y fut remplacé par de Prades, qui fut remplacé par Mallet, qui fut remplacé par Morellet, lequel garda la succession théologique jusqu’à la fin. (G. A.)
  12. Traduction de Coste, livre IV, chapitre iii, § 6. (Note de Voltaire.)
  13. Voyez, le discours préliminaire de M. d’Alembert (qui fait aussi partie du tome Ier de ses Mélanges de littérature, etc..) « On peut dire qu’il créa la métaphysique à peu près comme Newton avait créé la physique. Pour connaître notre âme, ses idées et ses affections, il n’étudia point les livres, parce qu’ils l’auraient mal instruit ; il se contenta de descendre profondément en lui-même ; et après s’être, pour ainsi dire, contemplé longtemps, il ne fit, dans son Traité de l’entendement humain, que présenter aux hommes le miroir dans lequel il s’était vu. En un mot, il réduisit la métaphysique à ce qu’elle doit être en effet, la physique expérimentale de l’âme. » (Note de Voltaire.)
  14. Questions sur l’Encyclopédie, 1770. (B.)
  15. Voltaire (voyez ce qui est relatif aux Lettres philosophiques, dans la correspondance générale de 1730 à 1736). (K.) — Voyez aussi dans les Mélanges, année 1734, les Lettres philosophiques et l’avertissement de Beuchot qui les précède.
  16. Questions sur l’Encyclopédie. 1770. (B.)
  17. Ce n’était pas sans doute l’opinion de saint Augustin, qui, dans le livre VIII de la Cité de Dieu, s’exprime ainsi : « Que ceux-là se taisent qui n’ont pas osé, à la vérité, dire que Dieu est un corps, mais qui ont cru que nos âmes sont de même nature que lui. Ils n’ont pas été frappés de l’extrême mutabilité de notre âme, qu’il n’est pas permis d’attribuer à Dieu. » « Cedant et illi quos quidem puduit dicere Deum corpus esse, verumtamen ejusdem naturæ, cujus ille est, animos nostros esse putaverunt. Ita non eos movet tanta mutabilitas animæ, quam Dei naturaæ tribuere nefas est. » (Note de Voltaire.)
  18. Cette traduction est de Voltaire lui-même ; voyez, tome IX, le deuxième
    Discours sur l’homme, vers 84.
  19. Questions sur l’Encyclopédie, 1770. (B.)
  20. On les a tirées, en effet, ces dangereuses conséquences. On lui a dit : La créance de l’âme immortelle est nécessaire ou non. Si elle n’est pas nécessaire, pourquoi Jésus-Christ l’a-t-il annoncée ? Si elle est nécessaire, pourquoi Moïse n’en a-t-il pas fait la base de sa religion ? Ou Moïse était instruit de ce dogme, ou il ne l’était pas. S’il l’ignorait, il était indigne de donner des lois. S’il le savait et le cachait, quel nom voulez-vous qu’on lui donne ? De quelque côté que vous vous tourniez, vous tombez dans un abîme qu’un évêque ne devait pas ouvrir. Votre dédidace aux francs-pensants, vos fades plaisanteries avec eux, et vos bassesses auprès de miiord Hardwich, ne vous sauveront pas de l’opprobre dont vos contradictions continuelles vous ont couvert ; et vous apprendrez que quand on dit des choses hardies, il faut les dire modestement. (Note de Voltaire.) — Ces raisonnements avaient déjà été présentés par Voltaire à l’article Warburton, dans la quatrième de ses Lettres à Son Altesse monseigneur le prince de ***. Voyez les Mélanges, année 1767. (B.)
  21. Questions sur L’Encyclopédie, 1770. (B.)
  22. Saint Matthieu, chapitre xxii, v. 31 et 32. (Note de Voltaire.)
  23. Questions sur l’Encyclopédie, 1170. (B.)
  24. Voyez le chapitre xxi des Singularités de la nature (Mélanges, année 1768).
  25. M. le chevalier d’Angos, savant astronome, a observé avec soin pendant plusieurs jours un lézard à deux têtes ; et il s’est assuré que le lézard avait deux volontés indépendantes, dont chacune avait un pouvoir presque égal sur le corps, qui était unique. Quand on présentait au lézard un morceau de pain, de manière qu’il ne pût le voir que d’une tête, cette tête voulait aller chercher le pain, et l’autre voulait que le corps restât en repos. (K.)
  26. Ce morceau était imprimé dès 1738 ; voyez l’avertissement de Beuchot qui précède les Lettres philosophiques (Mélanges, année 1734).
  27. C’est ainsi qu’on lit dans les éditions de 1738, 1772, et dans les éditions de Kehl ; quelques éditions plus récentes portent : une autre substance appelée, etc. ( B.)
  28. Matthieu, iii, 9.
  29. Voyez la treizième des Lettres philosophiques (Mélanges, année 1734).
  30. Le pape Zacharie. Voyez, tome X, page 304, l’Épitre au prince royal de Prusse, année 1736.
  31. Cette section a été formée, par les éditeurs de Kehl, de ce qui faisait en 1751 les chapitres xx et xxi, et en 1750 les chapitres xxvii et xxviii des Mélanges de littérature et de philosophie. (B.)
  32. Ovide, Métam., VI, 67.
  33. Sénèque le Tragique, Troade, à la fin du 2e acte.
  34. On a déclamé aussi sur le Théâtre-Français ces vers de Cyrano de Bergerac :

    Une heure après la mort, notre âme évanouie
    Sera ce qu’elle était une heure avant la vie.

  35. Voltaire lui-même ; voyez la treizième des Lettres philosophiques (Mélanges, année 1734).
  36. Voltaire veut sans doute parler des Voyages et Aventures de Jacques Massé, 1710, in-8o ou in-12, dont l’auteur est Simon Tyssot de Patot. (B.)
  37. Marana. Voyez ma note sur la seconde des Honnêtetés littéraires (dans les Mélanges, année 1767). (B.)
  38. Montesquieu.
  39. Le marquis d’Argens.
  40. Diderot.
  41. Ce morceau faisait partie du tome III des Nouveaux Mélanges, publié en 1765. (B.)
  42. Essai sur les Mœurs, chapitre v.
  43. Essai sur les Mœurs, introduction, paragraphe xix.
  44. Dans la première édition du Dictionnaire philosophique, en 1704, c’était de cette section à peu près qu’était composé l’article Âme. (B.)
  45. Voyez Juvénal, satire xi, vers 27.
  46. Voyez surtout le livre II, chapitre xii, de la Guerre des Juifs ; c’est là qu’il donne les détails rapportés par Voltaire. (B.)
  47. C’est ici que finissait l’article dans la première édition du Dictionnaire philosophique ; ce qui suit fut ajoute en 1705. (B.)
  48. Voyez page 103, ligne 33.
  49. Dans une édition de 1825 on a formé une douzième section des Questions proposées par Voltaire en 1764, et imprimées dans le Journal encyclopédique du 15 septembre 1764. On trouvera ce morceau dans les Mélanges, à sa date.


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