Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Église

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Éd. Garnier - Tome 18
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ÉGLISE[1].

Précis de l’histoire de l’Église chrétienne.

Nous ne porterons point nos regards sur les profondeurs de la théologie ; Dieu nous en préserve ! l’humble foi seule nous suffit. Nous ne faisons jamais que raconter.

Dans les premières années qui suivirent la mort de Jésus-Christ, Dieu et homme, on comptait chez les Hébreux neuf écoles, ou neuf sociétés religieuses : pharisiens, saducéens, esséniens, judaïtes, thérapeutes, récabites, hérodiens, disciples de Jean, et les disciples de Jésus, nommés les frères, les galiléens, les fidèles, qui ne prirent le nom de chrétiens que dans Antioche, vers l’an 60 de notre ère, conduits secrètement par Dieu même dans des voies inconnues aux hommes.

Les pharisiens admettaient la métempsycose, les saducéens niaient l’immortalité de l’âme et l’existence des esprits, et cependant étaient fidèles au Pentateuque.

Pline le Naturaliste[2] (apparemment sur la foi de Flavius Josèphe) appelle les esséniens gens æterna in qua nemo nascitur, famille éternelle dans laquelle il ne naît personne, parce que les esséniens se mariaient très-rarement. Cette définition a été depuis appliquée à nos moines.

Il est difficile de juger si c’est des esséniens ou des judaïtes que parle Josèphe quand il dit[3] : «[4] Ils méprisent les maux de la terre : ils triomphent des tourments par leur constance ; ils préfèrent la mort à la vie lorsque le sujet en est honorable. Ils ont souffert le fer et le feu, et vu briser leurs os, plutôt que de prononcer la moindre parole contre leur législateur, ni manger des viandes défendues. »

Il paraît que ce portrait tombe sur les judaïtes[5] et non pas sur les esséniens, car voici les paroles de Josèphe : « Judas fut l’auteur d’une nouvelle secte, entièrement différente des trois autres, c’est-à-dire des saducéens, des pharisiens et des esséniens. » Il continue et dit : « Ils sont Juifs de nation : ils vivent unis entre eux, et regardent la volupté comme un vice. » Le sens naturel de cette phrase fait croire que c’est des judaïtes dont l’auteur parle.

Quoi qu’il en soit, on connut ces judaïtes avant que les disciples du Christ commençassent à faire un parti considérable dans le monde. Quelques bonnes gens les ont pris pour des hérétiques qui adoraient Judas Iscariote.

Les thérapeutes étaient une société différente des esséniens et des judaïtes ; ils ressemblaient aux gymnosophistes des Indes et aux brames. « Ils ont, dit Philon, un mouvement d’amour céleste qui les jette dans l’enthousiasme des bacchantes et des corybantes, et qui les met dans l’état de la contemplation à laquelle ils aspirent. Cette secte naquit dans Alexandrie, qui était toute remplie de Juifs, et s’étendit beaucoup dans l’Égypte. »

[6] Les récabites subsistaient encore[7] ; ils faisaient vœu de ne jamais boire de vin ; et c’est peut-être à leur exemple que Mahomet défendit cette liqueur à ses musulmans.

Les hérodiens regardaient Hérode premier du nom comme un messie, un envoyé de Dieu, qui avait rebâti le temple. Il est évident que les Juifs célébraient sa fête à Rome du temps de Néron, témoin les vers de Perse : Herodis venere dies, etc. (Sat. v, v. 180.)

Voici le jour d’ Hérode où tout infâme Juif
Fait fumer sa lanterne avec l’huile ou le suif.

Les disciples de Jean-Baptiste s’étendirent un peu en Égypte, mais principalement dans la Syrie, dans l’Arabie, et vers le golfe Persique. On les connaît aujourd’hui sous le nom de chrétiens de saint Jean ; il y en eut aussi dans l’Asie Mineure. Il est dit dans les Actes des apôtres (chap. xix) que Paul en rencontra plusieurs à Éphèse ; il leur dit : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit? » Ils lui répondirent : « Nous n’avons pas seulement ouï dire qu’il y ait un Saint-Esprit. » Il leur dit : « Quel baptême avez-vous donc reçu ? » Ils lui répondirent : « Le baptême de Jean. »

[8] Les véritables chrétiens cependant jetaient, comme on sait, les fondements de la seule religion véritable.

Celui qui contribua le plus à fortifier cette société naissante fut ce Paul même qui l’avait persécutée avec le plus de violence. Il était né à Tarsis[9] en Cilicie[10], et fut élevé par le fameux docteur pharisien Gamaliel, disciple de Hillel. Les Juifs prétendent qu’il rompit avec Gamaliel, qui refusa de lui donner sa fille en mariage. On voit quelques traces de cette anecdote à la suite des Actes de sainte Thècle. Ces actes portent qu’il avait le front large, la tête chauve, les sourcils joints, le nez aquilin, la taille courte et grosse, et les jambes torses. Lucien, dans son Dialogue de Philopatris, semble faire un portrait assez semblable. On a douté qu’il fût citoyen romain, car en ce temps-là on n’accordait ce titre à aucun Juif[11] : ils avaient été chassés de Rome par Tibère, et Tarsis ne fut colonie romaine que près de cent ans après, sous Caracalla, comme le remarque Cellarius dans sa Géographie, liv. III, et Grotius dans son Commentaire sur les Actes, auxquels seuls nous devons nous en rapporter.

Dieu, qui était descendu sur la terre pour y être un exemple d’humilité et de pauvreté, donnait à son Église les plus faibles commencements, et la dirigeait dans ce même état d’humiliation dans lequel il avait voulu naître. Tous les premiers fidèles furent des hommes obscurs : ils travaillaient tous de leurs mains. L’apôtre saint Paul témoigne qu’il gagnait sa vie à faire des tentes[12]. Saint Pierre ressuscita la couturière Dorcas, qui faisait les robes des frères. L’assemblée des fidèles se tenait à Joppé, dans la maison d’un corroyeur nommé Simon, comme on le voit au chapitre ix des Actes des apôtres.

Les fidèles se répandirent secrètement en Grèce, et quelques-uns allèrent de là à Rome, parmi les Juifs à qui les Romains permettaient une synagogue. Ils ne se séparèrent point d’abord des Juifs : ils gardèrent la circoncision, et, comme on l’a déjà remarqué ailleurs[13], les quinze premiers évêques secrets de Jérusalem furent tous circoncis ou du moins de la nation juive.

Lorsque l’apôtre Paul prit avec lui Timothée, qui était fils d’un père gentil, il le circoncit lui-même dans la petite ville de Listre. Mais Tite, son autre disciple, ne voulut point se soumettre à la circoncision. Les frères disciples de Jésus furent unis aux Juifs, jusqu’au temps où Paul essuya une persécution à Jérusalem, pour avoir amené des étrangers dans le temple. Il était accusé par les Juifs de vouloir détruire la loi mosaïque par Jésus-Christ. C’est pour se laver de cette accusation que l’apôtre saint Jacques proposa à l’apôtre Paul de se faire raser la tête, et de s’aller purifier dans le temple avec quatre Juifs qui avaient fait vœu de se raser. « Prenez-les avec vous, lui dit Jacques (chap. xxi. Actes des apôtres) ; purifiez-vous avec eux, et que tout le monde sache que ce que l’on dit de vous est faux, et que vous continuez à garder la loi de Moïse. » Ainsi donc Paul, qui d’abord avait été le persécuteur sanguinaire de la sainte société établie par Jésus, Paul, qui depuis voulut gouverner cette société naissante, Paul, chrétien, judaïse « afin que le monde sache qu’on le calomnie quand on dit qu’il ne suit plus la loi mosaïque ».

Saint Paul n’en fut pas moins accusé d’impiété et d’hérésie, et son procès criminel dura longtemps ; mais on voit évidemment, par les accusations mêmes intentées contre lui, qu’il était venu à Jérusalem pour observer les rites judaïques.

Il dit à Festus ces propres paroles (chap. xxv des Actes) : « Je n’ai péché ni contre la loi juive, ni contre le temple. »

Les apôtres annonçaient Jésus-Christ comme un juste indignement persécuté, un prophète de Dieu, un fils de Dieu, envoyé aux Juifs pour la réformation des mœurs.

« La circoncision est utile, dit l’apôtre saint Paul (chap. ii, Épît. aux Rom.), si vous observez la loi ; mais si vous la violez, votre circoncision devient prépuce. Si un incirconcis garde la loi, il sera comme circoncis. Le vrai Juif est celui qui est Juif intérieurement. »

Quand cet apôtre parle de Jésus-Christ dans ses Épîtres, il ne révèle point le mystère ineffable de sa consubstantialité avec Dieu. « Nous sommes délivrés par lui (dit-il, chap. v, Épît. aux Rom.) de la colère de Dieu, Le don de Dieu s’est répandu sur nous par la grâce donnée à un seul homme, qui est Jésus-Christ. La mort a régné par le péché d’un seul homme ; les justes régneront dans la vie par un seul homme, qui est Jésus-Christ. »

Et au chap. viii : « Nous, les héritiers de Dieu, et les cohéritiers de Christ, » Et au chap. xvi : « À Dieu, qui est le honneur et gloire par Jésus-Christ... Vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ à Dieu (I aux Corinth., chap. iii). »

Et (I aux Corinth., chap. xv, v. 27) : « Tout lui est assujetti, en exceptant sans doute Dieu, qui lui a assujetti toutes choses. »

On a eu quelque peine à expliquer le passage de l’Épître aux Philippiens : « Ne faites rien par une vaine gloire ; croyez mutuellement par humilité que les autres vous sont supérieurs ; ayez les mêmes sentiments que Christ-Jésus, qui, étant dans l’empreinte de Dieu, n’a point cru sa proie de s’égaler à Dieu. » Ce passage paraît très-bien approfondi et mis dans tout son jour dans une lettre qui nous reste des églises de Vienne et de Lyon, écrite l’an 117, et qui est un précieux monument de l’antiquité. On loue dans cette lettre la modestie de quelques fidèles. « Ils n’ont pas voulu, dit la lettre, prendre le grand titre de martyrs (pour quelques tribulations) à l’exemple de Jésus-Christ, lequel, étant empreint de Dieu, n’a pas cru sa proie la qualité d’égal à Dieu. » Origène dit aussi dans son Commentaire sur Jean : La grandeur de Jésus a plus éclaté quand il s’est humilié « que s’il eût fait sa proie d’être égal à Dieu ». En effet, l’explication contraire peut paraître un contre-sens. Que signifierait : « Croyez les autres supérieurs à vous ; imitez Jésus, qui n’a pas cru que c’était une proie, une usurpation de s’égaler à Dieu ? » Ce serait visiblement se contredire, ce serait donner un exemple de grandeur pour un exemple de modestie ; ce serait pécher contre la dialectique.

La sagesse des apôtres fondait ainsi l’Église naissante. Cette sagesse ne fut point altérée par la dispute qui survint entre les apôtres Pierre, Jacques et Jean, d’un côté, et Paul, de l’autre. Cette contestation arriva dans Antioche. L’apôtre Pierre, autrement Céphas, ou Simon Barjone, mangeait avec les Gentils convertis, et n’observait point avec eux les cérémonies de la loi, ni la distinction des viandes ; il mangeait, lui, Barnabé, et d’autres disciples, indifféremment du porc, des chairs étouffées, des animaux qui avaient le pied fendu et qui ne ruminaient pas ; mais plusieurs Juifs chrétiens étant arrivés, saint Pierre se remit avec eux à l’abstinence des viandes défendues, et aux cérémonies de la loi mosaïque.

Cette action paraissait très-prudente ; il ne voulait pas scandaliser les Juifs chrétiens ses compagnons ; mais saint Paul s’éleva contre lui avec un peu de dureté. « Je lui résistai, dit-il, à sa face, parce qu’il était blâmable. » (Épître aux Galates, chap. ii.)

Cette querelle paraît d’autant plus extraordinaire de la part de saint Paul qu’ayant été d’abord persécuteur il devait être modéré, et que, lui-même, il était allé sacrifier dans le temple à Jérusalem, qu’il avait circoncis son disciple Timothée, qu’il avait accompli les rites juifs, lesquels il reprochait alors à Céphas. Saint Jérôme prétend que cette querelle entre Paul et Céphas était feinte. Il dit dans sa première Homélie, tome III, qu’ils firent comme deux avocats qui s’échauffent et se piquent au barreau, pour avoir plus d’autorité sur leurs clients ; il dit que Pierre Céphas étant destiné à prêcher aux Juifs, et Paul aux Gentils, ils firent semblant de se quereller, Paul pour gagner les Gentils, et Pierre pour gagner les Juifs. Mais saint Augustin n’est point du tout de cet avis. « Je suis fâché, dit-il dans l’Épître à Jérôme, qu’un aussi grand homme se rende le patron du mensonge, patronum mendacii. »

[14] Cette dispute entre saint Jérôme et saint Augustin ne doit pas diminuer notre vénération pour eux, encore moins pour saint Paul et pour saint Pierre.

Au reste, si Pierre était destiné aux Juifs judaïsants, et Paul aux étrangers, il paraît probable que Pierre ne vint point à Rome. Les Actes des apôtres ne font aucune mention du voyage de Pierre en Italie.

Quoi qu’il en soit, ce fut vers l’an 60 de notre ère que les chrétiens commencèrent à se séparer de la communion juive ; et c’est ce qui leur attira tant de querelles et tant de persécutions de la part des synagogues répandues à Rome, en Grèce, dans l’Égypte et dans l’Asie. Ils furent accusés d’impiété, d’athéisme, par leurs frères juifs, qui les excommuniaient dans leurs synagogues trois fois les jours du sabbat. Mais Dieu les soutint toujours au milieu des persécutions.

Petit à petit, plusieurs Églises se formèrent, et la séparation devint entière entre les juifs et les chrétiens, avant la fin du ier siècle ; cette séparation était ignorée du gouvernement romain. Le sénat de Rome ni les empereurs n’entraient point dans ces querelles d’un petit troupeau que Dieu avait jusque-là conduit dans l’obscurité, et qu’il élevait par des degrés insensibles[15].

[16] Le christianisme s’établit en Grèce et à Alexandrie. Les chrétiens y eurent à combattre une nouvelle secte de Juifs devenus philosophes à force de fréquenter les Grecs ; c’était celle de la gnose ou des gnostiques ; il s’y mêla de nouveaux chrétiens. Toutes ces sectes jouissaient alors d’une entière liberté de dogmatiser, de conférer et d’écrire, quand les courtiers juifs établis dans Rome et dans Alexandrie ne les accusaient pas auprès des magistrats ; mais sous Domitien la religion chrétienne commença à donner quelque ombrage au gouvernement.

Le zèle de quelques chrétiens, qui n’était pas selon la science, n’empêcha pas l’Église de faire les progrès que Dieu lui destinait. Les chrétiens célébrèrent d’abord leurs mystères dans des maisons retirées, dans des caves, pendant la nuit : de là leur vint le titre de lucifugaces, selon Minucius Félix[17]. Philon les appelle gesséens. Leurs noms les plus communs, dans les quatre premiers siècles, chez les Gentils, étaient ceux de galiléens et de nazaréens ; mais celui de chrétiens a prévalu sur tous les autres.

Ni la hiérarchie ni les usages ne furent établis tout d’un coup ; les temps apostoliques furent différents des temps qui les suivirent.

La messe, qui se célèbre au matin, était la cène qu’on faisait le soir ; ces usages changèrent à mesure que l’Église se fortifia. Une société plus étendue exigea plus de règlements, et la prudence des pasteurs se conforma aux temps et aux lieux.

Saint Jérôme et Eusèbe rapportent que quand les Églises reçurent une forme, on y distingua peu à peu cinq ordres différents : les surveillants, èpiscopoï, d’où sont venus les évêques ; les anciens de la société, presbyteroï, les prêtres ; diaconoï, les servants ou diacres ; les pistoï, croyants, initiés, c’est-à-dire les baptisés, qui avaient part aux soupers des agapes, les catéchumènes, qui attendaient le baptême, et les énergumènes, qui attendaient qu’on les délivrât du démon. Aucun, dans ces cinq ordres, ne portait d’habit différent des autres ; aucun n’était contraint au célibat, témoin le livre de Tertullien dédié à sa femme, témoin l’exemple des apôtres. Aucune représentation, soit en peinture, soit en sculpture, dans leurs assemblées, pendant les deux premiers siècles ; point d’autels, encore moins de cierges, d’encens et d’eau lustrale. Les chrétiens cachaient soigneusement leurs livres aux Gentils : ils ne

les confiaient qu’aux initiés ; il n’était pas même permis aux catéchumènes de réciter l’Oraison dominicale.
DU POUVOIR DE CHASSER LES DIABLES DONNÉ À L’ÉGLISE.

Ce qui distinguait le plus les chrétiens, et ce qui a duré jusqu’à nos derniers temps, était le pouvoir de chasser les diables avec le signe de la croix. Origène, dans son traité contre Celse, avoue, au nombre 133, qu’Antinoüs, divinisé par l’empereur Adrien, faisait des miracles en Égypte par la force des charmes et des prestiges ; mais il dit que les diables sortent du corps des possédés à la prononciation du seul nom de Jésus.

Tertullien va plus loin, et, du fond de l’Afrique où il était, il dit, dans son Apologétique, au chapitre xxiii : « Si vos dieux ne confessent pas qu’ils sont des diables à la présence d’un vrai chrétien, nous voulons bien que vous répandiez le sang de ce chrétien. » Y a-t-il une démonstration plus claire ?

En effet Jésus-Christ envoya ses apôtres pour chasser les démons. Les Juifs avaient aussi de son temps le don de les chasser, car lorsque Jésus eut délivré des possédés, et eut envoyé les diables dans les corps d’un troupeau de deux mille cochons, et qu’il eut opéré d’autres guérisons pareilles, les pharisiens dirent : « Il chasse les démons par la puissance de Belzébuth. — Si c’est par Belzébuth que je les chasse, répondit Jésus, par qui vos fils les chassent-ils ? » Il est incontestable que les Juifs se vantaient de ce pouvoir : ils avaient des exorcistes et des exorcismes ; on invoquait le nom de Dieu, de Jacob et d’Abraham ; on mettait des herbes consacrées dans le nez des démoniaques. (Josèphe rapporte une partie de ces cérémonies.) Ce pouvoir sur les diables, que les Juifs ont perdu, fut transmis aux chrétiens, qui semblent aussi l’avoir perdu depuis quelque temps.

Dans le pouvoir de chasser les démons était compris celui de détruire les opérations de la magie : car la magie fut toujours en vigueur chez toutes les nations. Tous les Pères de l’Église rendent témoignage à la magie. Saint Justin avoue dans son Apologétique, au livre III, qu’on évoque souvent les âmes des morts, et il en tire un argument en faveur de l’immortalité de l’âme. Lactance, au livre VII de ses Institutions divines, dit que « si on osait nier l’existence des âmes après la mort, le magicien vous en convaincrait bientôt en les faisant paraître ». Irénée, Clément Alexandrin, Tertullien, l’évêque Cyprien, tous affirment la même chose. Il est vrai qu’aujourd’hui

tout est changé, et qu’il n’y a pas plus de magiciens que de démoniaques. Mais Dieu est le maître d’avertir les hommes par des prodiges dans certains temps, et de les faire cesser dans d’autres.
DES MARTYRS DE L’ÉGLISE.

Quand les sociétés chrétiennes devinrent un peu nombreuses, et que plusieurs s’élevèrent contre le culte de l’empire romain, les magistrats sévirent contre elles, et les peuples surtout les persécutèrent. On ne persécutait point les Juifs qui avaient des priviléges particuliers, et qui se renfermaient dans leurs synagogues ; on leur permettait l’exercice de leur religion, comme on fait encore aujourd’hui à Rome ; on souffrait tous les cultes divers répandus dans l’empire, quoique le sénat ne les adoptât pas.

Mais les chrétiens se déclarant ennemis de tous ces cultes, et surtout de celui de l’empire, furent exposés plusieurs fois à ces cruelles épreuves.

Un des premiers et des plus célèbres martyrs fut Ignace, évêque d’Antioche, condamné par l’empereur Trajan lui-même, alors en Asie, et envoyé par ses ordres à Rome, pour être exposé aux bêtes, dans un temps où l’on ne massacrait point à Rome les autres chrétiens. On ne sait point précisément de quoi il était accusé auprès de cet empereur, renommé d’ailleurs pour sa clémence : il fallait que saint Ignace eût de bien violents ennemis. Quoi qu’il en soit, l’histoire de son martyre rapporte qu’on lui trouva le nom de Jésus-Christ gravé sur le cœur, en caractères d’or ; et c’est de là que les chrétiens prirent en quelques endroits le nom de Théophores, qu’Ignace s’était donné à lui-même.

On nous a conservé une lettre de lui[18], par laquelle il prie les évêques et les chrétiens de ne point s’opposer à son martyre : soit que dès lors les chrétiens fussent assez puissants pour le délivrer, soit que parmi eux quelques-uns eussent assez de crédit pour obtenir sa grâce. Ce qui est encore très-remarquable, c’est qu’on souffrit que les chrétiens de Rome vinssent au-devant de lui, quand il fut amené dans cette capitale ; ce qui prouverait évidemment qu’on punissait en lui la personne, et non pas la secte.

Les persécutions ne furent pas continuées. Origène, dans son livre III contre Celse, dit : « On peut compter facilement les chrétiens qui sont morts pour leur religion, parce qu’il en est mort peu, et seulement de temps en temps et par intervalles, »

Dieu eut un si grand soin de son Église, que, malgré ses ennemis, il fit en sorte qu’elle tînt cinq conciles dans le premier siècle, seize dans le second, et trente dans le troisième ; c’est- à-dire des assemblées secrètes et tolérées. Ces assemblées furent quelquefois défendues, quand la fausse prudence des magistrats craignit qu’elles ne devinssent tumultueuses. Il nous est resté peu de procès-verbaux des proconsuls et des préteurs qui condamnèrent les chrétiens à mort. Ce seraient les seuls actes sur lesquels on pût constater les accusations portées contre eux, et leurs supplices.

Nous avons un fragment de Denis d’Alexandrie, dans lequel il rapporte l’extrait du greffe d’un proconsul d’Égypte, sous l’empereur Valérien ; le voici :

Denis, Fauste, Maxime, Marcel et Chéremon, ayant été introduits à l’audience, le préfet Émilien leur a dit : « Vous avez pu connaître par les entretiens que j’ai eus avec vous, et par tout ce que je vous ai écrit, combien nos princes ont témoigné de bonté à votre égard ; je veux bien encore vous le redire : ils font dépendre votre conservation et votre salut de vous-mêmes, et votre destinée est entre vos mains. Ils ne demandent de vous qu’une seule chose, que la raison exige de toute personne raisonnable : c’est que vous adoriez les dieux protecteurs de leur empire, et que vous abandonniez cet autre culte si contraire à la nature et au bon sens. »

Denis a répondu : « Chacun n’a pas les mêmes dieux, et chacun adore ceux qu’il croit l’être véritablement. »

Le préfet Émilien a repris : « Je vois bien que vous êtes des ingrats, qui abusez des bontés que les empereurs ont pour vous. Eh bien ! vous ne demeurerez pas davantage dans cette ville, et je vous envoie à Céphro dans le fond de la Libye ; ce sera là le lieu de votre bannissement, selon l’ordre que j’en ai reçu de nos empereurs : au reste, ne pensez pas y tenir vos assemblées, ni aller faire vos prières dans ces lieux que vous nommez des cimetières ; cela vous est absolument défendu, je ne le permettrai à personne. »

Rien ne porte plus les caractères de vérité que ce procès-verbal. On voit par là qu’il y avait des temps où les assemblées étaient prohibées. C’est ainsi qu’en France il est défendu aux calvinistes de s’assembler ; on a même quelquefois fait pendre et rouer des ministres ou prédicants qui tenaient des assemblées malgré les lois ; et depuis 1745, il y en a eu six de pendus. C’est ainsi qu’en Angleterre et en Irlande les assemblées sont défendues aux catholiques romains, et il y a eu des occasions où les délinquants ont été condamnés à la mort.

Malgré ces défenses portées par les lois romaines, Dieu inspira à plusieurs empereurs de l’indulgence pour les chrétiens. Dioclétien même, qui passe chez les ignorants pour un persécuteur, Dioclétien, dont la première année de règne est encore l’époque de l’ère des martyrs, fut, pendant plus de dix-huit ans, le protecteur déclaré du christianisme, au point que plusieurs chrétiens eurent des charges principales auprès de sa personne. Il épousa même une chrétienne ; il souffrit que dans Nicomédie, sa résidence, il y eût une superbe église élevée vis-à-vis son palais.

Le césar Galerius, ayant malheureusement été prévenu contre les chrétiens, dont il croyait avoir à se plaindre, engagea Dioclétien à faire détruire la cathédrale de Nicomédie. Un chrétien plus zélé que sage mit en pièces l’édit de l’empereur ; et de là vint cette persécution si fameuse, dans laquelle il y eut plus de deux cents personnes exécutées à mort dans l’empire romain, sans compter ceux que la fureur du petit peuple, toujours fanatique et toujours barbare, fit périr contre les formes juridiques.

Il y eut en divers temps un si grand nombre de martyrs qu’il faut bien se donner de garde d’ébranler la vérité de l’histoire de ces véritables confesseurs de notre sainte religion, par un mélange dangereux de fables et de faux martyrs.

Le bénédictin dom Ruinart, par exemple, homme d’ailleurs aussi instruit qu’estimable et zélé, aurait dû choisir avec plus de discrétion ses Actes sincères[19]. Ce n’est pas assez qu’un manuscrit soit tiré de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, ou d’un couvent de célestins de Paris, conforme à un manuscrit des feuillants, pour que cet acte soit authentique ; il faut que cet acte soit ancien, écrit par des contemporains, et qu’il porte d’ailleurs tous les caractères de la vérité.

Il aurait pu se passer de rapporter l’aventure du jeune Romanus, arrivée en 303. Ce jeune Romain avait obtenu son pardon de Dioclétien dans Antioche. Cependant il dit que le juge Asclépiade le condamna à être brûlé : des Juifs présents à ce spectacle se moquèrent du jeune saint Romanus, et reprochèrent aux chrétiens que leur Dieu les laissait brûler, lui qui avait délivré Sidrac, Misac et Abdenago, de la fournaise ; qu’aussitôt il s’éleva, dans le temps le plus serein, un orage qui éteignit le feu ; qu’alors le juge ordonna qu’on coupât la langue au jeune Romanus ; que le premier médecin de l’empereur, se trouvant là, fit officieusement la fonction de bourreau, et lui coupa la langue dans la racine ; qu’aussitôt le jeune homme, qui était bègue auparavant, parla avec beaucoup de liberté ; que l’empereur fut étonné que l’on parlât si bien sans langue ; que le médecin, pour réitérer cette expérience, coupa sur-le-champ la langue à un passant, lequel en mourut subitement[20].

Eusèbe, dont le bénédictin Ruinart a tiré ce conte, devait respecter assez les vrais miracles opérés dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament (desquels personne ne doutera jamais) pour ne pas leur associer des histoires si suspectes, lesquelles pourraient scandaliser les faibles.

Cette dernière persécution ne s’étendit pas dans tout l’empire. Il y avait alors en Angleterre quelque christianisme, qui s’éclipsa bientôt pour reparaître ensuite sous les rois saxons. Les Gaules méridionales et l’Espagne étaient remplies de chrétiens. Le césar Constance Chlore les protégea beaucoup dans toutes ses provinces. Il avait une concubine qui était chrétienne, c’est la mère de Constantin, connue sous le nom de sainte Hélène : car il n’y eut jamais de mariage avéré entre elle et lui, et il la renvoya même dès l’an 292, quand il épousa la fille de Maximien Hercule ; mais elle avait conservé sur lui beaucoup d’ascendant, et lui avait inspiré une grande affection pour notre sainte religion.


DE L’ÉTABLISSEMENT DE L’ÉGLISE SOUS CONSTANTIN.

La divine Providence préparait ainsi, par des voies qui semblent humaines, le triomphe de son Église.

Constance Chlore mourut en 306 à York en Angleterre, dans un temps où les enfants qu’il avait de la fille d’un césar étaient en bas âge, et ne pouvaient prétendre à l’empire. Constantin eut la confiance de se faire élire à York par cinq ou six mille soldats, allemands, gaulois et anglais pour la plupart. Il n’y avait pas d’apparence que cette élection, faite sans le consentement de Rome, du sénat et des armées, pût prévaloir ; mais Dieu lui donna la victoire sur Maxentius élu à Rome, et le délivra enfin de tous ses collègues. On ne peut dissimuler qu’il ne se rendît d’abord indigne des faveurs du ciel, par le meurtre de tous ses proches, et enfin de sa femme et de son fils.

On peut douter de ce que Zosime rapporte à ce sujet. Il dit que Constantin, agité de remords après tant de crimes, demanda aux pontifes de l’empire s’il y avait quelque expiation pour lui, et qu’ils lui dirent qu’ils n’en connaissaient pas. Il est bien vrai qu’il n’y en avait point eu pour Néron, et qu’il n’avait osé assister aux sacrés mystères en Grèce. Cependant les tauroboles étaient en usage, et il est bien difficile de croire qu’un empereur tout-puissant n’ait pu trouver un prêtre qui voulût lui accorder des sacrifices expiatoires. Peut-être même est-il encore moins croyable que Constantin, occupé de la guerre, de son ambition, de ses projets, et environné de flatteurs, ait eu le temps d’avoir des remords. Zosime ajoute qu’un prêtre égyptien arrivé d’Espagne, qui avait accès à sa porte, lui promit l’expiation de tous ses crimes dans la religion chrétienne. On a soupçonné que ce prêtre était Ozius, évêque de Cordoue.

[21] Quoi qu’il en soit, Dieu réserva Constantin pour l’éclairer et pour en faire le protecteur de l’Église. Ce prince fit bâtir sa ville de Constantinople, qui devint le centre de l’empire et de la religion chrétienne. Alors l’Église prit une forme auguste. Et il est à croire que, lavé par son baptême et repentant à sa mort, il obtint miséricorde, quoiqu’il soit mort arien. Il serait bien dur que tous les partisans des deux évêques Eusèbe eussent été damnés.

Dès l’an 314, avant que Constantin résidât dans sa nouvelle ville, ceux qui avaient persécuté les chrétiens furent punis par eux de leurs cruautés. Les chrétiens jetèrent la femme de Maximien dans l’Oronte ; ils égorgèrent tous ses parents ; ils massacrèrent dans l’Égypte et dans la Palestine les magistrats qui s’étaient le plus déclarés contre le christianisme. La veuve et la fille de Dioclétien s’étant cachées à Thessalonique furent reconnues, et leurs corps jetés dans la mer. Il eût été à souhaiter que les chrétiens eussent moins écouté l’esprit de vengeance ; mais Dieu, qui punit selon sa justice, voulut que les mains des chrétiens fussent teintes du sang de leurs persécuteurs, sitôt que ces chrétiens furent en liberté d’agir[22].

Constantin convoqua, assembla dans Nicée, vis-à-vis de Constantinople, le premier concile œcuménique, auquel présida Ozius. On y décida la grande question qui agitait l’Église, touchant la divinité de Jésus-Christ[23].

On sait assez comment l’Église, ayant combattu trois cents ans contre les rites de l’empire romain, combattit ensuite contre elle-même, et fut toujours militante et triomphante.

Dans la suite des temps, l’Église grecque presque tout entière, et toute l’Église d’Afrique, devinrent esclaves sous les Arabes, et ensuite sous les Turcs[24], qui élevèrent la religion mahométane sur les ruines de la chrétienne. L’Église romaine subsista, mais toujours souillée de sang par plus de six cents ans de discorde entre l’empire d’Occident et le sacerdoce. Ces querelles mêmes la rendirent très-puissante. Les évêques, les abbés en Allemagne, se firent tous princes, et les papes acquirent peu à peu la domination absolue dans Rome et dans un pays considérable. Ainsi Dieu éprouva son Église par les humiliations, par les troubles, par les crimes, et par la splendeur.

Cette Église latine perdit au xvie siècle la moitié de l’Allemagne, le Danemark, la Suède, l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande, la meilleure partie de la Suisse, la Hollande ; elle a gagné plus de terrain en Amérique par les conquêtes des Espagnols, qu’elle n’en a perdu en Europe ; mais avec plus de territoire elle a bien moins de sujets.

La Providence divine semblait destiner le Japon, Siam, l’Inde et la Chine, à se ranger sous l’obéissance du pape, pour le récompenser de l’Asie Mineure, de la Syrie, de la Grèce, de l’Égypte, de l’Afrique, de la Russie, et des autres États perdus dont nous avons parlé. Saint François Xavier, qui porta le saint Évangile aux Indes-Orientales et au Japon, quand les Portugais y allèrent chercher des marchandises, fit un très-grand nombre de miracles, tous attestés par les RR. PP. jésuites : quelques-uns disent qu’il ressuscita neuf morts ; mais le R. P. Ribadeneira, dans sa Fleur des saints[25] se borne à dire qu’il n’en ressuscita que quatre : c’est bien assez. La Providence voulut qu’en moins de cent années il y eût des milliers de catholiques romains dans les îles du Japon ; mais le diable sema son ivraie au milieu du bon grain. Les jésuites, à ce qu’on croit, formèrent une conjuration suivie d’une guerre civile, dans laquelle tous les chrétiens furent exterminés en 1638. Alors la nation ferma ses ports à tous les étrangers, excepté aux Hollandais, qu’on regardait comme des marchands, et non pas comme des chrétiens, et qui furent d’abord obligés de marcher sur la croix pour obtenir la permission de vendre leurs denrées dans la prison où on les renferme lorsqu’ils abordent à Nangazaki.

La religion catholique, apostolique et romaine, fut proscrite à la Chine dans nos derniers temps, mais d’une manière moins cruelle. Les RR. PP. jésuites n’avaient pas, à la vérité, ressuscité des morts à la cour de Pékin ; ils s’étaient contentés d’enseigner l’astronomie, de fondre du canon, et d’être mandarins. Leurs malheureuses disputes avec des dominicains et d’autres scandalisèrent à tel point le grand empereur Yong-tching que ce prince, qui était la justice et la bonté même, fut assez aveugle pour ne plus permettre qu’on enseignât notre sainte religion, dans laquelle nos missionnaires ne s’accordaient pas. Il les chassa avec une bonté parternelle, leur fournissant des subsistances et des voitures jusqu’aux confins de son empire.

Toute l’Asie, toute l’Afrique, la moitié de l’Europe, tout ce qui appartient aux Anglais, aux Hollandais, dans l’Amérique, toutes les hordes américaines non domptées, toutes les terres australes, qui sont une cinquième partie du globe, sont demeurées la proie du démon, pour vérifier cette sainte parole : « Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. » (Matth., xx, 16[26].)


DE LA SIGNIFICATION DU MOT ÉGLISE. PORTRAIT DE L’ÉGLISE PRIMITIVE, DÉGÉNÉRATION. EXAMEN DES SOCIÉTÉS QUI ONT VOULU RÉTABLIR L’ÉGLISE PRIMITIVE, ET PARTICULIÈREMENT DES PRIMITIFS APPELÉS QUAKERS.

Ce mot grec signifiait, chez les Grecs, assemblée du peuple. Quand on traduisit les livres hébreux en grec, on rendit synagogue par église, et on se servit du même nom pour exprimer la société juive, la congrégation politique, l’assemblée juive, le peuple juif. Ainsi, il est dit dans les Nombres[27] : « Pourquoi avez-vous mené l’Église dans le désert ? » et dans le Deutéronome[28] : « L’eunuque, le Moabite, l’Ammonite, n’entreront pas dans l’Église ; les Iduméens, les Égyptiens, n’entreront dans l’Église qu’à la troisième génération. »

Jésus-Christ dit dans saint Matthieu[29] : « Si votre frère a péché contre vous (vous a offensé), reprenez-le entre vous et lui. Prenez, amenez avec vous un ou deux témoins, afin que tout s’éclaircisse par la bouche de deux ou trois témoins ; et s’il ne les écoute pas, plaignez-vous à l’assemblée du peuple, à l’Église ; et s’il n’écoute pas l’Église, qu’il soit comme un Gentil, ou un receveur des deniers publics. Je vous dis, ainsi soit-il, en vérité, tout ce que vous aurez lié sur terre sera lié au ciel, et ce que vous aurez délié sur terre sera délié au ciel. » (Allusion aux clefs des portes, dont on liait et déliait la courroie.)

Il s’agit ici de deux hommes dont l’un a offensé l’autre et persiste. On ne pouvait le faire comparaître dans l’assemblée, dans l’Église chrétienne : il n’y en avait point encore ; on ne pouvait faire juger cet homme dont son compagnon se plaignait par un évêque et par les prêtres qui n’existaient pas encore ; de plus, ni les prêtres juifs ni les prêtres chrétiens ne furent jamais juges des querelles entre particuliers : c’était une affaire de police ; les évêques ne devinrent juges que vers le temps de Valentinien III.

Les commentateurs ont donc conclu que l’écrivain sacré de cet Évangile fait parler ici notre Seigneur par anticipation ; que c’est une allégorie, une prédiction de ce qui arrivera quand l’Église chrétienne sera formée et établie.

Selden fait une remarque importante sur ce passage[30] : c’est qu’on n’excommuniait point chez les Juifs les publicains, les receveurs des deniers royaux. Le petit peuple pouvait les détester ; mais étant des officiers nécessaires, nommés par le prince, il n’était jamais tombé dans la tête de personne de vouloir les séparer de l’assemblée. Les Juifs étaient alors sous la domination du proconsul de Syrie, qui étendait sa juridiction jusqu’aux confins de la Galilée et jusque dans l’île de Chypre, où il avait des vice-gérents. Il aurait été très-imprudent de marquer publiquement son horreur pour les officiers légaux du proconsul. L’injustice même eût été jointe à l’imprudence : car les chevaliers romains, fermiers du domaine public, les receveurs de l’argent de César, étaient autorisés par les lois.

Saint Augustin, dans son sermon lxxxi, peut fournir des réflexions pour l’intelligence de ce passage. Il parle de ceux qui gardent leur haine, qui ne veulent point pardonner. « Cœpisti habere fratrem tuum tanquam publicanum. Ligas illum in terra ; sed ut juste alliges, vide : nam injusta vincula disrumpit justitia. Quum autem correxeris et concordaveris cum fratre tuo, solvisti eum in terra. — Vous regardez votre frère comme un publicain : c’est l’avoir lié sur la terre ; mais voyez si vous le liez justement, car la justice rompt les liens injustes ; mais si vous avez corrigé votre frère, si vous vous êtes accordé avec lui, vous l’avez délié sur la terre. »

Il semble, par la manière dont saint Augustin s’explique, que l’offensé ait fait mettre l’offenseur en prison, et qu’on doive entendre que s’il est jeté dans les liens sur la terre, il est aussi dans les liens célestes ; mais que si l’offensé est inexorable, il devint lié lui-même. Il n’est point question de l’Église dans l’explication de saint Augustin ; il ne s’agit que de pardonner ou de ne pardonner pas une injure. Saint Augustin ne parle point ici du droit sacerdotal de remettre les péchés de la part de Dieu. C’est un droit reconnu ailleurs, un droit dérivé du sacrement de la confession. Saint Augustin, tout profond qu’il est dans les types et dans les allégories, ne regarde pas ce fameux passage comme une allusion à l’absolution donnée ou refusée par les ministres de l’Église catholique romaine dans le sacrement de pénitence.


DU NOM D’ÉGLISE DANS LES SOCIÉTÉS CHRÉTIENNES.

On ne reconnaît dans plusieurs États chrétiens que quatre Églises, la grecque, la romaine, la luthérienne, la réformée ou calviniste. Il en est ainsi en Allemagne ; les primitifs ou quakers, les anabaptistes, les sociniens, les mennonites, les piétistes, les moraves, les juifs et autres, ne forment point d’église. La religion juive a conservé le titre de synagogue. Les sectes chrétiennes qui sont tolérées n’ont que des assemblées secrètes, des conventicules : il en est de même à Londres.

On ne reconnaît l’Église catholique ni en Suède, ni en Danemark, ni dans les parties septentrionales de l’Allemagne, ni en Hollande, ni dans les trois quarts de la Suisse, ni dans les trois royaumes de la Grande-Bretagne.

DE LA PRIMITIVE ÉGLISE, ET DE CEUX QUI ONT CRU LA RÉTABLIR.

Les Juifs, ainsi que tous les peuples de Syrie, furent divisés en plusieurs petites congrégations religieuses, comme nous l’avons vu : toutes tendaient à une perfection mystique.

Un rayon plus pur de lumière anima les disciples de saint Jean, qui subsistent encore vers Mosul. Enfin vint sur la terre le fils de Dieu annoncé par saint Jean. Ses disciples furent constamment tous égaux. Jésus leur avait dit expressément[31] : « Il n’y aura parmi vous ni premier ni dernier... Je suis venu pour servir, et non pour être servi... Celui qui voudra être le maître des autres les servira. »

Une preuve d’égalité c’est que les chrétiens, dans les commencements, ne prirent d’autre nom que celui de frères. Ils s’assemblaient et attendaient l’esprit ; ils prophétisaient quand ils étaient inspirés. Saint Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, leur dit[32] : « Si dans votre assemblée chacun de vous a le don du cantique, celui de la doctrine, celui de l’apocalypse, celui des langues, celui d’interpréter, que tout soit à l’édification. Si quelqu’un parle de la langue comme deux ou trois, et par parties, qu’il y en ait un qui interprète.

« Que deux ou trois prophètes parlent, que les autres jugent ; et que si quelque chose est révélé à un autre, que le premier se taise : car vous pouvez tous prophétiser chacun à part, afin que tous apprennent et que tous exhortent ; l’esprit de prophétie est soumis aux prophètes : car le Seigneur est un Dieu de paix... Ainsi donc, mes frères, ayez tous l’émulation de prophétiser, et n’empêchez point de parler des langues. »

J’ai traduit mot à mot, par respect pour le texte, et pour ne point entrer dans des disputes de mots.

Saint Paul, dans la même épître, convient que les femmes peuvent prophétiser, quoiqu’il leur défende au chapitre xiv de parler dans les assemblées. « Toute femme, dit-il[33], priant ou prophétisant sans avoir un voile sur la tête, souille sa tête : car c’est comme si elle était chauve. »

Il est clair, par tous ces passages et par beaucoup d’autres, que les premiers chrétiens étaient tous égaux, non-seulement comme frères en Jésus-Christ, mais comme également partagés. L’esprit se communiquait également à eux ; ils parlaient également diverses langues ; ils avaient également le don de prophétiser, sans distinction de rang, ni d’âge, ni de sexe.

Les apôtres, qui enseignaient les néophytes, avaient sans doute sur eux cette prééminence naturelle que le précepteur a sur l’écolier ; mais de juridiction, de puissance temporelle, de ce qu’on appelle honneurs dans le monde, de distinction dans l’habillement, de marque de supériorité, ils n’en avaient assurément aucune, ni ceux qui leur succédèrent. Ils possédaient une autre grandeur bien différente : celle de la persuasion.

Les frères mettaient leur argent en commun[34]. Ce furent eux-mêmes qui choisirent sept d’entre eux pour avoir soin des tables et de pourvoir aux nécessités communes. Ils élurent dans Jérusalem même ceux que nous nommons Étienne, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parmenas, et Nicolas. Ce qu’on peut remarquer, c’est que parmi ces sept élus par la communauté juive il y a six Grecs.

Après les apôtres, on ne trouve aucun exemple d’un chrétien qui ait eu sur les autres chrétiens d’autre pouvoir que celui d’enseigner, d’exhorter, de chasser les démons du corps des énergumènes, de faire des miracles. Tout est spirituel ; rien ne se ressent des pompes du monde. Ce n’est guère que dans le iiie siècle que l’esprit d’orgueil, de vanité, d’intérêt, se manifesta de tous côtés chez les fidèles.

Les agapes étaient déjà de grands festins ; on leur reprochait le luxe et la bonne chère. Tertullien l’avoue[35] : « Oui, dit-il, nous faisons grande chère ; mais dans les mystères d’Athènes et d’Égypte ne fait-on pas bonne chère aussi ? Quelque dépense que nous fassions, elle est utile et pieuse, puisque les pauvres en profitent. — Quantiscumque sumptibus constet, lucrum est pietatis, siquidem inopes refrigerio isto juvamus. »

Dans ce temps-là même, des sociétés de chrétiens qui osaient se dire plus parfaites que les autres, les montanistes par exemple, qui se vantaient de tant de prophéties et d’une morale si austère, qui regardaient les secondes noces comme des adultères, et la fuite de la persécution comme une apostasie, qui avaient si publiquement des convulsions sacrées et des extases, qui prétendaient parler à Dieu face à face, furent convaincus, à ce qu’on prétend, de mêler le sang d’un enfant d’un an au pain de l’eucharistie. Ils attirèrent sur les véritables chrétiens ce cruel reproche, qui les exposa aux persécutions.

Voici comme ils s’y prenaient, selon saint Augustin[36] ; ils piquaient avec des épingles tout le corps de l’enfant, ils pétrissaient la farine avec ce sang et en faisaient un pain : s’il en mourait, ils l’honoraient comme un martyr.

Les mœurs étaient si corrompues que les saints Pères ne cessaient de s’en plaindre. Écoutez saint Cyprien, dans son livre des Tombés [37] : « Chaque prêtre, dit-il, court après les biens et les honneurs avec une fureur insatiable. Les évêques sont sans religion, les femmes sans pudeur ; la friponnerie règne ; on jure, on se parjure ; les animosités divisent les chrétiens ; les évêques abandonnent les chaires pour courir aux foires et pour s’enrichir par le négoce ; enfin nous nous plaisons à nous seuls, et nous déplaisons à tout le monde. »

Avant ces scandales, le prêtre Novatien en avait donné un bien funeste aux fidèles de Rome : il fut le premier antipape. L’épiscopat de Rome, quoique secret et exposé à la persécution, était un objet d’ambition et d’avarice par les grandes contributions des chrétiens, et par l’autorité de la place.

Ne répétons point ici ce qui est déposé dans tant d’archives, ce qu’on entend tous les jours dans la bouche des personnes instruites, ce nombre prodigieux de schismes et de guerres ; six cents années de querelles sanglantes entre l’empire et le sacerdoce ; l’argent des nations coulant par mille canaux, tantôt à Rome, tantôt dans Avignon, lorsque les papes y fixèrent leur séjour pendant soixante et douze ans ; et le sang coulant dans toute l’Europe, soit pour l’intérêt d’une tiare si inconnue à Jésus-Christ, soit pour des questions inintelligibles dont il n’a jamais parlé. Notre religion n’en est pas moins vraie, moins sacrée, moins divine, pour avoir été souillée si longtemps dans le crime et plongée dans le carnage.

Quand la fureur de dominer, cette terrible passion du cœur humain, fut parvenue à son dernier excès, lorsque le moine Hildebrand[38] élu contre les lois évêque de Rome, arracha cette capitale aux empereurs, et défendit à tous les évêques d’Occident de porter l’ancien nom de pape pour se l’attribuer à lui seul ; lorsque les évêques d’Allemagne, à son exemple, se rendirent souverains, que tous ceux de France et d’Angleterre tâchèrent d’en faire autant, il s’éleva, depuis ces temps affreux jusqu’à nos jours, des sociétés chrétiennes qui sous cent noms différents voulurent rétablir l’égalité primitive dans le christianisme.

Mais ce qui avait été praticable dans une petite société cachée au monde ne l’était plus dans de grands royaumes. L’Église militante et triomphante ne pouvait plus être l’Église ignorée et humble. Les évêques, les grandes communautés monastiques riches et puissantes, se réunissant sous les étendards du pontife de la Rome nouvelle, combattirent alors pro aris et pro focis, pour leurs autels et pour leurs foyers. Croisades, armées, siéges, batailles, rapines, tortures, assassinats par la main des bourreaux, assassinats par la main des prêtres des deux partis, poisons, dévastations par le fer et par la flamme, tout fut employé pour soutenir ou pour humilier la nouvelle administration ecclésiastique ; et le berceau de la primitive Église fut tellement caché sous les flots de sang et sous les ossements des morts qu’on put à peine le retrouver.


DES PRIMITIFS APPELÉS QUAKERS[39].

Les guerres religieuses et civiles de la Grande-Bretagne ayant désolé l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande, dans le règne infortuné de Charles Ier, Guillaume Penn, fils d’un vice-amiral, résolut d’aller rétablir ce qu’il appelait la primitive Église sur les rivages de l’Amérique septentrionale, dans un climat doux, qui lui parut fait pour ses mœurs. Sa secte était nommée celle des trembleurs : dénomination ridicule, mais qu’ils méritaient par les tremblements de corps qu’ils affectaient en prêchant, et par un nasillonnement qui ne fut dans l’Église romaine que le partage d’une espèce de moines appelés capucins. Mais on peut, en parlant du nez et en se secouant, être doux, frugal, modeste, juste, charitable. Personne ne nie que cette société de primitifs ne donnât l’exemple de toutes ces vertus.

Penn voyait que les évêques anglicans et les presbytériens avaient été la cause d’une guerre affreuse pour un surplis, des manches de linon et une liturgie ; il ne voulut ni liturgie, ni linon, ni surplis : les apôtres n’en avaient point. Jésus-Christ n’avait baptisé personne ; les associés de Penn ne voulurent point être baptisés.

Les premiers fidèles étaient égaux : ces nouveaux venus prétendirent l’être autant qu’il est possible. Les premiers disciples reçurent l’esprit et parlaient dans l’assemblée ; ils n’avaient ni autels, ni temples, ni ornements, ni cierges, ni encens, ni cérémonies : Penn et les siens se flattèrent de recevoir l’esprit, et renoncèrent à toute cérémonie, à tout appareil. La charité était précieuse aux disciples du Sauveur : ceux de Penn firent une bourse commune pour secourir les pauvres. Ainsi ces imitateurs des esséniens et des premiers chrétiens, quoique errant dans les dogmes et dans les rites, étaient pour toutes les autres sociétés chrétiennes un modèle étonnant de morale et de police.

Enfin cet homme singulier alla s’établir avec cinq cents des siens dans le canton alors le plus sauvage de l’Amérique. La reine Christine de Suède avait voulu y fonder une colonie qui n’avait pas réussi ; les primitifs de Penn eurent plus de succès.

C’était sur les bords de la rivière Delaware, vers le quarantième degré. Cette contrée n’appartenait au roi d’Angleterre que parce qu’elle n’était réclamée alors par personne, et que les peuples nommés par nous sauvages, qui auraient pu la cultiver, avaient toujours demeuré assez loin dans l’épaisseur des forêts. Si l’Angleterre n’avait eu ce pays que par droit de conquête, Penn et ses primitifs auraient eu en horreur un tel asile. Ils ne regardaient ce prétendu droit de conquête que comme une violation du droit de la nature et comme une rapine.

Le roi Charles II déclara Penn souverain de tout ce pays désert, par l’acte le plus authentique, du 4 mars 1681. Penn, dès l’année suivante, y promulgua ses lois. La première fut la liberté civile entière, de sorte que chaque colon possédant cinquante acres de terre était membre de la législation ; la seconde, une défense expresse aux avocats et aux procureurs de prendre jamais d’argent ; la troisième, l’admission de toutes les religions, et la permission même à chaque habitant d’adorer Dieu dans sa maison, sans assister jamais à aucun culte public.

Voici cette loi telle qu’elle est portée :

« La liberté de conscience étant un droit que tous les hommes ont reçu de la nature avec l’existence, et que tous les gens paisibles doivent maintenir, il est fermement établi que personne ne sera forcé d’assister à aucun exercice public de religion.

« Mais il est expressément donné plein pouvoir à chacun de faire librement l’exercice public ou privé de sa religion, sans qu’on puisse y apporter aucun trouble ni empêchement, sous aucun prétexte, pourvu qu’il fasse profession de croire en un seul Dieu éternel, tout-puissant, créateur, conservateur, gouverneur de l’univers, et qu’il remplisse tous les devoirs de la société civile, auxquels on est obligé envers ses compatriotes. »

Cette loi est encore plus indulgente, plus humaine que celle qui fut donnée aux peuples de la Caroline par Locke, le Platon de l’Angleterre, si supérieur au Platon de la Grèce. Locke n’a permis d’autres religions publiques que celles qui seraient approuvées par sept pères de famille. C’est une autre sorte de sagesse que celle de Penn.

Mais ce qui est pour jamais honorable pour ces deux législateurs, et ce qui doit servir d’exemple éternel au genre humain, c’est que cette liberté de conscience n’a pas causé le moindre trouble. On dirait au contraire que Dieu a répandu ses bénédictions les plus sensibles sur la colonie de la Pensylvanie : elle était de cinq cents personnes en 1682 ; et en moins d’un siècle elle s’est accrue jusqu’à près de trois cent mille : c’est la proportion de cent cinquante à un. La moitié des colons est de la religion primitive ; vingt autres religions composent l’autre moitié. Il y a douze beaux temples dans Philadelphie, et d’ailleurs chaque maison est un temple. Cette ville a mérité son nom d’amitié fraternelle. Sept autres villes et mille bourgades fleurissent sous cette loi de concorde. Trois cents vaisseaux partent du port tous les ans.

Cet établissement, qui semble mériter une durée éternelle, fut sur le point de périr dans la funeste guerre de 1755, quand d’un côté les Français avec leurs alliés sauvages, et les Anglais avec les leurs, commencèrent par se disputer quelques glaçons de l’Acadie. Les primitifs, fidèles à leur christianisme pacifique, ne voulurent point prendre les armes. Des sauvages tuèrent quelques-uns de leurs colons sur la frontière : les primitifs n’usèrent point de représailles ; ils refusèrent même longtemps de payer des troupes ; ils dirent au général anglais ces propres paroles : « Les hommes sont des morceaux d’argile qui se brisent les uns contre les autres ; pourquoi les aiderions-nous à se briser ? »

Enfin dans l’assemblée générale par qui tout se règle, les autres religions l’emportèrent ; on leva des milices : les primitifs contribuèrent, mais ils ne s’armèrent point. Ils obtinrent ce qu’ils s’étaient proposé, la paix avec leurs voisins. Ces prétendus sauvages leur dirent : « Envoyez-nous quelque descendant du grand Penn, qui ne nous trompa jamais ; nous traiterons avec lui. » On leur députa un petit-fils de ce grand homme, et la paix fut conclue.

Plusieurs primitifs avaient des esclaves nègres pour cultiver leurs terres ; mais ils ont été honteux d’avoir en cela imité les autres chrétiens : ils ont donné la liberté à leurs esclaves en 1769.

Toutes les autres colonies les imitent aujourd’hui dans la liberté de conscience : et quoiqu’il y ait des presbytériens et des gens de la haute Église, personne n’est gêné dans sa croyance. C’est ce qui a égalé le pouvoir des Anglais en Amérique à la puissance espagnole, qui possède l’or et l’argent. Il y aurait un moyen sûr d’énerver toutes les colonies anglaises, ce serait d’y établir l’Inquisition.

N. B. L’exemple des primitifs nommés quakers a produit dans la Pensylvanie une société nouvelle dans un canton qu’elle appelle Eufrate : c’est la secte des dunkards, ou des dumplers, Beaucoup plus détachée du monde que celle de Penn, espèce de religieux hospitaliers, tous vêtus uniformément ; elle ne permet pas aux mariés d’habiter la ville d’Eufrate : ils vivent à la campagne, qu’ils cultivent. Le trésor public fournit à tous leurs besoins dans les disettes. Cette société n’administre le baptême qu’aux adultes ; elle rejette le péché originel comme une impiété, et l’éternité des peines comme une barbarie. Leur vie pure ne leur laisse pas imaginer que Dieu puisse tourmenter ses créatures cruellement et éternellement. Égarés dans un coin du nouveau monde, loin du troupeau de l’Église catholique, ils sont jusqu’à présent, malgré cette malheureuse erreur, les plus justes et les plus inimitables des hommes.


QUERELLE ENTRE L’ÉGLISE GRECQUE ET LA LATINE DANS L’ASIE ET DANS L’EUROPE.

Les gens de bien gémissent, depuis environ quatorze siècles, que les deux Églises grecque et latine aient été toujours rivales, et que la robe de Jésus-Christ, qui était sans couture, ait été toujours déchirée. Cette division est bien naturelle. Rome et Constantinople se haïssaient ; quand les maîtres se détestent, leurs aumôniers ne s’aiment pas. Les deux communions se disputaient la supériorité de la langue, l’antiquité des siéges, la science, l’éloquence, le pouvoir.

Il est vrai que les Grecs eurent longtemps tout l’avantage : ils se vantaient d’avoir été les maîtres des Latins, et de leur avoir tout enseigné. Les Évangiles furent écrits en grec. Il n’y avait pas un dogme, un rite, un mystère, un usage qui ne fût grec ; depuis le mot de baptême jusqu’au mot d’eucharistie, tout était grec. On ne connut de Pères de l’Église que parmi les Grecs jusqu’à saint Jérôme, qui même n’était pas Romain, puisqu’il était de Dalmatie. Saint Augustin, qui suivit de près saint Jérôme, était Africain. Les sept grands conciles œcuméniques furent tenus dans des villes grecques ; les évêques de Rome n’y parurent jamais, parce qu’ils ne savaient que leur latin, qui même était déjà corrompu.

L’inimitié entre Rome et Constantinople éclata dès l’an 452, au concile de Chalcédoine, assemblé pour décider si Jésus-Christ avait eu deux natures et une personne, ou deux personnes avec une nature. On y décida que l’Église de Constantinople était en tout égale à celle de Rome pour les honneurs, et le patriarche de l’une égal en tout au patriarche de l’autre. Le pape saint Léon souscrivit aux deux natures ; mais ni lui ni ses successeurs ne souscrivirent à l’égalité. On peut dire que dans cette dispute de rang et de prééminence on allait directement contre les paroles de Jésus-Christ rapportées dans l’Évangile : « Il n’y aura parmi vous ni premier ni dernier. » Les saints sont saints, mais l’orgueil se glisse partout : le même esprit qui fait écumer de colère le fils d’un maçon devenu évêque d’un village, quand on ne l’appelle pas monseigneur[40], a brouillé l’univers chrétien.

Les Romains furent toujours moins disputeurs, moins subtils que les Grecs ; mais ils furent bien plus politiques. Les évêques d’Orient, en argumentant, demeurèrent sujets ; celui de Rome, sans arguments, sut établir enfin son pouvoir sur les ruines de l’empire d’Occident ; et on pouvait dire des papes ce que Virgile dit des Scipions et des Césars :

Romanos rerum dominos gentemque togatam.

(Virg., Æneid., I, 286.)

vers digne de Virgile, rendu comiquement par un de nos vieux traducteurs :

Tous gens en robe et souverains des rois.

La haine devint une scission du temps de Photius, pâpa ou surveillant de l’Église bizantine, et Nicolas Ier, pâpa ou surveillant de l’Église romaine. Comme malheureusement il n’y eut presque jamais de querelle ecclésiastique sans ridicule, il arriva que le combat commença par deux patriarches qui étaient tous deux eunuques : Ignace et Photius, qui se disputaient la chaire de Constantinople, étaient tous deux chaponnés. Cette mutilation leur interdisant la vraie paternité, ils ne pouvaient être que Pères de l’Église.

On dit que les châtrés sont tracassiers, malins, intrigants. Ignace et Photius troublèrent toute la cour grecque.

Le Latin Nicolas Ier ayant pris le parti d’Ignace, Photius déclara ce pape hérétique, attendu qu’il admettait la procession du souffle de Dieu, du Saint-Esprit, par le Père et par le Fils, contre la décision unanime de toute l’Église, qui ne l’avait fait procéder que du Père.

Outre cette procession hérétique, Nicolas mangeait et faisait manger des œufs et du fromage en carême. Enfin, pour comble d’infidélité, le pâpa romain se faisait raser la barbe, ce qui était une apostasie manifeste aux yeux des pâpas grecs, vu que Moïse, les patriarches et Jésus-Christ, étaient toujours peints barbus par les peintres grecs et latins.

Lorsqu’en 879 le patriarche Photius fut rétabli dans son siége par le huitième concile œcuménique grec, composé de quatre cents évêques dont trois cents l’avaient condamné dans le concile œcuménique précédent, alors le pape Jean VIII le reconnut pour son frère. Deux légats, envoyés par lui à ce concile, se joignirent à l’Église grecque, et déclarèrent Judas quiconque dirait que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; mais ayant persisté dans l’usage de se raser le menton et de manger des œufs en carême, les deux Églises restèrent toujours divisées.

Le schisme fut entièrement consommé l’an 1053 et 1054, lorsque Michel Cerularius, patriarche de Constantinople, condamna publiquement l’évêque de Rome Léon IX et tous les Latins, ajoutant à tous les reproches de Photius qu’ils osaient se servir de pain azyme dans l’eucharistie, contre la pratique des apôtres ; qu’ils commettaient le crime de manger du boudin, et de tordre le cou aux pigeons au lieu de le leur couper pour les cuire. On ferma toutes les églises latines dans l’empire grec, et on défendit tout commerce avec quiconque mangeait du boudin.

Le pape Léon IX négocia sérieusement cette affaire avec l’empereur Constantin Monomaque, et obtint quelques adoucissements. C’était précisément le temps où ces célèbres gentilshommes normands, enfants de Tancrède de Hauteville, se moquant du pape et de l’empereur grec, prenaient tout ce qu’ils pouvaient dans la Fouille et dans la Calabre, et mangeaient du boudin effrontément. L’empereur grec favorisa le pape autant qu’il put ; mais rien ne réconcilia les Grecs avec nos Latins. Les Grecs regardaient leurs adversaires comme des barbares qui ne savaient pas un mot de grec.

L’irruption des croisés, sous prétexte de délivrer les saints lieux, et dans le fond pour s’emparer de Constantinople, acheva de rendre les Romains odieux.

Mais la puissance de l’Église latine augmenta tous les jours, et les Grecs furent enfin conquis peu à peu par les Turcs. Les papes étaient depuis longtemps de puissants et riches souverains : toute l’Église grecque fut esclave depuis Mahomet II, excepté la Russie, qui était alors un pays barbare, et dont l’Église n’était pas comptée.

Quiconque est un peu instruit des affaires du Levant sait que le sultan confère le patriarcat des Grecs par la crosse et par l’anneau, sans crainte d’être excommunié, comme le furent les empereurs allemands par les papes pour cette cérémonie.

Rien est-il vrai que l’Église de Stamboul a conservé en apparence la liberté d’élire son archevêque ; mais elle n’élit que celui qui est indiqué par la Porte-Ottomane. Cette place coûte à présent environ quatre-vingt mille francs, qu’il faut que l’élu reprenne sur les Grecs. S’il se trouve quelque chanoine accrédité qui offre plus d’argent au grand-vizir, on dépossède le titulaire, et on donne la place au dernier enchérisseur, précisément comme Marozia et Théodora donnaient le siége de Rome dans le xe siècle. Si le patriarche titulaire résiste, on lui donne cinquante coups de bâton sur la plante des pieds, et on l’exile. Quelquefois on lui coupe la tête, comme il arriva au partriarche Lucas Cyrille, en 1638.

Le Grand Turc donne ainsi tous les autres évêchés moyennant finance, et la somme à laquelle chaque évêché fut taxé sous Mahomet II est toujours exprimée dans la patente ; mais le supplément qu’on a payé n’y est pas énoncé. On ne sait jamais au juste combien un prêtre grec achète son évêché.

Ces patentes sont plaisantes : « J’accorde à N***, prêtre chrétien, le présent mandement pour perfection de félicité. Je lui commande de résider en la ville ci-nommée, comme évêque des infidèles chrétiens, selon leur ancien usage et leurs vaines et extravagantes cérémonies ; voulant et ordonnant que tous les chrétiens de ce district le reconnaissent, et que nul prêtre ni moine ne se marie sans sa permission (c’est-à-dire sans payer). »

L’esclavage de cette Église est égal à son ignorance, mais les Grecs n’ont que ce qu’ils ont mérité ; ils ne s’occupaient que de leurs disputes sur la lumière du Thabor et sur celle de leur nombril, lorsque Constantinople fut prise.

On espère qu’au moment où nous écrivons ces douloureuses vérités, l’impératrice de Russie Catherine II rendra aux Grecs leur liberté. On souhaite qu’elle puisse leur rendre le courage et l’esprit qu’ils avaient du temps de Miltiade, de Thémistocle, et qu’ils aient de bons soldats et moins de moines au mont Athos[41].


DE LA PRÉSENTE ÉGLISE GRECQUE.

Si quelque chose peut nous donner une grande idée des mahométans, c’est la liberté qu’ils ont laissée à l’Église grecque. Ils ont paru dignes de leurs conquêtes, puisqu’ils n’en ont point abusé. Mais il faut avouer que les Grecs n’ont pas trop mérité la protection que les musulmans leur accordent ; voici ce qu’en dit M. Porter, ambassadeur d’Angleterre en Turquie :

« Je voudrais tirer le rideau sur ces disputes scandaleuses des Grecs et des Romains au sujet de Bethléem et de la Terre-Sainte, comme ils l’appellent. Les procédés iniques, odieux, qu’elles occasionnent entre eux font la honte du nom chrétien. Au milieu de ces débats, l’ambassadeur chargé de protéger la communion romaine, malgré sa dignité éminente, devient véritablement un objet de compassion.

« Il se lève dans tous les pays de la croyance romaine des sommes immenses pour soutenir contre les Grecs des prétentions équivoques à la possession précaire d’un coin de terre réputée sacrée, et pour conserver entre les mains des moines de leur communion les restes d’une vieille étable à Bethléem, où l’on a érigé une chapelle, et où, sur l’autorité incertaine d’une tradition orale, on prétend que naquit le Christ ; de même qu’un tombeau, qui peut être, et plus vraisemblablement peut n’être pas ce qu’on appelle son sépulcre : car la situation exacte de ces deux endroits est aussi peu certaine que la place qui recèle les cendres de César. »

Ce qui rend les Grecs encore plus méprisables aux yeux des Turcs, c’est le miracle qu’ils font tous les ans au temps de Pâques. Le malheureux évêque de Jérusalem s’enferme dans le petit caveau qu’on fait passer pour le tombeau de notre Seigneur Jésus-Christ, avec des paquets de petite bougie ; il bat le briquet, allume un de ces petits cierges, et sort de son caveau en criant : « Le feu du ciel est descendu, et la sainte bougie est allumée. » Tous les Grecs aussitôt achètent de ces bougies, et l’argent se partage entre le commandant turc et l’évêque.

On peut juger par ce seul trait de l’état déplorable de cette Église sous la domination du Turc.

L’Église grecque, en Russie, a pris depuis peu une consistance beaucoup plus respectable, depuis que l’impératrice Catherine II l’a délivrée du soin de son temporel ; elle lui a ôté quatre cent mille esclaves qu’elle possédait. Elle est payée aujourd’hui du trésor impérial ; entièrement soumise au gouvernement, contenue par des lois sages, elle ne peut faire que du bien ; elle devient tous les jours savante et utile. Elle a aujourd’hui un prédicateur nommé Platon, qui a fait des sermons que l’ancien Platon grec n’aurait pas désavoués.


  1. Cet article a paru tel qu’il est ici dans les Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771 ; mais une partie avait été publiée précédemment. (B).
  2. Livre V, chapitre xvii. (Note de Voltaire.)
  3. Hist., chapitre xii. (Id.)
  4. Ce qui suit avait déjà, en grande partie, été imprimé en 1764, dans le Dictionnaire philosophique, an mot Christianisme. (B.)
  5. Plus connus sous le nom de zélateurs ou zélotes. Les chefs de ce parti furent Juda le Gaulanite, appelé aussi le Galiléen, et le pharisien Sadock. Ils enseignaient que les Juifs devaient plutôt mourir que de se soumettre à une puissance humaine. (G. A.)
  6. Cet alinéa et le suivant n’existaient pas en 1701. (B.)
  7. Les récabites ou réchabites dataient de loin. Ils descendaient de Jonadab, fils de Réchab, ami de Jéhu. Ils avaient fait vœu de vivre sous des tentes, en nomades. Mais, au temps de l’invasion de Nabuchodonosor, ils s’étaient réfugiés à Jérusalem. (G. A.)
  8. Lorsque ce morceau était en 1764 dans le Dictionnaire philosophique, au lieu des deux alinéas qui suivent, on lisait :

    « Il y avait, dans les premières années qui suivirent la mort de Jésus, sept sociétés ou sectes différentes chez les Juifs : les pharisiens, les saducéens, les esséniens, les judaïtes, les thérapeutes, les disciples de Jean, et les disciples de Christ, dont Dieu conduisait le petit troupeau dans les sentiers inconnus à la sagesse humaine.

    « Les fidèles eurent le nom de chrétiens dans Antioche vers l’année 60 de notre ère vulgaire ; mais ils furent connus dans l’empire romain, comme nous le verrons dans la suite, sous d’autres noms. Ils ne se distinguaient auparavant que par le nom de frères, de saints ou de fidèles. Dieu, qui était descendu, etc. » (B.)

  9. Lisez Tarse.
  10. Saint Jérôme dit qu’il était de Giscala en Galilée. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XVII, page 329.
  11. « Son père, dit M. Renan, était en possession du titre de citoyen romain. Sans doute quelqu’un de ses ancêtres avait acheté cette qualité, ou l’avait acquise par des services. On peut supposer que son grand-père l’avait obtenue pour avoir aidé Pompée lors de la conquête romaine. »
  12. Paul était tapissier, selon M. Renan, ou, si l’on aime mieux, ouvrier en ces grosses toiles de Cilicie qu’on appelait cilicium.
  13. Dans la Conversation de l’intendant des menus (voyez Mélanges, année 1761), et dans le chapitre xi du Traité sur la Tolérance (Mélanges, année 1763).
  14. Cet alinéa n’existait pas en 1764. (B.)
  15. C’est ici que finit le passage qu’on lisait, en 1764, dans le Dictionnaire philosophique, et qui, dans l’édition de Kehl, conservé au mot Christianisme, section ii, y faisait double emploi.

    Dans l’édition de 1764, après le mot insensibles, on lisait : « Il faut voir dans quel état, etc. » (voyez page 168). (B.)

  16. Ce qui suit, jusqu’à la page 490, se trouvait aussi Christianisme (voyez ci-devant, page 173). (B.)
  17. L’Octavius, chapitre viii, porte : Latebrosa et lucifugax natio. (B.)
  18. Dupin, dans sa Bibliothèque ecclésiastique, prouve que cette lettre est authentique. (Note de Voltaire.)
  19. Acta primorum martyrum sincera et selecta, Paris, 1689, in-4o ; traduit en français par Drouet de Maupertuy. Paris, 1708, in-8o. (E. B.)
  20. La légende du jeune Romanus se trouve déjà racontée à l’article Dioclétien, page 388.
  21. En 1764, on lisait : « Quoi qu’il en soit, Constantin communia avec les chrétiens, bien qu’il ne fût jamais que catéchumène, et réserva son baptême pour le moment de sa mort. Il fit bâtir sa ville de Constantinople, qui devint le centre de l’empire et de la religion chrétienne. Alors l’Église prit une forme auguste.

    Il est à remarquer que, dès l’an 314, etc. » (B.)

  22. C’est ici que finit le second morceau, qui se trouvait aussi à l’article Christianisme, ainsi qu’il a été dit page 483. (B.)
  23. Voyez les articles Arianisme ; Christianisme, section ii ; et Conciles. (Note de Voltaire.)
  24. Cette page et la page suivante faisaient le troisième double emploi avec l’article Christianisme (voyez ci-devant, page 175). (B.)
  25. Flos sanctorum, o Libro de las vidas de los santos, première partie, Madrid, 1590, in-folio ; seconde partie, Madrid, 1610, in-folio. L’ouvrage a été réimprimé, traduit en latin, en italien, en français. Il existe une autre Fleur des saints, par Alphonse de Villegas, Madrid, 1652 et suiv., 6 volumes in-folio.
  26. C’est ici que finit le morceau qui faisait double emploi dans l’article Christianisme (voyez page précédente). (B.)
  27. Chapitre xx, v. 4. (Note de Voltaire.)
  28. Chapitre xxiii, v. 1, 2, 3. (Id.)
  29. Chapitre xxviii. (Id.
  30. In Synedris Hebrœorum, lib. II. (Id.)
  31. Matthieu, chapitre xx et Marc, chapitres ix et x. (Note de Voltaire.)
  32. Chapitre xiv, v. 26 et suiv. (Id.)
  33. Chapitre xi, v. 5. (Id.)
  34. Actes des apôtres, chapitre vi, (Note de Voltaire.)
  35. Tertullien, chapitre xxxix. (Id.)
  36. Augustin, De Hœresibus, hœres. xxvi. (Note de Voltaire.)
  37. Voyez les Œuvres de saint Cyprien, et l’Histoire ecclésiastique de Fleury, tome II, page 168, édition in-12, 1725. (Id.)
  38. Grégoire VII.
  39. Voyez aussi sur les quakers et sur G. Penn les quatre premières Lettres sur les Anglais (Mélanges, année 1734), et l’article Quakers, dans le Dictionnaire philosophique.
  40. Biord, évêque d’Annecy. (K.)
  41. Cet article parut en 1771, dans les Questions sur l’Encyclopédie. Catherine faisait alors la guerre aux Turcs, et Voltaire lui écrivait, dès le 22 décembre 1770 : «... Votre Majesté aurait peut-être le temps de s’amuser d’une espèce de petite Encyclopédie nouvelle, qui paraît devers le mont Jura. Il y est parlé de votre très-admirable personne dès la page 17 du Ier tome, à propos de l’alphabet. Il faut que l’auteur soit bien plein de vous, puisqu’il vous met partout où il peut. Je ne sais pas quel est cet auteur, mais sans doute c’est un homme à qui vous avez marqué de la bonté, et qui doit parler de Votre Majesté au mot Reconnaissance. Il y a, dit-on, en France, des gens qui trouvent cela mauvais... » Et, le 6 mai 1771 : « Je mets à vos pieds le IVe et le Ve tome des Questions sur l’Encyclopédie : je ne puis m’empêcher de parler de temps en temps de mon gros Moustapha... etc. »


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