Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Épigramme

La bibliothèque libre.
Éd. Garnier - Tome 18
◄  Envie Épigramme Épiphanie   ►



ÉPIGRAMME[1].

Ce mot veut dire proprement inscription; ainsi une épigramme devait être courte. Celles de l’Anthologie grecque sont pour la plupart fines et gracieuses ; elles n’ont rien des images grossières que Catulle et Martial ont prodiguées, et que Marot et d’autres ont imitées. En voici quelques-unes traduites avec une brièveté dont on a souvent reproché à la langue française d’être privée. L’auteur est inconnu[2].


Sur les sacrifices à Hercule.

Un peu de miel, un peu de lait,
Rendent Mercure favorable ;
Hercule est bien plus cher, il est bien moins traitable ;
Sans deux agneaux par jour il n’est point satisfait.
On dit qu’à mes moutons ce dieu sera propice.
Qu’il soit béni ! mais entre nous,
C’est un peu trop en sacrifice :
Qu’importe qui les mange, ou d’Hercule ou des loups[3] ?


Sur Laïs, qui remit son miroir dans le temple de Vénus.

Je le donne à Vénus puisqu’elle est toujours belle ;
Il redouble trop mes ennuis :
Je ne saurais me voir dans ce miroir fidèle
Ni telle que j’étais, ni telle que je suis.


Sur une statue de Vénus.

Oui, je me montrai toute nue.
Au dieu Mars, au bel Adonis,
À Vulcain même, et j’en rougis ;
Mais Praxitèle, où m’a-t-il vue ?


Sur une statue de Niobé.

Le fatal courroux des dieux
Changea cette femme en pierre ;
Le sculpteur a fait bien mieux :
Il a fait tout le contraire.


Sur des fleurs, à une fille grecque qui passait pour être fière.

Je sais bien que ces fleurs nouvelles
Sont loin d’égaler vos appas ;
Ne vous enorgueillissez pas :
Le temps vous fanera comme elles.


Sur Léandre, qui nageait vers la tour d’Héro pendant une tempête
(Épigramme imitée depuis par Martial[4].)

Léandre, conduit par l’Amour,
En nageant, disait aux orages :
Laissez-moi gagner les rivages,
Ne me noyez qu’à mon retour.

À travers la faiblesse de la traduction, il est aisé d’entrevoir la délicatesse et les grâces piquantes de ces épigrammes. Qu’elles sont différentes des grossières images trop souvent peintes dans Catulle et dans Martial !

At nunc pro cervo mentula supposita est.

(Martial, III, 91.)

Teque puta cunnos, uxor, habere duos.

(Martial, XI, 44.)

Marot en a fait quelques-unes, où l’on retrouve toute l’aménité de la Grèce.

Plus ne suis ce que j’ai été
Et ne le saurois jamais être ;
Mon beau printemps et mon été
Ont fait le saut par la fenêtre.
Amour, tu as été mon maître,
Je t’ai servi sur tous les dieux.
Ô ! si je pouvois deux fois naître,
Comment je te servirois mieux !

Sans le printemps et l’été qui font le saut par la fenêtre, cette épigramme serait digne de Callimaque.

Je n’oserais en dire autant de ce rondeau, que tant de gens de lettres ont si souvent répété :

Au bon vieux temps un train d’amour régnoit
Qui sans grand art et dons se démenoit,
Si qu’un bouquet donné d’amour profonde
C’était donner toute la terre ronde,
Car seulement au cœur on se prenoit ;
Et si par cas à jouir on venoit,
Savez-vous bien comme on s’entretenoit ?
Vingt ans, trente ans ; cela duroit un monde
Au bon vieux temps.

Or est perdu ce qu’amour ordonnoit[5],
Rien que pleurs feints, rien que changes on n’oit.
Qui voudra donc qu’à aimer je me fonde,
Il faut premier que l’amour on refonde,
Et qu’on la mène ainsi qu’on la menoit
Au bon vieux temps[6].

Je dirais d’abord que peut-être ces rondeaux, dont le mérite est de répéter à la fin de deux couplets les mots qui commencent ce petit poëme, sont une invention gothique et puérile, et que les Grecs et les Romains n’ont jamais avili la dignité de leurs langues harmonieuses par ces niaiseries difficiles.

Ensuite je demanderais ce que c’est qu’un train d’amour qui règne, un train qui se démène sans dons. Je pourrais demander si venir à jouir par cas sont des expressions délicates et agréables ; si s’entretenir et se fonder à aimer ne tiennent pas un peu de la barbarie du temps, que Marot adoucit dans quelques-unes de ses petites poésies.

Je penserais que refondre l’amour est une image bien peu convenable ; que si on le refond on ne le mène pas ; et je dirais enfin que les femmes pouvaient répliquer à Marot : Que ne le refonds-tu toi-même ? quel gré te saura-t-on d’un amour tendre et constant, quand il n’y aura point d’autre amour ?

Le mérite de ce petit ouvrage semble consister dans une facilité naïve ; mais que de naïvetés dégoûtantes dans presque tous les ouvrages de la cour de François Ier !

[7] Ton vieux couteau, Pierre Martel, rouillé,
Semble ton v.. jà retrait et mouillé ;
Et le fourreau tant laid où tu l’engaînes,
C’est que toujours as aimé vieilles gaines.
Quant à la corde à quoi il est lié,
C’est qu’attaché seras et marié.
Au manche aussi de corne connoît-on
Que tu seras cornu comme un mouton.
Voilà le sens, voilà la prophétie
De ton couteau, dont je te remercie.

Est-ce un courtisan qui est l’auteur d’une telle épigramme ? est-ce un matelot ivre dans un cabaret ? Marot, malheureusement, n’en a que trop fait dans ce genre.

Les épigrammes qui ne roulent que sur des débauches de moines et sur des obscénités sont méprisées des honnêtes gens ; elles ne sont goûtées que par une jeunesse effrénée, à qui le sujet plaît beaucoup plus que le style. Changez l’objet, mettez d’autres acteurs à la place, alors ce qui vous amusait paraîtra dans toute sa laideur.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)
  2. C’est Voltaire lui-même.
  3. Cette première épigramme et la quatrième (sur Niobé) ont été l’objet des remarques de M. Boissonade, dans les Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi, tome X, page 251, à la note.
  4. Spect. xxv ou xxviii, et livre XIV, 179 ou 181. Chardon de La Rochette (Mélanges, i, 287) remarque que l’on chercherait vainement dans l’Anthologie l’original des vers de Martial, qui peut cependant les avoir traduits ou imites d’une pièce grecque qui ne nous sera pas parvenue.
  5. Il est évident qu’alors on prononçait tous les oi rudement, prenoit, démenoit, ordonnoit, et non pas ordonnait, démenait, prenait, puisque ces terminaisons rimaient avec oit. Il est évident encore qu’on se permettait les bâillements, les hiatus. (Note de Voltaire.)
  6. Marot, rondeau lxiv.
  7. Marot, épigramme 209.


Envie

Épigramme

Épiphanie