Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Cérémonies titres prééminences

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Éd. Garnier - Tome 18
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CÉRÉMONIES, TITRES, PRÉÉMINENCE[1], ETC.

Toutes ces choses, qui seraient inutiles, et même fort impertinentes dans l’état de pure nature, sont fort utiles dans l’état de notre nature corrompue et ridicule.

Les Chinois sont de tous les peuples celui qui a poussé le plus loin l’usage des cérémonies : il est certain qu’elles servent à calmer l’esprit autant qu’à l’ennuyer. Les portefaix, les charretiers chinois, sont obligés, au moindre embarras qu’ils causent dans les rues, de se mettre à genoux l’un devant l’autre, et de se demander mutuellement pardon selon la formule prescrite. Cela prévient les injures, les coups, les meurtres ; ils ont le temps de s’apaiser, après quoi ils s’aident mutuellement.

Plus un peuple est libre, moins il a de cérémonies, moins de titres fastueux, moins de démonstrations d’anéantissement devant son supérieur. On disait à Scipion : Scipion ; et à César : César ; et dans la suite des temps on dit aux empereurs : Votre majesté, votre divinité.

Les titres de saint Pierre et de saint Paul étaient Pierre et Paul. Leurs successeurs se donnèrent réciproquement le titre de votre sainteté, que l’on ne voit jamais dans les Actes des apôtres, ni dans les écrits des disciples.

Nous lisons dans l’Histoire d’Allemagne que le dauphin de France, qui fut depuis le roi Charles V, alla vers l’empereur Charles IV à Metz, et qu’il passa après le cardinal de Périgord.

Il fut ensuite un temps où les chanceliers eurent la préséance sur les cardinaux, après quoi les cardinaux remportèrent sur les chanceliers.

Les pairs précédèrent en France les princes du sang, et ils marchèrent tous en ordre de pairie jusqu’au sacre de Henri III.

La dignité de la pairie était avant ce temps si éminente qu’à la cérémonie du sacre d’Élisabeth, épouse de Charles IX, en 1571, décrite par Simon Bouquet, échevin de Paris, il est dit que « les dames et damoiselles de la reine ayant baillé à la dame d’honneur le pain, le vin, et le cierge avec l’argent pour l’offerte, pour être présentés à la reine par ladite dame d’honneur, cette dite dame d’honneur, pour ce qu’elle était duchesse, commanda aux dames d’aller porter elles-mêmes l’offerte aux princesses, etc. » Cette dame d’honneur était la connétable de Montmorency.

[2] Le fauteuil à bras, la chaise à dos, le tabouret, la main droite et la main gauche, ont été pendant plusieurs siècles d’importants objets de politique, et d’illustres sujets de querelles. Je crois que l’ancienne étiquette concernant les fauteuils vient de ce que chez nos barbares de grands-pères il n’y avait qu’un fauteuil tout au plus dans une maison, et ce fauteuil même ne servait que quand on était malade. Il y a encore des provinces d’Allemagne et d’Angleterre où un fauteuil s’appelle une chaise de doléance.

Longtemps après Attila et Dagobert, quand le luxe s’introduisit dans les cours, et que les grands de la terre eurent deux ou trois fauteuils dans leurs donjons, ce fut une belle distinction de s’asseoir sur un de ces trônes ; et tel seigneur châtelain prenait acte comment, ayant été à demi-lieue de ses domaines faire sa cour à un comte, il avait été reçu dans un fauteuil à bras.

On voit par les Mémoires de Mademoiselle, que cette auguste princesse passa un quart de sa vie dans les angoisses mortelles des disputes pour des chaises à dos. Devait-on s’asseoir dans une certaine chambre sur une chaise, ou sur un tabouret, ou même ne point s’asseoir ? Voilà ce qui intriguait toute une cour. Aujourd’hui les mœurs sont plus unies ; les canapés et les chaises longues sont employés par les dames, sans causer d’embarras dans la société.

Lorsque le cardinal de Richelieu traita du mariage de Henriette de France et de Charles Ier avec les ambassadeurs d’Angleterre, l’affaire fut sur le point d’être rompue pour deux ou trois pas de plus que les ambassadeurs exigeaient auprès d’une porte, et le cardinal se mit au lit pour trancher toute difficulté. L’histoire a soigneusement conservé cette précieuse circonstance. Je crois que si on avait proposé à Scipion de se mettre nu entre deux draps pour recevoir la visite d’Annibal, il aurait trouvé cette cérémonie fort plaisante.

La marche des carrosses, et ce qu’on appelle le haut du pavé, ont été encore des témoignages de grandeur, des sources de prétentions, de disputes et de combats, pendant un siècle entier. On a regardé comme une signalée victoire de faire passer un carrosse devant un autre carrosse. Il semblait, à voir les ambassadeurs se promener dans les rues, qu’ils disputassent le prix dans des cirques ; et quand un ministre d’Espagne avait pu faire reculer un cocher portugais, il envoyait un courrier à Madrid informer le roi son maître de ce grand avantage.

[3] Nos histoires nous réjouissent par vingt combats à coups de poing pour la préséance : le parlement contre les clercs de l’évêque, à la pompe funèbre de Henri IV ; la chambre des comptes contre le parlement dans la cathédrale, quand Louis XIII donna la France à la Vierge ; le duc d’Épernon dans l’église de Saint-Germain contre le garde des sceaux du Vair. Les présidents des enquêtes gourmèrent dans Notre-Dame le doyen des conseillers de grand’chambre Savare, pour le faire sortir de sa place d’honneur (tant l’honneur est l’âme des gouvernements monarchiques !) ; et on fut obligé de faire empoigner par quatre archers le président Barillon, qui frappait comme un sourd sur ce pauvre doyen. Nous ne voyons point de telles contestations dans l’aréopage ni dans le sénat romain.

À mesure que les pays sont barbares, ou que les cours sont faibles, le cérémonial est plus en vogue. La vraie puissance et la vraie politesse dédaignent la vanité.

Il est à croire qu’à la fin on se défera de cette coutume, qu’ont encore quelquefois les ambassadeurs, de se ruiner pour aller en procession par les rues avec quelques carrosses de louage rétablis et redorés, précédés de quelques laquais à pied. Cela s’appelle faire son entrée ; et il est assez plaisant de faire son entrée dans une ville sept ou huit mois après qu’on y est arrivé.

Cette importante affaire du puntiglio, qui constitue la grandeur des Romains modernes ; cette science du nombre des pas qu’on doit faire pour reconduire un monsignore, d’ouvrir un rideau à moitié ou tout à fait, de se promener dans une chambre à droite ou à gauche[4] ; ce grand art, que les Fabius et les Caton n’auraient jamais deviné, commence à baisser, et les caudataires des cardinaux se plaignent que tout annonce la décadence.

[5] Un colonel français était dans Bruxelles un an après la prise de cette ville par le maréchal de Saxe ; et, ne sachant que faire, il voulut aller à l’assemblée de la ville. « Elle se tient chez une princesse, lui dit-on. — Soit, répondit l’autre, que m’importe ? — Mais il n’y a que des princes qui aillent là : êtes-vous prince ? — Va, va, dit le colonel, ce sont de bons princes ; j’en avais l’année passée une douzaine dans mon antichambre quand nous eûmes pris la ville, et ils étaient tous fort polis. »

[6] En relisant Horace, j’ai remarqué ce vers dans une épître à Mécène (I, ep. vii) : « Te, dulcis amice, revisam. J’irai vous voir, mon bon ami. » Ce Mécène était la seconde personne de l’empire romain, c’est-à-dire un homme plus considérable et plus puissant que ne l’est aujourd’hui le plus grand monarque de l’Europe.

En relisant Corneille, j’ai remarqué que dans une lettre au grand Scudéri, gouverneur de Notre-Dame de la Garde, il s’exprime ainsi au sujet du cardinal de Richelieu : « Monsieur le cardinal, votre maître et le mien. » C’est peut-être la première fois qu’on a parlé ainsi d’un ministre, depuis qu’il y a dans le monde des ministres, des rois, et des flatteurs. Le même Pierre Corneille, auteur de Cinna, dédie humblement ce Cinna au sieur de Montauron, trésorier de l’épargne, qu’il compare sans façon à Auguste. Je suis fâché qu’il n’ait pas appelé Montauron monseigneur.

On conte qu’un vieil officier qui savait peu le protocole de la vanité, ayant écrit au marquis de Louvois : Monsieur, et n’ayant point eu de réponse, lui écrivit : Monseigneur, et n’en obtint pas davantage, parce que le ministre avait encore le monsieur sur le cœur. Enfin il lui écrivit : À mon Dieu, mon Dieu Louvois ; et au commencement de la lettre il mit : Mon Dieu, mon Créateur[7]. Tout cela ne prouve-t-il pas que les Romains du bon temps étaient grands et modestes, et que nous sommes petits et vains ?

« Comment vous portez-vous, mon cher ami ? disait un duc et pair à un gentilhomme. — À votre service, mon cher ami, répondit l’autre ; » et dès ce moment il eut son cher ami pour ennemi implacable. Un grand de Portugal parlait à un grand d’Espagne, et lui disait à tout moment : « Votre Excellence. » Le Castillan lui répondait : « Votre courtoisie, vuestra merced ; » c’est le titre que l’on donne aux gens qui n’en ont pas. Le Portugais, piqué, appela l’Espagnol à son tour : Votre courtoisie ; l’autre lui donna alors de l’excellence. À la fin le Portugais, lassé, lui dit : « Pourquoi me donnez-vous toujours de la courtoisie quand je vous donne de l’excellence ? et pourquoi m’appelez-vous votre excellence quand je vous dis votre courtoisie ? — C’est que tous les titres me sont égaux, répondit humblement le Castillan, pourvu qu’il n’y ait rien d’égal entre vous et moi. »

La vanité des titres ne s’introduisit dans nos climats septentrionaux de l’Europe que quand les Romains eurent fait connaissance avec la sublimité asiatique. La plupart des rois de l’Asie étaient et sont encore cousins germains du soleil et de la lune : leurs sujets n’osent jamais prétendre à cette alliance ; et tel gouverneur de province qui s’intitule Muscade de consolation et Rose de plaisir, serait empalé s’il se disait parent le moins du monde de la lune et du soleil.

Constantin fut, je pense, le premier empereur romain qui chargea l’humilité chrétienne d’une page de noms fastueux. Il est vrai qu’avant lui on donnait du dieu aux empereurs. Mais ce mot dieu ne signifiait rien d’approchant de ce que nous entendons. Divus Augustus, divus Trajanus, voulaient dire saint Auguste, saint Trajan. On croyait qu’il était de la dignité de l’empire romain que l’âme de son chef allât au ciel après sa mort ; et souvent même on accordait le titre de saint, de divus, à l’empereur, en avancement d’hoirie. C’est à peu près par cette raison que les premiers patriarches de l’Église chrétienne s’appelaient tous votre sainteté. On les nommait ainsi pour les faire souvenir de ce qu’ils devaient être.

On se donne quelquefois à soi-même des titres fort humbles, pourvu qu’on en reçoive de fort honorables. Tel abbé qui s’intitule frère, se fait appeler monseigneur par ses moines. Le pape se nomme serviteur des serviteurs de Dieu. Un bon prêtre du Holstein écrivit un jour au pape Pie IV : À Pie IV, serviteur des serviteurs de Dieu. Il alla ensuite à Rome solliciter son affaire : et l’Inquisition le fit mettre en prison pour lui apprendre à écrire.

Il n’y avait autrefois que l’empereur qui eût le titre de majesté. Les autres rois s’appellaient votre altesse, votre sérénité, votre grâce. Louis XI fut le premier en France qu’on appela communément majesté, titre non moins convenable en effet à la dignité d’un grand royaume héréditaire qu’à une principauté élective. Mais on se servait du terme d’altesse avec les rois de France longtemps après lui ; et on voit encore des lettres à Henri III, dans lesquelles on lui donne ce titre. Les états d’Orléans ne voulurent point que la reine Catherine de Médicis fût appelée majesté. Mais peu à peu cette dernière dénomination prévalut. Le nom est indifférent ; il n’y a que le pouvoir qui ne le soit pas.

La chancellerie allemande, toujours invariable dans ses nobles usages, a prétendu jusqu’à nos jours ne devoir traiter tous les rois que de sérénité. Dans le fameux traité de Vestphalie, où la France et la Suède donnèrent des lois au saint empire romain, jamais les plénipotentiaires de l’empereur ne présentèrent de mémoires latins où sa sacrée majesté impériale ne traitât avec les sérénissimes rois de France et de Suède ; mais, de leur côté, les Français et les Suédois ne manquaient pas d’assurer que leurs sacrées majestés de France et de Suède avaient beaucoup de griefs contre le sérénissime empereur. Enfin dans le traité tout fut égal de part et d’autre. Les grands souverains ont, depuis ce temps, passé dans l’opinion des peuples pour être tous égaux : et celui qui a battu ses voisins a eu la prééminence dans l’opinion publique.

Philippe II fut la première majesté en Espagne : car la sérénité de Charles-Quint[8] ne devint majesté qu’à cause de l’empire. Les enfants de Philippe II furent les premières altesses, et ensuite ils furent altesses royales. Le duc d’Orléans, frère de Louis XIII, ne prit qu’en 1631 le titre d’altesse royale ; alors le prince de Condé prit celui d’altesse sérénissime, que n’osèrent s’arroger les ducs de Vendôme. Le duc de Savoie fut alors altesse royale, et devint ensuite majesté. Le grand-duc de Florence en fit autant, à la majesté près ; et enfin le czar, qui n’était connu en Europe que sous le nom de grand-duc, s’est déclaré empereur, et a été reconnu pour tel.

Il n’y avait anciennement que deux marquis d’Allemagne, deux en France, deux en Italie. Le marquis de Brandebourg est devenu roi, et grand roi : mais aujourd’hui nos marquis italiens et français sont d’une espèce un peu différente.

Qu’un bourgeois italien ait l’honneur de donner à dîner au légat de sa province, et que le légat en buvant lui dise : ' Monsieur le marquis, à votre santé, le voilà marquis, lui et ses enfants, à tout jamais. Qu’un provincial en France, qui possédera pour tout bien dans son village la quatrième partie d’une petite châtellenie ruinée, arrive à Paris ; qu’il y fasse un peu de fortune, ou qu’il ait l’air de l’avoir faite, il s’intitule dans ses actes : Haut et puissant seigneur, marquis et comte ; et son fils sera chez son notaire : Très-haut et très-puissant seigneur ; et comme cette petite ambition ne nuit en rien au gouvernement, ni à la société civile, on n’y prend pas garde. Quelques seigneurs français se vantent d’avoir des barons allemands dans leurs écuries ; quelques seigneurs allemands disent qu’ils ont des marquis français dans leurs cuisines ; il n’y a pas longtemps qu’un étranger, étant à Naples, fit son cocher duc. La coutume en cela est plus forte que l’autorité royale. Soyez peu connu à Paris, vous y serez comte ou marquis tant qu’il vous plaira ; soyez homme de robe ou de finance, et que le roi vous donne un marquisat bien réel, vous ne serez jamais pour cela monsieur le marquis. Le célèbre Samuel Bernard était plus comte que cinq cents comtes que nous voyons qui ne possèdent pas quatre arpents de terre ; le roi avait érigé pour lui sa terre de Coubert en bon comté. S’il se fût fait annoncer dans une visite : le comte Bernard, on aurait éclaté de rire. Il en va tout autrement en Angleterre. Si le roi donne à un négociant un titre de comte ou de baron, il reçoit sans difficulté de toute la nation le nom qui lui est propre. Les gens de la plus haute naissance, le roi lui-même, l’appellent : Milord, monseigneur. Il en est de même en Italie : il y a le protocole des monsignori. Le pape lui même leur donne ce titre. Son médecin est monsignore, et personne n’y trouve à redire.

En France le monseigneur est une terrible affaire. Un évêque n’était, avant le cardinal de Richelieu, que mon révérendissime père en Dieu[9].

Avant l’année 1635, non-seulement les évêques ne se monseigneurisaient pas, mais ils ne donnaient point du monseigneur aux cardinaux. Ces deux habitudes s’introduisirent par un évêque de Chartres, qui alla en camail et en rochet appeler monseigneur le cardinal de Richelieu ; sur quoi Louis XIII dit, si l’on en croit les Mémoires de l’archevêque de Toulouse, Montchal : « Ce Chartrain irait baiser le derrière du cardinal, et pousserait son nez dedans jusqu’à ce que l’autre lui dit : C’est assez. »

Ce n’est que depuis ce temps que les évêques se donnèrent réciproquement du monseigneur.

Cette entreprise n’essuya aucune contradiction dans le public. Mais comme c’était un titre nouveau que les rois n’avaient pas donné aux évêques, on continua dans les édits, déclarations, ordonnances, et dans tout ce qui émane de la cour, à ne les appeler que sieurs ; et messieurs du conseil n’écrivent jamais à un évêque que monsieur.

Les ducs et pairs ont eu plus de peine à se mettre en possession du monseigneur. La grande noblesse, et ce qu’on appelle la grande robe, leur refusent tout net cette distinction. Le comble des succès de l’orgueil humain est de recevoir des titres d’honneur de ceux qui croient être vos égaux ; mais il est bien difficile d’arriver à ce point : on trouve partout l’orgueil qui combat l’orgueil[10].

Quand les ducs exigèrent que les pauvres gentilshommes leur écrivissent monseigneur, les présidents à mortier en demandèrent autant aux avocats et aux procureurs. On a connu un président qui ne voulut pas se faire saigner, parce que son chirurgien lui avait dit : « Monsieur, de quel bras voulez-vous que je vous saigne ? » Il y eut un vieux conseiller de la grand’chambre qui en usa plus franchement. Un plaideur lui dit : Monseigneur, monsieur votre secrétaire... Le conseiller l’arrêta tout court : « Vous avez dit trois sottises en trois paroles : je ne suis point monseigneur, mon secrétaire n’est point monsieur, c’est mon clerc. »

Pour terminer ce grand procès de la vanité, il faudra un jour que tout le monde soit monseigneur dans la nation ; comme toutes les femmes, qui étaient autrefois mademoiselle, sont actuellement madame. Lorsqu’en Espagne un mendiant rencontre un autre gueux, il lui dit : « Seigneur, votre courtoisie a-t-elle pris son chocolat ? » Cette manière polie de s’exprimer élève l’âme et conserve la dignité de l’espèce.

[11] César et Pompée s’appelaient dans le sénat César et Pompée ; mais ces gens-là ne savaient pas vivre. Ils finissaient leurs lettres par vale, adieu. Nous étions, nous autres, il y a soixante ans, affectionnés serviteurs ; nous sommes devenus très-humbles et très-obéissants ; et actuellement nous avons l’honneur de l’être. Je plains notre postérité : elle ne pourra que difficilement ajouter à ces belles formules.

[12] Le duc d’Épernon, le premier des Gascons pour la fierté, mais qui n’était pas le premier des hommes d’État, écrivit avant de mourir au cardinal de Richelieu, et finit sa lettre par votre très-humble et très-obéissant ; mais se souvenant que le cardinal ne lui avait donné que du très-affectionné, il fit partir un exprès pour rattraper sa lettre, qui était déjà partie, la recommença, signa très-affectionné, et mourut ainsi au lit d’honneur.

[13] Nous avons dit ailleurs une grande partie de ces choses. Il est bon de les inculper pour corriger au moins quelques coqs d’Inde qui passent leur vie à faire la roue.



  1. Sauf les alinéas pénultième et antépénultième, ce morceau est ici tel qu’on le lit dans les Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770 ; mais la majeure partie avait paru longtemps auparavant, comme on le verra. (B.)
  2. Les dix alinéas qui suivent, moins celui que je désigne, ont paru en 1754 dans le tome X de l’édition des Œuvres de Voltaire, publiée à Dresde ; ils étaient intitulés Des Cérémonies. (B.)
  3. Cet alinéa doit être une addition de 1770 ; il n’existait du moins ni en 1754, ni en 1756. (B.)
  4. Ce fut une querelle de ce genre qui brouilla le cardinal de Bouillon avec la fameuse princesse des Ursins, son intime amie ; et la haine de cette femme aussi vaine que lui, mais plus habile en intrigue, fut une des principales causes de sa perte. (K.)
  5. Dans l’édition de 1754 on lit : « Un colonel français passa il y a un an à Bruxelles, et, ne sachant que faire. » En rapprochant les deux versions, n’est-on pas autorisé à croire que ceci fut écrit en 1747, la prise de Bruxelles étant de 1746 ?
  6. Ce qui fait la fin de cet article avait, sauf quelques différences que j’indiquerai, paru dès 1750 dans le tome IX de l’édition des Œuvres de Voltaire, publiée à Dresde (1748-1754, dix volumes in-8o). Il était intitulé Des Titres. (B.)
  7. Le monseigneur des ministres est presque tombé en désuétude, depuis que les places de secrétaires d’État ont été occupées par des grands qui se seraient crus humiliés de n’être monseigneurs que depuis qu’ils étaient devenus ministres. (K.)

    — Le monseigneur des ministres est revenu. (B.)

  8. Il n’était que Charles Ier en Espagne.
  9. En 1750 il y avait : « Mon révérendissime père en Dieu ; mais quand Richelieu fut secrétaire d’État, étant encore évêque de Luçon, ses confrères les évêques, pour ne pas lui donner ce titre exclusif de monseigneur que les secrétaires d’État commencèrent à prendre, convinrent de se le donner à eux-mêmes. Cette entreprise n’essuya, etc. » (B.)
  10. Louis XIV a décidé que la noblesse non titrée donnerait le monseigneur aux maréchaux de France, et elle s’y est soumise sans beaucoup de peine. Chacun espère devenir monseigneur à son tour.

    Le même prince a donné des prérogatives particulières à quelques familles. Celles de la maison de Lorraine ont excité peu de réclamations ; et maintenant il est assez difficile à l’orgueil d’un gentilhomme de se croire absolument l’égal d’hommes sortis d’une maison incontestablement souveraine depuis sept siècles, qui a donné deux reines à la France, qui enfin est montée sur le trône impérial.

    Les honneurs des maisons de Bouillon et de Rohan ont souffert plus de difficultés. On ne peut nier qu’elles n’aient existé pendant longtemps sans être distinguées du reste de la noblesse. D’autres familles sont parvenues à posséder de petites souverainetés comme celle de Bouillon. Un grand nombre pourrait également citer de grandes alliances ; et si on donnait un rang distingué à tous ceux que les généalogistes font descendre des anciens souverains de nos provinces, il y aurait presque autant d’altesses que de marquis et de comtes.

    Louis XIV avait ordonné aux secrétaires d’État de donner le monseigneur et l’altesse aux gentilshommes de ces deux maisons ; mais ceux des secrétaires d’État qui ont été tirés du corps de la noblesse se sont crus dispensés de cette loi en qualité de gentilshommes. Louvois s’y soumit, et il écrivit un jour au chevalier de Bouillon :

    Monseigneur, si Votre Altesse ne change pas de conduite, je la ferai mettre dans un cachot. Je suis avec respect, etc.

    Maintenant ces princes ne répondent point aux lettres où l’on ne leur donne pas le monseigneur et l’altesse, à moins qu’ils n’aient besoin de vous ; et la noblesse leur refuse l’un et l’autre, à moins qu’elle n’ait besoin d’eux. Quand un gentilhomme qui a un peu de vanité passe un acte avec eux, il leur laisse prendre tous les titres qu’ils veulent, mais il ne manque pas de protester contre ces titres chez son notaire. La vanité a deux tonneaux comme Jupiter, mais le bon est souvent bien vide. (K.)

  11. Cet alinéa existait en 1750 ; il avait été conservé en 1756 ; mais il ne fut pas reproduit en 1770 dans les Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  12. Cet alinéa, ajouté en 1756, n’avait pas été admis dans les Questions sur l’Encyclopédie. Il a été recueilli, ainsi que le précédent, par les éditeurs de Kehl. (B.)
  13. Voltaire ajouta cet alinéa en 1770, dans les Questions sur l’Encyclopédie. On a vu qu’en effet une grande partie des choses qu’il y dit étaient déjà ailleurs. (B.)


Celtes

Cérémonies, titres, prééminences

Certain, certitude