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Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Emblème
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Tout est emblème et figure dans l’antiquité. On commence en Chaldée par mettre un bélier, deux chevreaux, un taureau, dans le ciel, pour marquer les productions de la terre au printemps. Le feu est le symbole de la Divinité dans la Perse ; le chien céleste avertit les Égyptiens de l’inondation du Nil ; le serpent qui cache sa queue dans sa tête devient l’image de l’éternité. La nature entière est peinte et déguisée.
Vous retrouvez encore dans l’Inde plusieurs de ces anciennes statues effrayantes et grossières dont nous avons déjà parlé[2], qui représentent la vertu munie de dix grands bras avec lesquels elle doit combattre les vices, et que nos pauvres missionnaires ont prise pour le portrait du diable, ne doutant pas que tous ceux qui ne parlaient pas français ou italien n’adorassent le diable.
Mettez tous ces symboles de l’antiquité sous les yeux de l’homme du sens le plus droit, qui n’en aura jamais entendu parler, il n’y comprendra rien : c’est une langue qu’il faut apprendre.
Les anciens poëtes théologiens furent dans la nécessité de donner des yeux à Dieu, des mains, des pieds ; de l’annoncer sous la figure d’un homme.
Saint Clément d’Alexandrie[3] rapporte ces vers de Xénophanes le Colophonien, dignes de toute notre attention :
Grand Dieu ! quoi que l’on fasse, et quoi qu’on ose feindre, On ne peut te comprendre, et moins encor te peindre. Chacun figure en toi ses attributs divers : Les oiseaux te feraient voltiger dans les airs, Les bœufs te prêteraient leurs cornes menaçantes, Les lions t’armeraient de leurs dents déchirantes, Les chevaux dans les champs te feraient galoper.
On voit par ces vers de Xénophanes que ce n’est pas d’aujourd’hui que les hommes ont fait Dieu à leur image. L’ancien
Orphée de Thrace, ce premier théologien des Grecs, fort antérieur à Homère, s’exprime ainsi, selon le même Clément d’Alexandrie :
Sur son trône éternel, assis dans les nuages,
Immobile, il régit les vents et les orages ;
Ses pieds pressent la terre ; et du vague des airs
Sa main touche à la fois aux rives des deux mers ;
Il est principe, fin, milieu de toutes choses.
Tout étant donc figure et emblème, les philosophes, et surtout ceux qui avaient voyagé dans l’Inde, employèrent cette méthode ; leurs préceptes étaient des emblèmes, des énigmes.
« N’attisez pas le feu avec une épée. » c’est-à-dire n’irritez point les hommes en colère.
« Ne mettez point la lampe sous le boisseau. » — Ne cachez point la vérité aux hommes.
« Abstenez-vous des fèves. » — Fuyez souvent les assemblées publiques, dans lesquelles on donnait son suffrage avec des fèves blanches ou noires.
« N’ayez point d’hirondelles dans votre maison. » — Qu’elle ne soit point remplie de babillards.
« Dans la tempête adorez l’écho. » — Dans les troubles civils retirez-vous à la campagne.
« N’écrivez point sur la neige. » — N’enseignez point les esprits mous et faibles.
« Ne mangez ni votre cœur ni votre cervelle. » — Ne vous livrez ni au chagrin ni à des entreprises trop difficiles, etc.
Telles sont les maximes de Pythagore, dont le sens n’est pas difficile à comprendre.
Le plus beau de tous les emblèmes est celui de Dieu, que Timée de Locres[4] figure par cette idée : « Un cercle dont le centre est partout, et la circonférence nulle part. » Platon adopta cet emblème ; Pascal l’avait inséré parmi les matériaux dont il voulait faire usage, et qu’on a intitulés ses Pensées.
En métaphysique, en morale, les anciens ont tout dit. Nous nous rencontrons avec eux, ou nous les répétons. Tous les livres modernes de ce genre ne sont que des redites.
Plus vous avancez dans l’Orient, plus vous trouvez cet usage des emblèmes et des figures établi ; mais plus aussi ces images sont-elles éloignées de nos mœurs et de nos coutumes.
C’est surtout chez les Indiens, les Égyptiens, les Syriens, que les emblèmes qui nous paraissent les plus étranges étaient consacrés. C’est là qu’on portait en procession avec le plus profond respect les deux organes de la génération, les deux symboles de la vie. Nous en rions, nous osons traiter ces peuples d’idiots barbares, parce qu’ils remerciaient Dieu innocemment de leur avoir donné l’être. Qu’auraient-ils dit s’ils nous avaient vus entrer dans nos temples avec l’instrument de la destruction à notre côté ?
À Thèbes, on représentait les péchés du peuple par un bouc. Sur la côte de Phénicie, une femme nue avec une queue de poisson était l’emblème de la nature.
Il ne faut donc pas s’étonner si cet usage des symboles pénétra chez les Hébreux, lorsqu’ils eurent formé un corps de peuple vers le désert de la Syrie.
Un des plus beaux emblèmes des livres judaïques est ce morceau de l’Ecclésiaste : « Quand les travailleuses au moulin seront en petit nombre et oisives, quand ceux qui regardaient par les trous s’obscurciront, que l’amandier fleurira, que la sauterelle s’engraissera, que les câpres tomberont, que la cordelette d’argent se cassera, que la bandelette d’or se retirera..., et que la cruche se brisera sur la fontaine... »
Cela signifie que les vieillards perdent leurs dents, que leur vue s’affaiblit, que leurs cheveux blanchissent comme la fleur de l’amandier, que leurs pieds s’enflent comme la sauterelle, que leurs cheveux tombent comme les feuilles du câprier, qu’ils ne sont plus propres à la génération, et qu’alors il faut se préparer au grand voyage.
Le Cantique des cantiques[5] est (comme on sait) un emblème continuel du mariage de Jésus-Christ avec l’Église :
« Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche, car vos tétons sont meilleurs que du vin — qu’il mette sa main gauche sous ma tête, et qu’il m’embrasse de la main droite — que tu es belle, ma chère ! tes yeux sont des yeux de colombe — tes cheveux sont comme des troupeaux de chèvres, sans parler de ce que tu nous caches — tes lèvres sont comme un petit ruban d’écarlate, tes joues sont comme des moitiés de pommes d’écarlate, sans parler de ce que tu nous caches — que ta gorge est belle ! — que tes lèvres distillent le miel ! — Mon bien-aimé mit sa main au trou, et mon ventre tressaillit à ses attouchements — ton nombril est comme une coupe faite au tour — ton ventre est comme un monceau de froment entouré de lis — tes deux tétons sont comme deux faons gémeaux de chevreuil — ton cou est comme une tour d’ivoire — ton nez est comme la tour du mont Liban — ta tête est comme le mont Carmel, ta taille est celle d’un palmier. J’ai dit : Je monterai sur le palmier et je cueillerai de ses fruits. Que ferons-nous de notre petite sœur ? elle n’a pas encore de tétons. Si c’est un mur, bâtissons dessus une tour d’argent ; si c’est une porte, fermons-la avec du bois de cèdre. »
Il faudrait traduire tout le cantique pour voir qu’il est un emblème d’un bout à l’autre ; surtout l’ingénieux dom Calmet démontre que le palmier sur lequel monte le bien-aimé est la croix à laquelle on condamna notre Seigneur Jésus-Christ. Mais il faut avouer qu’une morale saine et pure est encore préférable à ces allégories.
On voit dans les livres de ce peuple une foule d’emblèmes typiques qui nous révoltent aujourd’hui, et qui exercent notre incrédulité et notre raillerie, mais qui paraissaient communs et simples aux peuples asiatiques.
Dieu apparaît à Isaïe fils d’Amos, et lui dit[6] : « Va, détache ton sac de tes reins, et tes sandales de tes pieds ; et il le fit ainsi, marchant tout nu et déchaux. Et Dieu dit : Ainsi que mon serviteur Isaïe a marché tout nu et déchaux, comme un signe de trois ans sur l’Égypte et l’Éthiopie, ainsi le roi des Assyriens emmènera des captifs d’Égypte et d’Éthiopie, jeunes et vieux, les fesses découvertes, à la honte de l’Égypte. »
Cela nous semble bien étrange ; mais informons-nous seulement de ce qui se passe encore de nos jours chez les Turcs et chez les Africains, et dans l’Inde, où nous allons commercer avec tant d’acharnement et si peu de succès. On apprendra qu’il n’est pas rare de voir des santons, absolument nus, non-seulement prêcher les femmes, mais se laisser baiser les parties naturelles avec respect, sans que ces baisers inspirent ni à la femme ni au santon le moindre désir impudique. On verra sur les bords du Gange une foule innombrable d’hommes et de femmes nus de la tête jusqu’aux pieds, les bras étendus vers le ciel, attendre le moment d’une éclipse pour se plonger dans le fleuve.
Le bourgeois de Paris ou de Rome ne doit pas croire que le reste de la terre soit tenu de vivre et de penser en tout comme lui.
Jérémie, qui prophétisait du temps de Joakim, melk de Jérusalem[7] en faveur du roi de Babylone, se met des chaînes et des cordes au cou par ordre du Seigneur, et les envoie aux rois d’Édom, d’Ammon, de Tyr, de Sidon, par leurs ambassadeurs qui étaient venus à Jérusalem vers Sédécias ; il leur ordonne de parler ainsi à leurs maîtres :
« Voici ce que dit le Seigneur des armées, le Dieu d’Israël ; vous direz ceci à vos maîtres : J’ai fait la terre, les hommes, les bêtes de somme qui sont sur la surface de la terre, dans ma grande force et dans mon bras étendu, et j’ai donné la terre à celui qui a plu à mes yeux ; et maintenant donc j’ai donné toutes ces terres dans la main de Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur ; et par-dessus je lui ai donné toutes les bêtes des champs afin qu’elles le servent. J’ai parlé selon toutes ces paroles à Sédécias, roi de Juda, lui disant : Soumettez votre cou sous le joug du roi de Babylone ; servez-le, lui et son peuple et vous vivrez, etc. »
Aussi Jérémie fut-il accusé de trahir son roi et sa patrie, et de prophétiser en faveur de l’ennemi pour de l’argent : on a même prétendu qu’il fut lapidé.
Il est évident que ces cordes et ces chaînes étaient l’emblème de cette servitude à laquelle Jérémie voulait qu’on se soumît.
C’est ainsi qu’Hérodote nous raconte qu’un roi des Scythes envoya pour présent à Darius un oiseau, une souris, une grenouille et cinq flèches. Cet emblème signifiait que si Darius ne fuyait aussi vite qu’un oiseau, qu’une grenouille, qu’une souris, il serait percé par les flèches des Scythes. L’allégorie de Jérémie était celle de l’impuissance, et l’emblème des Scythes était celui du courage.
C’est ainsi que Sextus Tarquinius consultant son père, que nous appelons Tarquin le Superbe, sur la manière dont il devait se conduire avec les Gabiens, Tarquin, qui se promenait dans son jardin, ne répondit qu’en abattant les têtes des plus hauts pavots.
Son fils l’entendit, et fit mourir les principaux citoyens. C’était l’emblème de la tyrannie.
Plusieurs savants ont cru que l’histoire de Daniel, du dragon, de la fosse aux sept lions auxquels on donnait chaque jour deux brebis et deux hommes à manger, et l’histoire de l’ange qui enleva Habacuc par les cheveux pour porter à dîner à Daniel dans la fosse aux lions, ne sont qu’une allégorie visible, un emblème de l’attention continuelle avec laquelle Dieu veille sur ses serviteurs ; mais il nous semble plus pieux de croire que c’est une histoire véritable, telle qu’il en est plusieurs dans la sainte Écriture, qui déploie sans figure et sans type la puissance divine, et qu’il n’est pas permis aux esprits profanes d’approfondir. Bornons-nous aux emblèmes, aux allégories véritables indiquées comme telles par la sainte Écriture elle-même.
«[8] En la trentième année, le cinquième jour du quatrième mois, comme j’étais au milieu des captifs sur le fleuve de Chobar, les cieux s’ouvrirent, et je vis les visions de Dieu, etc. Le Seigneur adressa la parole à Ézéchiel, prêtre, fils de Buzi, dans le pays des Chaldéens, près du fleuve Chobar, et la main de Dieu se fit sur lui. »
C’est ainsi qu’Ézéchiel commence sa prophétie ; et après avoir vu un feu, un tourbillon, et au milieu du feu les figures de quatre animaux ressemblants à un homme, lesquels avaient quatre faces et quatre ailes avec des pieds de veau, et une roue qui était sur la terre et qui avait quatre faces, les quatre parties de la roue allant en même temps, et ne retournant point lorsqu’elles marchaient, etc.
Il dit[9] :« L’esprit entra dans moi, et m’affermit sur mes pieds.... ; ensuite le Seigneur me dit : Fils de l’homme, mange tout ce que tu trouveras ; mange ce livre, et va parler aux enfants d’Israël. En même temps, j’ouvris la bouche, et il me fit manger ce livre ; et l’esprit entra dans moi et me fit tenir sur mes pieds ; et il me dit : Va te faire enfermer au milieu de ta maison. Fils de l’homme, voici des chaînes dont on te liera, etc. Et toi, fils de l’homme[10], prends une brique, place-la devant toi, et trace dessus la ville de Jérusalem, etc. »
« Prends aussi un poêlon de fer, et tu le mettras comme un mur de fer entre toi et la ville : tu affermiras ta face, tu seras devant Jérusalem comme si tu l’assiégeais ; c’est un signe à la maison d’Israël. »
Après cet ordre, Dieu lui ordonne de dormir trois cent quatre-vingt-dix jours sur le côté gauche pour les iniquités d’Israël, et de dormir sur le côté droit pendant quarante jours, pour l’iniquité de la maison de Juda.
Avant d’aller plus loin, transcrivons ici les paroles du judicieux commentateur dom Calmet sur cette partie de la prophétie d’Ézéchiel, qui est à la fois une histoire et une allégorie, une vérité réelle et un emblème. Voici comment ce savant bénédictin s’explique :
« Il y en a qui croient qu’il n’arriva rien de tout cela qu’en vision ; qu’un homme ne peut demeurer si longtemps couché sur un même côté sans miracle ; que l’Écriture ne nous marquant point qu’il y ait eu ici du prodige, on ne doit point multiplier les actions miraculeuses sans nécessité ; que s’il demeura couché ces trois cent quatre-vingt-dix jours, ce ne fut que pendant les nuits ; le jour il vaquait à ses affaires. Mais nous ne voyons nulle nécessité ni de recourir au miracle, ni de chercher des détours pour expliquer le fait dont il est parlé ici. Il n’est nullement impossible qu’un homme demeure enchaîné et couché sur son côté pendant trois cent quatre-vingt-dix jours. On a tous les jours des expériences qui en prouvent la possibilité, dans les prisonniers, dans divers malades, et dans quelques personnes qui ont l’imagination blessée, et qu’on enchaîne comme des furieux. Prado témoigne qu’il a vu un fou qui demeura lié et couché tout nu sur son côté pendant plus de quinze ans. Si tout cela n’était arrivé qu’en vision, comment les Juifs de la captivité auraient-ils compris ce que leur voulait dire Ézéchiel ? comment ce prophète aurait-il exécuté les ordres de Dieu ? Il faut donc dire aussi qu’il ne dressa le plan de Jérusalem, qu’il ne représenta le siége, qu’il ne fut lié, qu’il ne mangea du pain de différents grains, qu’en esprit et en idée. »
Il faut se rendre au sentiment du savant Calmet, qui est celui des meilleurs interprètes. Il est clair que la sainte Écriture raconte le fait comme une vérité réelle, et que cette vérité est l’emblème, le type, la figure d’une autre vérité.
« Prends[11] du froment, de l’orge, des fèves, des lentilles, du millet, de la vesce ; fais-en des pains pour autant de jours que tu dormiras sur le côté. Tu mangeras pendant trois cent quatre-vingt-dix jours....; tu le mangeras comme un gâteau d’orge, et tu le couvriras de l’excrément qui sort du corps de l’homme[12]. Les enfants d’Israël mangeront ainsi leur pain souillé. »
Il est évident que le Seigneur voulait que les Israélites mangeassent leur pain souillé ; il fallait donc que le pain du prophète fût souillé aussi. Cette souillure était si réelle qu’Ézéchiel en eut horreur. Il s’écria[13] : « Ah ! ah ! ma vie (mon âme) n’a pas encore été pollue, etc. Et le Seigneur lui dit : Va, je te donne de la fiente de bœuf au lieu de fiente d’homme, et tu la mettras avec ton pain. »
Il fallait donc absolument que cette nourriture fût souillée, pour être un emblème, un type. Le prophète mit donc en effet de la fiente de bœuf avec son pain pendant trois cent quatre-vingt-dix jours, et ce fut à la fois une réalité et une figure symbolique.
La sainte Écriture déclare expressément qu’Oolla est l’emblème de Jérusalem. «[14] Fils de l’homme, fais connaître à Jérusalem ses abominations ; ton père était un Amorrhéen, et ta mère une Céthéenne. » Ensuite le prophète, sans craindre des interprétations malignes, des plaisanteries alors inconnues, parle à la jeune Oolla en ces termes :
« Ubera tua intumuerunt, et pilus tuus germinavit ; et eras nuda et confusione plena. — Ta gorge s’enfla, ton poil germa, tu étais nue et confuse. »
« Et transivi per te, et vidi te ; et ecce tempus tuum, tempus amantium ; et expandi amictum meum super te, et operui ignominiam tuam. Et juravi tibi, et ingressus sum pactum tecum (ait Dominus Deus), et facta es mihi. — Je passai, je te vis ; voici ton temps, voici le temps des amants ; j’étendis sur toi mon manteau ; je couvris ta vilenie. Je te jurai ; je fis marché avec toi, dit le Seigneur, et tu fus à moi. »
« Et habens fiduciam in pulchritudine tua fornicata es in nomine tuo ; et exposuisti fornicationem tuam omni transeunti, ut ejus fieres. — Mais, fière de ta beauté, tu forniquas en ton nom, tu exposas ta fornication à tout passant pour être à lui. »
« Et ædificasti tibi lupanar, et fecisti tibi prostibulum in cunctis plateis. — Et tu bâtis un mauvais lieu, tu fis une prostitution dans tous les carrefours. »
« Et divisisti pedes tuos omni transeunti, et multiplicasti fornicationes tuas. — Et tu ouvris les jambes à tous les passants, et tu multiplias tes fornications. »
« Et fornicata es cum filiis Ægypti, vicinis tuis, magnarum carnium ; et multiplicasti fornicationem tuam, ad irritandum me. — Et tu forniquas avec les Égyptiens, tes voisins, qui avaient de grands membres ; et tu multiplias ta fornication pour m’irriter. »
L’article d’Ooliba, qui signifie Samarie, est beaucoup plus fort et plus éloigné des bienséances de notre style.
« Denudavit quoque fornicationes suas, discooperuit ignominiam suam[15] — Et elle mit à nu ses fornications, et découvrit sa turpitude. »
« Multiplicavit enim fornicationes suas, recordans dies adolescentiæ suæ. — Elle multiplia ses fornications comme dans son adolescence. »
« Et insanivit libidine super concubitum eorum quorum carnes sunt ut carnes asinorum, et sicut fluxus equorum, fluxus eorum. — Et elle fut éprise de fureur pour le coït de ceux dont les membres sont comme les membres des ânes, et dont l’émission est comme l’émission des chevaux. »
Ces images nous paraissent licencieuses et révoltantes : elles n’étaient alors que naïves. Il y en a trente exemples dans le Cantique des cantiques, modèle de l’union la plus chaste. Remarquez attentivement que ces expressions, ces images sont toujours très-sérieuses, et que dans aucun livre de cette haute antiquité vous ne trouverez jamais la moindre raillerie sur le grand objet de la génération. Quand la luxure est condamnée, c’est avec les termes propres ; mais ce n’est jamais ni pour exciter à la volupté, ni pour faire la moindre plaisanterie. Cette haute antiquité n’a ni de Martial, ni de Catulle, ni de Pétrone.
On ne regarde pas comme une simple vision, comme une simple figure, l’ordre positif donné par le Seigneur au prophète Osée de prendre une prostituée[16], et d’en avoir trois enfants. On ne fait point d’enfants en vision ; ce n’est point en vision qu’il fit marché avec Gomer, fille d’Ébalaïm, dont il eut deux garçons et une fille. Ce n’est point en vision qu’il prit ensuite une femme adultère par le commandement exprès du Seigneur, qu’il lui donna quinze petites pièces d’argent et une mesure et demie d’orge. La première prostituée signifiait Jérusalem, et la seconde prostituée signifiait Samarie. Mais ces prostitutions, ces trois enfants, ces quinze pièces d’argent, ce boisseau et demi d’orge, n’en sont pas moins des choses très-réelles.
Ce n’est point en vision que le patriarche Salmon épousa la prostituée Rahab, aïeule de David. Ce n’est point en vision que le patriarche Juda commit un inceste avec sa belle-fille Thamar, inceste dont naquit David. Ce n’est point en vision que Ruth, autre aïeule de David, se mit dans le lit de Booz. Ce n’est point en vision que David fit tuer Urie, et ravit Bethsabée dont naquit le roi Salomon. Mais ensuite tous ces événements devinrent des emblèmes, des figures, lorsque les choses qu’ils figuraient furent accomplies.
Il résulte évidemment d’Ézéchiel, d’Osée, de Jérémie, de tous les prophètes juifs, et de tous les livres juifs, comme de tous les livres qui nous instruisent des usages chaldéens, persans, phéniciens, syriens, indiens, égyptiens ; il résulte, dis-je, que leurs mœurs n’étaient pas les nôtres, que ce monde ancien ne ressemblait en rien à notre monde.
Passez seulement de Gibraltar à Méquinez, les bienséances ne
sont plus les mêmes ; on ne trouve plus les mêmes idées : deux
lieux de mer ont tout changé[17].
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)
- ↑ Voyez l’article Brachmanes, page 34 ; le chapitre xxix du Précis du Siècle de Louis XV, tome XV ; le chapitre vi de Dieu et les Hommes (Mélanges, année 1769) ; et la seconde note des Lettres d’Amabed.
- ↑ Stromates, livre V. (Note de Voltaire.)
- ↑ Ce n’est point Timée de Locres, c’est Mercure Trismégiste qui a dit : Cujus centrum ubique est, circumferentia vero nusquam. Voyez le commentaire xvii du livre Ier, question i, chapitre vi, page 145, du Divinus Pimandrus cum commentariis H. Rosseli, Cologne, 1630, in-folio. (B.)
- ↑ Voltaire en a donné une traduction en vers ; voyez le tome IX de la présente édition.
- ↑ Isaïe, chapitre xx, v. 2 et suiv. (Note de Voltaire.)
- ↑ Jérémie, chapitre xxvii, v. 2 et suiv. (Note de Voltaire.)
- ↑ Ézéchiel, chapitre i. (Note de Voltaire.)
- ↑ Ibid., chapitre ii, v. 2 ; et chapitre iii, v. l et suiv. (Id.)
- ↑ Ibid., chapitre iv, v. 1 et suiv. (Id.)
- ↑ Ézéchiel, chapitre iv, v. 9 et 12. (Note de Voltaire.)
- ↑ On prétend que Dieu propose seulement au prophète de faire cuire son pain sous la cendre avec des excréments d’hommes ou d’animaux. En effet, dans quelques déserts où les matières combustibles sont rares, la fiente des animaux desséchée est employée souvent à faire cuire les aliments ; mais ce n’est pas du pain cuit sous la cendre qu’on prépare avec un feu de cette espèce ; et même en adoptant cette explication des commentateurs, il en reste encore assez pour dégoûter un prophète. (K.)
- ↑ Ézéchiel, chapitre iv, v. 14 et 15. (Note de Voltaire.)
- ↑ Ibid., chapitre xvi, v. 2 et suiv. (Id.)
- ↑ Ézéchiel, chapitre xxiii, v. 18 et suiv.
- ↑ Voyez les premiers chapitres du petit prophète Osée. (Note de Voltaire.)
- ↑ Voyez l’article Figure. (Id.)