Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Généreux générosité

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Éd. Garnier - Tome 19
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GÉNÉREUX, GÉNÉROSITÉ[1].

La générosité est un dévouement aux intérêts des autres, qui porte à leur sacrifier ses avantages personnels. En général, au moment où l’on relâche de ses droits en faveur de quelqu’un, et qu’on lui donne plus qu’il ne peut exiger, on devient généreux. La nature, en produisant l’homme au milieu de ses semblables, lui a prescrit des devoirs à remplir envers eux. C’est dans l’obéissance à ces devoirs que consiste l’honnêteté, et c’est au delà de ces devoirs que commence la générosité. L’âme généreuse s’élève donc au-dessus de l’intention que la nature semblait avoir en la formant. Quel bonheur pour l’homme de pouvoir ainsi devenir supérieur à son être ! et quel prix ne doit point avoir à ses yeux la vertu qui lui procure cet avantage ! On peut donc regarder la générosité comme le plus sublime de tous les sentiments, comme le mobile de toutes les belles actions, et peut-être comme le germe de toutes les vertus : car il y en a peu qui ne soient essentiellement le sacrifice d’un intérêt personnel à un intérêt étranger. Il ne faut pas confondre la grandeur d’âme, la générosité, la bienfaisance et l’humanité : on peut n’avoir de la grandeur d’âme que pour soi, et l’on n’est jamais généreux qu’envers les autres ; on peut être bienfaisant sans faire de sacrifices, et la générosité en suppose toujours ; on n’exerce guère l’humanité qu’envers les malheureux et les inférieurs, et la générosité a lieu envers tout le monde. D’où il suit que la générosité est un sentiment aussi noble que la grandeur d’âme, aussi utile que la bienfaisance, et aussi tendre que l’humanité : elle est le résultat de la combinaison de ces trois vertus, et, plus parfaite qu’aucune d’elles, elle y peut suppléer. Le beau plan que celui d’un monde où tout le genre humain serait généreux ! Dans le monde tel qu’il est, la générosité est la vertu des héros ; le reste des hommes se borne à l’admirer. La générosité est de tous les états : c’est la vertu dont la pratique satisfait le plus l’amour-propre. Il est un art d’être généreux : cet art n’est pas commun ; il consiste à dérober le sacrifice que l’on fait. La générosité ne peut guère avoir de plus beau motif que l’amour de la patrie et le pardon des injures. La libéralité n’est autre chose que la générosité restreinte à un objet pécuniaire ; c’est cependant une grande vertu lorsqu’elle se propose le soulagement des malheureux. Mais il y a une économie sage et raisonnée, qui devrait toujours régler les hommes dans la dispensation de leurs bienfaits. Voici un trait de cette économie. Un prince[2] donne une somme d’argent pour l’entretien des pauvres d’une ville ; mais il fait en sorte que cette somme s’accroisse à mesure qu’elle est employée, et que bientôt elle puisse servir au soulagement de toute la province. De quel bonheur ne jouirait-on pas sur la terre si la générosité des souverains avait toujours été dirigée par les mêmes vues !

On fait des générosités à ses amis, des libéralités à ses domestiques, des aumônes aux pauvres.


  1. Voltaire avait composé pour l’Encyclopédie un article Généreux (voyez sa lettre à d’Alembert du 29 novembre 1756).

    Cependant l’article Généreux ne porte pas, dans l’Encyclopédie, la signature de Voltaire ; mais il y est terminé par la note que voici : « Ce n’est là qu’une partie des idées qui étaient renfermées dans un article sur la générosité qu’on a communiqué à M. Diderot. Les bornes de cet ouvrage n’ont pas permis de faire usage de cet article en entier. »

    Est-il croyable que les éditeurs de l’Encyclopédie aient rejeté un article de Voltaire pour en admettre un d’une plume anonyme ? N’est-il pas probable au contraire que, ayant tronqué l’article de Voltaire, ils n’auront pas voulu le donner sous son nom ?

    Il est à remarquer que leur note sur l’article Généreux est sur un tout autre ton que celle qu’ils avaient mise en tête de l’article Éloquence, tome XVIII, page 513. Cette circonstance, je ne me le dissimule pas, peut motiver des doutes. Malgré cela, j’ai cru pouvoir admettre ici cet article. C’est la première fois qu’il paraît dans les Œuvres de Voltaire. Ce 24 avril 1829. (B.)

  2. Le roi de Pologne, duc de Lorraine, a donné aux magistrats de la ville de Bar dix mille écus, qui doivent être employés à acheter du blé lorsqu’il est à bas prix, pour le revendre aux pauvres à un prix médiocre lorsqu’il est monté à un certain point de cherté. Par cet arrangement, la somme augmente toujours, et bientôt on pourra la répartir sur d’autres endroits de la province. (Note de Voltaire.)


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