Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Gazette

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Éd. Garnier - Tome 19
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GAZETTE[1].

Relation des affaires publiques. Ce fut au commencement du xvie siècle que cet usage utile fut inventé à Venise, dans le temps que l’Italie était encore le centre des négociations de l’Europe, et que Venise était toujours l’asile de la liberté. On appela ces feuilles, qu’on donnait une fois par semaine, Gazettes, du nom de Gazetta, petite monnaie revenant à un de nos demi-sous, qui avait cours à Venise. Cet exemple fut ensuite imité dans toutes les grandes villes de l’Europe.

De tels journaux étaient établis à la Chine de temps immémorial ; on y imprime tous les jours la Gazette de l’Empire, par ordre de la cour. Si cette gazette est vraie, il est à croire que toutes les vérités n’y sont pas ; aussi ne doivent-elles pas y être.

Le médecin Théophraste Renaudot donna en France les premières gazettes en 1631, et il en eut le privilége, qui a été longtemps un patrimoine de sa famille. Ce privilége est devenu un objet important dans Amsterdam ; et la plupart des gazettes des Provinces-Unies sont encore un revenu pour plusieurs familles de magistrats, qui payent les écrivains. La seule ville de Londres a plus de douze gazettes par semaine. On ne peut les imprimer que sur du papier timbré : ce qui n’est pas une taxe indifférente pour l’État.

Les gazettes de la Chine ne regardent que cet empire ; celles de l’Europe embrassent l’univers. Quoiqu’elles soient souvent remplies de fausses nouvelles, elles peuvent cependant fournir de bons matériaux pour l’histoire, parce que d’ordinaire les erreurs d’une gazette sont rectifiées par les suivantes, et qu’on y trouve presque toutes les pièces authentiques que les souverains mêmes y font insérer. Les gazettes de France ont toujours été revues par le ministère. C’est pourquoi les auteurs ont toujours employé certaines formules qui ne paraissent pas être dans la bienséance de la société, en ne donnant le titre de monsieur qu’à certaines personnes, et celui de sieur aux autres ; les auteurs ont oublié qu’ils ne parlaient pas au nom du roi. Ces journaux publics n’ont d’ailleurs été jamais souillés par la médisance, et ont été toujours assez correctement écrits.

Il n’en est pas de même des gazettes étrangères ; celles de Londres, excepté celle de la cour, sont souvent remplies de cette indécence que la liberté de la nation autorise. Les gazettes françaises faites en ce pays ont été rarement écrites avec pureté, et n’ont pas peu servi quelquefois à corrompre la langue. Un des grands défauts qui s’y sont glissés, c’est que les auteurs, en voyant la teneur des arrêts de France, qui s’expriment suivant les anciennes formules, ont cru que ces formules étaient conformes à notre syntaxe, et ils les ont imitées dans leur narration ; c’est comme si un historien romain eût employé le style de la loi des Douze Tables. Ce n’est que dans le style des lois qu’il est permis de dire : Le roi aurait reconnu, le roi aurait établi une loterie ; mais il faut que le gazetier dise : Nous apprenons que le roi a établi, et non pas aurait établi une loterie, etc. ; nous apprenons que les Français ont pris Minorque, et non pas auraient pris Minorque. Le style de ces écrits doit être de la plus grande simplicité ; les épithètes y sont ridicules. Si le parlement a eu une audience du roi, il ne faut pas dire : « Cet auguste corps a eu une audience du roi ; ces pères de la patrie sont revenus à cinq heures précises. » On ne doit jamais prodiguer ces titres ; il ne faut les donner que dans les occasions où ils sont nécessaires. « Son Altesse dîna avec Sa Majesté ; et Sa Majesté mena ensuite Son Altesse à la comédie ; après quoi Son Altesse joua avec Sa Majesté ; et les autres Altesses et Leurs Excellences messieurs les ambassadeurs assistèrent au repas que Sa Majesté donna à Leurs Altesses. » C’est une affectation servile qu’il faut éviter. Il n’est pas nécessaire de dire que les termes injurieux ne doivent jamais être employés, sous quelque prétexte que ce puisse être.

À l’imitation des gazettes politiques, on commença en France à imprimer des gazettes littéraires en 1665 : car les premiers journaux ne furent en effet que de simples annonces des livres nouveaux imprimés en Europe ; bientôt après on y joignit une critique raisonnée. Elle déplut à plusieurs auteurs, toute modérée qu’elle était. Nous ne parlerons ici que de ces gazettes littéraires dont on surchargea le public, qui avait déjà de nombreux journaux de tous les pays de l’Europe où les sciences sont cultivées. Ces gazettes parurent vers l’an 1723, à Paris, sous plusieurs noms différents : Nouvelliste du Parnasse, Observations sur les écrits modernes, etc. La plupart ont été faites uniquement pour gagner de l’argent ; et comme on n’en gagne point à louer des auteurs, la satire fît d’ordinaire le fond de ces écrits. On y mêla souvent des personnalités odieuses, la malignité en procura le débit ; mais la raison et le bon goût, qui prévalent toujours à la longue, les firent tomber dans le mépris et dans l’oubli.


  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. (B.)


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