Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Judée

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Éd. Garnier - Tome 19
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JUDÉE[1].

Je n’ai pas été en Judée, Dieu merci, et je n’irai jamais. J’ai vu des gens de toutes nations qui en sont revenus : ils m’ont tous dit que la situation de Jérusalem est horrible ; que tout le pays d’alentour est pierreux ; que les montagnes sont pelées ; que le fameux fleuve du Jourdain n’a pas plus de quarante-cinq pieds de largeur ; que le seul bon canton de ce pays est Jéricho : enfin, ils parlent tous comme parlait saint Jérôme, qui demeura si longtemps dans Bethléem, et qui peint cette contrée comme le rebut de la nature. Il dit qu’en été il n’y a pas seulement d’eau à boire. Ce pays cependant devait paraître aux Juifs un lieu de délices en comparaison des déserts dont ils étaient originaires. Des misérables qui auraient quitté les Landes, pour habiter quelques montagnes du Lampourdan, vanteraient leur nouveau séjour ; et s’ils espéraient pénétrer jusque dans les belles parties du Languedoc, ce serait là pour eux la terre promise.

Voilà précisément l’histoire des Juifs : Jéricho et Jérusalem sont Toulouse et Montpellier, et le désert de Sinaï est le pays entre Bordeaux et Bayonne.

Mais si le Dieu qui conduisait les Juifs voulait leur donner une bonne terre, si ces malheureux avaient en effet habité l’Égypte, que ne les laissait-il en Égypte ? À cela on ne répond que par des phrases théologiques.

La Judée, dit-on, était la terre promise. Dieu dit à Abraham : « Je vous donnerai tout ce pays depuis le fleuve d’Égypte jusqu’à l’Euphrate[2]. »

Hélas ! mes amis, vous n’avez jamais eu ces rivages fertiles de l’Euphrate et du Nil. On s’est moqué de vous. Les maîtres du Nil et de l’Euphrate ont été tour à tour vos maîtres. Vous avez été presque toujours esclaves. Promettre et tenir sont deux, mes pauvres Juifs. Vous avez un vieux rabbin qui, en lisant vos sages prophéties qui vous annoncent une terre de miel et de lait, s’écria qu’on vous avait promis plus de beurre que de pain. Savez-vous bien que si le Grand Turc m’offrait aujourd’hui la seigneurie de Jérusalem, je n’en voudrais pas ?

Frédéric III, en voyant ce détestable pays, dit publiquement que Moïse était bien malavisé d’y mener sa compagnie de lépreux. « Que n’allait-il à Naples ? » disait Frédéric. Adieu, mes chers Juifs ; je suis fâché que terre promise soit terre perdue.

(Par le baron de Broukana[3].)



  1. Dictionnaire philosophique, 1767. (B.)
  2. Genèse, chapitre xv, v. 18. (Note de Voltaire.)
  3. Il est très-vrai que le baron de Broukana, dont l’auteur emprunte ici le nom, avait demeuré longtemps en Palestine, et qu’il raconta tous ces détails à M. de Voltaire, en conversant avec lui aux Délices, moi étant présent. (Note de Wagnière.)


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