Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Missions

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Éd. Garnier - Tome 20
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MISSIONS[1].

Ce n’est pas du zèle de nos missionnaires et de la vérité de notre religion qu’il s’agit ; on les connaît assez dans notre Europe chrétienne, et on les respecte assez.

Je ne veux parler que des lettres curieuses et édifiantes des révérends pères jésuites, qui ne sont pas aussi respectables. À peine sont-ils arrivés dans l’Inde qu’ils y prêchent, qu’ils y convertissent des milliers d’Indiens, et qu’ils font des milliers de miracles. Dieu me préserve de les contredire ! On sait combien il est facile à un Biscayen, à un Bergamasque, à un Normand, d’apprendre la langue indienne en peu de jours, et de prêcher en indien.

À l’égard des miracles, rien n’est plus aisé que d’en faire à six mille lieues de nous, puisqu’on en a tant fait à Paris dans la paroisse Saint Médard. La grâce suffisante des molinistes a pu sans doute opérer sur les bords du Gange, aussi bien que la grâce efficace des jansénistes au bord de la rivière des Gobelins. Mais nous avons déjà tant parlé des miracles que nous n’en dirons plus rien.

Un révérend père jésuite arriva l’an passé à Delhi, à la cour du Grand Mogol : ce n’était pas un jésuite mathématicien et homme d’esprit, venu pour corriger le calendrier et pour faire fortune ; c’était un de ces pauvres jésuites de bonne foi, un de ces soldats que leur général envoie, et qui obéissent sans raisonner.

M. Audrais, mon commissionnaire, lui demanda ce qu’il venait faire à Delhi ; il répondit qu’il avait ordre du révérend père Ricci de délivrer le Grand Mogol des griffes du diable, et de convertir toute sa cour. « J’ai déjà, dit-il, baptisé plus de vingt enfants dans la rue, sans qu’ils en sussent rien, en leur jetant quelques gouttes d’eau sur la tête. Ce sont autant d’anges, pourvu qu’ils aient le bonheur de mourir incessamment. J’ai guéri une pauvre vieille femme de la migraine en faisant le signe de la croix derrière elle. J’espère en peu de temps convertir les mahométans de la cour et les gentous du peuple. Vous verrez dans Delhi, dans Agra et dans Bénarès autant de bons catholiques adorateurs de la vierge Marie, que d’idolâtres adorateurs du démon.

m. audrais.

Vous croyez donc, mon révérend père, que les peuples de ces contrées immenses adorent des idoles et le diable ?

le jésuite.

Sans doute, puisqu’ils ne sont pas de ma religion.

m. audrais.

Fort bien. Mais quand il y aura dans l’Inde autant de catholiques que d’idolâtres, ne craignez-vous point qu’ils ne se battent, que le sang ne coule longtemps, que tout le pays ne soit saccagé ? Cela est déjà arrivé partout où vous avez mis le pied.

le jésuite.

Vous m’y faites penser ; rien ne serait plus salutaire. Les catholiques égorgés iraient en paradis (dans le jardin ), et les gentous dans l’enfer éternel créé pour eux de toute éternité, selon la grande miséricorde de Dieu, et pour sa grande gloire : car Dieu est excessivement glorieux.

m. audrais.

Mais si on vous dénonçait, et si on vous donnait les étrivières ?

le jésuite.

Ce serait encore pour sa gloire ; mais je vous conjure de me garder le secret, et de m’épargner le bonheur du martyre ? »



  1. Article ajouté, en 1774, dans l’édition in-4o des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)


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