Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Persécution

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Éd. Garnier - Tome 20
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PERSÉCUTION[1].

Ce n’est pas Dioclétien que j’appellerai persécuteur, car il fut dix-huit ans entiers le protecteur des chrétiens ; et si dans les derniers temps de son empire il ne les sauva pas des ressentiments de Galérius, il ne fut en cela qu’un prince séduit et entraîné par la cabale au delà de son caractère, comme tant d’autres.

Je donnerai encore moins le nom de persécuteurs aux Trajan, aux Antonins ; je croirais prononcer un blasphème.

Quel est le persécuteur ? C’est celui dont l’orgueil blessé et le fanatisme en fureur irritent le prince ou les magistrats contre des hommes innocents qui n’ont d’autre crime que de n’être pas de son avis. Impudent, tu adores un Dieu, tu prêches la vertu, et tu la pratiques ; tu as servi les hommes, et tu les as consolés ; tu as établi l’orpheline, tu as secouru le pauvre, tu as changé les déserts où quelques esclaves traînaient une vie misérable en campagnes fertiles peuplées de familles heureuses ; mais j’ai découvert que tu me méprises, et que tu n’as jamais lu mon livre de controverse ; tu sais que je suis un fripon, que j’ai contrefait l’écriture de G***, que j’ai volé des**** ; tu pourrais bien le dire. Il faut que je le prévienne. J’irai donc chez le confesseur du premier ministre, ou chez le podestat ; je leur remontrerai, en penchant le cou et en tordant la bouche, que tu as une opinion erronée sur les cellules où furent renfermés les Septante ; que tu parlas même, il y a dix ans, d’une manière peu respectueuse du chien de Tobie, lequel tu soutenais être un barbet, tandis que je prouvais que c’était un lévrier ; je te dénoncerai comme l’ennemi de Dieu et des hommes. Tel est le langage du persécuteur ; et si ces paroles ne sortent pas précisément de sa bouche, elles sont gravées dans son cœur avec le burin du fanatisme trempé dans le fiel de l’envie[2].

C’est ainsi que le jésuite Le Tellier osa persécuter le cardinal de Noailles, et que Jurieu persécuta Bayle.

Lorsqu’on commença à persécuter les protestants en France, ce ne fut ni François Ier, ni Henri II, ni François II, qui épièrent ces infortunés, qui s’armèrent contre eux d’une fureur réfléchie, et qui les livrèrent aux flammes pour exercer sur eux leurs vengeances. François Ier était trop occupé avec la duchesse d’Étampes, Henri II avec sa vieille Diane, et François II était trop enfant. Par qui la persécution commença-t-elle ? Par des prêtres jaloux qui armèrent les préjugés des magistrats et la politique des ministres.

Si les rois n’avaient pas été trompés, s’ils avaient prévu que la persécution produirait cinquante ans de guerres civiles, et que la moitié de la nation serait exterminée mutuellement par l’autre, ils auraient éteint dans leurs larmes les premiers bûchers qu’ils laissèrent allumer.

Dieu de miséricorde ! si quelque homme peut ressembler à cet être malfaisant qu’on nous peint occupé sans cesse à détruire tes ouvrages, n’est-ce pas le persécuteur ?


  1. Raison par alphabet, 1769. (B.)
  2. Ce paragraphe est relatif à la délation de Biord, évêque d’Annecy, contre l’auteur. Il en a été parlé ailleurs (au mot Fanatisme, tome XIX, section iii, page 82.)


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