Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Possédés

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Éd. Garnier - Tome 20
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POSSÉDÉS[1].

De tous ceux qui se vantent d’avoir des liaisons avec le diable, il n’y a que les possédés à qui on n’a jamais rien de bon à répliquer. Qu’un homme vous dise : Je suis possédé, il faut l’en croire sur sa parole. Ceux-là ne sont point obligés de faire des choses bien extraordinaires ; et quand ils les font, ce n’est que pour surabondance de droit. Que répondre à un homme qui roule les yeux, qui tord la bouche, et qui dit qu’il a le diable au corps ? Chacun sent ce qu’il sent. Il y a eu autrefois tout plein de possédés, il peut donc s’en rencontrer encore. S’ils s’avisent de battre le monde, on le leur rend bien, et alors ils deviennent fort modérés. Mais pour un pauvre possédé qui se contente de quelques convulsions, et qui ne fait de mal à personne, on n’est pas en droit de lui en faire. Si vous disputez contre lui, vous aurez infailliblement le dessous ; il vous dira : Le diable est entré hier chez moi sous une telle forme ; j’ai depuis ce temps-là une colique surnaturelle que tous les apothicaires du monde ne peuvent soulager. Il n’y a certainement d’autre parti à prendre avec cet homme que celui de l’exorciser, ou de l’abandonner au diable.

C’est grand dommage qu’il n’y ait plus aujourd’hui ni possédés, ni magiciens, ni astrologues, ni génies. On ne peut concevoir de quelle ressource étaient, il y a cent ans, tous ces mystères. Toute la noblesse vivait alors dans ses châteaux. Les soirs d’hiver sont longs ; on serait mort d’ennui sans ces nobles amusements. Il n’y avait guère de château où il ne revînt une fée à certains jours marqués, comme la fée Merlusine au château de Lusignan. Le grand-veneur, homme sec et noir, chassait avec une meute de chiens noirs dans la forêt de Fontainebleau. Le diable tordait le cou au maréchal Fabert. Chaque village avait son sorcier ou sa sorcière ; chaque prince avait son astrologue ; toutes les dames se faisaient dire leur bonne aventure ; les possédés couraient les champs ; c’était à qui avait vu le diable, ou à qui le verrait : tout cela était un sujet de conversations inépuisables, qui tenait les esprits en haleine. À présent on joue insipidement aux cartes, et on a perdu à être détrompé.


  1. Dans la Suite des Mélanges (4e partie), 1756, ce morceau venait après l’article Magie, et commençait ainsi : « Il n’y a que les possédés à qui, etc. » (B.)


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