Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Poste

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Éd. Garnier - Tome 20
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POSTE[1].

Autrefois, si vous aviez eu un ami à Constantinople et un autre à Moscou, vous auriez été obligé d’attendre leur retour pour apprendre de leurs nouvelles. Aujourd’hui, sans qu’ils sortent de leur chambre ni vous de la vôtre, vous conversez familièrement avec eux par le moyen d’une feuille de papier. Vous pouvez même leur envoyer par la poste un sachet de l’apothicaire Arnoult contre l’apoplexie, et il est reçu plus infailliblement qu’il ne les guérit.

Si l’un de vos amis a besoin de faire toucher de l’argent à Pétersbourg et l’autre à Smyrne, la poste fait votre affaire.

Votre maîtresse est-elle à Bordeaux, et vous devant Prague avec votre régiment, elle vous assure régulièrement de sa tendresse ; vous savez par elle toutes les nouvelles de la ville, excepté les infidélités qu’elle vous fait.

Enfin la poste est le lien de toutes les affaires, de toutes les négociations ; les absents deviennent par elle présents ; elle est la consolation de la vie.

La France, où cette belle invention fut renouvelée dans nos temps barbares, a rendu ce service à toute l’Europe. Aussi n’a-t-elle jamais corrompu ce bienfait, et jamais le ministère qui a eu le département des postes n’a ouvert les lettres d’aucun particulier, excepté quand il a eu besoin de savoir ce qu’elles contenaient. Il n’en est pas ainsi, dit-on, dans d’autres pays. On a prétendu qu’en Allemagne vos lettres, en passant par cinq ou six dominations différentes, étaient lues cinq ou six fois, et qu’à la fin le cachet était si rompu qu’on était obligé d’en remettre un autre.

M. Craigs, secrétaire d’État en Angleterre, ne voulut jamais qu’on ouvrît les lettres dans ses bureaux ; il disait que c’était violer la foi publique, qu’il n’est pas permis de s’emparer d’un secret qui ne nous est pas confié, qu’il est souvent plus criminel de prendre à un homme ses pensées que son argent, que cette trahison est d’autant plus malhonnête qu’on peut la faire sans risque, et sans en pouvoir être convaincu.

Pour dérouter l’empressement des curieux, on imagina d’abord d’écrire une partie de ses dépêches en chiffres ; mais la partie en caractères ordinaires servait quelquefois à faire découvrir l’autre. Cet inconvénient fit perfectionner l’art des chiffres, qu’on appelle sténographie.

On opposa à ces énigmes l’art de les déchiffrer ; mais cet art fut très-fautif et très-vain. On ne réussit qu’à faire accroire à des gens peu instruits qu’on avait déchiffré leurs lettres, et on n’eut que le plaisir de leur donner des inquiétudes. Telle est la loi des probabilités que, dans un chiffre bien fait, il y a deux cents, trois cents, quatre cents à parier contre un que dans chaque numéro vous ne devinerez pas la syllabe dont il est représentatif.

Le nombre des hasards augmente avec la combinaison de ces numéros ; et le déchiffrement devient totalement impossible quand le chiffre est fait avec un peu d’art.

Ceux qui se vantent de déchiffrer une lettre sans être instruits des affaires qu’on y traite, et sans avoir des secours préliminaires, sont de plus grands charlatans que ceux qui se vanteraient d’entendre une langue qu’ils n’ont point apprise.

Quant à ceux qui vous envoient familièrement par la poste une tragédie en grand papier et en gros caractère, avec des feuilles blanches pour y mettre vos observations, ou qui vous régalent d’un premier tome de métaphysique en attendant le second, on peut leur dire qu’ils n’ont pas toute la discrétion requise, et qu’il y a même des pays où ils risqueraient de faire connaître au ministère qu’ils sont de mauvais poëtes et de mauvais métaphysiciens.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)


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