Nous ne ressemblons point à Mlle Duclos, cette célèbre comédienne à qui on disait : « Je parie, mademoiselle, que vous ne savez pas votre Credo. — Ah, ah, dit-elle, je ne sais pas mon Credo ! je vais vous le réciter. Pater noster qui… Aidez-moi, je ne me souviens plus du reste. » Pour moi[2], je récite mon Pater et mon Credo tous les matins ; je ne suis point comme Broussin[3] dont Reminiac disait :
Broussin, dès l’âge le plus tendre,
Posséda la sauce-Robert,
Sans que son précepteur lui pût jamais apprendre
Ni son Credo ni son Pater.
Le symbole ou la collation vient du mot symbolein, et l’Église latine adopte ce mot, comme elle a tout pris de l’Église grecque. Les théologiens un peu instruits savent que ce symbole qu’on nomme des apôtres n’est point du tout des apôtres.
On appelait symbole chez les Grecs les paroles, les signes, auxquels les initiés aux mystères de Cérès, de Cybèle, de Mithra, se reconnaissaient[4] ; les chrétiens avec le temps eurent leur symbole. S’il avait existé du temps des apôtres, il est à croire que saint Luc en aurait parlé.
On attribue à saint Augustin une histoire du symbole dans son sermon 115 ; on lui fait dire dans ce sermon que Pierre avait commencé le symbole en disant : Je crois en Dieu père tout-puissant ; Jean ajouta : Créateur du ciel et de la terre ; Jacques ajouta : Je crois en Jésus-Christ son fils, notre Seigneur ; et ainsi du reste. On a retranché cette fable dans la dernière édition d’Augustin. Je m’en rapporte aux révérends Pères bénédictins pour savoir au juste s’il fallait retrancher ou non ce petit morceau, qui est curieux.
Le fait est que personne n’entendit parler de ce Credo pendant plus de quatre cents années. Le peuple dit que Paris n’a pas été bâti en un jour ; le peuple a souvent raison dans ses proverbes. Les apôtres eurent notre symbole dans le cœur, mais ils ne le mirent point par écrit. On en forma un du temps de saint Irénée, qui ne ressemble point à celui que nous récitons. Notre symbole tel qu’il est aujourd’hui, est constamment du ve siècle. Il est postérieur à celui de Nicée. L’article qui dit que Jésus descendit aux enfers, celui qui parle de la communion des saints, ne se trouvent dans aucun des symboles qui précédèrent le nôtre. Et en effet, ni les Évangiles, ni les Actes des apôtres, ne disent que Jésus descendit dans l’enfer. Mais c’était une opinion établie dès le iiie siècle, que Jésus était descendu dans l’Hadès, dans le Tartare, mots que nous traduisons par celui d’enfer. L’enfer, en ce sens, n’est pas le mot hébreu scheol, qui veut dire le souterrain, la fosse. Et c’est pourquoi saint Athanase nous apprit depuis comment notre Sauveur était descendu dans les enfers. « Son humanité, dit-il, ne fut ni tout entière dans le sépulcre, ni tout entière dans l’enfer. Elle fut dans le sépulcre selon la chair, et dans l’enfer selon l’âme. »
Saint Thomas assure que les saints qui ressuscitèrent à la mort de Jésus-Christ moururent de nouveau pour ressusciter ensuite avec lui : c’est le sentiment le plus suivi. Toutes ces opinions sont absolument étrangères à la morale ; il faut être homme de bien, soit que les saints soient ressuscités deux fois, soit que Dieu ne les ait ressuscités qu’une. Notre symbole a été fait tard, je l’avoue ; mais la vertu est de toute éternité.
S’il est permis de citer des modernes dans une matière si grave, je rapporterai ici le Credo de l’abbé de Saint-Pierre, tel qu’il est écrit de sa main dans son livre sur la pureté de la religion, lequel n’a point été imprimé, et que j’ai copié fidèlement.
« Je crois en un seul Dieu, et je l’aime. Je crois qu’il illumine toute âme venant au monde, ainsi que le dit saint Jean. J’entends par là toute âme qui le cherche de bonne foi.
« Je crois en un seul Dieu, parce qu’il ne peut y avoir qu’une seule âme du grand tout, un seul être vivifiant, un formateur unique.
« Je crois en Dieu le père tout-puissant, parce qu’il est père commun de la nature et de tous les hommes, qui sont également ses enfants. Je crois que celui qui les fait tous naître également, qui arrangea les ressorts de notre vie de la même manière, qui leur a donné les mêmes principes de morale, aperçue par eux dès qu’ils réfléchissent, n’a mis aucune différence entre ses enfants que celle du crime et de la vertu.
« Je crois que le Chinois juste et bienfaisant est plus précieux devant lui qu’un docteur d’Europe pointilleux et arrogant.
« Je crois que Dieu étant notre père commun, nous sommes tenus de regarder tous les hommes comme nos frères.
« Je crois que le persécuteur est abominable, et qu’il marche immédiatement après l’empoisonneur et le parricide.
« Je crois que les disputes théologiques sont à la fois la farce la plus ridicule et le fléau le plus affreux de la terre, immédiatement après la guerre, la peste, la famine, et la vérole.
« Je crois que les ecclésiastiques doivent être payés et bien payés, comme serviteurs du public, précepteurs de morale, teneurs des registres des enfants et des morts ; mais qu’on ne doit leur donner ni les richesses des fermiers généraux, ni le rang des princes, parce que l’un et l’autre corrompent l’âme, et que rien n’est plus révoltant que de voir des hommes si riches et si fiers faire prêcher l’humilité et l’amour de la pauvreté par leurs commis, qui n’ont que cent écus de gages.
« Je crois que tous les prêtres qui desservent une paroisse pourraient être mariés comme dans l’Église grecque, non-seulement pour avoir une femme honnête qui prenne soin de leur ménage, mais pour être meilleurs citoyens, donner de bons sujets à l’État, et pour avoir beaucoup d’enfants bien élevés.
« Je crois qu’il faut absolument rendre plusieurs moines à la société, que c’est servir la patrie et eux-mêmes. On dit que ce sont des hommes que Circé a changés en pourceaux ; le sage Ulysse doit leur rendre la forme humaine. »
Paradis aux bienfaisants[5] !
Nous rapportons historiquement ce symbole de l’abbé de Saint-Pierre, sans l’approuver. Nous ne le regardons que comme une singularité curieuse, et nous nous en tenons, avec la foi la plus respectueuse, au véritable symbole de l’Église.
- ↑ Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
- ↑ Les éditeurs de Kehl, par un double emploi qu’ils ont eux-mêmes signalé, avaient placé au mot Credo une partie de cet article, depuis ces mots : « Je récite, etc. » (B.)
- ↑ L’un des deux frères à qui est adressé le Voyage de Chapelle et Bachaumont.
- ↑ Arnobe, livre V, Symbola quæ rogata sacrorum, etc. Voyez aussi Clément d’Alexandrie, dans son sermon protreptique, ou Cohortatio ad gentes. (Note de Voltaire.)
- ↑ C’était ici que finissait l’arlicle Credo dans les éditions de Kehl. (B.)