Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Système

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Éd. Garnier - Tome 20
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SYSTÈME[1].

Nous entendons par système une supposition : ensuite, quand cette supposition est prouvée, ce n’est plus un système, c’est une vérité. Cependant nous disons encore par habitude le système céleste, quoique nous entendions par là la position réelle des astres.

Je crois avoir cru autrefois que Pythagore avait appris chez les Chaldéens le vrai système céleste ; mais je ne le crois plus. À mesure que j’avance en âge je doute de tout.

Cependant Newton, Grégori, et Keil, font honneur à Pythagore et à ces Chaldéens du système de Copernic ; et, en dernier lieu, M. Lemonnier est de leur avis. J’ai l’impudence de n’en plus être[2].

Une de mes raisons, c’est que si les Chaldéens en avaient tant su, une si belle et si importante découverte ne se serait jamais perdue ; elle se serait transmise de siècle en siècle, comme les belles démonstrations d’Archimède.

Une autre raison, c’est qu’il fallait être plus profondément instruit que ne l’étaient les Chaldéens pour contredire les yeux de tous les hommes et toutes les apparences célestes ; qu’il eût fallu non-seulement faire les expériences les plus fines, mais employer les mathématiques les plus profondes, avoir le secours indispensable des télescopes, sans lesquels il était impossible de découvrir les phases de Vénus, qui démontrent son cours autour du soleil, et sans lesquels encore il était impossible de voir les taches du soleil, qui démontrent sa rotation autour de son axe presque immobile.

Une raison non moins forte, c’est que de tous ceux qui ont attribué à Pythagore ces belles connaissances, aucun ne nous a dit positivement de quoi il s’agit.

Diogène de Laërce, qui vivait environ neuf cents ans après Pythagore, nous apprend que, selon ce grand philosophe, le nombre un était le premier principe, et que de deux naissent tous les nombres ; que les corps ont quatre éléments, le feu, l’eau, l’air et la terre ; que la lumière et les ténèbres, le froid et le chaud, l’humide et le sec, sont en égale quantité ; qu’il ne faut point manger de fèves ; que l’âme est divisée en trois parties ; que Pythagore avait été autrefois Aethalide, puis Euphorbe, puis Hermotime, et que ce grand homme étudia la magie à fond. Notre Diogène ne dit pas un mot du vrai système du monde attribué à ce Pythagore ; et il faut avouer qu’il y a loin de son aversion prétendue pour les fèves aux observations et aux calculs qui démontrent aujourd’hui le cours des planètes et de la terre.

Le fameux arien Eusèbe, évêque de Césarée, dans sa Préparation évangélique, s’exprime ainsi[3] : « Tous les philosophes prononcent que la terre est en repos ; mais Philolaüs le péripatéticien pense qu’elle se meut autour du feu dans un cercle oblique, tout comme le soleil et la lune. »

Ce galimatias n’a rien de commun avec les sublimes vérités que nous ont enseignées Copernic, Galilée, Kepler, et surtout Newton.

Quant au prétendu Aristarque de Samos, qu’on dit avoir développé les découvertes des Chaldéens sur le cours de la planète de la terre et des autres planètes, il est si obscur que Wallis a été obligé de le commenter d’un bout à l’autre pour tâcher de le rendre intelligible.

Enfin, il est fort douteux que le livre attribué à cet Aristarque de Samos soit de lui. On a fort soupçonné les ennemis de la nouvelle philosophie d’avoir fabriqué cette fausse pièce en faveur de leur mauvaise cause. Ce n’est pas seulement en fait de vieilles chartes que nous avons eu de pieux faussaires. Cet Aristarque de Samos est d’autant plus suspect que Plutarque l’accuse d’avoir été un bigot, un méchant hypocrite, imbu de l’opinion contraire. Voici les paroles de Plutarque dans son fatras intitulé la Face du rond de la lune : Aristarque le Samien disait que les Grecs devaient « punir Cléanthe de Samos, lequel soupçonnait que le ciel est immobile, et que c’est la terre qui se meut autour du zodiaque, en tournant sur son axe[4] ».

Mais, me dira-t-on, cela même prouve que le système de Copernic était déjà dans la tête de ce Cléanthe et de bien d’autres. Qu’importe qu’Aristarque le Samien ait été de l’avis de Cléanthe le Samien, ou qu’il ait été son délateur, comme le jésuite Skeiner a été depuis le délateur de Galilée ? Il résulte toujours évidemment que le vrai système d’aujourd’hui était connu des anciens.

Je réponds que non ; qu’une très-faible partie de ce système fut vaguement soupçonnée par quelques têtes mieux organisées que les autres. Je réponds qu’il ne fut jamais reçu, jamais enseigné dans les écoles, que ce ne fut jamais un corps de doctrine. Lisez attentivement cette face de la lune de Plutarque ; vous y trouverez, si vous voulez, la doctrine de la gravitation. Le véritable auteur d’un système est celui qui le démontre.

N’envions point à Copernic l’honneur de la découverte. Trois ou quatre mots déterrés dans un vieil auteur, et qui peuvent avoir quelque rapport éloigné avec son système, ne doivent pas lui enlever la gloire de l’invention.

Admirons la grande règle de Képler, que les carrés des révolutions des planètes autour du soleil sont proportionnels aux cubes de leurs distances.

Admirons encore davantage la profondeur, la justesse, l’invention du grand Newton, qui seul a découvert les raisons fondamentales de ces lois inconnues à toute l’antiquité, et qui a ouvert aux hommes un ciel nouveau.

Il se trouve toujours de petits compilateurs qui osent être ennemis de leur siècle ; ils entassent, entassent des passages de Plutarque et d’Athénée, pour tâcher de nous prouver que nous n’avons nulle obligation aux Newton, aux Halley, aux Bradley. Ils se font les trompettes de la gloire des anciens. Ils prétendent que ces anciens ont tout dit, et ils sont assez imbéciles pour croire partager leur gloire, parce qu’ils la publient. Ils tordent une phrase d’Hippocrate pour faire accroire que les Grecs connaissaient la circulation du sang mieux qu’Harvey. Que ne disent-ils aussi que les Grecs avaient de meilleurs fusils, de plus gros canons que nous, qu’ils lançaient des bombes plus loin, qu’ils avaient des livres mieux imprimés, de plus belles estampes, etc., etc. ; qu’ils excellaient dans la peinture à l’huile ; qu’ils avaient des miroirs de cristal, des télescopes, des microscopes, des thermomètres ? Ne s’est-il pas trouvé des gens qui ont assuré que Salomon, qui ne possédait aucun port de mer, avait envoyé des flottes en Amérique, etc., etc. ?

Un des plus grands détracteurs de nos derniers siècles a été un nommé Dutens[5]. Il a fini par faire un libelle aussi infâme qu’insipide contre les philosophes de nos jours. Ce libelle est intitulé le Tocsin ; mais il a eu beau sonner sa cloche, personne n’est venu à son secours, et il n’a fait que grossir le nombre des Zoïles, qui, ne pouvant rien produire, ont répandu leur venin sur ceux qui ont immortalisé leur patrie et servi le genre humain par leurs productions.


  1. Cet article a paru, en 1774, dans l’édition in-4o des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  2. Si nous osions avoir une opinion sur ce sujet, nous dirions qu’il est vraisemblable que ni les Égyptiens, ni les Chaldéens, ni les Indiens, n’ont jamais connu le véritable système du monde ; que Pythagore a connu ce système, parce qu’il l’a donné d’après les observations des Orientaux, alors beaucoup plus anciennes et plus complètes que celles des Grecs ; qu’il suffit pour cela d’avoir une idée bien nette des lois du mouvement apparent, ce qui n’était pas impossible pour un homme qui avait autant de génie que Pythagore ; que ce système fut rejeté par les Grecs, parce qu’il était trop contraire aux idées communes, et que d’ailleurs Pythagore ne pouvait l’appuyer sur d’assez fortes preuves ; mais que les Grecs en conservèrent un souvenir vague, qu’ils nous ont transmis. Le livre d’Eusèbe de Césarée fourmille d’erreurs grossières sur l’astronomie et la physique des anciens ; mais ce livre est précieux, parce que ses absurdités mêmes peuvent conduire à retrouver les vérités qu’il défigure. Il en est de même de Plutarque, d’ailleurs beaucoup meilleur écrivain, et plus instructif qu’Eusèbe de Césarée. (K.)
  3. Page 850, édition in-folio de 1624. (Note de Voltaire.)
  4. Wallis, qui le premier publia le texte grec d’Aristarque en 1688, s’était servi, pour le rétablir en beaucoup d’endroits, des traductions latines publiées précédemment. Presque toutes les corrections faites ainsi par Wallis se sont trouvées conformes aux manuscrits consultés par M. de Fortia d’Urban, pour l’édition du même auteur qu’il a donnée à Paris en 1810. Mais il est bon de remarquer que dans ce traité, qui est intitulé De Magnitudinibus et Distantiis solis et lunœ, le seul qu’on ait d’Aristarque, il n’est pas question du mouvement de la terre.

    Cependant Plutarque, dans ses Questions platoniques,vii, dit formellement qu’Aristarque et Seleucus ont montré le mouvement de la terre. Plutarque se trouverait donc en contradiction avec lui-même en disant, comme le rapporte Voltaire, qu’Aristarque disait que les Grecs devaient punir Cléanthe de Samos, lequel soupçonnait que le ciel est immobile, etc. Cléanthe n’était pas de Samos, mais d’Assos, ville de Lycie ; d’où Gassendi a conclu que les copistes avaient transposé les mots, et qu’il fallait lire Cléanthe disait que les Grecs devaient punir Aristarque de Samos, etc. Cette opinion a été adoptée par Ménage, Fabricius, Bayle, par les éditeurs récents de Plutarque, par Ricard, son dernier traducteur français, et par MM. Brotier, Vauvilliers, et Clavier, dans leurs notes sur les dernières éditions de la traduction d’Amyot. Voilà donc Aristarque justifié contre les reproches de Voltaire, qui s’appuyait sur un passage altéré de Plutarque.

    Mais en 1644, Roberval publia un volume qu’il intitula Aristarchi Samii de mundi systemate, partibus et motibus, ejusdem libellus, cum notis P. de Roberval. Aristarque n’est nullement auteur de ce livre, qui est tout de Roberval, quoiqu’il ne s’en donne que comme éditeur (par des raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici). Mais, sans doute d’après les passages de Plutarque, Roberval y fait parler Aristarque du mouvement de la terre.

    Voltaire n’avait probablement sous les yeux que cet ouvrage supposé, qu’il a confondu avec le véritable ouvrage d’Aristarque publié par Wallis ; et, par extraordinaire, ses raisonnements ici portent à faux. (B.)

  5. Voyez dans les Mélanges, année 1771, la note sur le Tocsin des rois.


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