Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Tyran

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Éd. Garnier - Tome 20
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TYRAN[1].

Τύραννος signifiait autrefois celui qui avait su s’attirer la principale autorité ; comme roi, βασιλεὺς, signifiait celui qui était chargé de rapporter les affaires au sénat.

Les acceptions des mots changent avec le temps, ἰδιώτης ne voulait dire d’abord qu’un solitaire, un homme isolé ; avec le temps il devint le synonyme de sot.

On donne aujourd’hui le nom de tyran à un usurpateur, ou à un roi qui fait des actions violentes et injustes.

Cromwell était un tyran sous ces deux aspects. Un bourgeois qui usurpe l’autorité suprême, qui, malgré toutes les lois, supprime la chambre des pairs, est sans doute un tyran usurpateur. Un général qui fait couper le cou à son roi, prisonnier de guerre, viole à la fois et ce qu’on appelle les lois de la guerre, et les lois des nations, et celles de l’humanité. Il est tyran, il est assassin et parricide.

Charles Ier n’était point tyran quoique la faction victorieuse lui donnât ce nom : il était, à ce qu’on dit, opiniâtre, faible, et mal conseillé. Je ne l’assurerai pas, car je ne l’ai pas connu ; mais j’assure qu’il fut très-malheureux.

Henri VIII était tyran dans son gouvernement comme dans sa famille, et couvert du sang de deux épouses innocentes, comme de celui des plus vertueux citoyens : il mérite l’exécration de la postérité. Cependant il ne fut point puni ; et Charles Ier mourut sur un échafaud.

Élisabeth fit une action de tyrannie, et son parlement une de lâcheté infâme, en faisant assassiner par un bourreau la reine Marie Stuart. Mais dans le reste de son gouvernement elle ne fut point tyrannique ; elle fut adroite et comédienne, mais prudente et forte.

Richard III fut un tyran barbare ; mais il fut puni.

Le pape Alexandre VI fut un tyran plus exécrable que tous ceux-là ; et il fut heureux dans toutes ses entreprises.

Christiern II fut un tyran aussi méchant qu’Alexandre VI, et fut châtié ; mais il ne le fut point assez.

Si on veut compter les tyrans turcs, les tyrans grecs, les tyrans romains, on en trouvera autant d’heureux que de malheureux. Quand je dis heureux, je parle selon le préjugé vulgaire, selon l’acception ordinaire du mot, selon les apparences : car qu’ils aient été heureux réellement, que leur âme ait été contente et tranquille, c’est ce qui me paraît impossible.

Constantin le Grand fut évidemment un tyran à double titre. Il usurpa dans le nord de l’Angleterre la couronne de l’empire romain, à la tête de quelques légions étrangères, malgré toutes les lois, malgré le sénat et le peuple, qui élurent légitimement Maxence. Il passa toute sa vie dans le crime, dans les voluptés, dans les fraudes et dans les impostures. Il ne fut point puni ; mais fut-il heureux ? Dieu le sait. Et je sais que ses sujets ne le furent pas.

Le grand Théodose était le plus abominable des tyrans quand, sous prétexte de donner une fête, il faisait égorger dans le cirque quinze mille citoyens romains, plus ou moins, avec leurs femmes et leurs enfants, et qu’il ajoutait à cette horreur la facétie de passer quelques mois sans aller s’ennuyer à la grand’messe. On a presque mis ce Théodose au rang des bienheureux ; mais je serais bien fâché qu’il eût été heureux sur la terre. En tout cas, il sera toujours bon d’assurer aux tyrans qu’ils ne seront jamais heureux dans ce monde, comme il est bon de faire accroire à nos maîtres-d’hôtel et à nos cuisiniers qu’ils seront damnés éternellement s’ils nous volent.

Les tyrans du bas-empire grec furent presque tous détrônés, assassinés les uns par les autres. Tous ces grands coupables furent tour à tour les exécuteurs de la vengeance divine et humaine.

Parmi les tyrans turcs on en voit autant de déposés que de morts sur leur trône.

À l’égard des tyrans subalternes, de ces monstres en sous-ordre, qui ont fait remonter jusque sur leur maître l’exécration publique dont ils ont été chargés, le nombre de ces Amans, de ces Séjans, est un infini du premier ordre.



  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)


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