Dictionnaire philosophique/portatif - 6e ed. - Londres (1767)/Ange

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ANGE


Ange, en Grec, Envoyé, on n’en sera guères plus instruit quand on sçaura que les Perses avoient des Peris, les Hébreux des Malakim, les Grecs leurs Demonoi.

Mais ce qui nous instruira peut-être davantage, ce sera qu’une des premières idées des hommes a toujours été de placer des êtres intermédiaires entre la Divinité & nous ; ce sont ces démons, ces génies que l’antiquité inventa ; l’homme fit toujours les Dieux à son image. On voyait les Princes signifier leurs ordres par des messagers, donc la Divinité envoye aussi ses courriers, Mercure, Iris, étaient des courriers, des messagers.

Les Hébreux, ce seul peuple conduit par la Divinité même, ne donnèrent point d’abord de noms aux Anges que Dieu daignait enfin leur envoyer ; ils empruntèrent les noms que leur donnaient les Caldéens, quand la nation Juive fut captive dans la Babilonie ; Michel & Gabriel, sont nommés pour la première fois par Daniel, esclave chez ces peuples. Le Juif Tobie qui vivait à Ninive, connut l’Ange Raphael qui voyagea avec son fils pour l’aider à retirer de l’argent que lui devait le Juif Gabael.

Dans les loix des Juifs, c’est-à-dire, dans le Lévitique & le Deutéronome, il n’est pas fait la moindre mention de l’existence des Anges, à plus forte raison de leur culte ; aussi, les Sadducéens ne croyaient-ils point aux Anges.

Mais dans les histoires des Juifs, il en est beaucoup parlé. Ces Anges étaient corporels, ils avaient des aîles au dos, comme les Gentils feignirent que Mercure en avait aux talons ; quelquefois ils cachaient leurs aîles sous leurs vêtements. Comment n’auraient-ils pas eu de corps, puisqu’ils buvaient & mangeaient, & que les habitans de Sodome, voulurent commettre le péché de la pédérastie avec les Anges qui allèrent chez Loth.

L’ancienne tradition Juive, selon Ben Maimon, admet dix degrés, dix ordres d’Anges. 1. Les Chaios Acodesh, purs, saints. 2. Les Ofamins, rapides. 3. Les Oralim, les forts. 4. Les Chasmalim, les flammes. 5. Les Séraphim, étincelles. 6. Les Malachim, Anges, messagers, députés. 7. Les Eloim, les Dieux ou Juges. 8. Les Ben Eloim, enfans des Dieux. 9. Chérubim, Images. 10. Ychim, les animés.

L’histoire de la chûte des Anges ne se trouve point dans les livres de Moïse ; le premier témoignage qu’on en rapporte est celui du prophète Isaïe, qui apostrophant le Roi de Babylone, s’écrie, Qu’est devenu l’exacteur des tributs ! les sapins & les cèdres se réjouïssent de sa chute, comment es-tu tombée du Ciel, ô Helel, étoile du matin ? on a traduit cet Helel par le mot Latin Lucifer ; & ensuite par un sens allégorique on a donné le nom de Lucifer au Prince des Anges qui firent la guerre dans le Ciel ; & enfin ce nom qui signifie phosphere & aurore, est devenu le nom du Diable.

La religion chrêtienne est fondée sur la chûte des Anges. Ceux qui se révoltèrent furent précipités des sphères qu’ils habitaient dans l’enfer au centre de la terre, & devinrent Diables. Un Diable tenta Eve sous la figure du serpent & damna le genre humain. Jesus vint racheter le genre humain & triompher du Diable qui nous tente encore. Cependant cette tradition fondamentale ne se trouve que dans le livre apocrife d’Enoch, & encore y est-elle d’une manière toute différente de la tradition reçue.

St. Augustin dans sa 109e lettre, ne fait nulle difficulté d’attribuer des corps déliés & agiles aux bons & aux mauvais Anges. Le Pape Grégoire second a réduit à neuf chœurs, à neuf hiérarchies ou ordres, les dix chœurs des Anges reconnus par les Juifs ; ce sont les Séraphins, les Cherubins, les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Puissances, les Archanges, & enfin les Anges qui donnent le nom aux huit autres hiérarchies.

Les Juifs avaient dans le temple deux Chérubins ayant chacun deux têtes, l’une de bœuf & l’autre d’aigle, avec six aîles. Nous les peignons aujourd’hui sous l’image d’une tête volante, ayant deux petites aîles au-dessous des oreilles. Nous peignons les Anges & les Archanges sous la figure de jeunes gens, ayant deux aîles au dos. À l’égard des Trônes & des Dominations, on ne s’est pas encor avisé de les peindre.

St. Thomas, à la question 108, article second, dit que les Trônes sont aussi près de Dieu que les Chérubins & les Séraphins, parce que c’est sur eux que Dieu est assis. Scot a compté mille millions d’anges. L’ancienne mytologie des bons & des mauvais génies ayant passé de l’Orient en Grèce, & à Rome, nous consacrames cette opinion, en admettant pour chaque homme un bon & un mauvais Ange, dont l’un l’assiste, & l’autre lui nuit depuis sa naissance jusqu’à sa mort ; mais on ne sait pas encor si ces bons & mauvais Anges passent continuellement de leur poste à un autre, ou s’ils sont relevés par d’autres. Consultez sur cet article la somme de St. Thomas.

On ne sait pas précisément où les Anges se tiennent, si c’est dans l’air, dans le vuide, dans les planètes ; Dieu n’a pas voulu que nous en fussions instruits.