Dictionnaire pratique et historique de la musique/Sonate
Sonate, n. f. *Le sens du mot a
varié avec les époques : depuis la
seconde moitié du xviie s., il s’entend
d’une série de morceaux ayant, à
son origine, quelques rapports avec
la suite, mais composée de pièces de
musique pure, et non d’imitation
de mouvements de danses. Pour l’origine
du mot, on peut indiquer que
Sonade voulait dire, au xvie s., toute
musique sonnée par les instruments.
Le chroniqueur anonyme du règne
de François Ier parlant des fêtes
données à Châtellerault en 1541
pour le mariage du duc de Clèves
avec la princesse de Navarre, nièce
du roi, rapporte que pour l’arrivée
de François Ier on avait préparé
deux « échaffaulx » couverts de
« joueurs de trompettes, tabourins
des Suisses, phiffres, clairons, haulboys,
cornetz, doulcines, fluttes, buccines
et toutes sortes d’autres instruments
qui donnèrent la sonnade au
Roy quand il entra » dans le pavillon
qu’on lui avait destiné. Ce mot s’employa
donc d’abord simplement par
opposition à la musique vocale. Il se
confondit avec les autres titres de
pièces instrumentales, ou plutôt
celles-ci furent englobées sous le titre
de sonates. Sur les limites du xvie et
du xviie s. apparut une distinction
assez vague entre les mots Canzone et
Sonate. Les Sonates d’André Gabrieli
(1586) semblent perdues. Celles de son
neveu Giovanni (1597 et 1615), de
style plus libre que le ricercar, ressemblent
absolument à ses Canzone. D’ailleurs,
Praetorius (1619) assimile la
sonate à la canzone. Ces sonates se
composaient, comme les autres pièces
instrumentales, à 3, 4, 5 parties, pour
s’exécuter par des groupes d’instruments,
ou par un seul musicien sur
l’orgue ou l’épinette, etc. Les sonates
écrites par Giov. Gabrieli
sont, sous le rapport du
nombre, de petites symphonies.
Il a une sonate
à 22 parties. La parité entre
la canzone et la sonate s’explique
par le fait qu’un certain
nombre de canzoni
dans la 1re moitié du xviie s., ont des
épisodes de mesures et de mouvements
variés. On rencontre successivement,
dans une seule canzone par ex., un
mouvement , suivi d’un 3 ou d’un
6/4, auquel succède un adagio, puis
un allegro en
ou
barré, le tout
s’enchaînant. Il en est absolument de
même dans la sonate à son premier
âge : c’est un morceau assez étendu,
où l’on observe la même variété de
mouvements, qui seront appelés à être
détachés les uns des autres, pour
former des pièces ayant une individualité
propre. Même à l’âge où la
sonate sera constituée de morceaux
distincts, on continuera longtemps
d’écrire des sonates d’un seul tenant,
fidèles au plan primitif, ainsi encore
chez des auteurs de sonates de violon
au xviiie s., tel Vivaldi. C’est un Italien,
Legrenzi, qui, en 1667, donna le
premier l’exemple d’une sonate pour
violon, partagée en trois morceaux,
Sonata da camera. Les livres de Sonate
da camera et Sonate da chiesa que
Corelli (1653 † 1713) publia alternativement
de 1685 à 1694, pour violon
également, font clairement comprendre
la séparation des deux genres. Les
Sonates d’église sont de la musique
pure annonçant la sonate moderne
avec sa symétrie de formes ; il n’y
paraît pas de pièces de danse, du
moins qui en portent les titres ou qui
en révèlent nettement la coupe, mais
on y trouve cependant des morceaux
gais et aimables ; elles comprennent
généralement 4 morceaux qui sont
une introduction lente et majestueuse,
un allegro fugué solide, un morceau
lent expressif, un allegro final de mouvement
vif. Les Sonates de chambre
offrent le groupement des pièces à
danser tel que l’ont rendu familier les Ordres, les Lessons, les Suites. Le
1er morceau est souvent un prélude
solide, le 2e une allemande, le 3e une
sarabande ou un morceau expressif
et lent, le 4e une gigue ou une courante
ou une gavotte, c’est-à-dire un morceau
animé. Le traitement est plus
simple dans les sonates de chambre.
L’unité des morceaux est plutôt
obtenue par la continuité du style
que par le développement d’un thème.
Cependant, se conformant à ce qui
se faisait dans certaines suites, Vitali
écrit dans ses trois morceaux d’après
un thème unique (1644-1692). Tous les
morceaux de la sonate de cette époque
sont d’ailleurs écrits dans la même
forme binaire que les pièces de la Suite.
En 1692, Kuhnau, à la fin de son
second volume de Suites, donne pour
la première fois l’exemple d’une sonate
pour clavier seul : devant le succès
de son œuvre, il en écrit sept autres,
quatre ans après. Ces Sonates de
Kuhnau, qui devaient avoir une telle
postérité, comprennent volontiers un
prélude et fugue, un adagio, un
allegro, une pièce da capo. Ce sera le
plan employé par Bach dans ses six
Sonates pour clavecin (et non pour
orgue), à deux claviers et pédalier
(vers 1725), mais où apparaît, pour la
première fois peut-être, le plan ternaire
des morceaux, quoique pas toujours
avec netteté, ni avec un dessein
arrêté, mais par la fantaisie spéciale
du compositeur. Ces Sonates sont habituellement
formées d’un allegro, un
largo, un allegro ou presto. Là, peut-être
d’après l’exemple donné ou
indiqué par les Concertos de violon,
créés en 1686 par Torelli, ou par ceux
de Vivaldi (dans lesquels existe, par
le jeu des réponses du tutti, un acheminement
vers la réexposition), qu’il
affectionnait, au point d’en faire des
transcriptions pour l’orgue, J.-S. Bach
emploie à plusieurs reprises, dans le
mouvement vif, surtout dans sa Cinquième
Sonate, une exposition (mais
restant habituellement dans le ton
principal), un compartiment central
où tantôt le développement du thème
exposé est nettement dessiné, tantôt
au contraire apparaît un second thème
modulant et c’est lui alors qui détermine
le développement en le mêlant
plus ou moins au précédent, enfin
apparaît la réexposition. Dans le morceau
lent, c’est plutôt la construction
inspirée de la canzon francese ou de
l’air da capo, mais avec la première
partie concluant à la dominante, ce
que des pédagogues allemands modernes
ont nommé forme lied, sans aucune
raison valable. Les Sonates de Bach
en trio et celles pour viole de gambe
procèdent du même esprit. Dans tout
ce groupe de sonates, on peut remarquer
l’influence grandissante que
prend, quand il y en a une, la seconde
idée, modulante, qui n’apparaît d’ailleurs
que dans la partie centrale. C’est
l’acheminement vers la sonate à deux
thèmes, qu’inaugura son fils Philippe-Emmanuel.
Mais on peut le remarquer
plus nettement dans quelques-uns des
Préludes de Jean-Sébastien : nous citerons
les nos 13 et 24 du iie livre du
Clavecin bien tempéré, et surtout le
No (à un thème seulement), mais
où l’exposition en deux tons, séparés
par un conduit, et la réexposition concluante,
sont nettement dans la forme
que prendra la sonate. Voir aussi le
Solo per il cembalo de son Petit livre
de clavecin, déjà mouvement de sonate
bithématique. On cite ordinairement
le 1er livre de François Duval, pour le
violon, publié en 1704, comme le premier
œuvre de sonates françaises. Les
Sonates de Duval sont coupées ordinairement
en 3 mouvements, mais qui
ressortissent des formes de danse et
en portent les titres. La 2e et la 5e suite
du 1er livre et la 12e sonate du 2e livre
(1707) sont intitulées Rossignol. On
trouve des préludes, gigues, sarabandes,
rondeaux, airs, etc. La forme
sonate est constituée seulement par la
division en trois pièces dont celle du
milieu en mouvement lent (sarabande,
ou air). Mais il existe des sonates
françaises de violon plus anciennes
restées en manuscrit, de Brossard, de
Rebel, de Mlle de la Guerre. Bien que
Duval ait devancé Rebel dans la publication
de sonates à violon seul, puisque
son œuvre i porte la date 1704, et
les Pièces de Rebel, 1705, il existe des
Sonates de J.-F. Rebel un ms. daté
de 1695, signalé par L. de la Laurencie.
Rebel n’a pas cherché à imiter
les violonistes italiens qu’il connaissait.
Il ne se conforme pas au plan
à 4 compartiments instaurés par Corelli.
Il écrit des pièces de type assez libre,
ornées dans la première version de titres
galants ou mythologiques, la Flore,
l’Apollon, etc. Plus de noms de danses :
termes de mouvement, Gay, vif, etc.
C’est ce que fera encore Rameau dans
ses Pièces en Concerts. Cependant,
jusque vers 1780, les sonates françaises
d’instruments entremêleront presque
toujours les morceaux de suite et les
mouvements de sonate, et resteront
même fidèles à un type ancien assez
fréquent : un largo servant d’introduction
à un mouvement vif, construction
deux ou trois fois répétée,
toujours en forme binaire. Ph.-E. Bach
va être le premier auteur qui adoptera
résolument la forme ternaire des morceaux de sonate, et, en même temps,
l’exposition (et par conséquent la
réexposition) à deux thèmes, jointe à
cet emprunt fait à la forme suite, que
l’exposition module toujours à la dominante
dans le mode majeur, au relatif
de préférence dans le mode mineur.
Dans la réexposition, la seconde idée
change donc de ton, pour clore le
morceau dans le ton initial. Il y a là
une innovation géniale : Ph.-E. Bach
la complète encore en écrivant tout
particulièrement pour le clavier seul,
d’où l’écriture scolastique précédemment
en usage pour l’équilibre des
sonates va disparaître, et le style
« galant » dominer. Soixante-dix Sonates
pour clavier, composées ou publiées
de 1740 à 1787, constituent son
œuvre en ce sens. Elles sont presque
toutes en trois morceaux, tantôt séparés,
tantôt s’enchaînant. Ph.-E. Bach
est donc l’inventeur véritable de la
sonate bithématique et de coupe ternaire,
qui deviendra rapidement la
seule employée, et jusqu’à notre époque
comprise. En même temps, principal
initiateur de la sonate pour clavier
seul, il prélude ainsi directement à
l’éclosion des grands chefs-d’œuvre que
la littérature de piano fournira jusques
et y compris Beethoven. Haydn est
en ce sens le successeur de Ph.-E. Bach,
et aussi fécond que lui. Mais, aux formes
de musique pure (allegro et adagio)
de la sonate de J.-S. Beach et de son
fils, il mêle par un reste de la Suite, des
formes de danse, menuet ou rondeau,
par quoi il termine volontiers l’œuvre.
Il emploie aussi les procédés d’Alberti,
compositeur italien (vers 1750), et
surtout la fameuse basse à laquelle ce
dernier a attaché son nom.
Dès 1770, Haydn trouve un émule en Clémenti : celui-ci restera encore fidèle, pendant quelque temps, à la sonate à un seul thème, bien que de coupe ternaire. Ses premières Sonates sont souvent composées de deux mouvements seulement, mais on y reconnaît avec étonnement les idées, les caractéristiques qui annoncent Beethoven et un Beethoven parfois très avancé. C’est qu’un autre élément a influencé Clementi, comme il a influencé Mozart : le style mixte créé à Paris par des musiciens rhénans qui s’y étaient fixés, où entre pour une part importante l’ampleur introduite par Rameau dans ses grandes Suites, style que l’on remarque dans les Sonates parisiennes de Schobert (1764), chez Edelmann et surtout Hullmandel (1777-1778) que Mozart imitera étroitement. À partir de 1781, Haydn, Clementi, Mozart, ces deux derniers surtout, rivalisent dans la composition et le développement de la sonate, et amènent ainsi l’éclosion du génie beethovénien, dont la première manifestation est de 1795. Alors que Clementi et Mozart usent peu du menuet, Beethoven, dès sa première Sonate, l’adopte, mais sous une forme plus piquante, plus concertée, de plus en plus éloignée du caractère de la danse originale : il le dénomme scherzo, et va aller constamment le développant et, chose curieuse, augmentant progressivement sa vitesse. Ses premiers scherzi sont simplement marqués de la nuance d’exécution allegretto, ou tempo di minuetto ; il adopte assez vite allegro (3e Sonate de piano) puis assai allegro (op. 14), allegro vivace (op. 28), assai vivace (Sonate à l’Archiduc). Dans sa viie Symphonie, le morceau qui tient la place du scherzo, et en emploie la forme, mais amplifiée, a pour indication presto, et l’énorme vitesse de 180 du métronome pour la mesure, s’il n’y a pas là une erreur. Dans la dernière partie de ses Sonates pour piano, à partir de l’op. 101 (1816), Beethoven se souvient des formes scolastiques et va sertir, en ses Sonates où le style galant et symphonique se reconnaît encore, des mouvements fugués et même des fugues entières. À dater de ce moment, — et le même processus peut être observé dans ses œuvres de musique de chambre et de symphonie, — Beethoven cherchera à modifier, à agrandir, à transformer le plan des sonates jusqu’à en faire de vastes drames musicaux. Il convient de remarquer que, dans toute sa carrière, il a souvent été précédé par le génie de Clementi, dans les Sonates duquel on remarque, dès 1788 à 1790, l’emploi de thèmes, d’harmonies, la manière de les élaborer, que Beethoven n’appliquera que vingt ans plus tard : en particulier, à partir de l’op. 34 de Clementi (réduction au piano d’une de ses Symphonies), les Caprices, op. 35, l’op. 40, etc. ; beaucoup plus tard, le mouvement inverse se remarque et, dans les Sonates composées par Clementi entre 1815 et 1820 (op. 47 et suiv.), il utilise les recherches beethovéniennes, dans une direction qui fait pressentir quelque peu Chopin, mais surtout l’écriture orchestrale que R. Wagner adoptera. L’étude et l’analyse de l’adagio de la Sonate, op. 50, no 1, de Clementi (vers 1820), et des divers morceaux de sonate compris dans le t. iii de son Gradus ad Parnassum, sont particulièrement précieuses à ce sujet. Les maîtres romantiques ont peu ajouté d’intéressant à la sonate, dont souvent ils n’ont pas saisi le plan. C’est à peine si de Weber, de Schubert, et de Schumann on peut, de chacun d’eux, signaler une ou deux sonates : ils en ont d’ailleurs peu écrit. Il faut arriver dans l’école française, vers 1860, pour voir se prolonger, tout d’abord, la sonate classique, avec les Sonates de Saint-Saëns pour violoncelle, op. 32, pour violon, op. 75 et 102 ; puis vient un véritable renouvellement, où il semble que la lignée de Beethoven soit renouée, avec César Franck, Grande pièce symphonique pour orgue (1861) ; Sonate pour piano et violon (1886) ; Prélude, Aria, et Finale pour piano (1887) ; Guilmant, avec ses diverses Sonates d’orgue ; Gabriel Fauré, op. 13, pour violon (1878), et enfin une série de musiciens qui appartiennent presque tous à l’école de Franck : Lekeu, Sonate pour violon publiée en 1894, puis à partir de 1900, celles de Paul Dukas, A. Magnard, Guy-Ropartz, V. d’Indy, J. Huré, L. Vierne, presque toutes pour piano et violon. On a donc assisté de nos jours à une véritable rénovation du genre sonate, plus spécialement dans l’école française. Les écoles étrangères modernes se sont surtout traînées dans l’imitation des formes classiques, avec l’adjonction des éléments romantiques, sans qu’il y ait rien de particulièrement remarquable à signaler. En résumé, ce qui constitue la forme de la sonate, c’est l’alternance de mouvements lents et vifs, dérivée d’une forme de la canzone. Habituellement, elle comprend trois morceaux, rarement deux, souvent quarte : la coupe de chacun a, de bonne heure, tendance à observer un plan ternaire : exposition, partie centrale ou développement, réexposition. À partir de Ph.-E. Bach, le plan ternaire devient obligatoire — ce qui distinguera désormais la sonate de la suite, — les morceaux sont habituellement composés sur deux thèmes, et la modulation à la dominante (ou au relatif majeur) s’impose à la double barre qui divise le morceau en indiquant la reprise. (Voy. Concerto, Suite.)