CRÊTE, s. f. C’est le nom que l’on donne au couronnement décoré d’un comble. On disait d’un toit, au moyen âge, qu’il était quarnelé ou crêtelé, lorsque son faîtage était couronné d’une crête en pierres, en terre cuite ou en métal.
Pendant la période romane, les combles formaient un angle très-obtus à leur sommet, conformément à la méthode antique. Si l’édifice était voûté en berceau, la couverture en dalles ou en tuiles était posée à cru sur l’extrados de la voûte, et un faîtage en pierre recouvrait la jonction des deux versants du comble ; ce faîtage était souvent décoré d’ajours, ainsi qu’on peut le voir encore dans la plupart des édifices de l’Auvergne. Plus tard même (au XIIe siècle), des faîtages en pierres découpées furent posés au sommet des charpentes. Plusieurs raisons motivaient l’emploi de ces sortes de couronnements. D’abord, la plupart des charpentes étaient dépourvues de sous-faîtes et de pannes ; elles ne se composaient que d’une suite de chevrons espacés ; il était nécessaire alors de donner de l’assiette à ces chevrons non reliés entre eux, au moyen d’un poids posé à leur extrémité. Il fallait encore recouvrir les dernières tuiles par des faîtières qui fussent assez lourdes pour ne pas être renversées par l’effort du vent et assez larges pour empêcher la pluie ou la neige de passer entre les deux rampans de tuiles.
Chacun a pu voir comment, sur les toitures en chaume, les paysans forment un large faîtage de boue, dans laquelle ils piquent des plantes grasses pour maintenir la terre et l’empêcher de se dissoudre à la pluie (1).
L’origine des crêtes de comble se retrouve dans ce procédé naïf.
Sur les couvertures des édifices voûtés en berceau de l’Auvergne et des provinces méridionales de la France, on voit encore des crêtes en pierre découpée qui sont assez élégantes. En voici (2) plusieurs modèles : ces crêtes posent à cru sur la voûte, ainsi qu’il est indiqué en A. Au sommet des chapelles absidales de Notre-Dame-du-Port, à Clermont, il existe d’élégants bouts de crêtes évidés dans des dalles qui partent du sommet du cône formé par la couverture en dalles de ces chapelles, et vont s’appuyer le long du mur du bas-côté (3). Dans les provinces où la tuile fut employée généralement pour les couvertures, comme en Bourgogne, par exemple, les crêtes des combles sont composées au moyen d’une suite de faîtières en terre cuite plus ou moins décorées (voy. Faîtière, Tuile ).Ce n’est pas seulement sur les combles recouvrant les voûtes que l’on plaça des crêtes en pierre : quelquefois (et surtout pendant la période ogivale) on voit des crêtes sculptées sur les sommets des contre-forts couronnés par des larmiers à double pente.On trouve des exemples de ces crêtes couronnant les sommets des contre-forts de la nef de l’église de Notre-Dame de Dijon (4) (commencement du XIIIe siècle).
Ici, ce sont des animaux entremêlés de feuillages, disposés irrégulièrement. Plus tard, pendant les XIVe et XVe siècles, ces sortes de crêtes se composent d’ornements réguliers terminés par des feuillages (5).
Sur les charpentes recouvertes en ardoises ou en métal, on posa presque toujours des crêtes en plomb dès le XIIe siècle. La présence de ces crêtes en plomb était motivée par la combinaison même des charpentes qui consistaient, ainsi que nous venons de le dire, en une suite de chevrons non reliés entre eux par des sous-faîtes et des pannes. Le poids de la crête de plomb placé au sommet de ces chevrons assurait leur stabilité. Des crêtes de plomb sur des édifices antérieurs au XVe siècle, il ne reste plus trace ; on ne peut constater leur présence que sur les bas-reliefs, les vignettes des manuscrits, et sur les châsses faites souvent en forme de petites églises. C’est dans ces objets d’orfèvrerie qu’il faut nécessairement aujourd’hui aller chercher les modèles des crêtes de métal des XIIe, XIIIe et XIVe siècles, et ces modèles sont nombreux. Toutefois, si l’on veut se servir de ces crêtes d’orfèvrerie pour les appliquer à des monuments, il faut tenir compte de la différence d’échelle et modifier le dessin en conséquence. Telle crête de châsse d’une hauteur de cinq à six centimètres, qui produit un bon effet, deviendrait lourde et massive si on se contentait de la grandir à un mètre de hauteur. L’expérience seule peut indiquer les dimensions et proportions qu’il faut donner aux décorations qui se découpent sur le ciel. Tel ornement qui semble bien composé et proportionné dans l’atelier est disgracieux, lourd ou confus, placé à trente mètres d’élévation et se détachant en silhouette sur le ciel. Dans cette position, il arrive, par exemple, que les parties délicates sont dévorées par la lumière, et les parties pleines, au contraire, s’alourdissent en perdant leurs détails. Les dessins larges, bien accusés, faciles à saisir, simples de modelé, sont ceux qui produisent l’effet le plus satisfaisant. D’ailleurs, pour que ces sortes de décorations soient comprises, il est nécessaire que le même dessin se répète un grand nombre de fois. Il faut donc penser, en composant ces frises ajourées, à l’étendue qu’elles doivent occuper, le plus ou moins de développement de l’ornement devant influer sur sa composition. Si la crête ne se développe que sur une longueur de quelques mètres, il faudra choisir, comme pour les balustrades, un dessin serré, dans lequel les ornements se rapprochent de la verticale ; si, au contraire, la crête occupe un long faîtage, il sera nécessaire d’élargir la composition du dessin.
Les crêtes en métal qui existaient sur les combles couverts en plomb ou en ardoises étaient, au XIIe siècle (autant qu’on en peut juger par l’examen des bas-reliefs), absolument pareilles, comme style, à celles qui décorent les châsses de cette époque ; elles paraissent avoir pris, comme dimension et richesse, une grande importance vers la fin de ce siècle. Inutile d’insister sur la composition des dessins, qui se conformait au goût parfait de ce temps. Nous donnons (6) une de ces crêtes.
Vers le milieu du XIIIe siècle, les crêtes en métal se transforment comme toute l’ornementation monumentale. On abandonne les dernières traditions des dessins venus d’Orient pour adopter la flore indigène (7). Ces crêtes en plomb étaient généralement assez hautes, proportionnées, d’ailleurs, à la dimension des combles ; pour un comble de 12m,00 de hauteur, une crête ne peut avoir moins de 1m,00 au-dessus du faîtage. Il fallait des armatures en fer pour porter les lames de plomb repoussé qui composaient la crête. Ces armatures, ainsi que nous l’avons dit précédemment, s’assemblant en forme de V sur les chanlattes réunissant les chevrons à leur extrémité, maintenaient ainsi ces chevrons dans leur plan vertical, et, par leur poids, empêchaient le hiement des charpentes.
La fig. 7 bis donne l’armature en fer de la crête précédente. Cette armature posée, on soudait les ornements en deux coquilles, repoussés au marteau, après avoir eu le soin de poser les bavettes de faîtages sur les chanlattes AA. Ces procédés sont encore employés aujourd’hui. Il fallait toutefois que les dessins fussent composés de manière à permettre une combinaison d’armatures en fer simple et solide à la fois ; si ces armatures faisaient défaut, les plombs, repoussés et abandonnés à leur propre poids, ne tardaient guère à s’affaisser. Les crêtes antérieures au XVe siècle n’ont probablement pas duré longtemps ; il faut croire que les armatures destinées à les maintenir étaient insuffisantes ou posées avec peu de soin. Frappés des inconvénients attachés au système adopté depuis le XIIe siècle, les architectes du XVe siècle composèrent toutes leurs crêtes comme des balustrades, c’est-à-dire avec une tringle de fer horizontale, servant de couronnement au dessin choisi. C’est ainsi que sont composées les crêtes du comble de la Sainte-Chapelle de Paris réparé sous Charles VII, du faîtage de la tour Saint-Romain dépendant de la cathédrale de Rouen (8) ;
On couronna par des crêtes en plomb les combles en ardoises des édifices publics et ceux des maisons même jusque vers la fin du règne de Louis XIII. À dater du règne de Louis XIV, on évita de donner de l’importance aux combles, on chercha même à les dissimuler ; il n’y avait plus lieu de s’occuper, par conséquent, d’orner ce qu’on prétendait cacher. La plomberie qui couronne le comble de la chapelle de Versailles est une des dernières qui ait été fabriquée avec art. Au commencement du XVIIIe siècle, cette belle industrie de la plomberie repoussée et fondue était perdue, et c’est à peine si, vers la fin du dernier siècle, on savait faire des soudures (voy. Plomberie ).