CRÉNEAU, s. m. Quernal, aquarniau, carnel, créniau. Aujourd’hui on ne désigne par le mot créneau que les vides pratiqués dans un parapet pour permettre aux défenseurs des murailles de voir les assaillants et de leur lancer des projectiles. Mais au moyen âge, on entendait par créneau toute ouverture pratiquée au sommet d’une tour ou d’une courtine, couverte ou découverte, et qui servait à la défense. Nous reprenons la dénomination employée pendant le moyen âge, et nous parlerons des créneaux couverts ou découverts, libres ou fermés par des volets. Disons d’abord que les intervalles pleins laissés entre les créneaux sont les merlons, car il n’y a pas de créneaux sans merlons, comme il n’y a pas de fenêtres sans trumeaux.
Cependant il est certain qu’au moyen âge on donnait le nom de créneau indistinctement aux vides laissés entre les merlons ou aux merlons eux-mêmes.
« Si se vont esbatre en la tor
As fenestres vont tot entor (fenêtre ici pour créneau)
Et le chevalier tient l’espié
A un carnel s’est apuié[1]. »
Carnel est évidemment ici le merlon, car on ne s’appuie pas contre un vide. Quoi qu’il en soit, et comme nous prenons autant que possible les dénominations adoptées généralement, il est entendu que, pour nous, le créneau est le vide et le merlon désigne le plein.
Les dimensions des crénelages étant données par la taille de l’homme, ces dimensions varient peu : les merlons ont toujours à peu près deux mètres de hauteur, pour pouvoir garantir complètement les défenseurs ; les appuis des créneaux sont à un mètre du sol du chemin de ronde, et leur largeur varie d’un mètre, à soixante-dix centimètres. Quant aux largeurs des merlons, elles sont très-variables ; nous allons voir pourquoi.
Les créneaux qui couronnent les fortifications gallo-romaines sont percés habituellement dans des parapets d’une épaisseur assez forte, 0,50 c. environ, construits en moellons taillés et en brique, couronnés par une dalle de recouvrement formant une saillie tout autour du merlon, ainsi que l’indique la fig. 1.

Ce système de crénelages ne paraît pas avoir été suivi sous les Romains de l’Empire ; ceux-ci se contentent du crénelage que nous avons tracé fig. 1. Jusque vers la fin du XIe siècle, il ne semble pas qu’on ait apporté des modifications sensibles à ces crénelages romains. À cette époque, les expéditions en Orient firent connaître des moyens de défense et d’attaque relativement très-perfectionnés. Les Byzantins et par suite les Arabes possédaient des machines de guerre qui faisaient l’admiration des Occidentaux en même temps qu’elles jetaient la terreur dans leurs rangs ; les murs de leurs places fortes étaient bien munis, bien défendus. Aussi est-ce après les premières croisades que l’on voit, en Occident, le système de la défense supérieure des tours et murs se modifier totalement. Non-seulement le système de crénelage est changé, mais il se combine avec le système des mâchicoulis mobiles en bois connus sous le nom de hourds (voy. Hourd). Les merlons s’allongent, les créneaux deviennent plus espacés et, entre eux, au milieu des merlons, de petites ouvertures (archières) sont pratiquées pour le tir de l’arbalète à main ; on évite avec grand soin ces tablettes saillantes qui couronnaient les merlons antiques, car ces saillies facilitaient l’escalade ou donnaient prise aux grappins que les assaillants jetaient au sommet des murailles pour renverser les parapets. Les crénelages les plus anciens que nous connaissions en France, construits après les premières croisades, sont ceux qui couronnent les tours et courtines du château de Carcassonne (fin du XIe siècle ou commencement du XIIe). Ils sont intacts ; en voici le détail (2).

Déjà, ici, des trous sont percés dans les merlons pour le tir de l’arbalète : ce sont des fentes étroites, s’ébrasant à l’intérieur en forme d’arcade. Ces merlons sont épais, bâtis en pierre de taille aux angles et en moellon smillé. Des trous de hourds sont percés au niveau du sol du chemin de ronde ou des planchers, et un peu au-dessous de l’appui des créneaux ; les trous inférieurs, pour recevoir des liens destinés à soulager les solives en bascule passent par les trous supérieurs (voy. Hourd). Les hourds posés, leur sol se trouvait alors au niveau de l’appui des créneaux ; aussi les merlons sont assez hauts pour permettre à un homme de passer debout par les créneaux, comme par autant de portes, afin de se poster sur les hourds. En temps de paix, les crénelages des courtines du château de Carcassonne n’étaient pas couverts, tandis que ceux des tours l’étaient en tout temps par des combles à demeure. Les sablières de ces combles passaient sur les têtes des merlons et formaient linteaux (voy. Tour ). Les tours commandant toujours les courtines, mais étant mises en communication avec leurs chemins de ronde par des portes bien ferrées et des escaliers, on faisait ressauter les crénelages, afin de garantir les gens qui se trouvaient sur ces degrés, ainsi que l’indique la fig. 3, tirée des défenses du même château de Carcassonne.

L’influence orientale est singulièrement prononcée dans un crénelage du XIIe siècle conservé encore sur une partie du transsept sud de la cathédrale de Béziers. On sait toute l’importance qu’avait acquise Béziers à cette époque ; elle était défendue par de puissantes murailles dont on voit encore des débris gigantesques. La cathédrale, bâtie au sommet de la cité, était pourvue d’une enceinte et était elle-même une véritable citadelle. Le transsept du sud commandait tout le cloître, dont les murs extérieurs étaient crénelés. Or, voici comment ce transsept était crénelé lui-même : sur deux contre-forts saillants qui appuient ses deux angles était élevé un parapet percé d’archères flanquantes.

Tel est (4) le plan de ce parapet crénelé. On voit que les cinq archères sont tracées de manière à envoyer des projectiles divergents. À l’intérieur, ces meurtrières sont évasées en arcades comme celles du château de Carcassonne.

Voici (5) l’aspect extérieur de ce parapet crénelé, avec la belle corniche quasi-orientale sur laquelle il repose. Le sol intérieur est au niveau A, et la tête saillante est une gargouille rejetant les eaux du chemin de ronde. Du sol du chemin de ronde, au-dessus de la corniche B, il n’y a qu’un mètre dix-huit centimètres de hauteur ; mais il faut savoir que ce crénelage domine tellement les alentours, que les hommes placés derrière, quoique leur tête dépassât le dessus de la corniche B, étaient parfaitement masqués pour des assaillants placés beaucoup au-dessous. Les quatre archères C (voy. le plan) sont très-plongeantes, tandis que celle D ne l’est pas ; et, en effet, cette archère ne pouvait servir qu’à viser en face et très-loin du pied du monument. La distance qui sépare le sol du chemin de ronde de la grande corniche inférieure est nécessaire pour que les tireurs dégagent la saillie de cette corniche, ce qu’indique suffisamment la coupe (6) faite sur l’axe d’une des archères C du plan.


Soit (7): en A, la face extérieure du crénelage ; en a sont les archères, qui n’ont pas plus de 0,07 c. à 0,08 c. d’ouverture ; en b sont les trous des hourds percés à distances égales, afin que les madriers qui doivent poser sur les solives puissent être coupés d’avance d’égale longueur ; en B, le plan du crénelage avec ses archères, lesquelles ont 0,40 c. à 0,45 c. d’ébrasement ; en C, la coupe sur un créneau ; en D, la coupe sur une archère, et, en E, la face intérieure sur le chemin de ronde. L’appui des archères est toujours placé à une assise en contre-bas de l’appui des créneaux ; et (voy. la coupe sur l’archère) l’extrémité de son talus plongeant arrive à une assise au-dessous des trous des hourds, afin que, les hourds étant posés, les arbalétriers puissent tirer sur les assaillants en-dessous des planchers de ces hourds. L’extrémité inférieure des archères est taillée ainsi que l’indique le tracé G, afin de donner plus de champ au tir sans démasquer l’arbalétrier. On voit que les détails sont combinés avec le plus grand soin ; les constructeurs observent rigoureusement les mêmes méthodes, à très-peu de différences près, pendant le cours du XIIIe siècle. Ce sont là des créneaux de courtines découverts en temps de paix et couverts seulement en cas de guerre par les toits des hourds (voy. Hourd).



Au commencement du XIVe siècle, le système de crénelage des tours et courtines fut de nouveau modifié entièrement ; aux hourds de bois, souvent incendiés par les assiégeants, on substitua des hourds de pierre, c’est-à-dire des mâchicoulis, et au lieu de laisser les crénelages en retraite, on les mit en saillie, en surplomb du nu des murailles, à l’extrémité des consoles ou sur les arcs que formaient ces mâchicoulis. Un des plus anciens exemples de ce mode de construction et un des plus curieux en ce qu’il emploie à la fois le moyen des arcs et des consoles pour porter le crénelage et composer une suite de mâchicoulis, se voit sur la façade occidentale de la cathédrale de Béziers, fortifiée au XIIe siècle, comme nous l’avons dit plus haut, réparée, rebâtie en partie et fortifiée de nouveau au commencement du XIVe siècle : (voy. Mâchicoulis.).
En faisant surplomber les parapets crénelés sur les nus extérieurs des murs, les constructeurs du XIVe siècle donnèrent aux profils des créneaux une forme nouvelle destinée à mieux préserver les défenseurs. Il faut dire que les créneaux ne servaient guère qu’à jeter des pierres sur les assaillants ; les arbalétriers ou les archers se postaient derrière les merlons et décochaient leurs traits ou carreaux par les longues fentes des meurtrières. Or, vers le milieu du XIVe siècle, les armées assiégeantes se faisaient accompagner de troupes très-nombreuses d’archers et d’arbalétriers qui, lorsqu’on attaquait les remparts au moyen de la sape ou qu’on voulait les escalader, couvraient les crénelages de projectiles, afin d’empêcher les assiégés de se montrer. Les anciens créneaux, avec leurs faces retournées à angle droit, faisaient ricocher les traits, lesquels alors blessaient même les défenseurs cachés derrière les merlons. Les architectes, pour éviter cet inconvénient, donnèrent aux créneaux des ébrasements extérieurs prononcés, et profilèrent ces ébrasements de façon à empêcher les ricochets.
La figure 11 explique ce détail de la défense : A est la coupe de l’appui du créneau ; on voit en B le profil inférieur, et en C le boudin supérieur qui arrêtaient les flèches et carreaux et les empêchaient de pénétrer en ricochant derrière les parapets. Les défenses établies au XIVe siècle devant la façade occidentale de la cathédrale de Béziers se composent d’un crénelage profilé conformément à ce système.

Nous indiquons dans la figure 12 la face extérieure du parapet crénelé, qui est posé sur un arc en avant de consoles formant quatre larges mâchicoulis qui s’ouvrent au-dessus de la rose centrale.

La figure 13 présente la coupe de ce crénelage : l’arc est en A : les mâchicoulis en B, avec leurs consoles en C, et les saillies D, destinées à empêcher les traits de remonter en ricochant par les trous des mâchicoulis ; la coupe est faite sur l’appui du créneau du milieu.

Depuis lors, les créneaux furent, dans les défenses bâties avec soin, munis de ces profils destinés à éviter les ricochets. Seulement, il arrive souvent, au XVe siècle, que les profils avec leurs ébrasements ne pourtournent pas les merlons, et se trouvent seulement sur l’appui des créneaux et sur le sommet des merlons, ainsi que l’indique la fig. 15.

Quelquefois, à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe (car les parapets crénelés persistèrent longtemps après l’invention de l’artillerie à feu), les merlons sont décorés de sculptures, d’écussons armoyés, de médaillons, comme à la tour des Gens-d’Armes de Caen et dans quelques châteaux de l’époque de transition. Cependant, lorsque l’emploi des bouches à feu devint général, on chercha à modifier les crénelages de manière à résister aux projectiles nouveaux et à permettre aux arquebusiers de s’en servir avec avantage. Ce n’est pas dans les châteaux féodaux français qu’il faut aller chercher ces perfectionnements. La noblesse française protesta longtemps contre l’emploi de la poudre à canon ; elle ne céda que fort tard à cette nouvelle puissance, dont, au contraire, les villes libres profitèrent avec empressement. C’est dans le Nord, en Suisse, dans les vieilles cités allemandes qu’il faut étudier ces perfectionnements introduits dans les détails de la fortification pendant que l’emploi de l’artillerie à feu devenait plus général.

En A est tracé le plan des merlons ; en B, le rouleau de pierre de la meurtrière est tourné de façon à permettre de tirer ; en C, de façon à masquer l’ouverture. Ces merlons, très-étroits d’ailleurs, sont munis de profils pour empêcher les balles de ricocher. Il existe des embrasures de ce genre dans les fortifications de Nuremberg antérieures à celles élevées par Albert Dürer (voy. Embrasure). On voit aussi, sur les courtines réunissant les gros bastions circulaires construits par cet habile artiste autour de la même ville, des crénelages disposés pour du canon et des arquebusiers qui méritent d’être mentionnés ici : ils sont percés dans un parapet très-épais ; les meurtrières se composent d’un trou circulaire avec une mire au-dessus ; les créneaux sont munis de volets en bois à bascule percés d’un trou pour pointer avant de démasquer la bouche de la pièce (17) ; le chemin de ronde est entièrement couvert par un appentis.


Au commencement du XVIe siècle, on voit souvent les courtines et boulevards réservés pour la grosse artillerie à feu, tandis que les crénelages, pour les arquebusiers, sont percés dans des parapets en contre-bas du couronnement de ces grands ouvrages. Ces parapets crénelés inférieurs prennent alors le nom de fausses braies (voy. au mot Architecture Militaire).
Les tours de commandement de l’enceinte de Nuremberg, élevées par Albert Dürer, sont couronnées par des crénelages en bois avec volets destinés à garantir les artilleurs qui servaient les pièces de petit calibre montées sur la plate-forme supérieure (voy. Tour ). Au sommet de la tour de guet du château de la même ville, on voit encore un crénelage en bois complet sous le comble, avec volets se relevant à l’intérieur.

- ↑ Roman du Renart, vers 22 573 et suiv.