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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Fonts (Baptismaux)

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FONTS, s. m. S’emploie au pluriel. Fonts baptismaux. Cuve destiné à contenir l’eau du baptême. Il y a lieu de supposer que, dans les premiers temps de l’Église, le baptême se donnait par aspersion, puisque les apôtres baptisaient des royaumes et des provinces entières, des milliers de personnes en un jour[1]. Le baptême se fit ensuite par infusion[2] ; puis par immersion. Les Ariens plongeaient trois fois le catéchumène dans l’eau pour marquer qu’il y avait trois natures aussi bien que trois personnes en Dieu. Saint Grégoire le Grand conseille à saint Léandre, évêque de Séville[3], de ne pratiquer qu’une immersion. Le quatrième concile de Tolède, en 633, a décidé la même chose et, rapportant la lettre de saint Grégoire, il déclare qu’une seule immersion signifie la mort et la résurrection de Jésus-Christ, et l’unité de la nature divine dans la trinité des personnes[4]. Sans entrer dans de plus amples détails à ce sujet, nous nous contenterons d’observer que, pendant le cours du moyen âge, en Occident, le baptême par immersion fut toujours pratiqué. Les bas-reliefs, les peintures des manuscrits et des vitraux nous montrent les catéchumènes baptisés par immersion. « Autrefois, dit Thiers[5], dans la province de Reims, et peut-être aussi ailleurs, après le baptême on donnait du vin à boire à l’enfant, en lui disant ces paroles : Corpus et sanguis Domini nostri Jesu Christi custodiat te in vitam æternam. C’était encore l’usage du Périgord de bénir du vin après le baptême et d’en faire boire à l’enfant nouvellement baptisé. Le rituel de Périgueux, de 1536, nous marque toute cette cérémonie. » Cet auteur ajoute plus loin : « Depuis un peu plus d’un siècle (c’est-à-dire depuis le commencement du XVIIe siècle), la coutume s’est introduite en quantité de paroisses, et particulièrement de la campagne, de sonner les cloches après le baptême des enfants. Ce sont, à mon avis, les sonneurs, les sacristains, les fossoyeurs, les bedeaux, qui l’ont introduite, par la considération de l’intérêt bursal qui leur en revient… Le concile provincial de Reims, en 1583, n’autorise pas cette coutume… »

Jusqu’au IXe siècle, il paraîtrait qu’on ne baptisait solennellement que les jours de Pâques et de la Pentecôte ; du moins cet usage semble-t-il avoir été établi à dater du Ve siècle, car il est certain que dans les premiers siècles du christianisme les apôtres baptisaient sans observer ni les jours ni les temps[6]. Clovis fut baptisé le jour de Noël[7]. Le pape saint Léon, qui s’élève avec force contre la coutume de baptiser en autres temps que le jour de la Résurrection, admet toutefois que le baptême peut être donné, en des cas extrêmes, hors le jour consacré.

Pascalin, évêque de Lilybée en Sicile, fait savoir au pape saint Léon, en 443, qu’il y avait, dans cette île, une église (du village de Meltines) dont les fonts se remplissaient miraculeusement tous les ans, la nuit de Pâques, à l’heure du baptême, sans qu’il y eût ni tuyau, ni canal, ni eau dans les environs. Après le baptême, cette eau disparaissait. Ajoutons, cependant, que saint Augustin dit clairement que le baptême pouvait être donné en tout temps : Per totum annum, sicut unicuique vel necessitas fuit vel voluntas

La solennité donnée au sacrement du baptême explique pourquoi, dans le voisinage des églises les plus anciennes, il y avait un baptistère ; c’est-à-dire un édifice assez spacieux pour contenir un certain nombre de catéchumènes venant le même jour pour recevoir le baptême. Ces édifices étaient ordinairement circulaires, occupés au centre par un bassin peu profond dans lequel on faisait descendre les personnes que l’on baptisait par immersion[8].

La coutume de baptiser les enfants peu après leur naissance, en tout temps, prévalut sur les défenses de saint Léon et des conciles de Tolède, d’Auxerre, de Paris et de Gironne ; dès le XIe siècle, nous voyons que des cuves baptismales sont placées dans toutes les églises, non dans des édifices spéciaux, et que le baptême est donné par les prêtres, en dehors des fêtes de Pâques, de la Pentecôte ou de Noël. C’est précisément la date de ces fonts baptismaux les plus anciens qui nous porte à croire qu’alors (au XIe siècle) cette coutume s’était définitivement introduite en France. Comme il ne s’agissait plus de baptiser des païens convertis, mais des enfants nouveau-nés, ces fonts sont d’une petite dimension et ne diffèrent de ceux que l’on fait aujourd’hui que par leur forme. Il n’est pas besoin, en effet, d’une cuve bien grande pour immerger un nouveau-né. En souvenir des baptistères, c’est-à dire des édifices uniquement destinés à contenir la cuve baptismale, on observe que les fonts disposés dans l’église étaient généralement couverts d’un édicule (1)[9].


Quelquefois ces fonts étaient des cuves antiques, dépouilles de monuments romains. Le P. Du Breul[10] prétend que la cuve de porphyre rouge que l’on voyait, de son temps, dans l’église abbatiale de Saint-Denis, derrière les châsses des martyrs, et qui avait été prise par Dagobert à l’église de Saint-Hilaire de Poitiers, servait de fonts baptismaux. Nous n’avons point à nous occuper des baptistères ni des bassins qu’ils protégeaient, puisque ces monuments sont antérieurs à la période de l’art que nous étudions ; les fonts baptismaux seuls doivent trouver place ici. Beaucoup de ces cuves, dès l’époque où elles furent en usage, étaient en métal, et consistaient en une large capsule enfermée et maintenue dans un cercle ou un châssis porté sur des colonnettes. Cette disposition paraît avoir été suivie souvent, lors même que les fonts étaient taillés dans un bloc de pierre.

Ainsi l’on voit, dans l’église de Saint-Pierre, à Montdidier, une cuve baptismale de la fin du XIe siècle, qui présente cette disposition (2).


Dans la crypte de l’église Notre-Dame de Chartres, il existe encore une cuve en pierre, du XIIe siècle, taillée de façon à figurer un vase inscrit dans un châssis porté sur des colonnettes. Cette tradition persiste encore pendant le XIIIe siècle, ainsi que le démontre la fig. 3, copiée sur une cuve de l’église de Ver (canton de Sains, Picardie)[11].

Souvent les fonts baptismaux du XIIe siècle sont de forme barlongue, afin probablement de permettre de coucher et d’immerger entièrement l’enfant que l’on baptisait. Il existe une cuve baptismale de cette forme et de ce temps dans la cathédrale d’Amiens : c’est une grande auge de 0,60 c. de large sur une longueur de 1m,60 environ et une profondeur de 0,50 c. Elle est fort simple ; aux quatre angles seulement sont sculptées les figures des quatre évangélistes, en demi-bosse et de petite dimension. Les pieds qui la supportent datent du XIIIe siècle.

Nous donnons (4) une petite cuve de ce genre qui provient de l’église de Thouveil (Maine-et-Loire). Elle date du XIe siècle. L’église de Limay, près Mantes, possède des fonts baptismaux du commencement du XIIIe siècle dont la forme se rapproche encore de celle-ci, mais qui sont assez richement sculptés. Cette cuve, reproduite dans l’ouvrage de M. Gailhabaud[12], est de forme ovale à l’intérieur, dodécagone allongé à l’extérieur ; deux des côtés parallèles au grand axe présentent une légère saillie réservée pour mieux détacher les angles du prisme qui sur ce point eussent été trop mousses. Un beau cordon de feuilles orne le bord supérieur ; la partie intermédiaire est occupée par douze rosaces parmi lesquelles se trouvent sculptés un agneau pascal, une croix et une tête de bœuf. Le socle en retraite présente une suite de petites arcatures. Le pavage autour de ces fonts offre une particularité assez remarquable : ce sont huit disques de pierres grises incrustées au nu des dalles, et qui semblent marquer les places des personnes qui doivent entourer la cuve au moment du baptême. Une feuillure a été ménagée sur le bord de la cuve pour recevoir un couvercle ; c’est qu’en effet les cuves baptismales, d’après les décrets des conciles, devaient être couvertes dès une époque fort ancienne, comme elles le sont encore aujourd’hui. Les fonts baptismaux de l’église paroissiale de la ville de Cluny méritent d’être signalés : taillés dans un bloc de pierre, ils affectent la forme d’une cuve hémisphérique à l’intérieur, et sont décorés à l’extérieur par quatre colonnettes supportant quatre têtes, entre lesquelles règne une frise de feuillages de lierre d’une bonne sculpture (5).
Les quatre petits repos qui portent les têtes avaient une utilité et servaient probablement à poser le sel, l’huile et les flambeaux. En A, nous donnons le plan de cette cuve ; en B, sa coupe. Elle date du milieu du XIIIe siècle.

Les cuves baptismales du moyen âge sont autant variées par la forme que par la matière. La façon dont elles sont décorées permet de supposer qu’une grande liberté était laissée aux artistes. Ces cuves sont à pans ou circulaires et même carrées, lobées, ovales, creusées à fond de cuve ou en cuvette ; leurs parois sont ornées de feuillages, de simples moulures, de figures ou de compartiments géométriques ; elles sont taillées dans de la pierre ou du marbre, coulées en bronze ou en plomb. Leurs couvercles se composent de châssis de bois, de lames de métal, ou sont richement ornés en forme de cônes ou de dais, et ne peuvent être enlevés alors qu’au moyen de potences ou de petites grues à demeure. Il n’est pas besoin de dire que les fonts baptismaux en bronze, antérieurs à la fin du dernier siècle, ont été fondus en France ; on en voit encore quelques-uns en Italie, en Allemagne et en Belgique[13]. Les fonts de la cathédrale de Hildesheim sont particulièrement remarquables. La cuve, dit M. de Caumont[14] auquel nous empruntons cette description, « repose sur quatre personnages ayant chacun un genou en terre et tenant une urne dont l’eau se répand sur le pavé : ce sont les figures emblématiques des quatre fleuves du Paradis ; et sur le cercle qui porte sur leurs épaules, on lit l’inscription suivante, expliquant le rapport symbolique de chacun de ces fleuves avec la prudence, la tempérance, le courage et la justice :


temperiem. geon. terre. designat. hiatvs.
est. velox. tigris. qvo. fortis. significatvr.
frvgifer. evfrates. est. jvstitia. qve. notatvs.
osmvtans. prison. est. prvdenti. similatvs. »


La cuve est couverte de quatre bas-reliefs représentant le passage du Jourdain par les Israélites sous la conduite de Josué, le passage de la mer Rouge, le baptême de Jésus-Christ, la Vierge et l’enfant Jésus, devant lesquels est l’évêque donateur Wilherms. Au-dessus des quatre fleuves sont huit médaillons représentant la Prudence et Isaïe, la Tempérance et Jérémie, le Courage et Daniel, la Justice et Ézéchiel. Au-dessus se voient les signes des évangélistes. Le couvercle conique est également décoré de bas-reliefs. Ces fonts, de la seconde moitié du XIIIe siècle, sont peut-être les plus beaux qui existent et les mieux composés par le choix des sujets accompagnés d’inscriptions. Nous citerons aussi les fonts en bronze de l’église de Saint-Sébald à Nuremberg, qui datent de la fin du XVe siècle. Autour du pied sont posés les quatre évangélistes, ronde-bosse, et autour de la cuve les douze apôtres en bas-relief dans une arcature d’un travail délicat.

À défaut de ces monuments précieux par le travail et la matière, nous ne trouvons plus en France que des fonts de peu de valeur. L’église de Berneuil (arrondissement de Doullens) contient des fonts qui présentent un certain intérêt.
La cuve est en plomb et date du XIIe siècle (6) ; autour sont disposées seize niches alternativement garnies de figures en demi-relief et d’ornements. Cette cuve repose sur un socle en pierre, à huit pans, d’une époque plus récente. L’ancien couvercle (en plomb probablement et de forme conique) a été remplacé par un chapeau de menuiserie du XVIe siècle. On voit, dans l’église de Lombez (Gers), une petite cuve baptismale en plomb de forme cylindrique, divisée en deux zones : la zone supérieure représente une chasse, celle inférieure seize figures dans des quatre-feuilles (7).
Le même modèle a servi cinq fois pour la zone supérieure, et dans la zone inférieure les seize petites figures qui représentent des ordres religieux sont obtenues au moyen de quatre modèles seulement. Ces sortes de cuves ne demandaient donc pas de grands frais de fabrication ; les fondeurs ou potiers d’étain qui les vendaient les composaient avec des modèles conservés en magasin : ainsi, dans l’exemple que nous donnons ici, le sujet de chasse est évidemment d’une époque antérieure aux petites figurines et aux quatre-feuilles de la zone inférieure, qui datent de la seconde moitié du XIIIe siècle. Un orifice A pratiqué au milieu du fond plat de la cuve sert à la vider.

À Visme (Somme), une cuve de même dimension en plomb, mais à huit pans, présente, sur sa paroi externe, seize arcatures qui autrefois étaient remplies de figurines en ronde-bosse rapportées sur des culs-de-lampe[15]. Ces fonts reposent sur une table de pierre portée sur quatre colonnettes, du commencement du XIIIe siècle ; la cuve est du XVe.

Quant aux fonts baptismaux du moyen âge dont les couvercles étaient mus au moyen de grues ou de potences en fer, on en voit de très-beaux à Hal, à Saint-Pierre de Louvain (Belgique), à Sainte-Colombe de Cologne. Ces monuments étant fort bien gravés dans l’ouvrage de M. Gailhabaud[16], il nous semble inutile de nous étendre sur leur composition. D’ailleurs leur style est étranger à l’art français.

Quelquefois, sur les parois intérieures des cuves baptismales, sont sculptés des poissons, des coquilles, des grenouilles. On voit, dans l’église Saint-Sauveur de Dinan (Bretagne), des fonts baptismaux du XIIe siècle qui se composent d’une sorte de coupe, portée par quatre figures très-mutilées et d’un travail grossier. L’intérieur de la cuve, taillé en cratère, est orné de godrons en creux et de deux poissons sculptés dans la masse.

Nous terminerons cet article en donnant les fonts baptismaux en pierre, d’une ornementation singulière, qui sont déposés près de la porte de la cathédrale de Langres (8) : ils datent de la fin du XIIIe siècle.

On se servait aussi, pendant le moyen âge, de cuves précieuses, apportées d’Orient, pour baptiser les enfants. Chacun a pu voir, au musée des Souverains, à Paris, la belle cuve de travail persan dans laquelle on prétend qu’ont été baptisés les enfants de saint Louis.

« Isnelement fist un fonz aprester,
En une cuve qui fu de marbre cler,
Qui vint d’Arrabe en Orenge par mer.
El fonz le metent : quant l’ont fet enz entrer,
Se’l baptiza li vesques Aymer[17]. »

Lorsque l’on renonça aux baptistères, on plaça cependant les fonts baptismaux dans une chapelle fermée, autant que faire se pouvait. Aujourd’hui, les fonts doivent être non-seulement couverts, mais dans un lieu séparé de la foule des fidèles par une clôture.

  1. Saint-Luc. Actes, ch. 2 et 4.
  2. Arcudius. De Sacram. LI.
  3. L. III, Épist. XLI.
  4. C. VI.
  5. Des Superstitions, t. II, ch. XII.
  6. Primum omnes docebant, et omnes baptizabant quibuscumque diebus vel temporibus fuisset occasio (Auctor sub nomine Ambrosii, in Epist. ad Ephes., cap. IV). Voy. Guillaume Durand, trad., édit. de M. Barthélemy. Notes, t. IV, p. 430 et suiv.
  7. Lettre de Saint-Avit, évêque de Vienne, à Clovis.
  8. Il existe un baptistère à côté de la basilique de Saint-Jean-de-Latran à Rome ; on a depuis peu découvert celui qui était proche de l’ancienne cathédrale de Marseille, du Ve siècle. On voit encore ceux des cathédrales d’Aix en Provence et de Fréjus. L’édifice placé sous le vocable de saint Jean, à Poitiers, paraît avoir servi de baptistère pendant les Ve et VIe siècles.
  9. Ivoire du XIe siècle. Collect. de l’auteur.
  10. Le Théât. des Antiq. de Paris, 1622. L. IV, p. 1103.
  11. Nous devons ces dessins à l’obligeance de M. Duthoit, d’Amiens.
  12. L’Architecture et les arts qui en dépendent. t. IV.
  13. Voy. l’Architecture et les arts qui en dépendent, t. IV. M. Gailhabaud.
  14. Bulletin monum., t, XX, p. 299.
  15. Ces figurines ont été enlevées.
  16. L’Architecture et les arts qui en dépendent, t. IV.
  17. Guillaume d’Orange. Chanson de geste des XIe et XIIe siècles, vers 7584, et suiv. Baptême de Renouerd.