Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Grange

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GRANGE, s. f. Bâtiment rural propre à renfermer les fourrages et les grains. Les moines, qui s’occupaient fort, surtout à dater du XIe siècle, de travaux agricoles, bâtirent un grand nombre de granges soit dans l’enceinte des abbayes, soit dans la campagne. À l’article Architecture Monastique, nous avons donné quelques-uns de ces bâtiments, entourés de murs de clôture, comme le sont aujourd’hui nos fermes. Ces granges étaient en assez grand nombre et généralement bien construites, car il en existe encore plusieurs dans l’Île-de-France, la Normandie, la Champagne et la Touraine, qui datent des XIIe, XIIIe et XIVe siècles. C’est principalement à la fin du XIIe siècle, au moment où les abbayes, devenues très-riches, s’appliquaient à l’exploitation de leurs terres, que les plus belles granges et les plus vastes ont été élevées. Habituellement elles se composent de trois nefs séparées par deux rangées de piles ou de poteaux supportant une énorme charpente. MM. Verdier et Catiois, dans leur excellent ouvrage sur l’Architecture domestique au moyen âge, en donnent quelques-unes, et entre autres la belle grange monumentale de l’abbaye de Maubuisson, qui date de la première moitié du XIIIe siècle. M. de Caumont, dans son Bulletin monumental[1], signale celles de Perrières, celle d’Ardennes, celles de l’Eure ; elles datent des XIIe, XIIIe et XIVe siècles. L’une des granges de l’abbaye de Longchamps, près Paris, existe encore tout entière ; elle date du XIIIe siècle. Nous en donnons le plan (1).
L’entrée est pratiquée sur l’un des grands côtés, en A. Cette entrée se compose d’une porte charretière, avec porte bâtarde à côté ; en B est un puits.
La fig. 2 présente l’un des pignons renforcés chacun de cinq contre-forts, et la fig. 3 la coupe transversale.
La charpente est exécutée avec le plus grand soin, en beau bois de chêne, à vive arête. La fig. 4 donne l’une des travées longitudinales[2].
Ces granges sont toujours placées sur des terrains abrités, secs, nivelés avec soin, de manière à éloigner les eaux pluviales de la base des murs. Dans le voisinage des châteaux, et même quelquefois dans la bâille, des granges étaient élevées pour recevoir les approvisionnements de fourrages et de grains nécessaires à la garnison.

Les grandes abbayes avaient le soin de bâtir leurs granges sur des terrains entourés de murs de clôture, défendus par des échauguettes et de bonnes portes flanquées. Ces centres de provisions de grains et de fourrages étaient occupés par des moines que l’on détachait temporairement dans ces établissements isolés au milieu des champs, par suite de quelque faute, et pour faire pénitence. Ils étaient habités aussi par des frères convers et par des paysans. Ils contenaient donc des logements disposés près des portes, et, la nuit, les voyageurs pouvaient trouver un gîte dans ces dépendances, signalées au loin par un fanal et le son d’une cloche suspendue au-dessus de l’une des entrées. Peu à peu les granges d’abbayes, avec leurs enceintes et logis, virent se grouper autour d’elles des habitations de paysans, et devinrent ainsi le noyau d’un hameau. Nous avons en France beaucoup de villages qui n’ont pas une autre origine, et qui ont conservé le nom de la Grange. En temps de guerre, les paysans se renfermaient dans l’enceinte et s’y défendaient de leur mieux. À l’instigation de quelque seigneur rival de l’abbaye, il leur arrivait aussi de piller les granges des moines ou d’y mettre le feu, ce qui ne leur était pas d’un grand profit.

Quelquefois ces bâtiments ruraux contenaient des étables à rez-de-chaussée ; telle est la belle grange qui existe encore près de l’église de Saint-Martin-au-Bois, dans le département de l’Oise. Le rez-de-chaussée est voûté et est destiné à recevoir des troupeaux ; au-dessus, un vaste grenier sert de magasin aux fourrages. Les granges sont elles-mêmes, dans certaines localités, des bâtiments fortifiés, entourés de fossés, flanqués de tours ; toutefois cette disposition n’apparaît guère qu’au XVe siècle, c’est-à-dire à l’époque où la campagne, en France, était continuellement ravagée par des bandes de routiers.

  1. T. XIV, p. 491 ; t. XV, p. 193, 443 et 492.
  2. Nous devons ces dessins, relevés avec le plus grand soin, à M. Davioud, architecte de la ville de Paris.