Aller au contenu

Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Stalle

La bibliothèque libre.
Soubassement <
Index alphabétique - S
> Station
Index par tome

STALLE, s. f. (chaire, fourme, forme). Nous n’avons à nous occuper ici que des stalles de chœur ou de salles capitulaires, c’est-à-dire de ces rangées de sièges qui, placés dans le chœur des églises ou dans les salles d’assemblées, sont destinés aux membres du clergé, aux religieux d’un monastère, à un chapitre, ou même à des laïques réunis en conseil.

Dans les plus anciennes églises occidentales, dans les cathédrales et les grandes abbayes, l’évêque, l’abbé, étaient assis au fond du chœur, derrière l’autel. Autour d’eux prenaient place, sur des bancs disposés en hémicycle, les membres du chapitre ou de la congrégation. La cathedra, le siège épiscopal, dominait les bancs de pierre, de marbre ou de bois qui garnissaient le fond de l’abside. Cette disposition, encore conservée dans quelques-unes des églises d’Italie les plus anciennes, a complètement disparu en France, où l’on ne trouve plus trace, dans nos édifices religieux, de la cathedra et des sièges qui l’accompagnaient. Depuis le XIIIe siècle, dans les cathédrales, les sièges du clergé ont été placés en avant du sanctuaire, des deux côtés de l’espace qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de chœur, et qui occupe habituellement la partie de l’église comprise entre le transsept et les marches du sanctuaire montant à l’autel.

Le chœur, ainsi garni de stalles sur les côtés et le devant, a été enveloppé de clôtures plus ou moins riches et fermé sur le transsept par un jubé percé d’une ou de trois portes[1].

Dans les églises abbatiales, le chœur était, le plus souvent, à dater de la même époque, placé à l’extrémité de la nef et dans le transsept ; toute la portion orientale étant réservée au sanctuaire établi sur les cryptes renfermant les corps-saints.

Il y a tout lieu de croire que les stalles de bois remontent, en France, à une époque reculée. La rigueur du climat ne permettait guère l’établissement de bancs ou de stalles de pierre ou de marbre, ainsi que cela était pratiqué dans les églises latines d’Italie et de Sicile. D’ailleurs l’habitude de travailler le bois dans les Gaules, et l’abondance de cette matière sur le sol français, ont dû faire admettre de très-bonne heure les stalles de bois. Cependant nous n’en possédons pas qui soient antérieures au XIIIe siècle ; celles qui nous restent de cette époque accusent toutefois des formes arrêtées qui ne peuvent être que la conséquence d’une longue tradition. Depuis lors la disposition des stalles n’a pas changé. On n’a rien su trouver de mieux ou d’un usage plus commode.

Les stalles de bois se composent d’un dossier ou dorsal assez élevé et terminé à sa partie supérieure par une saillie en forme de dais ; d’accoudoirs ; d’une tablette servant de siège, tournant sur charnières ou pivots et sous laquelle est fixée une console appelée miséricorde ou patience, qui permet à l’assistant aux offices de s’asseoir, tout en paraissant être debout. Devant chaque stalle est un prie-Dieu qui sert de dossier au rang des stalles basses dépourvues de dais. En effet, dans les chœurs des cathédrales et des abbayes, les stalles ou formes sont habituellement sur deux rangs : stalles hautes pour les chanoines ou les religieux, stalles basses pour les membres inférieurs du clergé ou de la congrégation[2]. Le sol des stalles supérieures est élevé de deux ou trois marches au-dessus du pavé du chœur, tandis que les stalles basses portent sur le sol ou sur une seule marche. Les personnes assises dans les stalles hautes dépassent donc de beaucoup celles placées dans les stalles basses, et peuvent ainsi voir le sanctuaire. Des coupures ménagées entre les stalles basses, appelées entrées, permettent d’arriver facilement aux stalles supérieures. Les artistes du moyen âge ont déployé un grand luxe d’ornementation dans la composition des stalles. Habiles à façonner le bois, ils nous ont laissé quelques spécimens très-remarquables de ces œuvres de menuiserie, malgré les destructions systématiques qu’elles eurent à subir pendant les deux derniers siècles. Cependant les églises les plus riches furent celles, malheureusement, qui virent disparaître leur ancien mobilier. Ceux qui nous sont restés sont des débris sauvés par hasard, ou appartenaient à des églises pauvres. Le clergé d’outre-Rhin, plus conservateur que le nôtre, a laissé subsister un grand nombre de ces belles boiseries, mais qui ne sont pas antérieures à la fin du XIIIe siècle, sauf de très-rares exceptions[3].

Parmi les plus anciennes stalles françaises, il faut citer celles de la chapelle de Notre-Dame de la Roche (Seine-et-Oise), de beaux fragments dans la cathédrale de Poitiers et dans l’église de Saulieu. Ces boiseries datent du milieu du XIIIe siècle, et elles nous donnent une idée, celles de Notre-Dame de la Roche notamment, qui sont entières, de ce que devaient être les stalles de nos cathédrales de Chartres, de Bourges, de Paris, de Reims, des églises abbatiales de Saint-Denis, de Saint-Remi de Reims.

Examinons donc d’abord ces stalles de la chapelle de Notre-Dame de la Roche, fort bien gravées par M. Sauvageot[4]. Ces stalles sont à deux rangs, stalles hautes et stalles basses. Les stalles hautes ne possèdent qu’un dorsal, sans dais, mais avec jouées au-dessus de chaque accoudoir, comme pour séparer entièrement les religieux. D’axe en axe, les accoudoirs ont 0m,64. Cette mesure varie peu et ne dépasse pas 0m,70.

La figure 1 donne en A le plan d’une portion de ces deux rangs de stalles. Les stalles basses posent directement sur le sol du chœur ; les stalles hautes, sur un parquet p, relevé de deux marches. Les stalles étant peu nombreuses, il n’y a d’entrées, pour les hautes formes, qu’aux extrémités en e. Là des jouées plus importantes et décorées terminent les rangs de sièges. La coupe C explique la disposition des sièges avec leurs tablettes à charnières et leurs patiences. On remarquera que les accoudoirs sont légèrement inclinés pour offrir une assiette moins glissante aux bras des religieux, lorsqu’ils sont debout et appuyés seulement sur les patiences et sur ces accoudoirs. Les madriers a servent de prie-Dieu aux personnes qui occupent les stalles supérieures, lorsqu’elles s’agenouillent sur le parquet. Les assistants moins dignes, qui occupaient les stalles basses, s’agenouillaient sur les dalles du chœur. Ces boiseries sont bien profilées, et la décoration, très-simple, est d’un goût charmant. Pour plus de détails, on peut recourir à la monographie de la chapelle de Notre-Dame de la Roche[5], qui présente une étude complète de ces stalles.

Quoique très-mutilées, les stalles de l’église de Saint-Andoche de Saulieu nous laissent voir encore des fragments intéressants. Elles sont de cinquante ans environ postérieures à celles de Notre-Dame de la Roche ; elles datent par conséquent de la fin du XIIIe siècle. On voit en A (fig. 2) l’une des jouées terminales des stalles hautes, et en B, des stalles basses. Un dais composé d’un simple plafond rampant couvrait le dorsal D des stalles hautes, lequel présente de larges panneaux au-dessus de chaque siège, encadrés entre des montants avec arcature et ornements sculptés dans les écoinçons. Quelques parties de ces sculptures sur bois sont très-bien traitées. En C, est tracée une variante de retroussis c. Les montants, jouées et bâtis sont pris dans du bois de chêne de trois pouces et demi (0m, 095).
En E (fig. 3), nous donnons l’une des séparations des stalles, avec le profil e de la moulure du quart de cercle et le joli arrangement des pieds f. La tablette du siège est figurée abaissée. En G, est donnée une des patiences, et en H, une variante des amortissements qui, du quart de cercle, conduisent aux supports des accoudoirs. Ces amortissements servent de pomme pour appuyer les mains lorsqu’on veut se relever ; il en existe aussi bien aux stalles basses qu’aux stalles hautes. C’est à dater de la fin du XIIIe siècle que les dais des stalles hautes prennent de l’importance. Composés d’abord d’un madrier formant soffite inclinée, comme dans l’exemple précédent, peu à peu ce plafond devient plus saillant, est porté sur des corbeaux, s’arrondit en voussure, puis se dispose, à la fin du XVe siècle, en autant de petites voûtes qu’il y a de sièges. Ces dais sont alors enrichis d’armoiries, de clefs, de nervures. Des arcatures suspendues se projettent au droit de la plus forte saillie des sièges. Les jouées se couvrent de sculptures ajourées. Nous n’avons plus, en France, d’exemples existants assez complets des stalles de l’époque de transition entre les XIIIe et XVe siècles, il nous faut recourir à celles qui existent encore sur le Rhin et en Allemagne. Les belles stalles de Saint-Géréon, à Cologne, datent du commencement du XIVe siècle[6], et présentent déjà des jouées très-richement décorées de figures ronde bosse. Les stalles d’Anellau[7], qui appartiennent également au XIVe siècle, sont très-complètes, et possèdent un dais saillant, ou soffite rampante, porté sur les jouées et sur des consoles placées de deux en deux sièges.
Voici, fig. 4, une perspective de ces stalles, qui ne comprennent qu’un seul rang avec dossier et prie-Dieu. Cette boiserie, d’un travail grossier dans ses détails, est d’ailleurs bien composée, et présente un type assez pur des dernières stalles à dais en plafond avant les voussures ou les voûtains[8].

Les exemples de stalles des XVe et XVIe siècles sont assez fréquents encore en France. Nous citerons celles de l’église de Flavigny (Côte-d’Or), dont les dais sont en forme de voussure ; de l’ancienne abbaye de Saint-Claude (Jura), aujourd’hui cathédrale, qui remontent au XVe siècle. Ces dernières sont datées et signées ; elles ont été faites par Jehan de Viéry, en 1455. Exécutées grossièrement, elles sont cependant assez bien composées. Mutilées à plusieurs reprises, des statuettes, certaines parties manquent aux jouées.

Voici, fig. 5, la face et le profil des formes hautes. Les grands panneaux du dorsal sont décorés de figures bas-reliefs représentant des prophètes, des sibylles. Des figurines ronde bosse surmontent les colonnettes à section octogone qui séparent ces panneaux. D’autres statuettes sont posées sur les fleurons espacés de la petite galerie ajourée supérieure. Les dais se composent d’une succession de petits voûtains en berceau perpendiculaires au dorsal.
La figure 6 montre l’une des jouées des formes hautes et basses, avec l’entrée entre elles deux[9]. Les bas-reliefs se détachent sur des fonds pleins ou ajourés ; des statuettes décorent richement, trop richement même, ces jouées. En B, est tracé le profil des stalles basses. Malgré la profusion des détails, dans cette figure comme dans la précédente, le principe de la structure de bois est toujours apparent. Mais dans leurs compositions les plus riches, jamais les artistes du moyen âge n’ont failli à ce principe, qu’il s’agisse de la maçonnerie, de la charpente, de la serrurerie ou de la menuiserie. On ne saurait trop étudier les assemblages de ces grands ouvrages de menuiserie du XVe siècle et du commencement du XVIe, alors que les traditions gothiques n’étaient pas encore perdues. Sous une apparence très-compliquée, la structure est toujours simple et conçue en raison de la qualité de la matière. Les stalles du chœur de la cathédrale d’Amiens, par exemple, qui sont chargées d’une quantité prodigieuse de détails, présentent une structure de bois très-bien combinée et très-simple. Ces stalles sont aujourd’hui au nombre de cent seize[10] ; elles furent commencées en 1508 et achevées en 1522 par deux maîtres menuisiers, Alexandre Huet et Arnoult Boullin, sous la direction de Jean Turpin, et par le tailleur d’ymages Antoine Avernier. La dépense totale s’éleva à 11 230 livres 5 sols[11].

Le bois de chêne employé est d’une excellente qualité, et ne laisse voir sur aucun point la trace de piqûres de vers. Les formes hautes des extrémités sont couronnées de clochetons très-élevés, ajourés, couverts de détails délicats, de figurines, taillés avec une précision et une souplesse de ciseau remarquables. Tous les détails qui couvrent les montants, les traverses, les écharpes, les dais, les accoudoirs, les entrées et les jouées sont merveilleux de délicatesse, et fournissent des renseignements nombreux sur les vêtements et le mobilier de cette époque. Les dais, très-saillants, sont en forme de petites voûtes d’arêtes et revêtues de gâbles d’une excessive richesse. Les grands panneaux du dorsal des stalles hautes étaient autrefois couverts de fleurs de lis en relief qui ont été grattées à deux reprises, en 1792 et en 1831, si bien qu’on n’en distingue plus que quelques traces.

Nous donnons, fig. 7, en A, une portion du plan de ces stalles, et en B une coupe, qui font assez voir la largeur de cet ensemble de menuiserie[12]. La figure 8 est le tracé des stalles hautes de face.
En C, est la section des montants séparatifs des panneaux, et en D, l’élévation d’un de ces montants avec l’amorce des deux écharpes formant accolade au-dessous des voûtains en arcs d’ogive. Indépendamment de l’exécution merveilleuse des détails, on trouve dans cet ouvrage de menuiserie une qualité rare, c’est une observation très-délicate de l’échelle. La grosseur des bois qui forment la membrure est judicieusement calculée, si bien que l’ensemble est clair et harmonieux et se dessine facilement au milieu de ce fouillis d’ornements. Ceux-ci ne dérangent pas les lignes principales, et se combinent sans efforts avec la structure, qui d’ailleurs est parfaitement solide et n’a fait aucun mouvement. Les branches d’arcs ogives des voûtains ne sont point des portions de cercle, mais donnent deux courbes raccordées, ainsi que le montre la coupe fig. 7, en B. Il faut citer encore les stalles de la cathédrale d’Alby, qui datent de la même époque et qui sont complètes. Adossées à une clôture de chœur et à un jubé de pierre du commencement du XVIe siècle, c’est la clôture de pierre qui forme dais au-dessus des sièges hauts. La menuiserie ne comprend, à Alby, que les formes seules ; les montants séparatifs des dorsals sont de pierre, avec parement d’étoffe peinte entre eux. D’ailleurs, comme menuiserie, ces stalles sont simples et ne sont guère ornementées qu’au droit des entrées.

La série la plus complète des stalles du commencement du XVIe siècle que nous possédions garnit entièrement le chœur de la cathédrale d’Auch. Ces stalles sont de beaucoup les mieux conservées. Taillées dans un bois de chêne d’une qualité tout exceptionnelle, et qui a pris par le frottement l’aspect de la cornaline, elles fournissent une série d’ornements de la renaissance du plus charmant caractère. De grandes figures bas-reliefs décorent les dorsals, et des arabesques délicatement coupées couvrent les accoudoirs, les entrées, les montants. Les dais sont merveilleux de délicatesse et de combinaisons. Les stalles de la cathédrale d’Auch ont été commencées vers 1520 et terminées vers 1546[13].

Des stalles du XVIe siècle présentent encore quelque intérêt, entre autres celles des églises de Saint-Bertrand de Comminges (Haute-Garonne), de Montréal (Yonne) ; les beaux fragments déposés dans l’église impériale de Saint-Denis, et qui proviennent de la chapelle du château de Gaillon. Les dorsals de ces stalles sont revêtus d’ouvrages de marqueterie, et les accoudoirs, les patiences, les montants, appartiennent à la plus jolie sculpture du commencement de la renaissance.

Quoique l’on doive regretter la destruction des anciennes formes du chœur de Notre-Dame de Paris, qui dataient du commencement du XIVe siècle et qui étaient fort belles, au dire des auteurs qui les ont vues, les stalles refaites à la fin du règne de Louis XIV, qui garnissent aujourd’hui ce chœur, sont de très-belles boiseries sculptées avec un art infini sur du chêne bien choisi et passablement assemblé. Cependant, comme œuvre de menuiserie, il y a loin de là aux stalles d’Amiens, dont les assemblages sont tracés et exécutés avec une précision absolue, ne laissent voir ni un clou, ni une équerre, ni même une cheville. Si l’on démonte ces stalles du XVe siècle (et celles d’Amiens appartiennent à l’art de cette époque), on ne peut qu’admirer le soin, la simplicité des moyens, la précision de ces maîtres menuisiers, le choix judicieux des pièces mises en œuvre et l’excellent tracé des moulures, pour ne rien enlever de la force du bois. On n’en peut dire autant des stalles de la cathédrale de Paris, et la bonne apparence extérieure cache bien des vices de construction, des expédients et des négligences.

  1. Voyez Chœur, Jubé.
  2. Cependant il existe des stalles de chœur sur un seul rang, avec prie-Dieu, notamment dans les provinces de l’Est et en Allemagne.
  3. Entre autres, les stalles de bois des églises de Ratzburg, données par M. J. Gailhaband, l’Architecture du Ve au XVIIe siècle, et les arts qui en dépendent, t. IV). Ces stalles paraissent dater du milieu du XIIe siècle. Elles sont fort grossières et à l’état de fragments.
  4. Chapelle de Notre-Dame de la Roche, par MM. Sauvageot frères, Paris, Morel, 1863.
  5. Par MM. Sauvageot frères.
  6. Ces stalles, ou du moins ce qui en reste a été gravé en partie dans l’ouvrage de M. Gailhabaud (déjà cité).
  7. D’après des dessins communiqués par M. Bœswiwald.
  8. Nous citerons les stalles de la cathédrale de Dol, parmi celles qui appartiennent au XIVe siècle.
  9. Sur notre figure, le couronnement A est dessiné à côté de sa place et se rapporte en A′.
  10. Trente-deux en haut et vingt-six, en bas de chaque côté. Il en existait quatre de plus avant la destruction du jubé en 1755.
  11. Ces stalles coûteraient aujourd’hui plus de 500 000 francs.
  12. Les museaux des accoudoirs donnent, en projection horizontale, la figure D.
  13. Voyez la Monographie de Sainte-Marie d’Auch, par l’abbé Canéto, 1857, in-fol.