Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Soubassement

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SOUBASSEMENT, s. m. Ordonnance inférieure d’un édifice ou d’une portion d’édifice. Le soubassement diffère du socle en ce qu’il se compose de plusieurs assises, qu’il prend une certaine importance en hauteur, en saillie, en richesse, tandis que le socle n’est qu’une simple assise formant un empattement peu prononcé. Un pilier, une colonne, peuvent reposer sur un socle, qui alors est isolé comme ce pilier ou cette colonne. Le caractère du soubassement, outre son importance, est d’être continu. Le bahut qui reçoit les piliers d’un cloître, par exemple, est un véritable soubassement. Un bâtiment dont le rez-de-chaussée est élevé de 2 ou 3 mètres au-dessus du sol extérieur, repose sur un soubassement. Ce soubassement peut alors être percé de baies donnant du jour dans une crypte ou cave.

La plupart des églises romanes possèdent des cryptes en partie prises aux dépens du sol, partie au-dessus du pavé extérieur ; ces demi-sous-sols forment un soubassement sur lequel s’élève le monument. Les architectes du moyen âge ayant pour habitude, dès l’époque la plus ancienne, de soumettre la proportion de l’ordonnance extérieure à celle de l’ordonnance intérieure, il en résultait que si une abside, par exemple, devait s’élever sur une crypte à demi enterrée, l’ordonnance architectonique de cette abside ne commençait qu’au-dessus de cette crypte ; dès lors il fallait que la partie de celle-ci, vue extérieurement, formât un soubassement distinct de l’ordonnance architectonique, qui ne commençait qu’au niveau du sol du chœur. Ce principe, adopté dans les plus beaux monuments de l’antiquité, fournissait des motifs dont les maîtres du moyen âge ont su tirer parti. C’est dans l’Est, le long des bords du Rhin, que l’on trouve encore aujourd’hui les dispositions les plus grandioses de soubassements d’absides. L’école rhénane, en s’inspirant jusqu’au XIIe siècle du style byzantin, en avait adopté, plus qu’aucune autre, les grands partis, la largeur et l’aspect monumental.

En fait de soubassements du commencement du XIIe siècle, nous n’en connaissons pas qui aient un plus beau caractère que celui de l’abside orientale de la cathédrale de Spire.

Nous en donnons, fig. 1, le profil, et fig. 2, la vue perspective[1].
On voit, dans ces deux figures, comment sont percées les fenêtres de la crypte qui règne sous cette abside ; comment les colonnes engagées qui servent de contre-forts au mur circulaire s’empattent sur cette ceinture de profils successifs. Il y a là évidemment une réminiscence des meilleures constructions romano-byzantines. Plus tard quelques-unes de nos cathédrales du XIIIe siècle, bien qu’elles ne possèdent pas de cryptes, reposent toutes les saillies formées par les contre-forts des chapelles absidales sur un grand soubassement circulaire composé d’une succession d’assises en retraite les unes sur les autres. Telles sont plantées les absides des cathédrales d’Amiens et de Beauvais, et le soubassement massif de cette dernière s’élevait de plus de 2 mètres au-dessus de l’ancien pavé extérieur. À Amiens, ce même soubassement circulaire n’a guère qu’un mètre au-dessus de l’ancien sol du cloître. À Chartres, le chœur de la cathédrale du XIIIe siècle ayant été bâti sur une crypte romane, un beau soubassement revêt celle-ci ; c’est sur ses assises de couronnement en retraite que sont plantées les chapelles absidales. Les soubassements des portails d’église sont souvent ornés de bancs moulurés, d’arcatures, de tapisseries en plat relief, de sujets dans des médaillons, etc. Les architectes des XIIe et XIIIe siècles particulièrement se plaisaient à décorer avec grand soin ces parties de l’architecture placées près de l’œil. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner les soubassements des portails des cathédrales de Chartres, de Rouen, de Sens (XIIe siècle) ; ceux des cathédrales de Paris, d’Amiens, de Noyon, de Reims, d’Auxerre (XIIIe siècle) ; de Rouen (de la Calende et des Libraires), de Lyon (XIVe siècle). Quelle que soit d’ailleurs la richesse des décorations adoptées, celles-ci sont toujours soumises à un beau parti général, franc, largement profilé, admirablement mis en proportion, disposé pour faire valoir les parties supérieures et les porter. La richesse de ces soubassements n’est jamais obtenue au détriment de la force, et leurs profils ont une ampleur, souvent une énergie que l’on trouve rarement dans l’architecture antique romaine, mais qui se rapprochent singulièrement des tracés grecs. C’est à dater du commencement du XIIIe siècle que se distinguent les compositions des soubassements de portails. Au XIIe siècle, les exemples que nous citions tout à l’heure ont plutôt le caractère de grands socles ornés que de véritables soubassements formant une ordonnance spéciale : comme, par exemple, la belle arcature des ébrasements de la porte de la Vierge sur la face occidentale de la cathédrale de Paris[2] ; ou encore la tapisserie inférieure de la porte centrale de Notre-Dame de Noyon (fig. 3) ;
celle des trois portails de la cathédrale d’Amiens, si amplement composée.

Il est des exemples de soubassements du commencement du XIIIe siècle, ornés d’arcatures, qui sont encore d’un très-beau caractère. Outre celui provenant de la porte de la Vierge à Notre-Dame de Paris (façade occidentale), nous citerons le soubassement de l’ébrasement de la porte principale de la cathédrale de Sées[3] ; le soubassement du portail nord de la cathédrale de Troyes, dont la composition et l’exécution sont du meilleur style[4]. Les portails de Notre-Dame de Reims et le portail nord de la cathédrale de Metz présentent des soubassements d’une composition peu ordinaire. Ces soubassements sont décorés de draperies en bas-relief. Ceux de Notre-Dame de Reims sont bien connus ; il n’est pas nécessaire de les présenter ici, d’autant qu’ils ont été fort altérés par des restaurations successives. Mais le soubassement du portail nord de la cathédrale de Metz est bien conservé, un peu postérieur, il est vrai, à ceux de Reims, et mieux entendu (fig. 4).

Sur un parement composé d’un socle et de trois assises nues, une tenture semble attachée à une tringle, et au-dessus d’elle se développe une brillante litre à quadrillé perlé, avec animaux fantastiques dans les intervalles des galons. Ce soubassement se termine par un beau profil orné d’un rang de feuilles dans la gorge.

La variété des décorations adoptées pour les soubassements est infinie, jusqu’au moment où les lignes verticales des piliers supérieurs viennent les pénétrer et les relier aux ordonnances qu’ils supportent. De fait, alors ils disparaissent comme disparaissent d’ailleurs les membres horizontaux de l’architecture, les arasements, pour laisser dominer les lignes verticales. Il y avait là une recherche d’unité absolue que nous expliquons dans l’article Trait.

Naturellement, quand le niveau des voûtes des caves, dans les édifices civils, était placé au-dessus du sol extérieur, les hôtels ou maisons possédaient un soubassement, c’est-à-dire une ordonnance inférieure qui portait l’ordonnance du rez-de-chaussée. Ces soubassements étaient souvent riches en profils, en soupiraux bien percés et bien appareillés, en semis de pièces d’armoiries, fleurs de lis, coquilles, roses, croisettes, chiffres ou devises[5].

Ces soubassements sont toujours bien profilés et d’une heureuse proportion. Ils ne présentent pas de moulures saillantes, qui sont facilement brisées et dont les angles risquent de blesser les allants et venants. Les ornements qui les décorent sont plats, et n’enlèvent pas à ces membres inférieurs l’apparence de force qu’ils doivent conserver.

  1. Ce soubassement est bâti de grès rouge.
  2. Voyez Arcature, fig. 22 ; Porte , fig. 68.
  3. Voyez Arcature, fig. 19.
  4. Ce soubassement a été malheureusement fort maltraité à la fin du dernier siècle.
  5. Voyez l’ancien hôtel de ville d’Orléans (milieu du XVe siècle), dans l’ouvrage de MM. Verdier et Cattois, Architecture civile et domestique, tome II.