Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Arrière-bras

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Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 148-157).

ARRIÈRE-BRAS (garde-bras), AVANT-BRAS. — Il ne faut pas confondre ces pièces de l’armure avec les brassards. Le brassard est composé de pièces articulées qui tiennent ensemble par des rivets, et qu’il suffisait d’attacher à l’épaule sur la cuirasse close ou sur le colletin, tandis que l’arrière-bras et l’avant-bras étaient des pièces séparées et qui pouvaient être portées l’une sans l’autre. L’avant et l’arrière-bras précèdent de beaucoup le brassard. On voit dans l’article Armure[1] que, dès la seconde moitié du xiiie siècle, les hommes de guerre avaient cru devoir ajouter à la broigne ou au haubert de mailles, ou jaseran, des plaques de fer battu pour mieux garantir les épaules et l’arrière-bras contre les grands coups d’épée et le choc des masses d’armes. La plus anciennement adoptée parmi ces pièces, est l’ailette (voyez Ailette). Puis viennent les cubitières coniques, puis les gardes d’arrière-bras, puis les avant-bras.

Malgré les mailles du haubert et l’épaisseur du gambison, un bon coup de masse sur l'humérus le brisait infailliblement. On chercha donc à garantir cet os par l’apposition externe d’un demi-cylindre de fer battu (fig. 1[2]), de même qu’on préserva le coude de l’homme d’armes par une cubitière composée simplement d’un morceau de fer ovale plié et rendu quelque peu conique par le martelage. Cet arrière-bras primitif était attaché sur le gambison ou sur le haubert de mailles par deux courroies, et la cubitière par une seule passant sur la saignée. L’ailette réunissait l’arrière-bras au heaume, ainsi que le fait voir la figure, et préservait l’épaule ainsi que rattache de la clavicule.

Cependant, à la même époque et à peu d’années d’intervalle, on armait déjà les bras d’une manière plus complète. L’arrière-bras
et l’avant-bras étaient totalement enfermés dans des canons de fer battu à charnières. La garde du gant même était faite de fer (fig. 2[3]). Ces pièces séparées étaient simplement maintenues par la compression qu’elles exerçaient sur la manche du haubert au moyen des charnières et des loquets à œils (voyez en A). La garde du gant, à la partie externe de laquelle était fixée la peau de ce gant, s’ouvrait pour laisser passer la main, se fermait au moyen des deux loquets (voyez en B), puis on rabattait sur cette garde le poignet de peau. La cubitière, conique et garnie de cuir intérieurement débordant l’orle en festons, était fixée à la saignée par une courroie.

Les combinaisons adoptées pour ces arrière et avant-bras, pendant le cours du xive siècle, sont à l’infini : tantôt c’était une spallière qui descendait jusqu’au milieu de l’humérus ; tantôt c’était une série de cylindres posés sur un fond de peau ; tantôt c’était la cubitière qui s’allongeait jusqu’au milieu de l’avant-bras… Les tâtonnements ne pourraient être tous mentionnés, tant ils sont nombreux, jusqu’au moment où le brassard articulé est combiné, c’est-à-dire jusqu’à la fin du xive siècle. Nous ne faisons que mentionner ici les transformations principales de cette partie de l’armure. Parmi ces tâtonnements, il faut signaler un curieux document fourni par un des monuments de la ville de Gand. Il existait aux quatre angles supérieurs de la tour du beffroi de cette ville quatre statues ; l’une d’elles, qui existe encore et qui a été transportée dans une sorte de musée établi sous les galeries d’un cloître d’abbaye,nous montre un homme d’armes datant de la seconde moitié du xive siècle (fig. 3). Cet homme d’armes est complètement vêtu de peau, sauf les bras, qui sont garnis, de l’épaule au coude, d’une première pièce cylindrique largement échancrée au-dessus de la saignée, d’une seconde pièce emboîtant la première et couvrant l’épaule, d’une petite spallière en manière d’épaulette qui recouvre la seconde pièce. Une cubitière conique est attachée sous la première pièce. Ces plates devaient être rivées à la manche de peau, et leur ligne de jonction était masquée par l’épais gambison de peau qui couvrait la poitrine et descendait à la hauteur des genoux. L’habillement de tête est fait de peau, avec camail et fixé sur une cervelière de fer sous-jacente, au moyen d’une forte courroie passant dans des boucles de cuir rivées à cette cervelière de fer ; boucles qui traversaient le camail.

Lorsque les brassards articulés sont adoptés par les hommes d’armes régulièrement équipés, les pièces séparées dont nous nous occupons ne sont plus guère portées que par les gens de pied. Cependant l’auteur d’un petit traité relatif au vêtement militaire de 1440 à 1450[4] mentionne de la manière suivante cette armure des bras, comme étant simultanément adoptée avec celle qui se compose de pièces réunies : « Item, l’autre faczon davant-braz sont lesquelx sont faiz de trois pièces, c’est assavoir une pièce qui couvre depuis
la ployeure de la main (le poignet) jusques à trois doiz près la ployeure du braz (la saignée) ; et depuis la ployeure du braz y en a une autre qui vient jusques à hault de la joincture de lespaulle, à quatre doiz près. Pardessus lesquelles deux pièces y en a une autre qui couvre le code et la ployeure du bras et partie des autres deux pièces aussi, lesquelles trois pièces sont pareilles tant au braz droit que au braz senestre ; et se atachent avecques eguilletes. »

La difficulté était de bien fixer ces trois pièces sur les bras, de manière à ne pas leur permettre de couler, et de gêner ainsi les mouvements. Les courroies devaient être à cet effet très-serrées, mais cela devenait très-fatigant, si l’on portait longtemps l’armure. Les aiguillettes avaient l’inconvénient de se relâcher, ou de tirer sur la partie du vêtement de dessous auquel on les fixait. Ce sont ces motifs qui firent, dès la fin du xive siècle, adopter les brassards articulés, dits de Milan, parce que probablement on les avait d’abord fabriqués dans cette ville renommée depuis le xiiie siècle pour la façon des armures. Les garde-bras, ou défenses d’arrière-bras, étaient évidemment les plus difficiles à fixer, à cause de leur poids et de la déclivité de l’épaule ; aussi voyons-nous que, vers 1425 ou 1430, ces pièces couvrant l’arrière-bras étaient parfois fixées au corselet au moyen d’un pivot avec clavette, ou de pivots rivés (lig. 4[5]). Ce personnage est armé d’un corselet avec doublure. Sa tête est habillée d’une salade avec bavière fixée au corselet. Les bras sont armés de spallières maintenues par des pivots au corselet et qui descendent jusqu’à la moitié de l’humérus. Une cubitière avec gardes d’arrière et d’avant-bras préserve le coude et est attachée à la saignée par une courroie. Un canon enferme le bas de l’avant-bras ; puis le gantelet avec haute garde couvre la main. On aperçoit, sous la garde d’acier du gantelet, la peau du gant interne.

Pendant la première moitié du xve siècle on ne s’en tenait pas à ces pièces rapportées, qui avaient l’inconvénient de laisser des défauts aux jonctions ; et, bien que ces défauts fussent garnis par les mailles du haubert ou la manche de la broigne, ils n’en donnaient pas moins prise aux coups de pointe. On adopta donc fréquemment des gardes d’arrière-bras faites de peau ou d’étoffe rembourrée, avec lames d’acier sous-jacentes rivées à cette étoffe ;
gardes qui descendait jusqu’au coude et formait un bourrelet épais aux épaules (fig. 5[6]). Le corselet de cet homme d’armes, largement échancré au droit du bras, laisse passer la garniture de l’épaule et de l’arrière-bras, faite ainsi que nous venons de le dire. Deux rangs d’anneaux d’acier cousus sous l’épaulette rembourrée opposent un supplément de résistance aux coups. L’avant-bras est armé d’un canon en trois pièces, qui le couvrent du poignet au coude. Ces canons, rivés les uns sur les autres, étaient assez larges pour que la main y pût passer comme dans une manche.

Les garnitures d’arrière-bras tenaient au gambison de peau ou toile double en forme de jaquette collante endossée sous le corselet.

Ces pièces d’armure appartiennent à des hommes d’armes ayant le garnement complet. Mais les hommes de pied, archers, arbalétriers, soudoyers, n’étaient pas armés d’une manière aussi complète. Souvent ils n’avaient qu’une brigantine, avec bottes de peau ou grèves de fer, ou bien un corselet avec ou sans tassettes et habillement de bras plus ou moins complet. Les archers n’avaient souvent, pour préserver les bras, qu’une spallière, une cubitière et des gants avec gardes, ou une plaque d’avant-bras.

On voit, dans le beau manuscrit de Froissart de la Bibliothèque nationale[7], des hommes de pied dont le bras droit est armé d’une rondelle formant spallière et d’une cubitière. Une gourmette d’acier réunit la spallière à la cubitière et celle-ci au poignet (fig. 6). L’un de ces hommes, celui qui est à terre, est entièrement vêtu de peau. Une cervelière avec rondelles latérales couvre sa tête ; une cubitière d’acier préserve le coude de son bras droit, et une gourmette règne de l’épaule à cette cubitière et de la cubitière au poignet.

Ce genre d’habillement convenait aux hommes qui portaient de grands pavois et dont le bras droit et la tête seuls étaient exposés aux coups. L’homme qui monte à l’échelle a la tête couverte d’une salade. Il est armé d’un corselet avec tassettes, garde-cuisses et grèves. Son bras gauche est simplement vêtu de peau, et son bras droit armé comme il vient d’être dit. Un pavois le couvre entièrement. Ses armes offensives consistent en une vouge et une épée d’homme de pied. Il n’est pas nécessaire de nous étendre plus longuement sur cette partie de l’armure, dont il est question dans d’autres articles (voyez Armure, Brassard, Cubitière, Garde-bras, Spallière).

B

  1. Voyez Armure, fig. 20.
  2. Manuscr. Biblioth. nation., Godefroy de Bouillon, français (1300 environ).
  3. Manuscr. Biblioth. nation., li Roumans d'Alixandre (1290 a 1300).
  4. Ce traité est attribué à Antoine de la Salle ; il fait partie d'un recueil de la Biblioth. nation. des manuscr., sous le n°1997. Il a été publié par M. René de Belleval : Du costume militaire des Français en 1446 (Paris, 1866).
  5. Manuscr. biblioth. nation., la Destruction de la ville de Troie, français (1420 à 1430).
  6. Manuscr. Biblioth. nation., la Destruction de la ville de Troie, français (1420 à 1430).
  7. Français (1440 à 1450).