Dieu et les hommes/Édition Garnier/Axiomes

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Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 243-245).
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AXIOMES.

Nulle société ne peut subsister sans justice ; annonçons donc un Dieu juste.

Si la loi de l’État punit les crimes connus, annonçons donc un Dieu qui punira les crimes inconnus.

Qu’un philosophe soit spinosiste s’il veut, mais que l’homme d’État soit théiste.

Vous ne savez pas ce que c’est que Dieu, comment il punira, comment il récompensera ; mais vous savez qu’il doit être la souveraine raison, la souveraine équité : c’en est assez. Nul mortel n’est en droit de vous contredire, puisque vous dites une chose probable et nécessaire au genre humain.

Si vous défiguriez cette probabilité consolante et terrible par des fables absurdes, vous seriez coupable envers la nature humaine.

Ne dites point qu’il faut tromper les hommes au nom de Dieu : ce serait le discours d’un diable, s’il y avait des diables.

Quiconque ose dire : Dieu m’a parlé, est criminel envers Dieu et les hommes, car Dieu, le père commun de tous, se serait-il communiqué à un seul ?

Si Dieu avait voulu donner quelque ordre, il l’aurait fait entendre à toute la terre, comme il a donné la lumière à tous les yeux : aussi sa loi est dans le cœur de tous les êtres raisonnables, et non ailleurs.

C’est le comble de l’horreur et du ridicule d’annoncer Dieu comme un petit despote insensé et barbare qui dicte secrètement une loi incompréhensible à quelques-uns de ses favoris, et qui égorge les restes de la nation pour avoir ignoré cette loi.

Dieu se promener ! Dieu parler ! Dieu écrire sur une petite montagne ! Dieu combattre ! Dieu devenir homme ! Dieu-homme mourir du dernier supplice ! idées dignes de Punch.

Un homme prédire l’avenir ! idée digne de Nostradamus. Inventer toutes ces choses, extrême friponnerie. Les croire, extrême bêtise. Mettre un Dieu puissant et juste à la place de ces étonnantes farces, extrême sagesse.

Mais si mon peuple raisonne, il s’élèvera contre moi. Tu te trompes ; moins il sera fanatique, plus il sera fidèle.

Des princes barbares dirent à des prêtres barbares : Trompez mon peuple pour que je sois mieux servi, et je vous payerai bien. Les prêtres ensorcelèrent le peuple, et détrônèrent les princes.

Calchas force Agamemnon à immoler sa fille pour avoir du vent ; Grégoire VII fait révolter Henri V contre l’empereur Henri IV son père, qui meurt dans la misère, et à qui on refuse la sépulture : Grégoire est bien plus terrible que Calchas.

Voulez-vous que votre nation soit puissante et paisible ? Que la loi de l’État commande à la religion.

Quelle est la moins mauvaise de toutes les religions ? Celle où l’on voit le moins de dogmes et le plus de vertu. Quelle est la meilleure ? C’est la plus simple.

Papistes, luthériens, calvinistes, ce sont autant de factions sanguinaires. Les papistes sont des esclaves qui ont combattu sous les enseignes du pape, leur tyran. Les luthériens ont combattu pour leurs princes ; les calvinistes, pour la liberté populaire.

Les jansénistes et les molinistes[1] ont joué une farce en France. Les luthériens, les calvinistes, avaient donné des tragédies sanglantes à l’Angleterre, à l’Allemagne, à la Hollande.

Le dogme a fait mourir dans les tourments dix millions de chrétiens[2]. La morale n’eût pas produit une égratignure.

Le dogme porte encore la division, la haine, l’atrocité, dans les provinces, dans les villes, dans les familles. Ô vertu, consolez-nous !



  1. Voyez tome XV, page 39.
  2. Voyez ci-dessus, page 236.