Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 13

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Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 156-157).
CHAPITRE XIII.
Des Romains.

Soyons aussi courts sur les Romains que sur les Grecs. C’est la même religion, les mêmes dieux principaux, le même Jupiter maître des dieux et des hommes, les mêmes champs Élysées, le même Tartare, les mêmes apothéoses ; et, quoique la secte d’Épicure eût un très-grand crédit ; quoiqu’on se moquât publiquement des augures, des aruspices, des champs Élysées, et des enfers, la religion romaine subsista jusqu’à la ruine de l’empire.

Il est constant, par toutes les formules, que les Romains reconnaissent un seul Dieu suprême. Ils ne donnaient qu’au seul Jupiter le titre de très-grand et très-bon, optimus maximus. La foudre n’était qu’entre ses mains. Tous les autres dieux peuvent se comparer aux saints et à la Vierge que l’Italie adore aujourd’hui. En un mot, plus nous avançons dans la connaissance des peuples policés, plus nous découvrons partout un Dieu, comme on l’a déjà dit[1].

Notre Warburton, dont le sens est toujours l’ennemi du sens commun des autres hommes, ose nous assurer, dans la préface de la seconde partie de sa Légation, que les Romains faisaient peu de cas de Jupiter ; il veut s’appuyer de l’autorité de Cicéron : il prétend que cet orateur, dans son oraison pour Flaccus, dit « qu’il n’est pas de la majesté de l’empire de reconnaître un seul Dieu ». Il cite les paroles latines : majestatem imperii non decuisse ut unus tantum Deus colatur. Qui le croirait ? Il n’y a pas un mot ni dans l’oraison pour Flaccus[2], ni dans aucune autre, qui ait le moindre rapport à cette citation prétendue de Cicéron ; elle appartient tout entière à notre évêque, qui, par cette fraude, non fraude pieuse, mais fraude impudente, a voulu tromper le monde. Il s’est imaginé que personne ne se donnerait la peine de feuilleter Cicéron, et de découvrir son imposture ; il s’est trompé en cela comme dans tout le reste, et désormais on n’aura pas plus de foi à ses Commentaires sur Cicéron qu’à ceux qu’il nous a donnés sur Shakespeare.

Ce qui est peut-être de plus estimable chez ce peuple roi, c’est que pendant neuf cents années il ne persécuta personne pour ses opinions. Il n’a point à se reprocher de ciguë. La tolérance la plus universelle fut son partage. Ces sages conquérants assiégeaient-ils une ville, ils priaient les dieux de la ville de vouloir bien passer dans leur camp. Dès qu’elle était prise, ils allaient sacrifier dans le temple des vaincus. C’est ainsi qu’ils méritèrent de commander à tant de nations.

On ne les vit point égorger les Toscans pour réformer l’art des aruspices, qu’ils tenaient d’eux. Personne ne mourut à Rome pour avoir mal parlé des poulets sacrés. Les Égyptiens, couverts de mépris, eurent à Rome un temple d’Isis ; les Juifs, plus méprisés encore, y eurent des synagogues après leurs sanglantes rébellions. Le peuple conquérant était le peuple tolérant.

Il faut avouer qu’il ne traita mal les chrétiens qu’après que ces nouveaux venus eurent déclaré hautement, et à plusieurs reprises, qu’ils ne pouvaient souffrir d’autre culte que le leur. C’est ce que nous ferons voir évidemment quand nous en serons à l’établissement du christianisme.

Commençons par examiner la religion juive, dont le christianisme et le mahométisme sont sortis.


  1. Ci-dessus, pages 134 et 153 ; et aussi tome XI, page 147.
  2. Voyez tome XVIII, page 363.