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Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 40

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Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 226-229).
CHAPITRE XL.
Des querelles chrétiennes.

La discorde fut le berceau de la religion chrétienne, et en sera probablement le tombeau. Dès que les chrétiens existent, ils insultent les Juifs leurs pères, ils insultent les Romains sous l’empire desquels ils vivent ; ils s’insultent eux-mêmes réciproquement. À peine ont-ils prêché le Christ qu’ils s’accusent les uns les autres d’être antichrists.

Plus de six cents querelles, grandes ou petites, ont porté et entretenu le trouble dans l’Église chrétienne, tandis que toutes les autres religions de la terre étaient en paix ; et ce qui est très-vrai, c’est qu’il n’est aucune de ces querelles théologiques qui n’ait été fondée sur l’absurdité et sur la fraude. Voyez la guerre de langue, de plume, d’épées, et de poignards, entre les ariens et les athanasiens. Il s’agissait de savoir si Jésus était semblable au Créateur, ou s’il était identifié avec le Créateur. L’une et l’autre de ces propositions étaient également absurdes et impies : certainement vous ne les trouverez énoncées dans aucun des Évangiles, Les partisans d’Arius et ceux d’Athanase se battaient pour l’ombre de l’âne. L’empereur Constantin, en qui les crimes n’avaient pas éteint le bon sens, commença par leur écrire qu’ils étaient tous des fous, et qu’ils se déshonoraient par des disputes si frivoles et si impertinentes : c’est la substance de la lettre qu’il envoie aux chefs des deux factions ; mais bientôt après la ridicule envie d’assembler un concile, d’y présider avec une couronne en tête, et la vaine espérance de mettre des théologiens d’accord, le rendirent aussi fou qu’eux. Il convoqua le concile de Nicée pour savoir précisément si un Juif était Dieu. Voilà l’excès de l’absurdité ; voici maintenant l’excès de la fraude.

Je ne parle pas des intrigues que les deux factions employèrent ; des mensonges, des calomnies sans nombre ; je m’arrête aux deux beaux miracles que les athanasiens firent à ce concile de Nicée.

L’un de ces deux miracles, qui est rapporté dans l’appendix[1] de ce concile, est que les Pères étant fort embarrassés à décider quels évangiles, quels pieux écrits il fallait adopter, et quels il fallait rejeter, s’avisèrent de mettre pêle-mêle sur l’autel tous les livres qu’ils purent trouver, et d’invoquer le Saint-Esprit, qui ne manqua pas de faire tomber par terre tous les mauvais livres ; les bons restèrent, et depuis ce moment on ne devait plus douter de rien.

Le second miracle, rapporté par Nicéphore[2], Baronius[3], Aurélius Peruginus[4], c’est que deux évêques, nommés Chrysante et Musonius, étant morts pendant la tenue du concile, et n’ayant pu signer la condamnation d’Arius, ils ressuscitèrent, signèrent, et remoururent : ce qui prouve la nécessité de condamner les hérétiques.

Il semblait qu’on dut attendre de ce grand concile une belle ; décision formelle sur la trinité ; il n’en fut pas question. On se contenta d’en dire à la fin un petit mot dans la profession de foi du concile. Les Pères, après avoir déclaré que Jésus est engendré et non fait, et qu’il est consubstantiel au Père, déclarent qu’ils croient aussi au souffle que nous appelons Saint-Esprit, et dont on a fait depuis un troisième Dieu. Il faut avouer avec un auteur moderne que le Saint-Esprit fut traité fort cavalièrement à Nicée. Mais qu’est-ce que ce Saint-Esprit ? On trouve dans le vingtième chapitre de Jean que Jésus, ressuscité secrètement, apparut à ses disciples, souffla sur eux, et leur dit : Recevez mon saint souffle. Et aujourd’hui ce souffle est Dieu.

Le concile d’Éphèse, qui anathématisa le patriarche de Constantinople Nestorius, n’est pas moins curieux que le premier concile de Nicée. Après avoir déclaré Jésus Dieu, on ne savait en quel rang placer sa mère. Jésus en avait usé durement avec elle à la noce de Cana ; il lui avait dit[5] : Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ? et lui avait d’abord refusé tout net de changer l’eau en vin pour les garçons de la noce. Cet affront devait être réparé. Saint Cyrille, évêque d’Alexandrie, résolut de faire reconnaître Marie pour mère de Dieu. L’entreprise parut d’abord hardie. Nestorius, patriarche de Constantinople, déclara hautement en chaire que c’était trop faire ressembler Marie à Cybèle ; qu’il était bien juste de lui donner quelques honneurs, mais que de lui donner tout d’un coup le rang de mère de Dieu, cela était un peu trop roide.

Cyrille était un grand faiseur de galimatias, Nestorius aussi. Cyrille était un persécuteur, Nestorius ne l’était pas moins. Cyrille s’était fait beaucoup d’ennemis par sa turbulence, Nestorius en avait encore davantage ; et les Pères du concile d’Éphèse, en 431, se donnèrent le plaisir de les déposer tous deux. Mais si ces deux évêques perdirent leur procès, la sainte Vierge gagna le sien : elle fut enfin déclarée mère de Dieu, et tout le peuple battit des mains.

On proposa depuis de l’admettre dans la trinité : cela paraissait fort juste, car, étant mère de Dieu, on ne pouvait lui refuser la qualité de déesse. Mais comme la trinité serait devenue par là une quaternité, il est à croire que les arithméticiens s’y opposèrent. On aurait pu répondre que puisque trois faisaient un, ils feraient aussi bien quatre, ou que les quatre feraient un, si on l’aimait mieux. Ces fières disputes durent encore, et il y a aujourd’hui beaucoup de nestoriens qui sont courtiers de change chez les Turcs et chez les Persans, comme les Juifs le sont parmi nous. Belle catastrophe d’une religion !

Jésus n’avait pas plus parlé de ses deux natures et de ses deux volontés que de la divinité de sa mère. Il n’avait jamais laissé soupçonner de son vivant qu’il n’y avait en lui qu’une personne avec deux volontés et deux natures. On tint encore des conciles pour éclaircir ces systèmes, et ce ne fut pas sans de très-grandes agitations dans l’empire.

Jamais Jésus n’eut aucune image dans sa maison, à moins que ce ne fût le portrait de sa mère, qu’on dit peinte par saint Luc. On a beau répéter qu’il n’avait point de maison, qu’il ne savait où reposer sa tête ; que quand il aurait été aussi bien logé que notre archevêque de Kenterbury, il n’en aurait pas plus connu le culte des images. On a beau prouver que pendant trois cents ans les chrétiens n’eurent ni statues ni portraits dans leurs assemblées ; cependant un second concile de Nicée a déclaré qu’il fallait adorer des images.

On sait assez quelles ont été nos disputes sur la transsubstantiation, et sur tant d’autres points. Enfin, disent les francs-pensants, prenez l’Évangile d’une main et vos dogmes de l’autre : voyez s’il y a un seul de ces dogmes dans l’Évangile, et puis jugez si les chrétiens qui adorent Jésus sont de la religion de Jésus. Jugez si la secte chrétienne n’est pas une bâtarde juive née en Syrie, élevée en Égypte, chassée avec le temps du lieu de sa naissance et de son berceau ; dominante aujourd’hui dans Rome moderne, et dans quelques autres pays d’Occident par l’argent, la fraude, et les bourreaux. Ne nous dissimulons pas que ce sont là les discours des hommes de l’Europe les plus instruits, et avouons devant Dieu que nous avons besoin d’une réforme universelle.



  1. Concil. Labb., tome I, page 84. (Note de Voltaire.)
  2. Liv. VIII, ch. xxiii. (Id.)
  3. Tome IV, no 82. (Id.)
  4. Ann. 325. (Id.)
  5. Jean, ii, 4.