Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure/dissertation - Deuxième partie

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Traduction par Jacques Ponnier.
Texte établi par Jacques Ponnier, Ducros (p. 239-284).


Deuxième partie


DIFFERENCE, AU POINT DE VUE PARTICULIER, DES PHYSIQUES DE DEMOCRITE ET D’EPICURE


Chapitre premier
La déclinaison de l’atome de la ligne droite


Epicure admet un triple mouvement des atomes dans le vide[1]. Le premier mouvement est celui de la chute en ligne droite ; le second naît du fait que l’atome dévie de la ligne droite ; et le troisième est posé par la répulsion des nombreux atomes entre eux. Démocrite a, en commun avec Epicure, l’admission du premier et du dernier de ces mouvements, mais la déclinaison de l’atome de la ligne droite différencie de lui Epicure[2].

On a beaucoup raillé ce mouvement de déclinaison. Cicéron surtout est intarissable quand il aborde ce thème. On lit ainsi chez lui, entre autres choses : « Epicure prétend que les atomes sont poussés par leur poids de haut en bas en ligne droite, et que ce mouvement est le mouvement naturel des corps. Mais il lui vint ensuite à l’esprit que si tous les atomes étaient poussés de haut en bas, jamais un atome ne pourrait en rencontrer un autre. Notre homme trouva donc son salut dans un mensonge. Il dit que l’atome déclinait un tout petit peu, ce qui est pourtant absolument impossible. C’est de cette déviation que naîtraient les compositions, les copulations et les adhésions des atomes entre eux et, de celles-ci, le monde et toutes les parties du monde, ainsi que ce qu’il contient. Outre que cette fiction est puérile, Epicure n’atteint même pas son but[3]. » Nous trouvons une autre formule chez Cicéron, au livre I du traité : Sur la nature des dieux : « Quand Epicure s’aperçut que si les atomes étaient poussés vers le bas en vertu de leur propre poids, rien ne serait en notre pouvoir, parce que leur mouvement serait déterminé et nécessaire, il trouva un moyen de se soustraire à la nécessité, ce qui avait échappé à Démocrite. Il dit que l’atome, bien qu’il soit poussé de haut en bas par son poids et la pesanteur, dévie un petit peu. Affirmer une telle chose est plus honteux que de ne pouvoir défendre ce qu’il veut[4]. »

Pierre Bayle a la même opinion : « Avant lui (c’est-à-dire Epicure), on n’avait admis dans les atomes que le mouvement de pesanteur et celui de réflexion. Epicure supposa que même au milieu du vide les atomes déclinaient un peu de la ligne droite ; et de là venait la liberté, disait-il… Remarquons en passant que ce ne fut pas le seul motif qui le porta à inventer ce mouvement de déclinaison ; il le fit servir aussi à expliquer la rencontre des atomes, car il vit bien qu’en supposant qu’ils se mouvaient avec une égale vitesse par des lignes droites qui tendaient toutes de haut en bas, il ne ferait jamais comprendre qu’ils eussent pu se rencontrer, et qu’ainsi la production du monde aurait été impossible. Il fallut donc qu’il supposât qu’ils s’écartaient de la ligne droite[5][6]. »

Je néglige pour le moment la concision de ces réflexions. Ce que chacun pourra remarquer en passant, c’est que Schaubach, le critique le plus récent d’Epicure, a mal compris Cicéron quand il dit : « Les atomes seraient tous poussés vers le bas par la pesanteur, donc poussés selon des lignes parallèles pour des raisons physiques, mais ils recevraient par l’intermédiaire d’une répugnance réciproque une autre direction, d’après Cicéron (de natura deorum I 25) un mouvement oblique, du fait de causes fortuites, et cela de toute éternité[7]. » D’abord, Cicéron, dans le passage cité, ne fait pas de la répulsion la raison de la direction oblique, mais au contraire de la direction oblique la raison de la répulsion. Ensuite, il ne parle pas de causes fortuites mais désapprouve, au contraire, qu’on n’indique pas de causes du tout ; ce serait d’ailleurs une contradiction en et pour soi d’admettre à la fois la répulsion et néanmoins des causes fortuites comme raison de la direction oblique. Tout au plus pourrait-il alors être question de causes fortuites de la répulsion, mais non de la direction oblique.

Une bizarrerie dans les réflexions de Cicéron et de Bayle saute par trop aux yeux pour ne pas être mise aussitôt en évidence. Ils prêtent en effet à Epicure des motifs dont l’un supprime l’autre. Tantôt Epicure doit admettre la déclinaison des atomes pour expliquer la répulsion, tantôt il doit l’admettre pour expliquer la liberté. Mais si les atomes ne se rencontrent pas sans la déclinaison, la déclinaison est superflue comme fondement de la liberté : car le contraire de la liberté ne commence, comme nous l’apprenons de Lucrèce[8], qu’avec la rencontre déterministe et forcée des atomes. Si, d’autre part, les atomes se rencontrent sans la déclinaison, c’est comme fondement de la répulsion que la déclinaison est superflue. Je prétends que cette contradiction naît lorsque les raisons de la déclinaison de l’atome de la ligne droite sont comprises de manière aussi extérieure et incohérente que chez Cicéron et Bayle. Nous trouverons chez Lucrèce, qui est somme toute le seul parmi tous les anciens à avoir compris la physique d’Epicure, un exposé plus profond.

Nous allons maintenant considérer la déclinaison en elle-même.

De même que le point est supprimé dialectiquement dans la ligne, tout corps qui tombe est supprimé dans la ligne droite qu’il décrit. Sa qualité spécifique n’importe pas du tout ici. Une pomme décrit en tombant une ligne droite aussi bien qu’un morceau de fer. Tout corps, pour autant qu’il est considéré dans le mouvement de chute, n’est ainsi rien d’autre qu’un point qui se meut, un point sans autonomie qui abandonne sa singularité dans un être-là déterminé, la ligne droite qu’il décrit. C’est pourquoi Aristote remarque avec juste raison contre les pythagoriciens : « Vous dites que le mouvement de la ligne est la surface et celui du point la ligne ; donc les mouvements des monades seront aussi des lignes[9]. » La conséquence de cela, aussi bien pour les monades que pour les atomes, serait alors qu’ils sont en mouvement continuel, que la monade et l’atome n’existent pas, mais se perdent plutôt dans la ligne droite ; car la solidité de l’atome n’existe pas du tout encore, dans la mesure où il n’est conçu que comme tombant en ligne droite. Tout d’abord, si on se représente le vide comme un espace vide, l’atome est la négation immédiate de l’espace abstrait, donc un point spatial. La solidité, l’intensivité, qui s’affirment contre l’incohésion de l’espace en soi, ne peuvent s’ajouter que par un principe, qui nie l’espace dans la totalité de sa sphère, comme l’est le temps dans la nature effectivement réelle. De plus, en admettant qu’on ne veuille pas accorder ce point, l’atome, dans la mesure où son mouvement est une ligne droite, est purement déterminé par l’espace ; un être-là relatif lui est prescrit et son existence est une pure existence matérielle. Mais nous avons vu qu’un des moments dans le concept de l’atome est d’être une pure forme, la négation de toute relativité, de toute relation à un autre être-là. Nous avons remarqué en même temps qu’Epicure s’objective les deux moments, qui en vérité se contredisent, mais qui sont contenus dans le concept de l’atome[10].

Comment maintenant Epicure peut-il réaliser effectivement la détermination purement formelle de l’atome, le concept de la pure singularité, lequel nie tout être-là déterminé par un autre ?

Comme il se meut dans le domaine de l’être immédiat, toutes les déterminations sont immédiates. Les déterminations opposées sont donc opposées mutuellement comme réalités immédiates.

Mais l’existence relative, qui vient s’opposer à l’atome, l’être-là qu’il doit nier, est la ligne droite. La négation immédiate de ce mouvement est un autre mouvement, donc, représenté spatialement, la déclinaison de la ligne droite.

Les atomes sont des corps purement autonomes, ou plutôt sont le corps, pensé dans une autonomie absolue, comme les corps célestes. Comme ces derniers, ils ne se meuvent pas en ligne droite, mais en ligne oblique. Le mouvement de la chute est le mouvement de la non-autonomie.

Si donc Epicure représente, dans le mouvement de l’atome en ligne droite, la matérialité de cet atome, il a réalisé dans la déclinaison de la ligne droite sa détermination formelle ; et ces déterminations opposées sont représentées comme des mouvements immédiatement opposés.

Lucrèce affirme donc, à juste titre, que la déclinaison brise les fati foedera (déterminations du destin)[11] et, comme il applique aussitôt cela à la conscience[12], on peut dire de l’atome que la déclinaison est dans son cœur ce quelque chose qui peut lutter et résister.

Mais, quand Cicéron reproche à Epicure « de ne pas même obtenir le résultat en vue duquel il a forgé tout cela ; car, si tous les atomes déclinaient, il n’y en aurait jamais qui se lieraient, ou certains dévieraient et d’autres seraient par leur mouvement poussés tout droit ; il faudrait donc pour ainsi dire attribuer aux atomes des tâches déterminées et désigner ceux qui devraient aller tout droit et ceux qui devraient se mouvoir en ligne oblique[13] », ce reproche trouve sa justification dans ce que les deux moments qui sont compris dans le concept de l’atome sont représentés comme deux mouvements immédiatement différents et devraient donc échoir à des individus différents ; mais cette inconséquence est pourtant logique, car la sphère de l’atome est l’immédiateté.

Epicure sent fort bien la contradiction qui réside dans ce point. Il cherche donc à présenter la déclinaison de l’atome de la manière la moins matérielle possible. Elle est

nec regione loci certa nec tempore certo[14][15],


elle a lieu dans le plus petit espace possible[16].

Cicéron[17] et, d’après Plutarque, plusieurs anciens[18] critiquent, en outre, le fait que la déclinaison de l’atome ait lieu sans cause ; et rien de plus honteux, dit Cicéron, ne peut arriver à un physicien[19]. Mais d’abord, une cause physique telle que la veut Cicéron, rejetterait la déclinaison de l’atome dans le cercle du déterminisme, hors duquel elle doit justement nous élever. Mais, en outre, l’atome n’est pas du tout encore achevé avant d’être posé dans la détermination de la déclinaison. Demander la cause de cette détermination revient alors à demander la cause qui fait de l’atome un principe, question évidemment privée de sens pour celui qui croit que l’atome est la cause de tout, et qu’il ne saurait donc avoir une cause.

Lorsque, enfin, Bayle[20], s’appuyant sur l’autorité de saint Augustin[21], selon qui Démocrite a attribué aux atomes un principe spirituel — autorité tout à fait dénuée d’importance, vu son opposition à Aristote et aux autres anciens — reproche à Epicure d’avoir forgé la déclinaison à la place de ce principe spirituel, il faut, au contraire, dire qu’avec l’âme de l’atome, on aurait tout au plus gagné un terme, tandis que dans la déclinaison, c’est l’âme effective de l’atome, le concept de la singularité abstraite qui est représenté.

Avant de considérer la conséquence de la déclinaison de l’atome de la ligne droite, il faut faire ressortir un moment de la plus haute importance, complètement laissé de côté jusqu’à ce jour.

La déclinaison de l’atome de la ligne droite n’est pas, en effet, une détermination particulière, apparaissant au hasard dans la physique d’Epicure. La loi qu’elle exprime traverse plutôt toute la philosophie épicurienne mais de telle sorte, ce qui va de soi, que la déterminité de son apparition dépend de la sphère où elle est appliquée.

La singularité abstraite ne peut, en effet, affirmer son concept, sa détermination formelle, le pur être pour soi, l’indépendance à l’égard de tout être-là immédiat, l’être-supprimé de toute relativité, qu’en faisant abstraction de l’être-là qui vient s’opposer à elle ; car, pour en venir vraiment à bout, elle serait forcée de l’idéaliser, ce dont seule l’universalité est capable.

De même donc que l’atome se libère de son existence relative, la ligne droite, en faisant abstraction d’elle, en déviant d’elle, de même toute la philosophie épicurienne dévie de l’être-là limitatif, partout où le concept de la singularité abstraite, l’autonomie et la négation de tout rapport à un autre, doit être représenté dans son existence.

C’est ainsi que le but de l’action est l’acte de s’abstraire, de dévier de la douleur et du trouble, l’ataraxie[22]. Ainsi, le bien est la fuite devant le mal[23], et le plaisir est la déviation de la peine[24]. Enfin, là où la singularité abstraite apparaît dans sa liberté et dans son indépendance les plus hautes, l’être-là dont on dévie est logiquement tout être-là ; c’est pour cela que les dieux dévient du monde, ne s’en soucient pas, et habitent en dehors de lui[25].

On a raillé ces dieux d’Epicure, qui, semblables aux hommes, habitent dans les intermondes du monde réel, n’ont pas de corps, mais un quasi-corps, n’ont pas de sang, mais un quasi-sang, et, demeurant dans un repos bienheureux, n’exaucent aucune supplication, ne se soucient ni de nous ni du monde et sont honorés pour leur beauté, leur majesté, leur nature excellente, et non par intérêt[26].

Et pourtant, ces dieux ne sont pas une invention d’Epicure. Ils ont existé. Ce sont les dieux plastiques de l’art grec. Cicéron, le Romain, a raison de les persifler[27] ; mais le Grec Plutarque a oublié toute conception grecque quand il estime que cette doctrine touchant les dieux supprime la crainte religieuse et la superstition, qu’elle ne donne aux dieux ni joies ni faveurs, mais nous prête avec eux la même relation que nous avons avec les poissons d’Hyrcanie, dont nous n’attendons ni dommage ni profit[28]. Le calme contemplatif est un moment fondamental du caractère des divinités grecques, comme le dit Aristote lui-même : « Ce qui est le meilleur n’a pas besoin d’action car il est lui-même son propre but[29]. »

Nous allons maintenant considérer la conséquence qui suit immédiatement de la déclinaison des atomes. En elle est exprimé que l’atome nie tout mouvement et toute relation où il est déterminé comme un être-là particulier par un autre. Cela se présente de telle sorte que l’atome fait abstraction de l’être-là qui vient en face de lui et s’y soustrait. Mais ce qui est contenu en ceci, sa négation de toute relation à un Autre, il faut le réaliser effectivement, le poser de manière positive. Cela ne peut se faire que si l’être-là auquel il se rapporte n’est pas un autre être-là que lui-même, donc également un atome, et, comme lui-même est déterminé immédiatement, une multitude d’atomes. Ainsi la répulsion mutuelle des atomes multiples est la réalisation effective nécessaire de la lex atomi[30], selon le nom que Lucrèce donne à la déclinaison. Mais parce qu’ici toute détermination est posée comme un être-là particulier, la répulsion s’ajoute comme troisième mouvement aux mouvements primitifs. Lucrèce a raison de dire que, si les atomes n’avaient pas coutume de décliner, il ne serait né entre eux ni rencontre ni contrecoup, et le monde n’aurait jamais été créé[31]. Car les atomes sont à eux-mêmes leur unique objet (Objekt), ils ne peuvent se rapporter à eux-mêmes, ou — si l’on en donne une expression spatiale — se rencontrer qu’en ayant nié toute existence relative qui les verrait se rapporter à un Autre ; et cette existence relative est, comme nous l’avons vu, leur mouvement d’origine, celui de la chute en ligne droite. Ainsi donc ils ne se rencontrent qu’en déclinant de cette ligne. Il ne s’agit pas de la fragmentation purement matérielle[32].

Et, en vérité, la singularité qui est immédiatement n’est réalisée effectivement selon son concept que dans la mesure où elle se rapporte à un Autre, qui est elle-même, même si l’Autre s’oppose à elle dans la forme de l’existence immédiate. C’est ainsi que l’homme ne cesse d’être un produit naturel que lorsque l’Autre auquel il se rapporte n’est pas une existence différente, mais lui-même un homme singulier, bien que pas encore l’esprit. Mais pour que l’homme en tant qu’homme devienne à lui-même son unique objet effectivement réel, il faut qu’il ait brisé en lui son être-là relatif, la puissance de ses appétits et de la simple nature. La répulsion est la première forme de la conscience de soi ; elle répond donc à la conscience de soi, laquelle se conçoit comme quelque chose d’immédiatement-étant et d’abstraitement-singulier.

La répulsion est donc la réalisation effective du concept de l’atome, selon lequel il est la forme abstraite, mais tout autant du contraire de ce concept, selon lequel il est matière abstraite ; car ce à quoi l’atome se rapporte, ce sont bien des atomes, mais d’autres atomes. Mais si je me rapporte à moi-même comme à un immédiatement-Autre, mon rapport est un rapport matériel. C’est le plus haut degré d’extériorité qui puisse être pensé. Dans la répulsion des atomes, ce sont donc leur matérialité, qui avait été posée dans la chute en ligne droite, et leur détermination formelle, qui avait été posée dans la déclinaison, qui sont synthétiquement unies.

Démocrite, contrairement à Epicure, transforme en mouvement forcé, en acte de l’aveugle nécessité, ce qui pour Epicure est réalisation effective du concept de l’atome. Nous » avons déjà vu plus haut qu’il donne comme substance de la nécessité le tourbillon (δίνη), qui naît de la répulsion et du choc mutuel des atomes. Il n’envisage donc dans la répulsion que le côté matériel, la dispersion, la modification, et non le côté idéel, d’après lequel dans la répulsion toute relation à un Autre est niée et le mouvement est posé comme autodétermination. On le voit clairement dans le fait qu’il se figure d’une manière tout à fait matérielle un seul et même corps divisé en une multitude de corps par l’espace vide comme l’or qu’on a brisé en morceaux[33]. C’est donc à peine s’il conçoit que l’unité est le concept de l’atome.

Aristote a raison dans la polémique qu’il mène contre lui. « C’est pour cela que Leucippe et Démocrite, qui prétendent que les corps primordiaux se meuvent continuellement dans le vide et l’infini, auraient dû nous dire de quelle espèce est ce mouvement et quel est le mouvement adéquat à leur nature. Car si chacun des éléments est mis de force en mouvement par un autre, il est pourtant nécessaire que chacun ait aussi un mouvement naturel, auquel le mouvement forcé soit extérieur ; et ce premier mouvement, il faut bien qu’il ne soit pas forcé, mais naturel. Autrement la progression va à l’infini[34]. »

La déclinaison épicurienne des atomes a donc modifié l’ensemble de la construction interne du monde des atomes, en ayant fait prévaloir la détermination de la forme et réalisé effectivement la contradiction inhérente au concept de l’atome. Épicure est donc le premier à avoir conçu, bien que sous une figure sensible, l’essence de la répulsion, tandis que Démocrite n’en a connu que l’existence matérielle.

Aussi trouvons-nous également des formes plus concrètes de la répulsion employées par Épicure ; en matière politique, c’est le contrat[35], et en matière sociale l’amitié[36] qu’il prône comme le bien suprême.


Chapitre II
Les qualités de l’atome


Il est contradictoire à la notion de l’atome d’avoir des propriétés ; car, comme dit Epicure, toute propriété est modifiable, tandis que les atomes ne se modifient pas[37]. Mais ce n’en est pas moins une conséquence nécessaire de leur attribuer ces propriétés. Car la pluralité des atomes de la répulsion, qui sont séparés par l’espace sensible, doivent être immédiatement différents entre eux et distincts de leur pure essence, c’est-à-dire posséder des qualités.

Dans les développements suivants, je ne tiens donc absolument pas compte de l’affirmation de Schneider et de Nürnberger, selon qui Epicure n’a pas attribué de qualités aux atomes et les § 44 et 54 dans la lettre à Hérodote, chez Diogène Laerte, sont interpolés. Si vraiment ils étaient interpolés, comment pourrait-on ôter toute valeur aux témoignages de Lucrèce, de Plutarque, voire de tous les auteurs qui parlent d’Epicure ? De plus, ce n’est pas dans deux paragraphes seulement que Diogène Laerte mentionne les qualités des atomes, mais dans dix : les 42, 43, 44, 54, 55, 56, 57, 58, 59 et 61. La raison que font valoir ces critiques « qu’ils ne sauraient accorder les qualités de l’atome avec son concept », est bien faible. Spinoza dit que l’ignorance n’est pas un argument. Si chacun voulait raturer chez les anciens les passages qu’il ne comprend pas, on arriverait bien vite à la tabula rasa !

Par les qualités, l’atome acquiert une existence qui contredit à son concept; il est posé comme un être-là aliéné, différent et séparé de son essence. Cette contradiction est ce qui constitue l’intérêt capital d’Epicure. Sitôt donc qu’il pose une propriété, tirant la conséquence de la nature matérielle de l’atome, il contrepose en même temps des déterminations qui anéantissent de nouveau cette propriété dans sa propre sphère et font prévaloir, au contraire, le concept de l’atome. Il détermine donc toutes les qualités de telle façon qu’elles se contredisent elles-mêmes. Au contraire, Démocrite ne considère nulle part les propriétés en rapport à l’atome lui-même, et n’objective pas non plus la contradiction entre concept et existence qu’elles contiennent. La seule chose qui l’intéresse est plutôt de présenter les qualités en rapport à la nature concrète qui doit en être formée. Elles ne sont pour lui que des hypothèses servant à expliquer la diversité phénoménale. Le concept de l’atome n’a donc rien à voir avec elles.

Pour démontrer notre affirmation, il est tout d’abord nécessaire de nous mettre au courant des sources qui semblent se contredire sur ce point.

Dans l’écrit De placitis philosophorum, on lit : « Epicure affirme que ces trois qualités appartiennent aux atomes : la grandeur, la figure, la pesanteur. Démocrite n’en admettait que deux : la grandeur et la figure ; Epicure y ajouta en troisième la pesanteur[38]. Le même passage figure, répété mot pour mot, dans la Praeparatio evangelica d’Eusèbe[39].

Il est confirmé par le témoignage de Simplicius[40] et de Philopon[41] d’après lequel Démocrite n’a attribué aux atomes que la différence de la grandeur et de la figure. En opposition directe avec ces témoignages se trouve Aristote qui, dans le premier livre du De generatione et corruptione assigne aux atomes de Démocrite des différences de pesanteur[42]. À un autre endroit (dans le premier livre du De Caelo, Aristote laisse indécise la question de savoir si Démocrite a ou non attribué la pesanteur aux atomes ; il dit en effet : « Ainsi aucun des corps ne sera absolument léger, si tous ont de la pesanteur ; mais si tous ont de la légèreté, aucun ne sera pesant[43]. » Ritter dans son Histoire de la philosophie ancienne[44] rejette, en s’appuyant sur l’autorité d’Aristote, les données de Plutarque, d’Eusèbe et de Stobée ; quant aux témoignages de Simplicius et de Philopon, il n’en tient pas compte.

Voyons si ces passages sont réellement si contradictoires. Dans les passages cités, ce n’est pas ex professo (formellement) qu’Aristote parle des qualités des atomes. On lit par contre au livre septième de la Métaphysique : « Démocrite pose trois différences des atomes. Car, selon lui, le corps fondamental est au point de vue de la matière un seul et même corps ; mais il est différencié par le ῥυσμὸς, qui signifie la figure, par la τροπή, qui signifie la situation, ou par la διαθιγή qui signifie l’arrangement[45]. » Il découle immédiatement de ce passage[46] que la pesanteur n’est pas mentionnée comme une qualité des atomes de Démocrite. Les fragments de la matière, dispersés et tenus séparés les uns des autres doivent avoir des formes particulières et ces formes leur adviennent absolument de l’extérieur par la considération de l’espace. Ceci ressort encore plus clairement du passage suivant d’Aristote : « Leucippe et son compagnon Démocrite disent que les éléments sont le plein et le vide… qu’ils sont la raison, en tant que matière, de ce qui est. Or, de même que ceux qui posent une substance fondamentale unique font naître ce qui est Autre que cette substance de ses affections, en supposant comme principes des qualités le ténu et le dense, de même ils enseignent que les différences des atomes sont les causes de tout ce qui est autre qu’eux ; car l’être (sein) qui est au fondement ne se différencie que par ῥυσμός, διαθιγή, τροπή. C’est ainsi que A se différencie de N par la figure, AN de NA par l’arrangement, Z de N par la position[47]. »

Il s’ensuit avec évidence de ce passage que Démocrite ne considère les propriétés des atomes qu’en rapport à la formation des différences dans le monde phénoménal, et non en rapport à l’atome lui-même. Il s’ensuit, en outre, que Démocrite ne signale pas la pesanteur comme une propriété essentielle des atomes. Cette propriété va pour lui de soi, car tout ce qui est corporel est pesant. De même, la grandeur elle-même n’est pas pour lui une qualité fondamentale. Elle est une détermination accidentelle, que les atomes ont reçu en même temps que la figure. Seul l’état-différencié des figures — car rien de plus n’est contenu dans la figure, la position et l’arrangement — intéresse Démocrite. Grandeur, figure, pesanteur, prises ensemble comme elles le sont chez Épicure, sont des différences (Differenzen) que l’atome a en lui-même ; figure, arrangement, des différences qui lui appartiennent en rapport à un Autre. Tandis que nous trouvons donc chez Démocrite de simples déterminations hypothétiques visant à expliquer le monde phénoménal, chez Épicure, c’est la conséquence du principe même qui se présentera à nous. C’est pourquoi nous allons considérer en détail ses déterminations des qualités de l’atome.

En premier lieu, les atomes ont une grandeur[48]. Mais d’autre part, la grandeur est aussi niée. Ils n’ont pas, en effet, n’importe quelle grandeur[49], mais, au contraire, il ne faut admettre entre eux que quelques variations de grandeur[50]. Bien mieux, on ne doit leur attribuer que la négation de la grandeur, la petitesse[51] et même pas le minimum, car ce serait une détermination purement spatiale, mais l’infiniment petit, qui exprime la contradiction[52]. Rosinius, dans ses annotations aux fragments d’Epicure, traduit donc faussement un passage et passe complètement l’autre sous silence, quand il déclare : « Hujus modi autem tenuitatem atomorum incredibili parvitate arguebat Epicurus, utpote quas nulla magnitudine praeditas aiebat teste Laertio, X 44[53][54]. »

Je ne tiendrai pas compte de ce que, d’après Eusèbe, Epicure fut le premier à attribuer aux atomes une petitesse infinie[55], tandis que Démocrite avait admis les atomes les plus grands — grands comme le monde, affirme même Stobée[56].

D’une part ceci contredit le témoignage d’Aristote[57], d’autre part Eusèbe, ou plutôt l’évêque alexandrin Denys, qu’il résume, se contredit lui-même ; on lit, en effet, dans le même livre que Démocrite supposait comme principes de la nature des corps indivisibles, concevables par la raison[58]. Mais un point est clair : Démocrite ne prend pas conscience de la contradiction ; elle ne le préoccupe pas, tandis qu’elle constitue pour Epicure l’intérêt principal.

La deuxième propriété des atomes d’Epicure est la figure[59]. Mais cette détermination elle aussi contredit le concept de l’atome, et on doit nécessairement poser son contraire. La singularité abstraite est ce qui est abstraitement-identique-à-soi, et donc sans figure[60]. Les différences des figures des atomes sont donc en vérité indéterminables, mais elles ne sont pas absolument infinies[61]. C’est plutôt un nombre déterminé et fini de figures par quoi les atomes se différencient[62]. Il découle naturellement de ce point qu’il n’y a pas autant de figures différentes que d’atomes[63], alors que Démocrite pose un nombre infini de figures[64]. Si chaque atome avait une figure particulière, il faudrait bien qu’il y ait des atomes de grandeur infinie[65] ; car ils auraient en soi une différence infinie (la différence qui les distinguerait de tous les autres), comme les monades de Leibniz. L’affirmation de Leibniz qu’il n’y a pas deux choses identiques est donc renversée et il y a un nombre infini d’atomes de la même figure[66], ce qui implique manifestement que la détermination de la figure est de nouveau niée, car une figure qui ne se distingue plus des autres n’est pas une figure[67].

Il est enfin de la plus haute importance qu’Epicure mentionne comme troisième qualité la pesanteur[68] ; car c’est dans le point de gravité que la matière possède la singularité idéale qui constitue une détermination principale de l’atome. Dès que les atomes ont été transportés dans le domaine de la représentation, ils doivent nécessairement posséder aussi la pesanteur.

Mais la pesanteur est elle aussi contradictoire au concept de l’atome ; elle est, en effet, la singularité de la matière en tant qu’un point idéal qui se trouve extérieur à cette matière. Or, c’est l’atome lui-même qui est cette singularité, le point de gravité pour ainsi dire, représenté comme une existence singulière. La pesanteur n’existe donc pour Epicure que comme différence de poids, et les atomes sont eux-mêmes des points de gravité substantiels, comme les corps célestes. Si l’on applique cela au concret, il résulte naturellement ce que le vieux Brucker trouve si étonnant[69], et ce que nous confirme Lucrèce[70] : la terre n’a pas de centre vers lequel tout tendrait et il n’y a pas d’antipodes. Comme, en outre, la pesanteur n’appartient qu’à l’atome différencié des autres, donc aliéné et doué de propriétés, il va de soi que lorsque les atomes ne sont pas conçus comme multiples dans leur différence (Differenz), mais seulement en rapport au vide, la détermination du poids disparaît. Les atomes, si différents qu’ils puissent être par la masse et la forme, se meuvent donc dans l’espace vide avec la même vitesse[71]. C’est pour cela qu’Epicure n’applique la théorie de la pesanteur qu’en ce qui concerne la répulsion et les compositions qui naissent de cette répulsion, ce qui a donné prétexte à affirmer que seuls les agglomérats d’atomes étaient doués de pesanteur[72], mais non les atomes eux-mêmes.

Gassendi loue déjà Epicure d’avoir anticipé, uniquement guidé par la raison, sur l’expérience qui montre que tous les corps, malgré leur grande différence de poids et de masse, possèdent cependant la même vitesse, quand ils tombent de haut en bas[73].

La considération des propriétés des atomes nous donne donc le même résultat que celle de la déclinaison : Epicure a objectivé la contradiction incluse, dans le concept de l’atome, entre essence et existence, et a ainsi créé la science de l’atomistique, tandis que chez Démocrite ne se trouve aucune réalisation du principe lui-même, mais seulement le maintien du seul côté matériel et la production d’hypothèses en vue de l’empirie.


Chapitre III
ά̀τομοι άρχαί et ά̀τομα στοιχει̃α


Schaubach, dans sa Dissertation déjà citée sur les concepts astronomiques d’Epicure, affirme : « Epicure a fait, avec Aristote, une distinction entre les principes (ά̀τομοι άρχαί Diogene Laerte X 41) et les éléments ά̀τομα στοιχει̃α Diogene Laerte X 86). Les premiers sont les atomes, qui ne sont connaissables que par l’entendement ; ils ne remplissent aucun espace[74]… On les appelle atomes, non parce qu’ils sont les corps les plus petits, mais parce qu’ils ne sont pas divisibles dans l’espace. D’après ces représentations, on devrait donc croire qu’Epicure n’a pas attribué aux atomes de propriétés qui se rapportent à l’espace[75]. Mais, dans la lettre à Hérodote (Diogene Laerte X 44, 54), il accorde aux atomes non seulement la pesanteur mais aussi la figure et la grandeur… Je range donc ces atomes, qui sont nés des premiers, mais qui sont pourtant considérés encore comme particules élémentaires des corps[76], parmi ceux qui appartiennent à la seconde espèce. »

Considérons de plus près le passage que Schaubach cite de Diogene Laerte. Le voici : οί̃ον ό̀τι τό πα̃ν σω̃μα καί άναφής φύσις ἐστίν ἢ ὅτι ἄτομα στοιχεῖα καὶ πάντα τὰ τοιαῦτα[77] (Diog. X 86). Épicure enseigne ici à Pytoclès, à qui il écrit, que la doctrine des Météores se distingue de toutes les autres doctrines physiques, par exemple que le tout est fait de corps et de vide, qu’il y a des principes fondamentaux indivisibles[78]. On voit qu’il n’y a ici absolument aucune raison d’admettre qu’il soit question d’une seconde espèce d’atomes. Peut-être semble-t-il que la disjonction entre τὸ πᾶν σῶμα καὶ ἀναφὴς φύσις ὅτι τὰ ἄτομα στοιχεῖα[79] pose une différence entre σῶμα et ἄτομα στοιχεῖα, le terme σῶμα désignant peut-être les atomes du premier genre par opposition aux ἄτομα στοιχεῖα. Mais il n’y faut pas penser. Σῶμα signifie le corporel par opposition au vide, lequel est pour cela nommé également l’ἀσώματον (incorporel)[80]. Dans σῶμα, ce sont donc aussi bien les atomes que les corps composés qui sont compris. C’est ainsi, par exemple, qu’il est dit dans la lettre à Hérodote : τὸ πᾶν ἐστι σῶμα… εἰ μὴ ἢν ὅ κενον καὶ χώραν καὶ ἀναφῆ φύσιν ὀνομάζομεν… τῶν σωμάτων τὰ μέν ἐστι συγκρίσεις. τὰ δʹἐξ ὦν αἱ συγκρίσεις πεποίηνται. Ταῦτα δέ ἐστιν ἄτομα καὶ ἀμετάβλητα ὥστε τάς ἀρχὰς ἀτόμος ἀναγκαῖον εἶναι σωμάτων φύσεις[81]. Dans le passage ci-dessus cité, Épicure parle donc d’abord du corporel en général par opposition au vide, puis du corporel en particulier, les atomes[82].

La référence de Schaubach à Aristote prouve tout aussi peu. La distinction entre ἀρχή et στοιχεῖον, dont font usage surtout les stoïciens[83], se trouve à la vérité aussi chez Aristote[84], mais celui-ci indique non moins l’identité des deux expressions[85]. Il enseigne même expressément que στοιχεῖον désigne surtout l’atome[86]. De même, Leucippe et Démocrite appellent eux aussi « στοιχει̃ον » le πλῆρες καὶ κενὸν[87] (le plein et le vide).

Chez Lucrèce, dans les lettres d’Épicure que l’on trouve chez Diogène Laerte, dans le Colotès de Plutarque[88], chez Sextus Empiricus[89], les propriétés sont attribuées aux atomes eux-mêmes, et c’est pour cela qu’ils ont été déterminés comme se supprimant eux-mêmes.

Mais s’il apparaît antinomique que des corps qui ne sont percevables que par la raison soient doués de qualités spatiales, il est bien plus antinomique que les qualités spatiales elles-mêmes ne puissent être perçues que par l’entendement[90].

Pour fonder davantage son opinion, Schaubach cite enfin le passage suivant de Stobée : Ἐπίκουρος… τὰ πρῶτα (…σώματα) μὲν ἁπλᾶ, τὰ δὲ ἐξ ἐκείνων συγκρίματα πάντα βάρος ἔχειν[91]. À ce passage de Stobée, on pourrait encore ajouter les passages suivants, dans lesquels les ἄτομα στοιχεῖα sont mentionnés comme une espèce particulière d’atomes (Plutarque : De placitis Philosophorum I 246 et 249, et Stobée : Eclog. phys. I, p. 5)[92]. Il n’est d’ailleurs aucunement affirmé dans ces passages que les atomes originels soient sans grandeur, sans figure et sans pesanteur. On n’y parle, au contraire, que de la pesanteur, comme du caractère différentiel des ά̀τομοι άρχαί et des ά̀τομα στοιχει̃α. Mais nous avons déjà remarqué au chapitre précédent que la catégorie de pesanteur n’est appliquée qu’à propos de la répulsion et des conglomérats qui en résultent.

L’invention des ά̀τομα στοιχει̃α ne nous fait d’ailleurs rien gagner. Il est aussi difficile de passer des ά̀τομοι άρχαί aux ά̀τομα στοιχει̃α que d’attribuer aux premiers directement des propriétés. Néanmoins, je ne nie pas absolument cette distinction. La seule chose que je nie, c’est qu’il existe deux espèces fixes et différentes d’atomes. Il s’agit plutôt de déterminations différentes d’une seule et même espèce.

Avant d’analyser cette différence, je vais encore attirer l’attention sur un procédé d’Epicure : il pose volontiers les différentes déterminations d’un concept comme des existences différentes et autonomes. De même que son principe est l’atome, la méthode de son savoir est atomistique. Chaque moment du développement se transforme aussitôt à son insu en une réalité fixe, pour ainsi dire séparée de sa connexion par l’espace vide ; chaque détermination reçoit la figure de la singularité isolée.

L’exemple qui suit éclairera ce procédé.

L’infini, τόά̀πειρον, ou l’infinitio, comme traduit Ciceron, est parfois employé par Epicure comme une nature particulière ; bien plus, c’est justement dans les passages où nous trouvons les στοιχει̃α déterminés comme une Substance fondamentale fixe, que nous trouvons aussi l’ά̀πειρον rendu autonome[93].

Mais pourtant, d’après les propres déterminations d’Epicure, l’infini n’est ni une substance particulière ni quelque chose d’extérieur aux atomes et au vide, mais plutôt une détermination accidentelle de ces deux éléments. Nous trouvons, en effet, trois significations de l’ά̀πειρον. Premièrement, l’ά̀πειρον exprime pour Épicure une qualité qui est commune aux atomes et au vide. Dans cette acception, il signifie l’infinité du tout, qui est infini par l’infinie pluralité des atomes, par l’infinie grandeur du vide[94].

En second lieu, l’ά̀πειρία (l’état-illimité) est la pluralité des atomes, de sorte que ce n’est pas l’atome, mais la pluralité infinie des atomes qui s’oppose au vide[95].

Enfin, si nous pouvons conclure de Démocrite à Épicure, ά̀πειρον signifie également le contraire direct, le vide infini, qu’on oppose à l’atome déterminé en soi et limité par lui-même[96].

Dans toutes ces significations — et ce sont les seules, et même les seules possibles pour l’atomistique —, l’infini n’est qu’une détermination de l’atome et du vide. Néanmoins, il est rendu autonome et devient une existence particulière, et est même posé comme une nature spécifique à côté des principes dont il exprime la déterminité.

Que ce soit donc Épicure lui-même qui ait fixé la détermination dans laquelle l’atome devient στοιχει̃ον comme une espèce indépendante et originaire d’atomes, ce qui d’ailleurs, d’après la prépondérance historique de l’une des sources sur l’autre, n’est pas le cas ; ou que Métrodore, le disciple d’Épicure, ait été, ce qui nous paraît plus vraisemblable, le premier à transformer la détermination différenciée en une existence différenciée[97], nous devons attribuer au mode subjectif de la conscience atomistique l’autonomisation des moments singuliers. Ce n’est pas parce que l’on prête à des déterminations différentes la forme d’une existence différente qu’on a conçu leur différence.

L’atome n’a pour Démocrite que la signification d’un στοιχει̃ον, d’un substrat matériel. La distinction entre l’atome comme όρχή l’atome comme στοιχει̃ον, entre l’atome comme principe et l’atome comme élément, appartient à Epicure. Ce qui suit nous montrera l’importance de cette distinction.

La contradiction entre l’existence et l’essence, entre la matière et la forme, qui est contenue dans le concept de l’atome, est posée dans l’atome singulier lui-même, du fait qu’on lui attribue des qualités. Par la qualité, l’atome est aliéné de son concept, mais en même temps achevé dans sa construction. De la répulsion et des conglomérats connexes des atomes qualifiés naît maintenant le monde sensible.

C’est avec ce passage du monde de l’essence au monde du phénomène que la contradiction incluse dans le concept de l’atome atteint manifestement sa réalisation la plus tranchante. Car l’atome est selon son concept la forme absolue, essentielle de la nature. Cette forme absolue est maintenant rabaissée à la matière absolue, au substrat informe du monde phénoménal.

Les atomes sont bien la substance de la nature[98], d’où tout sort et où tout se dissout[99]. Mais l’anéantissement perpétuel du monde phénoménal n’aboutit à aucun résultat. Il se forme des phénomènes nouveaux, mais l’atome lui-même reste toujours au fond comme sédiment[100]. Dans la mesure donc où l’atome est pensé selon son pur concept, c’est l’espace vide, la nature anéantie, qui est son existence ; dans la mesure où il passe à la réalité effective, il est ravalé à l’état de base matérielle, laquelle, support d’un monde aux divers rapports, n’existe jamais autrement que dans des formes qui lui sont indifférentes et extérieures. C’est là une conséquence nécessaire, parce que l’atome, présupposé comme un être abstraitement-singulier-et-achevé, ne peut pas s’affirmer comme une puissance qui idéaliserait et dominerait cette multiplicité.

La singularité abstraite est la liberté à l’égard de l’être-là, et non la liberté dans l’être-là. Elle n’est pas à même de resplendir à la lumière de l’être-là. C’est là un élément où elle perd son caractère et devient matérielle. C’est pour cela que l’atome ne vient pas au jour du phénomène[101] ou bien, là où il apparaît, est ravalé à l’état de base matérielle. L’atome comme tel n’existe que dans le vide. C’est ainsi la mort de la nature qui en est devenue la substance immortelle ; et Lucrèce a raison de s’écrier :

« mortalem vitam mors immortalis ademit[102] »
[III 869]

Mais le fait qu’Épicure saisisse et objective la contradiction à son plus haut sommet, en distinguant l’atome qui, comme στοιχεῖον, devient la base du phénomène, de l’atome qui, comme existe dans le vide, voilà ce qui, au plan de la philosophie, le distingue de Démocrite, qui n’objective qu’un des moments. C’est là la même différence qui sépare Épicure de Démocrite dans le monde de l’essence, le domaine des atomes et du vide. Mais comme l’atome qualifié est le seul qui soit achevé, comme ce n’est que de l’atome achevé et aliéné à son concept que le monde phénoménal peut sortir, Épicure exprime ce fait en disant que seul l’atome qualifié devient στοιχεῖον, ou que seul l’ἄτομον στοιχεῖον est doué de qualités.


Chapitre IV
Le temps


Comme, dans l’atome, la matière est, en tant que pure relation à soi, dispensée de toute mutabilité et de toute relativité, il découle immédiatement que le temps est à exclure du concept de l’atome, du monde de l’essence. Car la matière n’est éternelle et autonome que dans la mesure où il est fait, en elle, abstraction du moment de la temporalité. Sur ce point encore, Epicure et Démocrite sont d’accord. Mais ils diffèrent par la manière dont le temps, écarté du monde des atomes, est ensuite déterminé, ainsi que par la sphère où il est transporté.

Selon Démocrite, le temps n’a aucune importance et aucune nécessité pour son système. S’il explique le temps, c’est pour le supprimer. S’il le détermine comme éternel, c’est pour que, comme le disent Aristote[103] et Simplicius[104], la naissance et la mort, c’est-à-dire le temporel, soient écartés des atomes. C’est lui-même, le temps, qui doit fournir la preuve que tout n’a pas nécessairement une origine, un moment du commencement.

Il faut reconnaître ici quelque chose de plus profond. L’entendement imaginant, qui ne conçoit pas l’être-autonome de la substance, pose la question du devenir temporel de cette substance. Il lui échappe alors qu’en faisant de la substance quelque chose de temporel, il fait en même temps du temps quelque chose de substantiel, et en détruit le concept, car le temps rendu absolu n’est plus temporel.

Mais, d’un autre côté, cette solution n’est pas satisfaisante. Le temps, exclu du monde de l’essence, est transféré dans la conscience de soi du sujet qui philosophe, mais ne touche pas le monde lui-même.

Il en va autrement avec Epicure. Selon lui, le temps, exclu du monde de l’essence, devient la forme absolue du phénomène. Le temps est en effet défini comme l’accident de l’accident. L’accident est la modification de la substance en général. L’accident de l’accident est la modification en tant que se réfléchissant en soi, le changement comme changement. Le temps est maintenant cette pure forme du monde, phénoménal[105].

La composition est la forme purement passive de la nature concrète, le temps en est la forme active. Si je considère la composition d’après son être-là, l’atome existe derrière elle, dans le vide, dans l’imaginaire ; si je considère l’atome d’après son concept, ou bien la composition n’existe pas du tout, ou bien elle n’existe que dans la représentation subjective ; car elle est une relation dans laquelle les atomes indépendants, refermés sur eux-mêmes, qui se désintéressent en quelque sorte les uns des autres, ne sont pas davantage rapportés les uns aux autres. Le temps, au contraire, le changement du fini, du fait qu’il est posé comme changement, est aussi bien la forme effectivement réelle qui sépare le phénomène de l’essence, le pose comme phénomène au même titre qu’il le ramène à l’essence. La composition exprime maintenant la matérialité aussi bien des atomes que de la nature qui naît de ces atomes. Le temps, par contre, est, dans le monde du phénomène, ce que le concept de l’atome est dans le monde de l’essence : l’abstraction, l’anéantissement et le retour à l’être pour soi de tout être-là déterminé.

De ces considérations découlent les conséquences suivantes : en premier lieu, Epicure fait de la contradiction entre la matière et la forme, le caractère de la nature phénoménale qui devient ainsi le pendant de la nature essentielle, de l’atome. Cela se produit du fait que le temps est posé en opposition à l’espace, et la forme active du phénomène en opposition à la forme passive. En second lieu, ce n’est que chez Epicure que le phénomène est conçu comme phénomène, c’est-à-dire comme une aliénation de l’essence qui s’affirme comme une telle aliénation dans sa réalité effective. Chez Démocrite, au contraire, pour qui la composition est l’unique forme de la nature phénoménale, le phénomène ne montre pas en lui-même qu’il est un phénomène, une chose différente de l’essence. Si donc nous considérons le phénomène selon son existence, l’essence est totalement confondue avec lui ; si nous le considérons selon son concept, l’essence est totalement séparée de lui, si bien que le phénomène est rabaissé à l’état d’apparence subjective. La composition se montre indifférente et matérielle à l’égard de ses fondements essentiels. Le temps au contraire est le feu de l’essence qui consume éternellement le phénomène et lui imprime le sceau de la dépendance et de l’inessentialité. Enfin, du fait que pour Epicure le temps est le changement comme changement, la réflexion en soi du phénomène, c’est à bon droit que la nature phénoménale est posée comme objective, c’est à bon droit que la perception sensible est prise pour critérium réel de la nature concrète, bien que son fondement, l’atome, ne soit contemplé que par la raison.

C’est en effet parce que le temps est la forme abstraite de la perception sensible qu’existe la nécessité, selon la méthode atomistique de la conscience épicurienne, de la fixer comme une nature douée d’une existence particulière à l’intérieur de la nature. Or, la mutabilité du monde sensible en tant que mutabilité, son changement en tant que changement, cette réflexion en soi du phénomène qui constitue le concept du temps, à son existence distincte dans la sensibilité consciente. La sensibilité de l’homme est donc le temps incarné, la réflexion en soi du monde des sens venue à l’existence.

Ceci découle immédiatement de la détermination conceptuelle du temps que l’on trouve chez Épicure ; mais on peut également le démontrer dans le détail avec une aussi complète certitude. Dans la lettre d’Épicure à Hérodote[106], le temps est déterminé ainsi : il naît quand les accidents des corps perçus par les sens sont pensés comme accidents. C’est donc ici la perception sensible réfléchie en soi qui est la source du temps et le temps lui-même. On ne peut donc déterminer le temps par analogie, ni affirmer de lui un Autre ; on doit s’en tenir à l’Énergie elle-même [ἐνάργεια veut dire chez Épicure l’évidence]. Car, étant donné que la perception sensible réfléchie en soi est le temps lui-même, on ne saurait aller au-delà d’elle.

Par contre, chez Lucrèce, Sextus Empiricus et Stobée[107], l’accident de l’accident, la modification réfléchie en soi sont déterminés comme temps. La réflexion des accidents dans la perception sensible et leur réflexion en eux-mêmes sont donc posées comme une seule et même chose.

Par cette connexion entre le temps et la sensibilité, les εἴδωλα[108], qui se trouvent également chez Démocrite, acquièrent aussi une position plus logique.

Les εἴδωλα sont les formes des corps de la nature ; elles s’en détachent comme d’une peau qui pèle et les font passer au phénomène[109]. Ces formes des choses s’en écoulent constamment, pénétrant dans les sens, et c’est par là même qu’elles font apparaître les objets (Objekte). Dans l’audition, c’est donc la nature qui s’écoute elle-même, dans le sentir, elle se sent elle-même, dans la vue, elle se voit elle-même[110]. La sensibilité humaine est ainsi le médium ou, comme dans un foyer, les processus naturels se réfléchissent et s’allument pour devenir la lumière du phénomène.

Chez Démocrite, ceci est une inconséquence, car le phénomène n’est que subjectif ; chez Épicure, c’est une conséquence nécessaire, car la sensibilité est la réflexion en soi du monde phénoménal, sa temporalité incarnée.

Enfin, la connexion de la sensibilité et du temps apparaît ainsi ; la temporalité des choses et leur apparition aux sens sont posées dans ces choses elles-mêmes comme une seule et même chose[111]. Car, du fait même que les corps apparaissent aux sens, ils périssent.[112]. Comme, en effet, les εί̀δωλα se séparent continuellement des corps et s’écoulent dans les sens, comme ils ont leur être-sensible hors d’eux-mêmes dans une autre nature, et non pas en eux-mêmes, et qu’ils ne reviennent donc pas de la séparation, ils se dissolvent et périssent.

De même donc que l’atome n’est rien que la forme naturelle de la conscience de soi abstraite et singulière, de même la nature sensible n’est que l’objectivation de la conscience de soi empirique et singulière : la conscience de soi sensible. C’est pour cela que les sens sont les seuls critères dans la nature concrète, de même que la raison abstraite est le seul critère dans le monde des atomes.


Chapitre V
Les Météores


Au regard du point de vue de son temps il se peut que les vues de Démocrite soient perspicaces. Mais ces idées ne présentent aucun intérêt philosophique : elles ne sortent pas du cercle de la réflexion empirique et ne sont pas dans une connexion interne assez déterminée avec la doctrine des atomes.

Par contre, la théorie d’Epicure touchant les corps célestes et les processus qui leur sont connexes ou les météores (dans une telle expression, il comprend synthétiquement tout cela) s’oppose non seulement à l’opinion de Démocrite, mais encore à celle de la philosophie grecque. La vénération des corps célestes est un culte que célèbrent tous les philosophes grecs. Le système des corps célestes est la première existence, naïve et déterminée par la nature, de la raison effectivement réelle. La conscience de soi grecque occupe la même position dans le monde de l’esprit. Elle est le système solaire spirituel. Les philosophes grecs adoraient donc, dans les corps célestes, leur propre esprit.

Anaxagore lui-même, qui fut le premier à avoir expliqué le ciel en physicien, et à l’avoir ainsi, dans un autre sens que Socrate, fait descendre sur la terre, répondit à quelqu’un qui lui demandait pourquoi il était né : είς θεωρίαν ήλίου καίσελήνης καί ούρανου̃[113][114]. Quant à Xénophane, il contemplait le ciel et disait que l’Un était la divinité[115]. Pour ce qui est des Pythagoriciens et de Platon, ainsi que d’Aristote, le caractère religieux de leur rapport aux corps célestes est connu.

Bien plus, Épicure s’oppose à la conception de tout le peuple grec.

Il semble parfois, dit Aristote, que le concept témoigne pour les phénomènes, et les phénomènes pour le concept. C’est ainsi que tous les hommes ont une représentation des dieux, et attribuent au divin la place suprême, les barbares aussi bien que les Hellènes, bref tous ceux qui croient à l’existence des dieux, nouant manifestement l’immortel à l’immortel ; car c’est impossible autrement. S’il est donc un divin — comme il est du reste réellement — notre affirmation touchant la substance des corps célestes demeure vraie. Mais cela répond aussi à la perception sensible, et parle en faveur de la conviction des hommes. En effet, dans tout le temps passé, d’après la tradition que les siècles se transmettent mutuellement, rien ne semble s’être transformé, ni dans l’ensemble du ciel, ni dans l’une quelconque de ses parties. Et le nom même semble avoir été transmis des anciens jusqu’au temps présent, puisque ils admettent les choses que nous disons. Car ce n’est pas une fois, ni deux fois, mais une infinité de fois que les mêmes opinions nous sont parvenues. C’est parce que le premier corps est quelque chose de différent, extérieur à la terre, au feu, à l’air et à l’eau qu’ils ont nommé le lieu le plus élevé « l’éther ». de θεῖν ἀεί[116], lui ajoutant le nom de temps éternel[117] Mais le ciel et le lieu supérieur, les anciens les ont attribués aux divinités, parce que seuls ils sont immortels. Or, la théorie actuelle atteste que l’éther est indestructible, sans origine, ne participant à aucune des infortunes humaines. De cette façon, nos conceptions correspondent en même temps à la révélation qui concerne Dieu[118]. Qu’il existe un ciel, c’est évident. C’est une tradition livrée par les ancêtres et les prédécesseurs, ayant survécu dans la figure du mythe des âges postérieurs, que les corps célestes sont des dieux et que le divin embrasse la nature entière. Le reste a été ajouté mythiquement en vue de la croyance de la multitude, se donnant pour utile aux lois et à la vie. Car les hommes font les dieux semblables aux hommes et à quelques-uns des autres êtres vivants, et forgent des choses semblables, connexes et apparentées. Si de tout cela nous séparons ce qui a été ajouté et si nous nous en tenons à l’idée première, leur croyance que les substances premières sont des dieux, nous devons tenir cette idée première pour divine et admettre qu’après que, selon l’occasion, tout art possible, toute philosophie possible eussent été découverts et à nouveau perdus, ces opinions, telles des reliques, ont été transmises au monde actuel[119].

Epicure dit, par contre, qu’à tout cela notre pensée doit ajouter que le plus grand trouble de l’âme humaine naît de ce que les hommes tiennent les corps célestes pour bienheureux et indestructibles, ont des souhaits et font des actes contraires à ces divinités, et se font soupçonneux en se fiant aux mythes[120][121]. En ce qui concerne les météores, il faut croire que chez eux le mouvement, la position, l’éclipsé, le lever et le coucher, et les phénomènes apparentés ne proviennent pas de ce qu’un seul gouverne, ordonne ou a ordonné, qui posséderait à la fois toute béatitude et toute indestructibilité. Car les actes ne s’accordent pas avec la béatitude, mais c’est apparentés surtout avec la faiblesse, la crainte et le besoin qu’ils s’accomplissent. Il ne faut pas croire non plus que certains corps apparentés au feu jouissent du privilège de se soumettre à ces mouvements au gré de leur fantaisie. Or, si l’on n’est pas d’accord sur ce point, cette antinomie elle-même prépare au plus grand trouble des âmes[122].

Si Aristote a donc reproché aux anciens d’avoir cru que le ciel, pour se soutenir, avait besoin d’Atlas[123] qui :

πρὸς ἑσπέρους τόπους
ἕστηκε κίον’ οὐρανοῦ τε καὶ χθονὸς
ὤμοιν ἐρείδων[124].
[Eschyl. Prométh., 348 sq.]


Épicure blâme, par contre, ceux qui croient que l’homme a besoin du ciel ; et Atlas lui-même, sur qui le ciel s’appuie, il le trouve dans la sottise et la superstition humaine. La sottise et la superstition sont, elles aussi, des titans.

Toute la lettre d’Épicure à Pythoclès traite de la théorie des corps célestes, abstraction faite de la dernière section. Celle-ci clôture la lettre par des sentences éthiques[125]. C’est d’ailleurs de manière pertinente que sont ajoutées à la doctrine des météores des maximes éthiques. Cette doctrine est pour Épicure une affaire de conscience. Nous nous appuierons donc principalement sur cet écrit à Pythoclès. Nous compléterons notre étude d’après la lettre à Hérodote à laquelle Épicure se réfère lui-même dans la lettre à Pythoclès.

En premier lieu, il ne faut pas croire que la connaissance des météores, qu’elle soit conçue dans son ensemble ou en particulier, nous fasse parvenir à un autre but qu’à l’ataraxie et à la ferme confiance, tout comme le reste de la science de la nature[126]. Ce dont a besoin notre vie, ce n’est pas de l’idéologie et des vaines hypothèses, mais de ce qui peut nous faire vivre sans trouble. De même que le but de la physiologie en général est de découvrir les raisons de ce qui est le plus important, de même ici, la béatitude dépend de la connaissance des météores. Prise en soi et pour soi, la théorie du lever et du coucher, de la position et de l’éclipse ne contient aucune raison particulière de félicité ; mais la terreur possède ceux qui voient ces phénomènes sans en connaître la nature et les origines principales[127]. La seule chose qui soit niée jusqu’ici, c’est la préséance que devrait avoir la théorie des météores sur les autres sciences ; cette théorie est placée au même niveau que ces sciences.

Mais la théorie des météores se différencie aussi spécifiquement de la méthode de l’éthique comme des autres problèmes physiques, par exemple de l’affirmation qu’il y a des éléments indivisibles et de toutes les affirmations où une seule explication correspond aux phénomènes. Car ceci n’a pas lieu en ce qui concerne les météores[128]. La naissance de ceux-ci n’a pas une cause simple et ils possèdent plus d’une catégorie d’essence qui correspond aux phénomènes. Car ce n’est pas avec des axiomes et des lois vides qu’on doit faire de la physiologie[129] Il est répété sans cesse que les météores doivent être expliqués non pas άπλω̃ς (simplement, absolument), mais πολλαχω̃ς (de multiples manières). Il en est ainsi du lever et du coucher du soleil et de la lune[130], de la croissance et de la décroissance de la lune[131], de l’apparence d’un visage dans la lune[132], de l’alternance des jours et des nuits[133] et de tous les autres phénomènes célestes.

Comment donc doit-on faire l’explication ?

Toute explication est suffisante. Il n’y a que le mythe qu’il faille écarter. Or, il sera écarté si, suivant les phénomènes, on conclut d’eux à l’invisible[134]. Il faut s’en tenir au phénomène, à la perception sensible. Il faut donc employer l’analogie. Ainsi, on peut, par l’explication, se débarrasser de la crainte et s’en libérer, en fournissant des raisons au sujet des météores et de tous les phénomènes qui se produisent continuellement et qui déconcertent le plus les autres hommes[135].

La masse des explications, la pluralité des possibilités ne doivent pas seulement apaiser la conscience et écarter les raisons de l’angoisse, mais en même temps nier l’unité, la loi identique à elle-même et absolue, dans les corps célestes. Ceux-ci peuvent se comporter tantôt d’une façon, tantôt d’une autre ; cette possibilité sans loi serait le caractère de leur réalité.

Tout en eux serait inconstant et instable[136]. La pluralité des explications doit en même temps supprimer l’unité de l’objet.

Ainsi donc, tandis qu’Aristote, en accord avec les autres philosophes grecs, tient les corps célestes pour éternels et immortels, parce qu’ils se comportent toujours de la même façon ; tandis qu’il leur attribue à eux-mêmes un élément propre, supérieur, non soumis à la puissance de la pesanteur, Epicure affirme, en opposition directe, que c’est absolument l’inverse. Ce qui, selon lui, distingue spécifiquement la théorie des météores de toutes les autres doctrines physiques, c’est que dans les météores tout se produit de façon multiple et irrégulière, et que tout y doit être expliqué par des raisons diverses, en nombre indéterminé. Bien plus, c’est avec colère et indignation violente qu’il rejette l’opinion contraire : ceux qui s’en tiennent à un seul mode d’explication et excluent tous les autres, ceux qui admettent un élément unique, et donc éternel et divin, dans les météores, tombent dans la vaine explicasserie et les artifices serviles des astrologues ; ils transgressent les limites de la physiologie et se jettent dans les bras du mythe. C’est l’impossible qu’ils cherchent à réaliser, et ils s’épuisent avec des non-sens ; ils ne savent même pas où l’ataraxie elle-même est en danger. On doit mépriser leur bavardage[137]. Il faut se garder du préjugé selon lequel la recherche portant sur ces objets ne serait pas assez approfondie et subtile, si elle ne se proposait comme but que notre ataraxie et notre félicité[138]. Le principe absolu est par contre que rien ne saurait appartenir à une nature indestructible et éternelle qui puisse troubler l’ataraxie et lui faire courir des dangers. Il faut que la conscience comprenne que c’est là une loi absolue[139].

Epicure conclut donc : c’est parce que l’éternité des corps célestes troublerait l’ataraxie de la conscience de soi, que c’est une conséquence nécessaire et impérieuse, qu’ils ne soient pas éternels.

Comment, maintenant, faut-il comprendre cette opinion propre à Epicure ?

Tous les auteurs qui ont écrit sur la philosophie d’Epicure ont présenté cette doctrine des météores comme ne s’accordant pas avec le reste de la physique, avec la doctrine des atomes. Le combat contre les stoïciens, celui contre la superstition et l’astrologie en seraient les raisons suffisantes.

De plus, nous avons vu qu’Epicure lui-même distingue la méthode qui est employée dans la théorie des météores de celle du reste de la physique. Mais dans quelle détermination de son principe se trouve la nécessité de cette distinction ? Comment lui vient cette idée ?

Et ce n’est pas simplement contre l’astrologie, c’est contre l’astronomie elle-même, contre la loi éternelle et la raison dans le système céleste qu’il combat. Enfin, l’opposition aux stoïciens n’explique rien. Leur superstition et l’ensemble de leur opinion étaient déjà contredites du fait que les corps célestes étaient donnés comme des compositions fortuites d’atomes, et leurs processus comme des mouvements fortuits de ces mêmes atomes. Leur nature éternelle était donc détruite — conséquence que Démocrite s’est contenté de tirer de cette prémisse[140]. Bien plus, leur existence elle-même était ainsi supprimée[141]. L’atomiste n’avait donc pas besoin d’une méthode nouvelle.

Mais ce n’est pas encore toute la difficulté. Une antinomie plus énigmatique surgit.

L’atome est la matière dans la forme de l’autonomie, de la singularité, en quelque sorte la représentation de la pesanteur. Mais la plus haute réalité de la pesanteur, ce sont les corps célestes. En eux sont résolues toutes les antinomies entre forme et matière, entre concept et existence, qui constituaient le développement de l’atome ; en eux sont réalisées toutes les déterminations qui étaient exigées. Les corps célestes sont éternels et non soumis au changement ; ils possèdent en eux-mêmes et non hors d’eux-mêmes, leur point de gravité ; leur unique acte est le mouvement, et, séparés par l’espace vide, ils déclinent de la ligne droite, forment un système de répulsion et d’attraction, dans lequel ils conservent tout autant leur autonomie, et, enfin, ils produisent d’eux-mêmes le temps comme la forme de leur apparition. Les corps célestes sont donc les atomes devenus effectivement réels. En eux, la matière a reçu en elle-même la singularité. C’est donc dans les corps célestes qu’Epicure aurait dû apercevoir l’existence la plus haute de son principe, le sommet et le point ultime de son système. Il prétendait supposer les atomes pour mettre à la base de la nature des fondements immortels. Il prétendait ne s’occuper que de la singularité substantielle de la matière. Mais quand il trouve au bout du compte la réalité de sa conception de la nature — car il ne connaît pas d’autre nature que la nature mécanique —, la matière autonome, indestructible dans les corps célestes, dont l’éternité et l’immutabilité sont démontrées par la croyance de la foule, le jugement de la philosophie, le témoignage des sens, son seul désir est de faire redescendre cette réalité dans la caducité terrestre ; il se tourne alors avec indignation contre ceux qui vénèrent la nature autonome, possédant en soi le point de la singularité. Voilà sa plus grande contradiction.

Epicure sent donc que ses catégories antérieures s’effondrent ici et que la méthode de sa théorie[142] devient une autre méthode. Et c’est la plus profonde reconnaissance qu’il ait de son système, c’est la conséquence la plus extrême de ce système qu’il sente cela et le dise en toute conscience.

Nous avons vu, en effet, que toute la philosophie épicurienne de la nature est imprégnée de la contradiction entre essence et existence, entre forme et matière. Mais dans les corps célestes, cette contradiction est éteinte, les moments contradictoires sont réconciliés. Dans le système céleste, la matière a reçu en soi la forme, elle a admis en soi la singularité et atteint de la sorte son autonomie. Mais c’est sur ce point qu’elle cesse d’être l’affirmation de la conscience de soi abstraite. Dans le monde des atomes comme dans le monde du phénomène, la forme luttait contre la matière ; l’une des déterminations supprimait l’autre, et c’était justement dans cette contradiction que la conscience de soi abstraitement-singulière sentait sa nature objectivée. La forme abstraite qui luttait contre la matière abstraite sous la figure de la matière, c’était elle-même. Mais maintenant que la matière s’est réconciliée avec la forme et s’est rendue autonome, la conscience de soi singulière sort de sa chrysalide, se proclame le véritable principe et lutte contre la nature devenue autonome.

D’un autre côté, cela s’exprime ainsi : en recevant en soi la singularité, la forme, comme c’est le cas dans les corps célestes, la matière a cessé d’être singularité abstraite. Elle est devenue singularité concrète, universalité. Dans les météores, la conscience de soi abstraitement-singulière voit donc briller en face d’elle sa réfutation devenue positive — l’universel devenu existence et nature. Elle reconnaît donc dans ces deux termes son ennemi mortel. Elle leur attribue alors, comme le fait Épicure, toute l’angoisse et tout le trouble des hommes ; car l’angoisse et la dissolution de la singularité abstraite, voilà ce qui constitue l’universel. C’est donc ici que le véritable principe d’Épicure, la conscience de soi abstraitement-singulière, cesse de se cacher. Elle sort de sa cachette et, délivrée de son déguisement matériel, elle cherche, au moyen de l’explication par la possibilité abstraite — ce qui est possible peut aussi être autrement ; le contraire du possible est également possible —, à anéantir la réalité effective de la nature devenue autonome. C’est ce qui explique la polémique contre ceux qui expliquent les corps célestes ἁπλῶς, c’est-à-dire de manière déterminée ; car l’Un est le nécessaire et l’autonome-en-soi.

On voit donc qu’aussi longtemps que la nature exprime, en tant qu’atome et phénomène, la conscience singulière et sa contradiction, la subjectivité de cette dernière ne se présente que sous la forme de la matière elle-même ; lorsque, par contre, la nature devient autonome, la conscience de soi se réfléchit en elle-même et se pose en face de la nature sous sa figure propre : comme forme autonome.

On aurait pu dire a priori que le principe d’Épicure, lorsqu’il se réaliserait, cesserait d’avoir pour lui la réalité. Car, si la conscience de soi singulière était posé realiter (réellement) sous la déterminité de la nature (ou la nature sous la déterminité de la conscience de soi), sa déterminité, c’est-à-dire son existence, aurait cessé, étant donné que l’universel est seul à pouvoir savoir en même temps son affirmation, dans une libre différenciation de soi-même.

C’est donc dans la théorie des météores qu’apparaît l’âme de la philosophie épicurienne de la nature : rien n’est éternel, qui puisse détruire l’ataraxie de la conscience de soi singulière. Les corps célestes troublent son ataraxie, son identité avec soi-même, parce qu’ils sont l’universalité existante, parce qu’en eux la nature est devenue autonome.

Ce n’est donc pas la gastrologie d’Archestrate, comme le veut Chrysippe[143], mais l’absoluité et la liberté de la conscience de soi qui sont le principe de la philosophie épicurienne, même si la conscience de soi n’est conçue que sous la forme de la singularité.

Si la conscience de soi abstraitement-singulière est posée comme principe absolu, toute science véritable et réelle est en vérité supprimée, en ce sens que ce n’est pas la singularité qui règne dans la nature même des choses. Mais c’est aussi l’effondrement de tout ce qui transcende la conscience humaine et appartient donc à l’entendement imaginatif. Si, par contre, la conscience de soi qui ne se sait que sous la forme de l’universalité abstraite, est érigée en principe absolu, c’est la porte ouverte au mysticisme superstitieux et servile[144]. Nous en trouvons la preuve historique dans la philosophie stoïcienne. La conscience de soi abstraitement-universelle possède en effet en soi la tendance à s’affirmer dans les choses mêmes où elle n’est affirmée qu’en les niant.

Epicure est donc, des Grecs, le plus grand philosophe des « lumières », et l’éloge de Lucrèce lui revient.

Humana ante oculos foede quam vita jaceret,
in terris oppressa gravi sub religione
quae caput a caeli regionibus ostendebat,
horribili super aspectu mortalibus instans,
primum Graius homo mortalis tollere contra
est oculos ausus primusque obsistere contra ;
quem nec fama Deum nec fulmina nec minitanti

murmure compressit caelum…
quare religio pedibus subjecta vicissim
opteritur, nos exaequat Victoria caelo[145].

[I 62 sq., 78 sq.]


La différence entre les philosophies de la nature de Démocrite et d’Epicure, que nous avons posée à la fin de la partie générale, s’est trouvée développée et confirmée dans toutes les sphères de la nature. Chez Epicure, l’atomistique avec toutes ses contradictions, est donc, en tant que science naturelle de la conscience de soi (laquelle est à elle-même, sous la forme de la singularité abstraite, un principe absolu), développée et achevée jusqu’à son extrême conséquence, qui est la dissolution de cette atomistique, et son opposition à l’universel. Pour Démocrite, au contraire, l’atome n’est que l’expression universellement objective de l’étude empirique de la nature en général. L’atome reste donc pour lui une catégorie pure et abstraite, une hypothèse qui est le résultat de l’expérience et non pas son principe actif, et qui reste donc sans réalisation, tout comme elle ne détermine pas davantage l’étude réelle de la nature.


  1. . Stob. ecl. I, XIV, 1 sq (§ 346) ; cf. Cic. de fin. I, VI 18 sq ; Pseudoplut. 883 a sq ; Stob. ecl. I, XIX 1 (§ 394).
  2. . Cic. de nat. deorum I, XXVI 73.
  3. . Cic. de fin. ibid.
  4. . Cic. de nat. deorum I, XXV 69 ; cf. D.m.A. de fato X 22 sq.
  5. . Bayle.
  6. . En français dans le texte.
  7. . Schaubach, p. 549.
  8. . Lucrèce II, 251 sq.
  9. . Arist. de an. 409 a 10 sq.
  10. . Diog. X 43 ; Simpl. p. 425.
  11. . Lucrèce II 253 sq.
  12. . Ibid. 279 sq.
  13. . Cic. de fin. I, VI 19 sq.
  14. . Lucrèce II 293.
  15. . Ni dans un temps déterminé ni dans un lieu précis.
  16. . Cic. de fato X 22.
  17. . Ibid.
  18. . Plut, de an. Procr. 1015 C.
  19. . Cic. de fin I, VI, 19.
  20. . Bayle.
  21. . Saint Augustin, lettre 118 (nouveau dénombrement), 28 (à Dioscore).
  22. . Diog. X 128.
  23. . Plut, de eo quod 1091, 7.
  24. . Clem. Al. Strom. II 21, 127, 1.
  25. . Sen. de benef. IV.
  26. . Cic. de nat. deorum, I, XXIV, 68.
  27. . Ibid. XL 112 et XLI 115 sq.
  28. . Plut. ibid. 1100 sq, 20.
  29. . Arist. de caelo 292 b.
  30. . Loi de l’atome.
  31. . Lucrèce II 221 sq.
  32. . Ibid. 284 sq.
  33. . Arist. ibid. 275 b.
  34. . Ibid. 300 b.
  35. . Diog. X 150.
  36. . (Marx n’a rien écrit à cette remarque ; cf. par exemple Diog. X 120 ou Cic. de fin. 11, XXVI, 82, etc.)
  37. . Diog. X 54 ; Lucrèce II 861 sq.
  38. . Pseudoplut. 877 E ; cf. Sext. Emp. adv. dogm. IV 240.
  39. . Eusèb. XIV 749.
  40. . Simpl. p. 362.
  41. . Philop. p. 362.
  42. . Arist. de gen. et corr. 362 a.
  43. . D.m.A. de caelo 276 a.
  44. . Ritter p. 568, rem. 2.
  45. Arist. met. 1042 b 12 sq.
  46. MEGA. Après passage, barré : Démocrite ne pose pas la contradiction entre la qualité de l’atome et son concept.
  47. . Ibid. 985 b 4 sq.
  48. Diog. X 44.
  49. Ibid. 56.
  50. Ibid. 55.
  51. Ibid. 59.
  52. Cf. Ibid. 58 ; Stob. ecl. I, X 14 (§ 306).
  53. . Rosini, p. 26.
  54. . Mais, de cette façon, Epicure démontrait la ténuité des atomes par leur incroyable petitesse, en disant, selon le témoignage de Laerte (X 44), qu’ils n’avaient pas de grandeur.
  55. . Euseb. XIV 773.
  56. . Stob. ecl. I, XIV 1 sq (§ 348) ; cf. Pseudoplut. 877 D-F.
  57. . Arist. de gen. et corr. 326 a.
  58. . Euseb. XIV 749 ; cf. Pseudoplut. ibid.
  59. . Diog. X 54 ; cf. 44.
  60. . Ibid. 42.
  61. . Ibid.
  62. . Lucrèce II 513 sq ; Euseb. ibid. (14, 5) ; cf. Pseudoplut. ibid.
  63. . Diog. X 42 ; Lucrèce II 525 sq.
  64. . Arist. de caelo 303 a ; Philop. ibid.
  65. . Lucrèce II 479 sq.
  66. . Cf. Anm. 25.
  67. . Cf. MEGA : Après « figure », le paragraphe suivant est barré verticalement : Epicure s’est donc, sur ce point, également objectivé la contradiction tandis que Démocrite, s’en tenant au côté matériel, ne laisse plus apparaître, dans ses déterminations ultérieures, aucune conséquence du principe.
  68. . Diog. X 44.54.
  69. . Brucker, p. 224.
  70. . Lucrèce 1 1052 sq.
  71. . Diog. X 43.61 ; Lucrèce II 235 sq.
  72. . Cf. chap. III (de la Dissertation de Marx).
  73. . Feuerbach, p. 120.
  74. . άμέτοχα κενου̃ ne veut absolument pas dire ne remplissent aucun espace mais sont indivisibles selon l’espace, c’est la même chose que lorsqu’il est dit ailleurs chez Diogene Laerte διάλειψιν δε μέρον ου̃κ έ̀χουσιν. C’est de la même manière qu’il faut expliquer cette expression (Plutarque) De placit. Philosoph. 1, p. 286 (Pseudoplut. I 3, chez Kaltwasser : vol. 7, p. 14) et Simplicius, p. 405.
  75. . Ceci aussi est une fausse conséquence. Ce qui ne peut être divisé dans l’espace n’est pas pour cela extérieur à l’espace et soustrait à toute relation spatiale.
  76. . Schaubach, p. 550.
  77. Par exemple que le Tout est corps et nature impalpable (c’est-à-dire espace vide), que les atomes sont les éléments, et toutes les autres affirmations de même ordre.
  78. Diog. X 44 [se rapporte à un passage raturé par Marx et que nous avons laissé de côté ; l’édition MEGA en fait mention dans une note en bas de page.]
  79. Le Tout est corps et nature impalpable… (et) que les atomes sont les éléments…
  80. Ibid. 67.
  81. Le Tout est corps… mais s’il n’existait pas ce que nous appelons le vide, la place et la nature impalpable… Parmi les corps, les uns sont des compositions, les autres ceux dont sont faites les compositions. Ces derniers sont indivisibles et insécables, si bien qu’il est nécessaire que les principes indivisibles constituent la nature des corps.
  82. Ibid. 39, 40 et 41.
  83. Ibid. VII 134.
  84. Arist. met. V 1.3 (1012 b 34-1013 a 23 et 1014 a 26-1014 b 15).
  85. Cf. ibid.
  86. Ibid. V 3 (1014 a 26-1014 b 15).
  87. Ibid. 985 b 4 sq.
  88. Diog. X 54 ; Plut., adv. Colot. 1111,8.
  89. Sextus Empiricus : adv. dogm. IV 42.
  90. Euseb. XIV. 773, 749.
  91. Épicure (dit) que les corps primordiaux sont simples, mais que ceux qui résultent de leur composition possèdent tous la pesanteur.
  92. Pseudoplut. I 7, 882 A et I 12,883 A ; Stob. ecl. I, XXII 3 a (§ 496) et I, I 29 b (§ 66).
  93. . Cf. ibid. ; Cic. de fin. I VI 21.
  94. . Diog. X 41.
  95. . Plut. ibid. 1114 B, 13.
  96. . Simpl., p. 488.
  97. . Pseudoplut. 879 B-C (1 S) ; Stob. ecl. I, XXII 3 a (§ 496).
  98. . Lucrèce 1 820 sq ; Diog. X 39.
  99. . Ibid. 73 ; Lucrèce V 108 sq et 373 sq.
  100. . Simpl., p. 425.
  101. Lucrèce II 796.
  102. . L’immortelle mort nous a pris la vie mortelle.
  103. . Arist. phys. 251 b.
  104. . Simpl., p. 426.
  105. . Lucrèce I 459.461 sq. 479 sq. ; Sext. Emp. adv. dogm. IV 219 ; cf. Stob. ibid.
  106. Diog. X. 72 sq.
  107. Lucrèce ibid. ; Sext. Emp., adv. dogm., IV, 219 sq. et Stob., ibid.
  108. . Images, figures, « idoles ».
  109. . Diog. X 46.48 ; Lucrèce IV 30 sq. 52 sq.
  110. . Diog. X 49.50.52.53.
  111. . Lucrèce II 1139 sq.
  112. Lucrèce II 1139 sq.
  113. . Diog. II 10.
  114. . Pour contempler le soleil, la lune et le ciel.
  115. Arist. met. 986 b 25.
  116. Cours éternel (d’après I. B. Hoffmann, αἰθήρ est plutôt en connexion avec αἴθειν, qui veut dire brûler).
  117. DmA de caelo 270 b.
  118. . Ibid.
  119. . DmA. met. 1074 a 38 et 1074 b 1 sq.
  120. . Diog. X 81.
  121. . [Le texte grec dit : « Soupçonnent sans cesse quelque mauvais présage en se fiant aux mythes.]
  122. Ibid. 76.77.
  123. Arist. de caelo 284 a.
  124. Qui, à l’Occident, se tient debout, portant sur ses épaules les colonnes du ciel et de la terre.
  125. Diog. X 85.
  126. Ibid. 85.82.
  127. . Ibid. 87.78.79.
  128. . Ibid. 86.
  129. . Ibid.
  130. . Ibid. 92.
  131. . Ibid. 94.
  132. . Ibid. 95.96.
  133. . Ibid. 98.
  134. . Ibid. 104.
  135. . Ibid. 80. 82. 87 sq.
  136. . Ibid. 78. 86. 87.
  137. . Ibid. 98. 113. 97. 93. 87. 80.
  138. . Ibid.
  139. . Ibid. 78.
  140. . Arist. ibid. 279 b.
  141. . Ibid.
  142. . MEGA : corrigé par Marx en : théorie de sa méthode.
  143. . Athénée 111 104 b (63).
  144. . Lucrèce 1 62 sq. 78 sq.
  145. . L’humanité gisait honteusement à terre / écrasée sous le poids de la religion / Qui, du milieu du ciel, montrait sa tête / et dont les yeux effrayants menaçaient d’en haut les mortels. / Le premier, un homme, un Grec, osa lever contre elle / ses yeux humains, osa se redresser contre elle. / Ainsi la superstition est à son tour terrassée, foulée aux pieds, et cette victoire nous élève jusqu’aux cieux. (Trad. Henri Clouard.)