Discours à la nation française, 24 septembre 1934

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Denoël et Steele (p. 87-119).




Mes chers Concitoyens,


Il y a longtemps que je ne vous ai parlé.

Ne croyez pas que je vous ai oubliés. Ma pensée va sans cesse vers vous, car je sens que vous êtes ma force et j’ai besoin de le sentir pour accomplir avec confiance ma tâche, qui est fort dure.

Je sais votre grand désir, votre grand besoin de voir la situation générale s’améliorer aussi rapidement que possible, car la situation de chacun de vous s’améliorera également.

Malheureusement, je n’ai pas de baguette magique pour transformer en un clin d’œil la situation. Qui donc en possède une ? Où est ce faiseur de miracles, qui résoudra, sans avoir l’air d’y toucher, toutes les difficultés de l’heure présente ?

Chaque jour en apporte de nouvelles. Quand une chose s’arrange, une autre se dérange. Il ne manque pas de gens pour s’efforcer de les déranger. J’en fais l’expérience. N’allez pas croire, cependant, que ces expériences renouvelées me découragent. Cela fait dire à certains que je désire garder le pouvoir parce que j’y ai pris goût. C’est évidemment parce qu’ils désirent vivement ce pouvoir qu’ils me prêtent leurs propres ambitions.

Je n’ai aucun désir de garder le pouvoir. Si je m’interrogeais bien, je trouverais plutôt en moi le désir contraire. J’ai encore moins de goût pour ce qu’on appelle aujourd’hui la politique et qui me paraît consister en intrigues de toutes sortes.

Si je garde le pouvoir pour un temps plus long que je ne l’avais prévu quand je l’ai accepté, c’est pour vous présenter un programme de réformes et de mesures dont la réalisation me paraît indispensable et urgente ; c’est pour servir le pays du mieux que je peux. C’est pour l’aider à surmonter les grandes difficultés de toute nature avec lesquelles il est aux prises.

Mais, avec le maigre pouvoir dont je dispose — car je ne suis pas un dictateur — je ne pourrais pas aboutir à grand’chose si le pays ne s’aidait pas et ne se disciplinait pas courageusement lui-même.

Avec cette aide et cette discipline, on réussira, non sans beaucoup de peine, sans doute, mais on oublie vite la peine quand le succès est obtenu.

A la base du succès, je ne cesserai de le répéter, est la confiance. Vous l’avez cherchée auprès de moi. Je la cherche auprès de vous. Soutenons-nous mutuellement et ayons ensemble les yeux très ouverts sur les pêcheurs en eaux troubles et sur les spéculateurs qui fondent leurs calculs de réussite sur les catastrophes.

Ce sont eux qui ont cherché à exploiter jusqu’aux moindres incidents et événements de ces vacances pour tenter d’arriver à leurs fins.

Il y a des hauts et des bas dans toute entreprise. On insiste sur ce qui peut émouvoir ; on dénigre ce qui est de nature à rassurer.

La tactique est connue. Décourager ceux qui agissent ; décourager ceux pour qui l’on agit.

La tactique, en ce qui concerne le gouvernement, consiste à dire qu’après tout, il n’a pas fait grand’chose et que ce qu’il a fait est loin d’avoir produit les résultats promis et attendus. Ceux qui propagent ces bruits sont les mêmes qui ont fait tout leur possible pour essayer de nous empêcher d’agir en nous refusant a priori leur confiance et n’ont pas cessé, depuis lors, de travailler à détruire la vôtre.

Heureusement qu’il y a dans notre cher pays infiniment plus de gens clairvoyants et sensés que d’aveugles et de naïfs.

Examinons un peu ensemble si les résultats acquis depuis le 10 février sont négligeables.

Pour s’en rendre bien compte, il faut se demander ce qui serait arrivé si la constitution du gouvernement que j’ai l’honneur de présider n’avait pas arrêté une émeute et empêché d’éclater une guerre civile, qui aurait provoqué une guerre étrangère.

Il faut se demander ce qui serait arrivé si le budget n’avait pas été un peu mieux équilibré qu’il ne l’était et le Trésor mis en état d’acquitter les dépenses publiques : les services publics auraient très mal fonctionné, les fonctionnaires n’auraient pu recevoir que la moitié de leurs traitements et les retraités encore moins sur leurs retraites.

Il faut se demander ce qui serait arrivé si la réforme fiscale n’avait pas été adoptée en temps utile ; si nous n’avions pu obtenir du Parlement le vote de dix milliards de crédits destinés à entreprendre des travaux productifs et à réduire, dans un avenir prochain, d’une façon fort sensible, le nombre de chômeurs.

Le sort de ces chômeurs me paraît infiniment plus intéressant que celui des professionnels du désordre qui les excitent et qui sont en général bien plus qu’eux à l’abri du besoin et assez souvent même assez grassement rentés.

Il faut se demander enfin ce qui serait arrivé si nous n’avions pas, sur le terrain international, opéré un sérieux redressement de la politique française, redressement qui a rendu à la France le prestige et l’autorité qu’elle doit avoir et précieusement conserver, car ils sont des éléments fort importants de sa sécurité.

Tout cela peut être oublié ou tenu pour rien par ceux dont la manie est de critiquer sans cesse ou par ceux qui ne sont jamais contents des autres et qui, amenés un beau jour au pied du mur, se révèlent impuissants et simples gâcheurs de mortier. Tout cela, cependant, était ardemment désiré par le pays quand je suis arrivé.

Je pouvais donc considérer, quand tout cela a été fait que ma tâche était terminée et que je n’avais plus qu’à me retirer. J’en ai eu grande envie, je ne vous le cache pas. Les résultats que je viens de vous dire me permettraient de regagner définitivement ma retraite des champs, pour y attendre, loin des intrigues des partis politiques, du tumulte des assemblées et des difficultés du pouvoir, l’heure qui sonne pour tout le monde.

Je n’ai pas cédé à la tentation. Ai-je eu tort ? Ai-je eu raison ? Je le saurai plus tard. Mais il m’a semblé que mon devoir, dans une période de crise économique comme celle que nous traversons, était de chercher à l’atténuer immédiatement dans toute la mesure du possible, en attendant de trouver les moyens pratiques et efficaces d’y mettre fin.

J’ai passé une bonne partie de mon temps à ce travail depuis que le Parlement est en vacances. D’autre part, en restant au pouvoir, il m’a été possible de surveiller les manœuvres faites pour ébranler votre confiance et pour essayer de réduire l’importance des résultats que j’attendais de l’effort accompli : exploitation, par l’esprit de parti, des moindres incidents politiques sans grande importance en eux-mêmes — développement d’une campagne en faveur de la dévaluation du franc dont le résultat serait désastreux pour toute la France si elle venait à réussir.

Cette campagne était déjà menée par le parti socialiste unifié et par le parti communiste. Or, ces deux partis qui, pendant assez longtemps, se sont violemment combattus, viennent de s’unir. Le parti socialiste unifié a fait une entrée sensationnelle dans le giron du parti communiste, qui est le socialisme de stricte observance. L’événement attendu depuis longtemps était fatal.

Il a effrayé, ébranlé la confiance, amené un resserrement de l’argent et développé les désirs de thésaurisation : toutes choses regrettables. Mais, considéré en lui-même, je trouve que l’événement a été heureux. Il a, en effet, dissipé une équivoque fort dangereuse.

La situation est claire aujourd’hui. Nous avons l’aveu public que « socialisme et communisme » sont exactement la même chose.

Si l’événement est heureux en un sens, il est fâcheux dans un autre. Il va rendre plus active la campagne en faveur d’une dévaluation rapide du franc qu’on présentera habilement comme une campagne en faveur de la déflation des prix, mais dont le but certain, quoique inavoué, sera d’amener le franc à la valeur « zéro ».

Par la ruine du franc, le nouveau parti communiste et socialiste unifié est certain d’aboutir à la ruine générale. Il est convaincu, et avec raison, que cette ruine générale lui offrira les plus grandes chances d’établir sa dictature.

Mais comment peut-il se faire qu’il ait trouvé, pour la réussite de sa manœuvre, des auxiliaires précieux dans une catégorie de nos concitoyens qui tiennent essentiellement, non pas seulement à garder, mais encore à accroître autant que possible la fortune qu’ils ont et dont les idées politiques sont généralement aux antipodes de celles des communistes ?

Que les concitoyens dont je parle soient de bonne foi, et très loin de vouloir préparer son lit au communisme, je n’en doute pas.

Mais qu’ils se trompent et s’abusent sur le bien que l’activité économique du pays et sa richesse générale pourraient retirer de la dévaluation du franc, je n’en doute pas davantage.

Je comprends que les industries exportatrices soient très désireuses de pouvoir exporter. Je sais combien elles souffrent. Je peux leur donner l’assurance que le gouvernement fait et fera tout son possible pour les aider.

Il s’y emploie tous les jours dans les négociations incessantes qu’il poursuit. Il est toujours prêt à écouter leurs suggestions et à seconder leurs efforts autant qu’il est en son pouvoir. Mais il ne saurait le faire par un moyen dont l’efficacité, même momentanée, est plus que douteuse.

Cette efficacité escomptée serait très vite réduite à néant par les mesures que ne manqueraient pas de prendre les pays dont on se serait naïvement imaginé qu’on pourrait aisément faire tomber leurs barrières douanières par des manipulations monétaires.

Dans la lutte qui s’engagerait alors, le franc serait vite à zéro.

Et quand nous en serions là, mes chers amis, ce serait la ruine complète de la France : ruine de tous les « porteurs de rente » et il y en a en France des centaines et des centaines de milliers. Ruine de tous les « crédi-rentiers », et ils sont nombreux — chute à zéro des retraites de toute nature, et notamment de toutes celles des mutualistes. Ruine de tous les porteurs de livrets de caisses d’épargne, et l’avoir de l’ensemble de ces livrets s’élève à 59 milliards de francs. Ruine du fameux bas de laine français, dont on se moque parfois hors de chez nous parce qu’on l’envie.

Ce serait le salaire de l’ouvrier réduit à la valeur zéro. Ce serait un plus grand désastre encore pour les familles nombreuses qu’il est si nécessaire d’aider, de protéger et d’encourager.

Enfin, le franc à zéro conduirait à la catastrophe tous les agriculteurs, c’est-à-dire toute cette catégorie de Français si travailleurs et si économes qui cultive la terre de France.

La terre de France, source permanente et inépuisable de cette richesse qui nous a permis, après toutes les calamités et les grandes guerres subies au cours de notre histoire et qu’on croyait, dans le monde, nous avoir complètement épuisés, de refaire rapidement notre fortune et de nous redresser plus forts que jamais.

On me dira, peut-être, que quand la monnaie a été dévaluée, on peut la faire remonter. C’est impossible quand elle n’a plus aucune valeur. On ne ressuscite pas les morts.

Je m’excuse de toutes ces considérations peut-être un peu longues : mais elles m’ont paru nécessaires pour dénoncer quelques erreurs graves, quelques dangers plus graves encore, et pour mettre les choses au point.

J’ai hâte maintenant de vous parler des réformes à faire.

Vous savez que les réformateurs ne manquent pas. Leurs efforts, leurs projets sont souvent intéressants. J’en ai lu beaucoup avec attention et même avec profit. Mais ils sont abondants, ils embrassent parfois trop de choses et supposent pour la plupart que la table est rase. Elle ne l’est pas : tant s’en faut. Il y a des réalités qu’on ne peut supprimer ni par un trait de plume ni même par un décret-loi. Souvenez-vous que je n’ai pu user de ce dernier moyen que pour une période de très courte durée et seulement en quelques matières fort limitées.

Je dois donc essayer de réformer en tenant compte de ces réalités et en commençant par ce qui presse le plus.

Ce qui presse le plus, dans notre régime, surtout dans les circonstances que nous traversons, c’est d’avoir un gouvernement ayant de l’autorité. Or, il n’en a plus guère. Un certain nombre d’entre vous sera peut-être tenté de me répondre que, dans un régime parlementaire et démocratique, aucun gouvernement ne peut avoir d’autorité. Ce n’est pas mon avis. Je suis attaché à ce régime. J’en connais les inconvénients, mais aussi les avantages. J’aime la liberté. Nous avons tout près de nous, de l’autre côté de la Manche, un très grand et noble pays qui est notre ami. Il vit sous un régime parlementaire depuis très longtemps. Ses gouvernements, qu’ils appartiennent à un parti ou à l’autre, ont une grande autorité. Savez-vous pourquoi ? Leur chef est investi d’un pouvoir de chef. Il s’appelle le Premier Ministre, et il l’est en effet.

Ce chef et le gouvernement, en arrivant au pouvoir, sont assurés l’un et l’autre d’avoir devant eux une longue existence. D’où leur autorité. Ils sont assurés en même temps d’avoir un budget en temps voulu et dans lequel ne seront inscrits que les crédits et les dépenses demandés par eux. Ils ont enfin l’assurance d’avoir un corps de fonctionnaires et de serviteurs de l’Etat fortement discipliné, soumis à ses devoirs et dont l’insurrection contre l’Etat ne serait pas aisément admise.

J’ajoute qu’en Grande-Bretagne la séparation des pouvoirs existe réellement et que la magistrature n’a rien à voir avec la politique, ce qui est le seul moyen d’avoir une justice tout à fait impartiale.

Ce moyen, j’ai le dessein de l’organiser chez nous. C’est urgent.

En France, le chef du gouvernement, qu’on appelle le Président du Conseil, n’est qu’une fiction. Il n’est pas investi d’une autorité spéciale. La Constitution l’ignore et ne fait pas mention de lui, ce qui est un tort. En droit et en fait, il est un ministre comme les autres, ce qui ne lui donne pas une autorité suffisante pour être un arbitre entre ses collègues.

Dans notre pays, les gouvernements ne sont pas assurés de vivre longtemps. Ils n’ont pas de majorité homogène, car il y a trop de partis. Ils peuvent être renversés pour un « oui » ou pour un « non », sans que rien de désagréable puisse arriver à ceux qui les ont renversés pour jouer au jeu de massacre.

Vous avez vu, et l’étranger a vu malheureusement lui aussi, ce qui s’est passé chez nous au cours des vingt mois qui se sont écoulés entre le moment où la Chambre actuelle a commencé de siéger et le 6 février dernier.

Pendant ces vingt mois, six gouvernements — un en moyenne par trimestre — se sont succédé au pouvoir. Le chef de l’Etat a dû signer, pendant cette courte période, 163 décrets nommant des ministres ou des sous-secrétaires d’Etat.

Ces gouvernements pouvaient compter dans leur sein des hommes de valeur, mais ceux-ci devaient savoir par avance, qu’ils n’auraient pas le temps d’en faire la preuve, car la majorité sur laquelle ils étaient censés de s’appuyer n’existait pas et ne pouvait pas exister.

Près de la moitié, en effet, de cette majorité s’est refusée, à six reprises, d’accepter, à côté de l’autre moitié les responsabilités du pouvoir. Excellent moyen, pensait-elle — et elle n’avait pas tort — de s’en réserver largement les avantages sans recevoir de coups ni courir aucun risque. Après deux expériences, on pouvait être fixé. La méthode a cependant duré jusqu’au jour où le mécontentement public y a mis fin : vous savez comment.

Quelle autorité des gouvernements aussi éphémères peuvent-ils avoir pour gouverner au dedans et parler au dehors ainsi qu’il convient à un aussi grand pays que le nôtre ?

En France, les gouvernements ont assez rarement les budgets annuels en temps voulu. Ils vivent souvent, pendant plusieurs mois, sous le régime, si fâcheux, des douzièmes. En outre, ce budget contient des dépenses qu’ils n’avaient pas proposées parce qu’elles ne leur avaient pas paru utiles. Cela n’est pas de nature à accroître leur autorité. Celle-ci, au contraire, s’en trouve encore amoindrie.

En France, enfin, une partie des fonctionnaires de l’Etat vise à être, de plus en plus, indépendante de lui. Elle s’insurge et se met en grève.

Y a-t-il des remèdes à tout cela ? Oui certes. Je ne vous aurais pas dit le mal s’il n’y avait pas de remèdes.

Donnons aux gouvernements l’autorité, dont ils ont tant besoin, en attribuant d’abord à leur chef, par quelques mots insérés dans la Constitution, la qualité de Premier Ministre qu’il doit avoir.

Permettons ensuite à celui-ci, en cas de désaccord du gouvernement avec la majorité de la Chambre, d’en appeler immédiatement au pays sans avoir à recourir aux formalités et aux procédures actuelles. Le pays pourra ainsi se prononcer, puisqu’il est souverain. Une légère modification apportée à la Constitution sera suffisante pour qu’il en soit ainsi, sauf dans certains cas nettement spécifiés où l’autorisation préalable du Sénat, qui a rendu de si grand services à la République, sera nécessaire.

Soyez assurés que les crises ministérielles seront rares quand la crainte de la dissolution immédiate viendra réfréner les ambitions impatientes et souvent fort peu justifiées qui sont à l’origine de la plupart de ces crises et non point des désaccords profonds sur les idées et sur les principes.

Inscrivons d’autre part, dans notre Constitution que le gouvernement seul, proposera les dépenses et que cette initiative ne pourra pas être prise par les membres de l’une ou de l’autre Assemblée.

À cette disposition, ajoutons-en une autre pour permettre aux gouvernements de proroger par décret et pour une année le budget de l'année en cours quand le budget de l'année suivante n’aura pas été voté en temps utile.

Enfin, pour assurer le bon fonctionnement ininterrompu des services publics dont ni l’Etat ni les particuliers ne peuvent se passer, inscrivons le statut des fonctionnaires dans une loi constitutionnelle. C’est une nécessité absolue.

Les fonctionnaires sont des citoyens privilégiés. Ils sont assurés d’avoir un traitement et une retraite. La vie pour les autres citoyens est pleine d’aléas et de risques de ruine complète. Ils sont tous exposés à n’avoir plus un sou pour vivre. La sécurité que donnent aux fonctionnaires un traitement et une retraite assurée jusqu’à la fin de leur vie doit avoir sa contrepartie dans l’obligation d’accepter certaines disciplines dont les citoyens non fonctionnaires sont affranchis.

Avoir beaucoup plus de sécurité pour son existence matérielle que la grande masse des citoyens et vouloir jouir en même temps, sans courir aucun risque, de toutes les libertés dont jouissent ceux-ci, avoir pris l’engagement de servir l’État, en sollicitant une fonction bien rémunérée, et combattre ardemment, et même violemment, cet État en dehors des heures de service et même trop souvent pendant ces heures, vouloir user d’un droit usurpé comme si c’était un droit accordé par la loi, c’est, du point de vue du plus élémentaire bon sens, une prétention absurde ; du point de vue de l’intérêt public, c’est une prétention inacceptable.

Mais les fonctionnaires de l’Etat ont, par contre, des droits indiscutables et dont la jouissance leur est incomplètement assurée. Ils ont besoin d’être sérieusement garantis contre l’arbitraire et le favoritisme et d’être certains que c’est le zèle et le mérite seuls qui donneront droit aux avancements et aux récompenses.

C’est la raison pour laquelle, je le répète, le statut des fonctionnaires doit être inscrit dans une loi constitutionnelle.

Je suis convaincu que tout que je viens de dire ne va pas à l’encontre des sentiments intimes de la très grande majorité des fonctionnaires. Cette majorité, consciente des responsabilités et des devoirs que la fonction lui impose, ne demande qu’à accepter les unes et à bien remplir les autres.

Elle mérite toute la sollicitude du gouvernement, qui ne lui fera jamais défaut. Je me garderai bien de la confondre avec la minorité turbulente, indisciplinée et généralement peu attachée à l’accomplissement de sa tâche professionnelle qui s’efforce, et trop souvent par la menace et même par la violence, de lui persuader que les fonctionnaires ont pour mission, non pas de servir l’Etat, mais de l’asservir.

Si l’Etat, par faiblesse, pouvait se prêter à cet asservissement, nous pourrions considérer comme prochaine la fin d’une France grande, forte et libre. Notre porte serait largement ouverte à ceux du dehors qui voudraient, eux aussi, nous asservir.

Pas plus que moi, vous ne sauriez l’admettre. C’est ce qui me permet de croire que le plus grand nombre d’entre vous partagez mes sentiments et approuvez mes projets de réforme de l’Etat.

Je ne peux pas vous les dire tous, aujourd’hui, ni vous exposer les grandes lignes de l’organisation de la présidence du conseil, ni celles de l’organisation d’un conseil national économique professionnel et de conseils économiques régionaux qui lui seront rattachés et qui conseilleront le gouvernement.

Je crois que le pays pourra attendre de grands bienfaits de ces organisations, tant pour sa prospérité que pour la préparation de la législation appropriée à ses besoins et pour la solution des difficultés ou des conflits économiques.

Je suis obligé de réserver tout cela, et quelques autres choses encore, pour la causerie que nous aurons la semaine prochaine.

Je n’ajouterai que quelques mots à ce que je viens de vous dire. Il y a certes, beaucoup de choses à modifier et à réformer pour remettre debout une grande maison dont les murs et la voûte laissent voir beaucoup de lézardes.

Mais il y a certaines choses à modifier et à réformer dont la modification et la réforme ne dépendent absolument pas de moi. Je fais allusion aux mentalités, causes de tout notre mal.

Ont-elles vraiment changé ? Sont-elles en train de se modifier ? Les égoïsmes personnels ou de partis s’apaisent-ils ? Les ambitions, les rancunes, les inimitiés violentes s’apaisent-elles pour que renaisse l’admirable esprit patriotique qui, il n’y a pas si longtemps, a sauvé la France et l’a préservée d’un dur esclavage ?

Je me le demande souvent avec anxiété et je n’ose pas répondre à cette question que pose devant mon esprit l’amour de la Patrie. Car, si cette réponse était négative, pourquoi continuerais-je à poursuivre la lourde tâche que j’ai acceptée ?

Ce que je ne peux faire, vous pouvez le faire, vous qui m’écoutez. Ces mentalités obstinées, c’est vous seuls, par votre volonté, qui pourrez les changer. Je me rends bien compte que ma seule volonté, ni mes seuls efforts ne peuvent pas opérer de tels changements.

Il n’est pas très aisé d’agir et encore moins de réussir quand on se trouve placé entre ceux-ci qui vous combattent, entre ceux-là qui vous soutiennent avec d’inquiétantes hésitations et réserves, entre d’autres, qui, tout en vous soutenant, sont impatients de voir tout ce qui était par terre remis debout en un tournemain.

Ceux-ci oublient qu’il faut, pour opérer ce redressement, outre une volonté ferme — qui, certes, ne me fait pas défaut — de la méthode, de la persévérance dans l’effort, de la patience, du temps et, enfin et surtout, un pouvoir réel et suffisant.

Ce pouvoir, le gouvernement ne l’a pas. Je ne l’ai pas plus que lui. Mais vous l’avez, vous, qui êtes le Pays. Vous pouvez, si vous le voulez, en manifestant sans ambiguïté votre volonté, modifier les mentalités qui ne veulent pas changer et obtenir que soit fait tout ce qui doit être fait.

Ma conviction profonde est que, pour assainir l’atmosphère au milieu de laquelle nous vivons et l’air que nous respirons tous depuis déjà trop de temps, il n’y a que la manifestation éclatante de votre volonté qui puisse être souveraine.

Je vous le dis très haut, mes amis, pour que vous m’entendiez bien et pour que vous me compreniez encore mieux. J’ai une absolue confiance en votre clairvoyance, en votre sagesse, en votre raison, en votre patriotisme.

Fort de cette confiance, je reviendrai m’entretenir encore avec vous la semaine prochaine.