Discours sur l’Histoire universelle/I/6

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VI. Epoque.

Salomon, ou le Temple achevé.


Ce fut environ l’an 3000 du monde, le 488 depuis la sortie d’Egypte, et pour ajuster les temps de l’histoire sainte avec ceux de la profane, 180 ans aprés la prise de Troye, 250 devant la fondation de Rome, et 1000 ans devant Jesus-Christ, que Salomon acheva ce merveilleux édifice. Il en célebra la dédicace avec une pieté et une magnificence extraordinaires. Cette célebre action est suivie des autres merveilles du regne de Salomon, qui finit par de honteuses foiblesses. Il s’abandonne à l’amour des femmes ; son esprit baisse, son cœur s’affoiblit, et sa pieté dégénere en idolatrie. Dieu justement irrité, l’épargne en mémoire de David son serviteur ; mais il ne voulut pas laisser son ingratitude entierement impunie : il partagea son royaume aprés sa mort, et sous son fils Roboam. L’orgueïl brutal de ce jeune prince luy fit perdre dix tribus, que Jeroboam separa de leur Dieu, et de leur Roy. De peur qu’ils ne retournassent aux rois de Juda, il défendit d’aller sacrifier au temple de Jérusalem, et il érigea ses veaux d’or, ausquels il donna le nom du Dieu d’Israël, afin que le changement parust moins étrange. La mesme raison luy fit retenir la loy de Moïse, qu’il interpretoit à sa mode ; mais il en faisoit observer presque toute la police, tant civile que religieuse ; de sorte que le pentateuque demeura toûjours en véneration dans les tribus separées. Ainsi fut élevé le royaume d’Israël contre le royaume de Juda. Dans celuy d’Israël triompherent l’impieté et l’idolatrie. La religion souvent obscurcie dans celuy de Juda ne laissa pas de s’y conserver. En ces temps les rois d’Egypte estoient puissans. Les quatre royaumes avoient esté réunis sous celuy de Thebes. On croit que Sesostris, ce fameux conquerant des egyptiens, est le sesac roy d’Egypte, dont Dieu se servit pour chastier l’impieté de Roboam. Dans le regne d’Abiam fils de Roboam, on voit la fameuse victoire que la pieté de ce prince luy obtint sur les tribus schismatiques. Son fils Asa, dont la pieté est loûée dans l’ecriture, y est marqué comme un homme qui songeoit plus dans ses maladies au secours de la medecine, qu’à la bonté de son Dieu. De son temps Amri roy d’Israël bastit Samarie, où il établit le siége de son royaume. Ce temps est suivi du regne admirable de Josaphat, où fleurissent la pieté, la justice, la navigation, et l’art militaire. Pendant qu’il faisoit voir au royaume de Juda un autre David, Achab et sa femme Jezabel qui regnoient en Israël, joignoient à l’idolatrie de Jéroboam toutes les impietez des gentils. Ils perirent tous deux miserablement. Dieu, qui avoit supporté leurs idolatries, résolut de venger sur eux le sang de Naboth qu’ils avoient fait mourir, parce qu’il avoit refusé, comme l’ordonnoit la loy de Moïse, de leur vendre à perpetuité l’heritage de ses peres. Leur sentence leur fut prononcée par la bouche du prophete Elie. Achab fut tué quelque temps aprés, malgré les précautions qu’il prenoit pour se sauver. Il faut placer vers ce temps la fondation de Carthage, que Didon venuë de Tyr bastit en un lieu, où, à l’exemple de Tyr, elle pouvoit trafiquer avec avantage, et aspirer à l’empire de la mer. Il est malaisé de marquer le temps où elle se forma en république ; mais le mélange des tyriens et des africains fit qu’elle fut tout ensemble guerriere et marchande. Les anciens historiens qui mettent son origine devant la ruine de Troye, peuvent faire conjecturer que Didon l’avoit plustost augmentée et fortifiée, qu’elle n’en avoit posé les fondemens. Les affaires changerent de face dans le royaume de Juda. Athalie fille d’Achab et de Jézabel porta avec elle l’impieté dans la maison de Josaphat. Joram fils d’un prince si pieux, aima mieux imiter son beaupere que son pere. La main de Dieu fut sur luy. Son regne fut court, et sa fin fut affreuse. Au milieu de ces chastimens, Dieu faisoit des prodiges inoûïs, mesme en faveur des israëlites qu’il vouloit rappeller à la penitence. Ils virent, sans se convertir, les merveilles d’Elie et d’Elisée, qui prophetiserent durant les regnes d’Achab et de cinq de ses successeurs. En ce temps Homere fleurit, et Hesiode fleurissoit trente ans avant luy. Les moeurs antiques qu’ils nous representent, et les vestiges qu’ils gardent encore, avec beaucoup de grandeur, de l’ancienne simplicité, ne servent pas peu à nous faire entendre les antiquitez beaucoup plus reculées, et la divine simplicité de l’ecriture. Il y eût des spectacles effroyables dans les royaumes de Juda et d’Israël. Jézabel fut précipitée du haut d’une tour par ordre de Jehu. Il ne luy servit de rien de s’estre parée : Jehu la fit fouler aux pieds des chevaux. Il fit tuer Joram roy d’Israël fils d’Achab : toute la maison d’Achab fut exterminée, et peu s’en fallut qu’elle n’entraisnast celle des rois de Juda dans sa ruine. Le roy Ochosias fils de Joram roy de Juda et d’Athalie fut tué dans Samarie avec ses freres, comme allié et ami des enfans d’Achab. Aussitost que cette nouvelle fut portée à Jerusalem, Athalie résolut de faire mourir tout ce qui restoit de la famille royale, sans épargner ses enfans, et de regner par la perte de tous les siens. Le seul Joas fils d’Ochosias, enfant encore au berceau, fut dérobé à la fureur de son ayeule. Jézabeth soeur d’Ochosias, et femme de Joïada souverain pontife, le cacha dans la maison de Dieu, et sauva ce précieux reste de la maison de David. Athalie qui le crut tué avec tous les autres, vivoit sans crainte. Lycurgue donnoit des loix à Lacédemone. Il est repris de les avoir fait toutes pour la guerre, à l’exemple de Minos, dont il avoit suivi les institutions ; et d’avoir peu pourveû à la modestie des femmes, pendant que pour faire des soldats, il obligeoit les hommes à une vie si laborieuse et si temperante. Rien ne remuoit en Judée contre Athalie : elle se croyoit affermie par un regne de six ans. Mais Dieu luy nourrissoit un vengeur dans l’asile sacré de son temple. Quand il eût atteint l’âge de sept ans, Joïada le fit connoistre à quelques-uns des principaux chefs de l’armée royale, qu’il avoit soigneusement ménagez ; et assisté des levites, il sacra le jeune roy dans le temple. Tout le peuple reconnut sans peine l’heritier de David, et de Josaphat. Athalie accouruë au bruit pour dissiper la conjuration, fut arrachée de l’enclos du temple, et receût le traitement que ses crimes meritoient. Tant que Joïda vescut, Joas fit garder la loy de Moïse. Aprés la mort de ce saint pontife, corrompu par les flateries de ses courtisans, il s’abandonna avec eux à l’idolatrie. Le pontife Zacharie fils de Joïada, voulut les reprendre ; et Joas, sans se souvenir de ce qu’il devoit à son pere, le fit lapider. La vengeance suivit de prés. L’année suivante Joas battu par les syriens, et tombé dans le mépris, fut assassiné par les siens ; et Amasias son fils, meilleur que luy, fut mis sur le trosne. Le royaume d’Israël abbatu par les victoires des rois de Syrie, et par les guerres civiles, reprenoit ses forces sous Jéroboam Ii plus pieux que ses prédecesseurs. Ozias, autrement nommé Azarias, fils d’Amasias, ne gouvernoit pas avec moins de gloire le royaume du Juda. C’est ce fameux Ozias frapé de la lépre, et tant de fois repris dans l’ecriture, pour avoir en ses derniers jours osé entreprendre sur l’office sacerdotal, et contre la défense de la loy, avoir luy-mesme offert de l’encens sur l’autel des parfums. Il fallut le sequestrer, tout roy qu’il estoit, selon la loy de Moïse ; et Joatham son fils, qui fut depuis son successeur, gouverna sagement le royaume. Sous le regne d’Ozias, les saints prophetes, dont les principaux en ce temps furent Osée et Isaïe, commencerent à publier leurs propheties par écrit, et dans des livres particuliers, dont ils déposoient les originaux dans le temple, pour servir de monument à la posterité. Les propheties de moindre étenduë, et faites seulement de vive voix, s’enregistroient selon la coustume dans les archives du temple, avec l’histoire du temps. Les jeux olympiques, instituez par Hercule, et long-temps discontinuez, furent rétablis. De ce rétablissement, sont venuës les olympiades, par où les grecs comptoient les années. à ce terme finissent les temps que Varron nomme fabuleux, parce que jusqu’à cette date les histoires profanes sont pleines de confusion et de fables, et commencent les temps historiques, où les affaires du monde sont racontées par des relations plus fideles et plus précises. La premiere olympiade est marquée par la victoire de Corebe. Elles se renouvelloient tous les cinq ans, et aprés quatre ans révolus. Là, dans l’assemblée de toute la Grece, à Pise premiérement, et dans la suite à Elide, se célebroient ces fameux combats, où les vainqueurs estoient couronnez avec des applaudissemens incroyables. Ainsi les exercices estoient en honneur, et la Grece devenoit tous les jours plus forte et plus polie. L’Italie estoit encore presque toute sauvage. Les rois latins de la posterité d’Enée regnoient à Albe. Phul estoit roy d’Assyrie. On le croit pere de Sardanapale, appellé, selon la coustume des orientaux, Sardan Pul, c’est à dire, Sardan fils de Phul. On croit aussi que ce Phul, ou Pul, a esté le roy de Ninive, qui fit penitence avec tout son peuple à la prédication de Jonas. Ce prince attiré par les brouïlleries du royaume d’Israël, venoit l’envahir : mais appaisé par Manahem, il l’affermit dans le trosne qu’il venoit d’usurper par violence, et receût en reconnoissance un tribut de mille talens. Sous son fils Sardanapale, et aprés Alcmaeon dernier archonte perpetuel des atheniens, ce peuple que son humeur conduisoit insensiblement à l’estat populaire, diminua le pouvoir de ses magistrats, et reduisit à dix ans l’administration des archontes. Le premier de cette sorte fut Charops. Romulus et Remus sortis des anciens rois d’Albe par leur mere Ilia, rétablirent dans le royaume d’Albe leur grand-pere Numitor, que son frere Amulius en avoit dépossedé ; et incontinent aprés ils fonderent Rome pendant que Joatham regnoit en Judée.