Discours sur les sciences et les arts/Édition Dupont 1823/Réponse de J. J. Rousseau au roi de Pologne

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RÉPONSE
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU
AU ROI DE POLOGNE,
duc de lorraine,
sur la réfutation faite par ce prince de son discours[1].



Je devrais plutôt un remerciement qu’une réplique à l’auteur anonyme[2] a qui vient d’honorer mon Discours d’une réponse : mais ce que je dois à la reconnaissance ne me fera point oublier ce que je dois à la vérité ; et je n’oublierai pas non plus que, toutes les fois qu’il est question de raison, les hommes rentrent dans le droit de la nature, et reprennent leur première égalité.

Le discours auquel j’ai à répliquer est plein de choses très-vraies et très-bien prouvées auxquelles je ne dois aucune réponse : car, quoique j’y sois qualifié de docteur, je serais bien fâché d’être au nombre de ceux qui savent répondre à tout.

Ma défense n’en sera pas moins facile : elle se bornera à comparer avec mon sentiment les vérités qu’on m’objecte ; car si je prouve qu’elles ne l’attaquent point, ce sera, je crois, l’avoir assez bien défendu.

Je puis réduire à deux points principaux toutes les propositions établies par mon adversaire : l’un renferme l’éloge des sciences, l’autre traite de leur abus. Je les examinerai séparément.

Il semble, au ton de la réponse, qu’on serait bien aise que j’eusse dit des sciences beaucoup plus de mal que je n’en ai dit en effet. On y suppose que leur éloge, qui se trouve à la tête de mon discours, a du me coûter beaucoup : c’est, selon l’auteur, un aveu arraché à la vérité et que je n’ai pas tardé à rétracter.

Si cet aveu est un éloge arraché par la vérité, il faut donc croire que je pensais des sciences le bien que j’en ai dit : le bien que l’auteur en dit lui-même n’est donc point contraire à mon sentiment. Cet aveu, dit-on, est arraché par force : tant mieux pour ma cause ; car cela montre que la vérité est chez moi plus forte que le penchant. Mais sur quoi peut-on juger que cet éloge est forcé ? Serait-ce pour être mal fait ? Ce serait intenter un procès bien terrible à la sincérité des auteurs, que d’en juger sur ce nouveau principe. Serait-ce pour être trop court ? Il me semble que j’aurais pu facilement dire moins de choses en plus de pages. C’est, dit-on, que je me suis rétracté. J’ignore en quel endroit j’ai fait cette faute ; et tout ce que je puis répondre, c’est que ce n’a pas été mon intention.

La science est très-bonne en soi : cela est évident ; et il faudrait avoir renoncé au bon sens pour dire le contraire. L’auteur de toutes choses est la source de la vérité ; tout connaître est un de ses divins attributs : c’est donc participer en quelque sorte à la suprême intelligence que d’acquérir des connaissances et d’étendre ses lumières. En ce sens, j’ai loué le savoir, et c’est en ce sens que je loue mon adversaire. Il s’étend encore sur les divers genres d’utilité que l’homme peut retirer des arts et des sciences ; et j’en aurais volontiers dit autant si cela eût été de mon sujet. Ainsi nous sommes parfaitement d’accord en ce point.

Mais comment se peut-il faire que les sciences, dont la source est si pure et la fin si louable, engendrent tant d’impiétés, tant d’hérésies, tant d’erreurs, tant de systèmes absurdes, tant de contrariétés, tant d’inepties, tant de satires amères, tant de misérables romans, tant de vers licencieux, tant de livres obscènes ; et, dans ceux qui les cultivent, tant d’orgueil, tant d’avarice, tant de malignité, tant de cabales, tant de jalousies, tant de mensonges, tant de noirceurs, tant de calomnies, tant de lâches et honteuses flatteries ? Je disais que c’est parce que la science, toute belle, toute sublime qu’elle est, n’est point faite pour l’homme ; qu’il a l’esprit trop borné pour y faire de grands progrès, et trop de passion dans le cœur pour n’en pas faire un mauvais usage ; que c’est assez pour lui de bien étudier ses devoirs, et que chacun a reçu toutes les lumières dont il a besoin pour cette étude. Mon adversaire avoue, de son côté, que les sciences deviennent nuisibles quand on en abuse, et que plusieurs en abusent en effet. En cela nous ne disons pas, je crois, des choses fort différentes : j’ajoute, il est vrai, qu’on en abuse beaucoup, et qu’on en abuse toujours ; et il ne me semble pas que dans la réponse on ait soutenu le contraire.

Je peux donc assurer que nos principes, et, par conséquent, toutes les propositions qu’on en peut déduire, n’ont rien d’opposé ; et c’est ce que j’avais à prouver : cependant, quand nous venons à conclure, nos deux conclusions se trouvent contraires. La mienne était que, puisque les sciences font plus de mal aux mœurs que de bien à la société, il eût été à désirer que les hommes s’y fussent livrés avec moins d’ardeur : celle de mon adversaire est que, quoique les sciences fassent beaucoup de mal, il ne faut pas laisser de les cultiver à cause du bien qu’elles font. Je m’en rapporte, non au public, mais au petit nombre des vrais philosophes, sur celle qu’il faut préférer de ces deux conclusions.

Il me reste de légères observations à faire sur quelques endroits de cette réponse, qui m’ont paru manquer un peu de la justesse que j’admire volontiers dans les autres, et qui ont pu contribuer par là à l’erreur de la conséquence que l’auteur en tire.

L’ouvrage commence par quelques personnalités que je ne relèverai qu’autant qu’elles feront à la question. L’auteur m’honore de plusieurs éloges ; et c’est assurément m’ouvrir une belle carrière. Mais il y a trop peu de proportion entre ces choses : un silence respectueux sur les objets de notre admiration est souvent plus convenable que des louanges indiscrètes[3].

Mon Discours, dit-on, a de quoi surprendre[4]. Il me semble que ceci demanderait quelque éclaircissement. On est encore surpris de le voir couronné : ce n’est pourtant pas un prodige de voir couronner de médiocres écrits. Dans tout autre sens cette surprise serait aussi honorable à l’académie de Dijon qu’injurieuse à l’intégrité des académies en général ; et il est aisé de sentir combien j’en ferais le profit de ma cause.

On me taxe, par des phrases fort agréablement arrangées, de contradiction entre ma conduite et ma doctrine : on me reproche d’avoir cultivé moi-même les études que je condamne[5]. Puisque la science et la vertu sont incompatibles, comme on prétend que je m’efforce de le prouver, on me demande d’un ton assez pressant comment j’ose employer l’une en me déclarant pour l’autre.

Il y a beaucoup d’adresse à m’impliquer ainsi moi-même dans la question : cette personnalité ne peut manquer de jeter de l’embarras dans ma réponse, ou plutôt dans mes réponses ; car malheureusement j’en ai plus d’une à faire. Tâchons du moins que la justesse y supplée à l’agrément.

1° Que la culture des sciences corrompe les mœurs d’une nation, c’est ce que j’ai osé soutenir, c’est ce que j’ose croire avoir prouvé. Mais comment aurais-je pu dire que dans chaque homme en particulier la science et la vertu sont incompatibles, moi qui ai exhorté les princes à appeler les vrais savants à leur cour et à leur donner leur confiance, afin qu’on voie une fois ce que peuvent la science et la vertu réunies pour le bonheur du genre humain ? Ces vrais savants sont en petit nombre, je l’avoue ; car, pour bien user de la science, il faut réunir de grands talents et de grandes vertus ; or c’est ce qu’on peut à peine espérer de quelques âmes privilégiées, mais qu’on ne doit point attendre de tout un peuple. On ne saurait donc conclure de mes principes qu’un homme ne puisse être savant et vertueux tout à la fois.

2° On pourrait encore moins me presser personnellement par cette prétendue contradiction, quand même elle existerait réellement. J’adore la vertu : mon cœur me rend ce témoignage ; il me dit trop aussi combien il y a loin de cet amour à la pratique qui fait l’homme vertueux. D’ailleurs, je suis fort éloigné d’avoir de la science, et plus encore d’en affecter. J’aurais cru que l’aveu ingénu que j’ai fait au commencement de mon Discours, me garantirait de cette imputation : je craignais bien plutôt qu’on ne m’accusât de juger des choses que je ne connaissais pas. On sent assez combien il m’était impossible d’éviter à la fois ces deux reproches. Que sais-je même si l’on n’en viendrait point à les réunir, si je ne me hâtais de passer condamnation sur celui-ci, quelque peu mérité qu’il puisse être ?

3° Je pourrais rapporter à ce sujet ce que disaient les pères de l’Église des sciences mondaines qu’ils méprisaient, et dont pourtant ils se servaient pour combattre les philosophes païens : je pourrais citer la comparaison qu’ils en faisaient avec les vases des Égyptiens volés par les Israélites. Mais je me contenterai, pour dernière réponse, de proposer cette question : Si quelqu’un venait pour me tuer, et que j’eusse le bonheur de me saisir de son arme, me serait-il défendu, avant que de la jeter, de m’en servir pour le chasser de chez moi ?

Si la contradiction qu’on me reproche n’existe pas, il n’est donc pas nécessaire de supposer que je n’ai voulu que m’égayer sur un frivole paradoxe ; et cela me parait d’autant moins nécessaire, que le ton que j’ai pris, quelque mauvais qu’il puisse être, n’est pas du moins celui qu’on emploie dans les jeux d’esprit.

Il est temps de finir sur ce qui me regarde : on ne gagne jamais rien à parler de soi ; et c’est une indiscrétion que le public pardonne difficilement, même quand on y est forcé. La vérité est si indépendante de ceux qui l’attaquent et de ceux qui la défendent, que les auteurs qui en disputent devraient bien s’oublier réciproquement : cela épargnerait beaucoup de papier et d’encre. Mais cette règle si aisée à pratiquer avec moi ne l’est point du tout vis-à-vis de mon adversaire ; et c’est une différence qui n’est pas à l’avantage de ma réplique. L’auteur, observant que j’attaque les sciences et les arts par leurs effets sur les mœurs, emploie pour me répondre le dénombrement des utilités qu’on en retire dans tous les états : c’est comme si, pour justifier un accusé, on se contentait de prouver qu’il se porte fort bien ; qu’il a beaucoup d’habileté, ou qu’il est fort riche. Pourvu qu’on m’accorde que les arts et les sciences nous rendent malhonnêtes gens, je ne disconviendrai pas qu’ils ne nous soient d’ailleurs très-commodes : c’est une conformité de plus qu’ils auront avec la plupart des vices.

L’auteur va plus loin, et prétend encore que l’étude nous est nécessaire pour admirer les beautés de l’univers, et que le spectacle de la nature, exposé, ce semble, aux yeux de tous pour l’instruction des simples, exige lui-même beaucoup d’instruction dans les observateurs pour en être aperçu. J’avoue que cette proposition me surprend : serait-ce qu’il est ordonné à tous les hommes d’être philosophes, ou qu’il n’est ordonné qu’aux seuls philosophes de croire en Dieu ? L’Écriture nous exhorte en mille endroits d’adorer la grandeur et la bonté de Dieu dans les merveilles de ses œuvres : je ne pense pas qu’elle nous ait prescrit nulle part d’étudier la physique, ni que l’auteur de la nature soit moins bien adoré par moi qui ne sais rien, que par celui qui connaît et le cèdre, et l’hysope, et la trompe de la mouche, et celle de l’éléphant : Non enim nos Deus ista scire, sed tantummodò uti voluit.

On croit toujours avoir dit ce que font les sciences, quand on a dit ce qu’elles devraient faire, cela me parait pourtant fort différent. L’étude de l’univers devrait élever l’homme à son créateur ; je le sais ; mais elle n’élève que la vanité humaine. Le philosophe, qui se flatte de pénétrer dans les secrets de Dieu, ose associer sa prétendue sagesse à la sagesse éternelle : il approuve, il blâme, il corrige, il prescrit des lois à la nature, et des bornes à la Divinité ; et tandis qu’occupé de ses vains systèmes il se donne mille peines pour arranger la machine du monde, le laboureur, qui voit la pluie et le soleil tour-à-tour fertiliser son champ, admire, loue, et bénit la main dont il reçoit ces grâces, sans se mêler de la manière dont elles lui parviennent. Il ne cherche point à justifier son ignorance ou ses vices par son incrédulité. Il ne censure point les œuvres de Dieu, et ne s’attaque point à son maître pour faire briller sa suffisance. Jamais le mot impie d’Alphonse X ne tombera dans l’esprit d’un homme vulgaire : c’est à une bouche savante que ce blasphème était réservé. Tandis que la savante Grèce était pleine d’athées, Élien remarquait[6] que jamais barbare n’avait mis en doute l’existence de la Divinité. Nous pouvons remarquer de même aujourd’hui qu’il n’y a dans toute l’Asie qu’un seul peuple lettré, que plus de la moitié de ce peuple est athée, et que c’est la seule nation de l’Asie où l’athéisme soit connu.

« La curiosité naturelle à l’homme, continue-t-on, lui inspire l’envie d’apprendre. » Il devrait donc travailler à la contenir, comme tous ses penchants naturels. « Ses besoins lui en font sentir la nécessité. » À bien des égards les connaissances sont utiles ; cependant les sauvages sont des hommes, et ne sentent point cette nécessité-là. « Ses emplois lui en imposent l’obligation. » Ils lui imposent bien plus souvent celle de renoncer à l’étude pour vaquer à ses devoirs[7]. « Ses progrès lui en font goûter le plaisir. » C’est pour cela même qu’il devrait s’en défier. « Ses premières découvertes augmentent l’avidité qu’il a de savoir. » Cela arrive en effet à ceux qui ont du talent. « Plus il connaît, plus il sent qu’il a de connaissances à acquérir. » C’est-à-dire que l’usage de tout le temps qu’il perd est de l’exciter à en perdre encore davantage. Mais il n’y a guère qu’un petit nombre d’hommes de génie en qui la vue de leur ignorance se développe en apprenant, et c’est, pour eux seulement que l’étude peut être bonne. À peine les petits esprits ont-ils appris quelque chose, qu’ils croient tout savoir ; et il n’y a sorte de sottise que cette persuasion ne leur fasse dire et faire. « Plus il a de connaissances acquises, plus il a de facilité à bien faire. » On voit qu’en parlant ainsi l’auteur a bien plus consulté son cœur qu’il n’a observé les hommes.

Il avance encore qu’il est bon de connaître le mal pour apprendre à le fuir ; et il fait entendre qu’on ne peut s’assurer de sa vertu qu’après l’avoir mise à l’épreuve. Ces maximes sont au moins douteuses et sujettes à bien des discussions. Il n’est pas certain que, pour apprendre à bien faire, on soit obligé de savoir en combien de manières on peut faire le mal. Nous avons un guide intérieur, bien plus infaillible que tous les livres, et qui ne nous abandonne jamais dans le besoin. C’en serait assez pour nous conduire innocemment si nous voulions l’écouter toujours. Et comment serait-on obligé d’éprouver ses forces pour s’assurer de sa vertu, si c’est un des exercices de la vertu de fuir les occasions du vice ?

L’homme sage est continuellement sur ses gardes, et se défie toujours de ses propres forces : il réserve tout son courage pour le besoin, et ne s’expose jamais mal à propos. Le fanfaron est celui qui se vante sans cesse de plus qu’il ne peut faire, et qui, après avoir bravé et insulté tout le monde, se laisse battre à la première rencontre. Je demande lequel de ces deux portraits ressemble le mieux à un philosophe aux prises avec ses passions.

On me reproche d’avoir affecté de prendre chez les anciens mes exemples de vertu. Il y a bien de l’apparence que j’en aurais trouvé encore davantage, si j’avais pu remonter plus haut. J’ai cité aussi un peuple moderne, et ce n’est pas ma faute si je n’en ai trouvé qu’un. On me reproche encore, dans une maxime générale, des parallèles odieux, où il entre, dit-on, moins de zèle et d’équité que d’envie contre mes compatriotes et d’humeur contre mes contemporains. Cependant personne peut-être n’aime autant que moi son pays et ses compatriotes. Au surplus, je n’ai qu’un mot à répondre. J’ai dit mes raisons, et ce sont elles qu’il faut peser : quant à mes intentions, il en faut laisser le jugement à celui-là seul auquel il appartient.

Je ne dois point passer ici sous silence une objection considérable qui m’a déjà été faite par un philosophe[8]. « N’est-ce point, me dit-on ici, au climat, au tempérament, au manque d’occasion, au défaut d’objet, à l’économie du gouvernement, aux coutumes, aux lois, à toute autre cause qu’aux sciences, qu’on doit attribuer cette différence qu’on remarque quelquefois dans les mœurs en différents pays et en différents temps ? »

Cette question renferme de grandes vues, et demanderait des éclaircissements trop étendus pour convenir à cet écrit. D’ailleurs, il s’agirait d’examiner les relations très-cachées, mais très-réelles, qui se trouvent entre la nature du gouvernement et le génie, les mœurs et les connaissances des citoyens ; et ceci me jetterait dans des discussions délicates, qui me pourraient mener trop loin. De plus, il me serait bien difficile de parler de gouvernement, sans donner trop beau jeu à mon adversaire ; et, tout bien pesé, ce sont des recherches bonnes à faire à Genève, et dans d’autres circonstances.

Je passe à une accusation bien plus grave que l’objection précédente. Je la transcrirai dans ses propres termes ; car il est important de la mettre fidèlement sous les yeux du lecteur.

« Plus le chrétien examine l’authenticité de ses titres, plus il se rassure dans la possession de sa croyance ; plus il étudie la révélation, plus il se fortifie dans la foi. C’est dans les divines Écritures qu’il en découvre l’origine et l’excellence. ; c’est dans les doctes écrits des pères de l’Église qu’il en suit de siècle en siècle le développement ; c’est dans les livres de morale et les annales saintes qu’il en voit les exemples et qu’il s’en fait l’application.

« Quoi ! l’ignorance enlèvera à la religion et à la vertu des lumières si pures, des appuis si puissants ! et ce sera à elles qu’un docteur de Genève enseignera hautement qu’on doit l’irrégularité des mœurs ! On s’étonnerait davantage d’entendre un si étrange paradoxe, si on ne savait que la singularité d’un système, quelque dangereux qu’il soit, n’est qu’une raison de plus pour qui n’a pour règle que l’esprit particulier. »

J’ose le demander à l’auteur : Comment a-t-il pu jamais donner une pareille interprétation aux principes que j’ai établis ? Comment a-t-il pu m’accuser de blâmer l’étude de la religion, moi qui blâme surtout l’étude de nos vaines sciences, parce qu’elle nous détourne de celle de nos devoirs ? Et qu’est-ce que l’étude des devoirs du chrétien, sinon celle de sa religion même ?

Sans doute j’aurais dû blâmer expressément toutes ces puériles subtilités de la scolastique avec lesquelles, sous prétexte d’éclaircir les principes de la religion, on en anéantit l’esprit en substituant l’orgueil scientifique à l’humilité chrétienne. J’aurais dû m’élever avec plus de force contre ces ministres indiscrets qui, les premiers, ont osé porter les mains à l’arche pour étayer avec leur faible savoir un édifice soutenu par la main de Dieu. J’aurais dû m’indigner contre ces hommes frivoles qui, par leurs misérables pointilleries, ont avili la sublime simplicité de l’Évangile, et réduit en sillogismes la doctrine de Jésus-Christ. Mais il s’agit aujourd’hui de me défendre, et non d’attaquer.

Je vois que c’est par l’histoire et les faits qu’il faudrait terminer cette dispute. Si je savais exposer en peu de mots ce que les sciences et la religion ont eu de commun dès le commencement, peut-être cela servirait-il à décider la question sur ce point.

Le peuple que Dieu s’était choisi n’a jamais cultivé les sciences, et on ne lui en a jamais conseillé l’étude ; cependant, si cette étude était bonne à quelque chose, il en aurait eu plus besoin qu’un autre. Au contraire, ses chefs firent toujours leurs efforts pour le tenir séparé, autant qu’il était possible, des nations idolâtres et savantes qui l’environnaient : précaution moins nécessaire pour lui d’un côté que de l’autre ; car ce peuple faible et grossier était bien plus aisé à séduire par les fourberies des prêtres de Baal que par les sophismes des philosophes.

Après des dispersions fréquentes parmi les Égyptiens et les Grecs, la science eut encore mille peines à germer dans les têtes des Hébreux. Josèphe et Philon, qui partout ailleurs n’auraient été que deux hommes médiocres, furent des prodiges parmi eux. Les saducéens, reconnaissantes à leur irréligion, furent les philosophes de Jérusalem ; les pharisiens, grands hypocrites, en furent les docteurs[9]. Ceux-ci, quoiqu’ils bornassent à peu près leur science à l’étude de la loi, faisaient cette étude avec tout le faste et toute la suffisance dogmatiques. Ils observaient aussi, avec un très-grand soin, toutes les pratiques de la religion ; mais l’Évangile nous apprend l’esprit de cette exactitude, et le cas qu’il en fallait faire. Au surplus, ils avaient tous très-peu de science et beaucoup d’orgueil ; et ce n’est pas en cela qu’ils différaient le plus de nos docteurs d’aujourd’hui.

Dans l’établissement de la nouvelle loi, ce ne fut point à des savants que Jésus-Christ voulut confier sa doctrine et son ministère. Il suivit dans son choix la prédilection qu’il a montrée en toute occasion pour les petits et les simples ; et dans les instructions qu’il donnait à ses disciples, on ne voit pas un mot d’étude ni de science, si ce n’est pour marquer le mépris qu’il faisait de tout cela.

Après la mort de Jésus-Christ, douze pauvres pécheurs et artisans entreprirent d’instruire et de convertir le monde. Leur méthode était simple ; ils prêchaient sans art, mais avec un cœur pénétre ; et de tous les miracles dont Dieu honorait leur foi, le plus frappant était la sainteté de leur vie : leurs disciples suivirent cet exemple, et le succès fut prodigieux. Les prêtres païens, alarmés, firent entendre aux princes que l’état était perdu, parce-que les offrandes diminuaient. Les persécutions s’élevèrent, et les persécuteurs ne firent qu’accélérer les progrès de cette religion qu’ils voulaient étouffer. Tous les chrétiens couraient au martyre, tous les peuples couraient au baptême ; l’histoire de ces premiers temps est un prodige continuel.

Cependant les prêtres des idoles, non contents de persécuter les chrétiens, se mirent à les calomnier. Les philosophes, qui ne trouvaient pas leur compte dans une religion qui prêche l’humilité, se joignirent à leurs prêtres. Les simples se faisaient chrétiens, il est vrai ; mais les savants se moquaient d’eux, et l’on sait avec quel mépris saint Paul lui-même fut reçu des Athéniens. Les railleries et les injures pleuvaient de toutes parts sur la nouvelle secte. Il fallut prendre la plume pour se défendre. Saint Justin martyr[10] écrivit le premier l’apologie de sa foi. On attaqua les païens à leur tour : les attaquer, c’était les vaincre. Les premiers succès encouragèrent d’autres écrivains. Sous prétexte d’exposer la turpitude du paganisme, on se jeta dans la mythologie et dans l’érudition[11] ; on voulut montrer de la science et du bel esprit ; les livres parurent en foule, et les mœurs commencèrent à se relâcher.

Bientôt on ne se contenta plus de la simplicité de l’Évangile et de la foi des apôtres, il fallut toujours avoir plus d’esprit que ses prédécesseurs. On subtilisa sur tous les dogmes ; chacun voulut soutenir son opinion, personne ne voulut céder. L’ambition d’être chef de secte se fit entendre, les hérésies pullulèrent de toutes parts.

L’emportement et la violence ne tardèrent pas à se joindre à la dispute. Ces chrétiens si doux, qui ne savaient que tendre la gorge aux couteaux, devinrent entre eux des persécuteurs furieux, pires que les idolâtres : tous trempèrent dans les mêmes excès, et le parti de la vérité ne fut pas soutenu avec plus de modération que celui de l’erreur. Un autre mal encore plus dangereux naquit de la même source ; c’est l’introduction de l’ancienne philosophie dans la doctrine chrétienne. À force d’étudier les philosophes grecs, on crut y voir des rapports avec le christianisme. On osa croire que la religion en deviendrait plus respectable, revêtue de l’autorité de la philosophie. Il fut un temps où il fallait être platonicien pour être orthodoxe ; et peu s’en fallut que Platon d’abord, et ensuite Aristote, ne fut placé sur l’autel à côté de Jésus-Christ.

L’Eglise s’éleva plus d’une fois contre ces abus. Ses plus illustres défenseurs les déplorèrent souvent en termes pleins de force et d’énergie ; souvent ils tentèrent d’en bannir toute cette science mondaine qui en souillait la pureté. Un des plus illustres papes en vint même jusqu’à cet excès de zèle de soutenir que c’était une chose honteuse d’asservir la parole de Dieu aux règles de la grammaire.

Mais ils eurent beau crier ; entraînés par le torrent, ils furent contraints de se conformer eux-mêmes à l’usage qu’ils condamnaient ; et ce fut d’une manière très-savante que la plupart d’entre eux déclamèrent contre le progrès des sciences.

Après de longues agitations, les choses prirent enfin une assiette plus fixe. Vers le dixième siècle, le flambeau des sciences cessa d’éclairer la terre ; le clergé demeura plongé dans une ignorance que je ne veux pas justifier, puisqu’elle ne tombait pas moins sur les choses qu’il doit savoir que sur celles qui lui sont inutiles, mais à laquelle l’Église gagna du moins un peu plus de repos qu’elle n’en avait éprouvé jusque-là.

Après la renaissance des lettres, les divisions ne tardèrent pas à recommencer plus terribles que jamais. De savants hommes émurent la querelle, de savants hommes la soutinrent, et les plus capables se montrèrent toujours les plus obstinés. C’est en vain qu’on établit des conférences entre les docteurs des différents partis : aucun n’y portait l’amour de la réconciliation, ni peut-être celui de la vérité ; tous n’y portaient que le désir de briller aux dépens de leur adversaire ; chacun voulait vaincre, nul ne voulait s’instruire ; le plus fort imposait silence au plus faible ; la dispute se terminait toujours par des injures, et la persécution en a toujours été le fruit. Dieu seul sait quand tous ces maux finiront.

Les sciences sont florissantes aujourd’hui ; la littérature et les arts brillent parmi nous : quel profit en a tiré la religion ? Demandons-le à cette multitude de philosophes qui se piquent de n’en point avoir. Nos bibliothèques regorgent de livres de théologie, et les casuistes fourmillent parmi nous. Autrefois nous avions des saints, et point de casuistes. La science s’étend, et la foi s’anéantit ; tout le monde veut enseigner à bien faire, et personne ne veut l’apprendre ; nous sommes tous devenus docteurs, et nous avons cessé d’être chrétiens.

Non, ce n’est point avec tant d’art et d’appareil que l’Évangile s’est étendu par tout l’univers, et que sa beauté ravissante a pénétré les cœurs. Ce divin livre, le seul nécessaire à un chrétien, et le plus utile de tous à quiconque même ne le serait pas, n’a besoin que d’être médité pour porter dans l’âme l’amour de son auteur, et la volonté d’accomplir ses préceptes. Jamais la vertu n’a parlé un si doux langage ; jamais la plus profonde sagesse ne s’est exprimée avec tant d’énergie et de simplicité. On n’en quitte point la lecture sans se sentir meilleur qu’auparavant. Ô vous ! ministres de la loi qui m’y est annoncée, donnez-vous moins de peine pour m’instruire de tant de choses inutiles. Laissez-là tous ces livres savants qui ne savent ni me convaincre ni me toucher. Prosternez-vous aux pieds de ce Dieu de miséricorde que vous vous chargez de me faire connaître et aimer ; demandez-lui pour vous cette humilité profonde que vous devez me prêcher. N’étalez point à mes yeux cette science orgueilleuse ni ce faste indécent qui vous déshonorent et qui me révoltent ; soyez touchés vous-mêmes, si vous voulez que je le sois ; et surtout montrez-moi dans votre conduite la pratique de cette loi dont vous prétendez m’instruire. Vous n’avez pas besoin d’en savoir ni de m’en enseigner davantage, et votre ministère est accompli. Il n’est point en tout cela question de belles-lettres, ni de philosophie. C’est ainsi qu’il convient de suivre et de prêcher l’Évangile, et c’est ainsi que ses premiers défenseurs l’ont fait triompher de toutes les nations, non aristotelico more, disaient les pères de l’Église, sed piscatorio[12].

Je sens que je deviens long ; mais j’ai cru ne pouvoir me dispenser de m’étendre un peu sur un point de l’importance de celui-ci. De plus, les lecteurs impatients doivent faire réflexion que c’est une chose bien commode que la critique ; car où l’on attaque avec un mot, il faut des pages pour se défendre.

Je passe à la deuxième partie de la réponse, sur laquelle je tacherai d’être plus court, quoique je n’y trouve guère moins d’observations à faire.

« Ce n’est pas des sciences, me dit-on, c’est du sein des richesses que sont nés de tout temps la mollesse et le luxe. » Je n’avais pas dit non plus que le luxe fût né des sciences, mais qu’ils étaient nés ensemble, et que l’un n’allait guère sans l’autre. Voici comment j’arrangerais cette généalogie. La première source du mal est l’inégalité : de l’inégalité sont venues les richesses ; car ces mots de pauvre et de riche sont relatifs, et partout où les hommes seront égaux il n’y aura ni riches ni pauvres. Des richesses sont nés le luxe et l’oisiveté ; du luxe sont venus les beaux-arts, et de l’oisiveté les sciences. « Dans aucun temps les richesses n’ont été l’apanage des savants. » C’est en cela même que le mal est plus grand : les riches et les savants ne servent qu’à se corrompre mutuellement. Si les riches étaient plus savants, ou que les savants fussent plus riches, les uns seraient de moins lâches flatteurs, les autres aimeraient moins la basse flatterie, et tous en vaudraient mieux. C’est ce qui peut se voir par le petit nombre de ceux qui ont le bonheur d’être savants et riches tout à la fois. « Pour un Platon dans l’opulence, pour un Aristippe accrédité à la cour, combien de philosophes réduits au manteau et à la besace, enveloppés dans leur propre vertu et ignorés dans leur solitude ! » Je ne disconviens pas qu’il n’y ait un grand nombre de philosophes très-pauvres, et sûrement très-fâchés de l’être : je ne doute pas non plus que ce ne soit à leur seule pauvreté que la plupart d’entre eux doivent leur philosophie ; mais quand je voudrais bien les supposer vertueux, serait-ce sur leurs mœurs, que le peuple ne voit point, qu’il apprendrait à réformer les siennes ? « Les savants n’ont ni le goût ni le loisir d’amasser de grands biens. » Je consens à croire qu’ils n’en ont pas le loisir. « Ils aiment L’étude. » Celui qui n’aimerait pas son métier serait un homme bien fou ou bien misérable. « Ils vivent dans la médiocrité. » Il faut être extrêmement disposé en leur faveur pour leur en faire un mérite. « Une vie laborieuse et modérée, passée dans le silence de la retraite, occupée de la lecture et du travail, n’est pas assurément une vie voluptueuse et criminelle. » Non pas du moins aux yeux des hommes : tout dépend de l’intérieur. Un homme peut être contraint à mener une telle vie, et avoir pourtant l’âme très-corrompue ; d’ailleurs qu’importe qu’il soit lui-même vertueux et modeste, si les travaux dont il s’occupe nourrissent l’oisiveté et gâtent l’esprit de ses concitoyens ? « Les commodités de la vie, pour être souvent le fruit des arts, n’en sont pas davantage le partage des artistes. » Il ne me paraît guère qu’ils soient gens a se les refuser, surtout ceux qui, s’occupant d’arts tout-à-fait inutiles et par conséquent très-lucratifs, sont plus en état de se procurer tout ce qu’ils désirent. « Ils ne travaillent que pour les riches. » Au train que prennent les choses, je ne serais pas étonné de voir quelque jour des riches travailler pour eux. « Et ce sont les riches oisifs qui profitent et abusent des fruits de leur industrie. » Encore une fois, je ne vois point que nos artistes soient des gens si simples et si modestes. Le luxe ne saurait régner dans un ordre de citoyens, qu’il ne se glisse bientôt parmi tous les autres sous différentes modifications, et partout il fait le même ravage.

Le luxe corrompt tout, et le riche qui en jouit, et le misérable qui le convoite. On ne saurait dire que ce soit un mal en soi de porter des manchettes de point, un habit brodé et une boîte émaillée, mais c’en est un très-grand de faire quelque cas de ces colifichets, d’estimer heureux le peuple qui les porte, et de consacrer à se mettre en état d’en acquérir de semblables un temps et des soins que tout homme doit à de plus nobles objets. Je n’ai pas besoin d’apprendre quel est le métier de celui qui s’occupe de telles vues, pour savoir le jugement que je dois porter de lui.

J’ai passé le beau portrait qu’on nous fait ici des savants, et je crois pouvoir me faire un mérité de cette complaisance. Mon adversaire est moins indulgent : non-seulement il ne m’accorde rien qu’il puisse me refuser, mais, plutôt que de passer condamnation sur le mal que je pense de notre vaine et fausse politesse, il aime mieux excuser l’hypocrisie. Il me demande si je voudrais que le vice se montrât à découvert. Assurément je le voudrais : la confiance et l’estime renaîtraient entre les bons, on apprendrait à se défier des méchants, et la société en serait plus sûre. J’aime mieux que mon ennemi m’attaque à force ouverte, que de venir en trahison me frapper par derrière. Quoi donc ! faudra-t-il joindre le scandale au crime ? je ne sais ; mais je voudrais bien qu’on n’y joignît pas la fourberie. C’est une chose très-commode pour les vicieux que toutes les maximes qu’on nous débite depuis long-temps sur le scandale. Si on les voulait suivre à la rigueur, il faudrait se laisser piller, trahir, tuer impunément, et ne jamais punir personne ; car c’est un objet très-scandaleux qu’un scélérat sur la roue. Mais l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. Oui, comme celui des assassins de César, qui se prosternaient à ses pieds pour l’égorger plus sûrement. Cette pensée a beau être brillante, elle a beau être autorisée du nom célèbre de son auteur[13]a, elle n’en est pas plus juste. Dira-t-on jamais d’un filou qui prend la livrée d’une maison pour faire son coup plus commodément, qu’il rend hommage au maître de la maison qu’il vole ? Non : couvrir sa méchanceté du dangereux manteau de l’hypocrisie, ce n’est point honorer la vertu, c’est l’outrager en profanant ses enseignes ; c’est ajouter la lâcheté et la fourberie à tous les autres vices ; c’est se fermer pour jamais tout retour vers la probité. Il y a des caractères élevés qui portent jusque dans le crime je ne sais quoi de fier et de généreux qui laisse voir au dedans encore quelque étincelle de ce feu céleste fait pour animer les belles âmes. Mais l’âme vile et rampante de l’hypocrite est semblable à un cadavre où l’on ne trouve plus ni feu, ni chaleur, ni ressource à la vie. J’en appelle à l’expérience. On a vu de grands scélérats rentrer en eux-mêmes, achever saintement leur carrière et mourir en prédestinés ; mais ce que personne n’a jamais vu, c’est un hypocrite devenir homme de bien : on aurait pu raisonnablement tenter la conversion de Cartouche, jamais un homme sage n’eût entrepris celle de Cromwell.

J’ai attribué au rétablissement des lettres et des arts l’élégance et la politesse qui règnent dans nos manières. L’auteur de la réponse me le dispute, et j’en suis étonné ; car, puisqu’il fait tant de cas de la politesse, et qu’il fait tant de cas des sciences, je n’aperçois pas l’avantage qui lui reviendra d’ôter à l’une de ces choses l’honneur d’avoir produit l’autre. Mais examinons ses preuves : elles se réduisent à ceci : « On ne voit point que les savants soient plus polis que les autres hommes ; au contraire, ils le sont souvent beaucoup moins : donc notre politesse n’est pas l’ouvrage des sciences. »

Je remarquerai d’abord qu’il s’agit moins ici de sciences que de littérature, de beaux-arts et d’ouvrages de goût ; et nos beaux esprits, aussi peu savants qu’on voudra, mais si polis, si répandus, si brillants, si petits-maîtres, se reconnaîtront difficilement à l’air maussade et pédantesque que l’auteur de la réponse leur veut donner. Mais passons-lui cet antécédent ; accordons, s’il le faut, que les savants, les poètes et les beaux esprits, sont tous également ridicules ; que messieurs de l’académie des belles-lettres, messieurs de l’académie des sciences, messieurs de l’académie française, sont des gens grossiers, qui ne connaissent ni le ton, ni les usages du monde, et exclus par état de la bonne compagnie ; l’auteur gagnera peu de chose à cela, et n’en sera pas plus en droit de nier que la politesse et l’urbanité qui règnent parmi nous soient l’effet du bon goût, puisé d’abord chez les anciens, et répandu parmi les peuples de l’Europe par les livres agréables qu’on y publie de toutes parts[14]. Comme les meilleurs maîtres à danser ne sont pas toujours les gens qui se présentent le mieux, on peut donner de très-bonnes leçons de politesse sans vouloir ou pouvoir être fort poli soi-même. Ces pesants commentateurs, qu’on nous dit qui connaissaient tout dans les anciens hors la grâce et la finesse, n’ont pas laissé, par leurs ouvrages utiles, quoique méprisés, de nous apprendre à sentir ces beautés qu’ils ne sentaient point. Il en est de même de cet agrément du commerce et de cette élégance de mœurs qu’on substitue à leur pureté, et qui s’est fait remarquer chez tous les peuples où les lettres ont été en honneur ; à Athènes, à Rome, à la Chine, partout on a vu la politesse et du langage et des manières accompagner toujours, non les savants et les artistes, mais les sciences et les beaux-arts.

L’auteur attaque ensuite les louanges que j’ai données à l’ignorance ; et, me taxant d’avoir parlé plus en orateur qu’en philosophe, il peint l’ignorance à son tour ; et l’on peut bien se douter qu’il ne lui prête pas de belles couleurs.

Je ne nie point qu’il ait raison, mais je ne crois pas avoir tort. Il ne faut qu’une distinction très-juste et très-vraie pour nous concilier.

Il y a une ignorance féroce[15] et brutale qui naît d’un mauvais cœur et d’un esprit faux ; une ignorance criminelle qui s’étend jusqu’aux devoirs de l’humanité, qui multiplie les vices, qui dégrade la raison, avilit l’âme et rend les hommes semblables aux bêtes ; cette ignorance est celle que l’auteur attaque, et dont il fait un portrait fort odieux et fort ressemblant. Il y a une autre sorte d’ignorance raisonnable qui consiste à borner sa curiosité à l’étendue des facultés qu’on a reçues ; une ignorance modeste, qui naît d’un vif amour pour la vertu et n’inspire qu’indifférence sur toutes les choses qui ne sont point dignes de remplir le cœur de l’homme, et qui ne contribuent point à le rendre meilleur ; une douce et précieuse ignorance, trésor d’une âme pure et contente de soi, qui met toute sa félicité à se replier sur elle-même, à se rendre témoignage de son innocence, et n’a pas besoin de chercher un faux et vain bonheur dans l’opinion que les autres pourraient avoir de ses lumières : voilà l’ignorance que j’ai louée, et celle que je demande au ciel en punition du scandale que j’ai causé aux doctes par mon mépris déclaré pour les sciences humaines.

« Que l’on compare, dit l’auteur, à ces temps d’ignorance et de barbarie ces siècles heureux où les sciences ont répandu partout l’esprit d’ordre et de justice. » Ces siècles heureux seront difficiles à trouver ; mais on en trouvera plus aisément où, grâce aux sciences, ordre et justice ne seront plus que de vains noms faits pour en imposer au peuple, et où l’apparence en aura été conservée avec soin pour les détruire en effet plus impunément. « On voit de nos jours des guerres moins fréquentes, mais plus justes. » En quelque temps que ce soit, comment la guerre pourra-t-elle être plus juste dans l’un des partis sans être plus injuste dans l’autre ? Je ne saurais concevoir cela. « Des actions moins étonnantes, mais plus héroïques. » Personne assurément ne disputera à mon adversaire le droit de juger de l’héroïsme ; mais pense-t-il que ce qui n’est point étonnant pour lui ne le soit pas pour nous ? « Des victoires moins sanglantes, mais plus glorieuses ; des conquêtes moins rapides, mais plus assurées ; des guerriers moins violents, mais plus redoutés, sachant vaincre avec modération, traitant les vaincus avec humanité ; l’honneur est leur guide, la gloire leur récompense. » Je ne nie pas à l’auteur qu’il n’y ait de grands hommes parmi nous, il lui serait trop aisé d’en fournir la preuve ; ce qui n’empêche point que les peuples ne soient très-corrompus. Au reste, ces choses sont si vagues qu’on pourrait presque les dire de tous les âges ; et il est impossible d’y répondre, parce qu’il faudrait feuilleter des bibliothèques et faire des in-folio pour établir des preuves pour ou contre.

Quand Socrate a maltraité les sciences, il n’a pu, ce me semble, avoir en vue ni l’orgueil des stoïciens, ni la mollesse des épicuriens, ni l’absurde jargon des pyrrhoniens, parce qu’aucun de tous ces gens-là n’existait de son temps. Mais ce léger anachronisme n’est point messéant à mon adversaire : il a mieux employé sa vie qu’à vérifier des dates, et n’est pas plus obligé de savoir par cœur son Diogène-Laërce que moi d’avoir vu de près ce qui se passe dans les combats.

Je conviens donc que Socrate n’a songé qu’a relever les vices des philosophes de son temps ; mais je ne sais qu’en conclure, sinon que dès ce temps-là les vices pullulaient avec les philosophes. À cela on me répond que c’est l’abus de la philosophie, et je ne pense pas avoir dit le contraire. Quoi ! faut-il donc supprimer toutes les choses dont on abuse ? Oui, sans doute, répondrai-je sans balancer, toutes celles qui sont inutiles, toutes celles dont l’abus fait plus de mal que leur usage ne fait de bien.

Arrêtons-nous un instant sur cette dernière conséquence, et gardons-nous d’en conclure qu’il faille aujourd’hui brûler toutes les bibliothèques et détruire les universités et les académies. Nous ne ferions que replonger l’Europe dans la barbarie ; et les mœurs n’y gagneraient rien#1. C’est avec douleur que je vais prononcer une grande et fatale vérité. Il n’y a qu’un pas du savoir à l’ignorance ; et l’alternative de l’un à l’autre est fréquente chez les nations ; mais on n’a jamais vu de peuple une fois corrompu revenir à la vertu. En vain vous prétendriez détruire les sources du mal ; en vain vous ôteriez les aliments de la vanité, de l’oisiveté et du luxe ; en vain même vous ramèneriez les hommes à cette première égalité conservatrice de l’innocence et source de toute vertu : leurs cœurs une fois gâtés le seront toujours ; il n’y a[16] plus de remède, à moins de quelque grande révolution presque aussi à craindre que le mal qu’elle pourrait guérir, et qu’il est blâmable de désirer et impossible de prévoir.

Laissons donc les sciences et les arts adoucir, en quelque sorte, la férocité des hommes qu’ils ont corrompus ; cherchons à faire une diversion sage, et tâchons de donner le change à leurs passions. Offrons quelques aliments à ces tigres, afin qu’ils ne dévorent pas nos enfants. Les lumières du méchant sont encore moins à craindre que sa brutale stupidité : elles le rendent au moins plus circonspect sur le mal qu’il pourrait faire par la connaissance de celui qu’il en recevrait lui-même.

J’ai loué les académies et leurs illustres fondateurs, et j’en répéterai volontiers l’éloge. Quand le mal est incurable, le médecin applique des palliatifs, et proportionne les remèdes moins aux besoins qu’au tempérament du malade. C’est aux sages législateurs d’imiter sa prudence, et, ne pouvant plus approprier aux peuples malades la plus excellente police, de leur donner du moins, comme Solon, la meilleure qu’ils puissent comporter.

Il y a en Europe un grand prince, et, ce qui est bien plus, un vertueux citoyen qui, dans la patrie qu’il a adoptée et qu’il rend heureuse, vient de former plusieurs institutions en faveur des lettres[17]. Il a fait en cela une chose très-digne de sa sagesse et de sa vertu. Quand il est question d’établissements politiques, c’est le temps et le lieu qui décident de tout. Il faut, pour leurs propres intérêts, que les princes favorisent toujours les sciences et les arts ; j’en ai dit la raison : et, dans l’état présent des choses, il faut encore qu’ils les favorisent aujourd’hui pour l’intérêt même des peuples. S’il y avait actuellement parmi nous quelque monarque assez borné pour penser et agir différemment, ses sujets resteraient pauvres et ignorants, et n’en seraient pas moins vicieux. Mon adversaire a négligé de tirer avantage d’un exemple si frappant et si favorable en apparence à sa cause ; peut-être est-il le seul qui l’ignore ou qui n’y ait pas songé. Qu’il souffre donc qu’on le lui rappelle ; qu’il ne refuse point à de grandes choses les éloges qui leur sont dus ; qu’il les admire ainsi que nous, et ne s’en tienne pas plus fort contre les vérités qu’il attaque.



  1. C’est cette réponse que Jean-Jacques met au nombre de ses meilleurs écrits. Voyez Conf., liv. viii.
  2. L’ouvrage du roi de Pologne étant d’abord anonyme, et non avoué par l’auteur, m’obligeait à lui laisser l’incognito qu’il avait pris ; mais ce prince, ayant depuis reconnu publiquement ce même ouvrage, m’a dispensé de taire plus long-temps l’honneur qu’il m’a fait.
  3. Tous les princes, bons et mauvais, seront toujours bassement et indifféremment loués, tant qu’il y aura des courtisans et des gens de lettres. Quant aux princes qui sont de grands hommes, il leur faut des éloges plus modérés et mieux choisis. La flatterie offense leur vertu, et la louange même peut faire tort à leur gloire. Je sais bien du moins que Trajan serait beaucoup plus grand à mes yeux, si Pline n’eût jamais écrit. Si Alexandre eût été en effet ce qu’il affectait de paraître, il n’eût point songé à son portrait ni à sa statue ; mais, pour son panégyrique, il n’eût permis qu’à un Lacédémonien de le faire, au risque de n’en point avoir. Le seul éloge digne d’un roi est celui qui se fait entendre, non par la bouche mercenaire d’un orateur, mais par la voix d’un peuple libre. « Pour que je prisse plaisir à vos louanges, disait l’empereur Julien à des courtisans qui vantaient sa justice, il faudrait que vous osassiez dire le contraire, s’il était vrai. »
  4. C’est de la question même qu’on pourrait être surpris : grande et belle question, s’il en fut jamais, et qui pourra bien n’être pas sitôt renouvelée. L’académie française vient de proposer, pour le prix d’éloquence de l’année 1752, un sujet fort semblable à celui-là. Il s’agit de soutenir que l’amour des lettres inspire l’amour de la vertu. L’académie n’a pas jugé à propos de laisser un tel sujet en problème, et cette sage compagnie a doublé dans cette occasion le temps qu’elle accordait ci-devant aux auteurs, même pour les sujets les plus difficiles.
  5. Je ne saurais me justifier, comme bien d’autres, sur ce que notre éducation ne dépend point de nous, et qu’on ne nous consulte pas pour nous empoisonner. C’est de très-bon gré que je me suis jeté dans l’étude ; et c’est de meilleur cœur encore que je l’ai abandonnée, en m’apercevant du trouble qu’elle jetait dans mon âme sans aucun profit pour ma raison. Je ne veux plus d’un métier trompeur, où l’on croit beaucoup faire pour la sagesse, en faisant tout pour la vanité.
  6. Var. Hist. Lib. ii, cap. 31.
  7. C’est une mauvaise marque pour une société, qu’il faille tant de science dans ceux qui la conduisent ; si les hommes étaient ce qu’ils doivent être, ils n’auraient guère besoin d’étudier pour apprendre les choses qu’ils ont à faire. Au reste, Cicéron lui-même, qui, dit Montaigne « debvoit au sçavoir tout son vaillant… reprend aulcuns de ses amis d’avoir accoustumé de mettre à l’astrologie, au droict, à la dialectique et à la géométrie, plus de temps que ne meritoient ces arts ; et que cela les divertissoit des debvoirs de la vie, plus utiles et honnestes. » (Liv. ii, chap. 12.) Il me semble que dans cette cause commune, les savants devraient mieux s’entendre entre eux, et donner au moins des raisons sur lesquelles eux-mêmes fussent d’accord.
  8. Préface de l’Encyclopédie.
  9. On voyait régner entre ces deux partis cette haine et ce mépris réciproques qui régnèrent de tout temps entre les docteurs et les philosophes ; c’est-à-dire, entre ceux qui font de leur tête un répertoire de la science d’autrui, et ceux qui se piquent d’en avoir une à eux. Mettez aux prises le maître de musique et le maître à danser du Bourgeois gentilhomme, vous aurez l’antiquaire et le bel esprit, le chimiste et l’homme de lettres, le jurisconsulte et le médecin, le géomètre et le versificateur, le théologien et le philosophe. Pour bien juger de tous ces gens-là, il suffit de s’en rapporter à eux-mêmes, et d’écouter ce que chacun vous dit, non de soi, mais des autres.
  10. Ces premiers écrivains, qui scellaient de leur sang le témoignage de leur plume, seraient aujourd’hui des auteurs bien scandaleux, car ils soutenaient précisément le même sentiment que moi. Saint Justin, dans son entretien avec Triphon, passe en revue les diverses sectes de philosophie dont il avait autrefois essayé, et les rend si ridicules qu’on croirait lire un dialogue de Lucien : aussi voit-on, dans l’apologie de Tertullien, combien les premiers chrétiens se tenaient offensés d’être pris pour des philosophes.

    Ce serait en effet un détail bien flétrissant pour la philosophie, que l’exposition des maximes pernicieuses et des dogmes impies de ses diverses sectes. Les épicuriens niaient toute providence, les académiciens doutaient de l’existence de la Divinité, et les stoïciens de l’immortalité de l’âme. Les sectes moins célèbres n’avaient pas de meilleurs sentiments ; en voici un échantillon dans ceux de Théodore, chef d’une des deux branches des cyrénaïques, rapporté par Diogène Laërce. « Sustulit amicitiam, quod ea neque insipientibus neque sapientibus adsit… Probabile dicebat prudentem virum non seipsum pro patria periculis exponere, neque enim pro insipientium commodis amittendam esse prudentiam. Furto quoque et adulterio et sacrilegio, cùm tempestivum erit, daturum operam sapientem. Nihil quippe horum turpe naturà esse. Sed auferatur de hisce vulgaris opinio, quæ e stultorum imperitorumque plebecula conflata est… sapientem publicè absque ullo pudore ac suspicione scortis congressurum. » (Diog. Laert. in Aristippo, §.98, 99.)


    Ces opinions sont particulières, je le sais ; mais y a-t-il une seule de toutes les sectes qui ne soit tombée dans quelque erreur dangereuse ? Et que dirons-nous de la distinction des deux doctrines, si avidement reçue de tous les philosophes, et par laquelle ils professaient en secret des sentiments contraires à ceux qu’ils enseignaient publiquement ? Pythagore fut le premier qui fit usage de la doctrine intérieure ; il ne la découvrait à ses disciples qu’après de longues épreuves et avec le plus grand mystère. Il leur donnait en secret des leçons d’athéisme, et offrait solennellement des hécatombes à Jupiter. Les philosophes se trouvèrent si bien de cette méthode, qu’elle se répandit rapidement dans la Grèce, et de là dans Rome, comme on le voit par les ouvrages de Cicéron, qui se moquait avec ses amis des dieux immortels, qu’il attestait avec tant d’emphase sur la tribune aux harangues.

    La doctrine intérieure n’a point été portée d’Europe à la Chine ; mais elle y est née aussi avec la philosophie ; et c’est à elle que les Chinois sont redevables de cette foule d’athées ou de philosophes qu’ils ont parmi eux. L’histoire de cette fatale doctrine, faite par un homme instruit et sincère, serait un terrible coup porté à la philosophie ancienne et moderne. Mais la philosophie bravera toujours la raison, la vérité, et le temps même, parce qu’elle a sa source dans l’orgueil humain, plus fort que toutes ces choses.

  11. On a fait de justes reproches à Clément d’Alexandrie d’avoir affecté, dans ses écrits, une érudition profane, peu convenable un chrétien. Cependant il semble qu’on était excusable alors de s’instruire de la doctrine contre laquelle on avait à se défendre. Mais qui pourrait voir sans rire toutes les peines que se donnent aujourd’hui nos savants pour éclaircir les rêveries de la mythologie ?
  12. « Nostre foy, dit Montaigne, ce n’est pas nostre acquest ; c’est un pur présent de la libéralité d’aultruy : ce n’est pas par discours ou par nostre entendement que nous avons receu nostre religion ; c’est par auctorité et par commandement estrangier : la foiblesse de nostre iugement nous y ayde plus que la force, et nostre aveuglement plus que nostre clairvoyance ; c’est par l’entremise de nostre ignorance, plus que de nostre science, que nous sommes sçavants de ce divin sçavoir. Ce n’est pas merveille si nos moyens naturels et terrestres ne peuvent concevoir cette cognoissance supernaturelle et céleste : apportons y seulement, du nostre, l’obéissance et la subiection ; car, comme il est escript : Ie destruiray la sapience des sages, et abbattray la prudence des prudents. » (Liv. ii, chap. 12.)
  13. Le duc de La Rochefoucauld. Maximes, 223.
  14. Quand il est question d’objets aussi généraux que les mœurs et les manières d’un peuple, il faut prendre garde de ne pas toujours rétrécir ses vues sur des exemples particuliers. Ce serait le moyen de ne jamais apercevoir les sources des choses. Pour savoir si j’ai raison d’attribuer la politesse à la culture des lettres, il ne faut pas chercher si un savant ou un autre sont des gens polis, mais il faut examiner les rapports qui peuvent être entre la littérature et la politesse, et voir ensuite quels sont les peuples chez lesquels ces choses se sont trouvées réunies ou séparées. J’en dis autant du luxe, de la liberté, et de toutes les autres choses qui influent sur les mœurs d’une nation, et sur lesquelles j’entends faire chaque jour tant de pitoyables raisonnements. Examiner tout cela en petit, et sur quelques individus, ce n’est pas philosopher, c’est perdre son temps et ses réflexions, car on peut connaître à fond Pierre ou Jacques, et avoir fait très-peu de progrès dans la connaissance des hommes.
  15. Je serai fort étonné si quelqu’un de mes critiques ne part de l’éloge que j’ai fait de plusieurs peuples ignorants et vertueux, pour m’opposer la liste de toutes les troupes de brigands qui ont infecté la terre, et qui, pour l’ordinaire, n’étaient pas de fort savants hommes. Je les exhorte d’avance à ne pas se fatiguer à cette recherche, à moins qu’ils ne l’estiment nécessaire pour montrer de l’érudition. Si j’avais dit qu’il suffit d’être ignorant pour être vertueux, ce ne serait pas la peine de me répondre, et, par la même raison, je me croirai très-dispense de répondre moi-même à ceux qui perdront leur temps à me soutenir le contraire. Voyez le Timon de M. de Voltaire.
  16. « Les vices nous resteraient, dit le philosophe que j’ai déjà cité, et nous aurions l’ignorance de plus. » Dans le peu de ligne que cet auteur a écrites sur ce grand sujet, on voit qu’il a tourné les yeux de ce côté, et qu’il a vu loin.
  17. Cet éloge indirect de Stanislas justifie ce que dit Rousseau : « J’avais le bonheur d’avoir affaire à un adversaire pour lequel mon cœur plein d’estime pouvait sans adulation le lui témoigner. C’est ce que je fis avec assez de succès, mais toujours avec dignité. »