Discussion:La Duchesse de Châteauroux (Drame)
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[modifier]Même édition mais avec la couverture ([1])
Feuilleton du Journal des Débats LA SEMAINE DRAMATIQUE.
Les Revues. Les Album. Le Médecin de son honneur.' Excursions daguerréènnes, La Duchesse de Châteauroux.- M. Collas, etc.
C'est à ne plus savoir où nous en sommes. Voici, d'une part, bien des comédies qui n’ont plus que huit jours à vivre, et, d'autre part voici bien des livres tout brillans d'or et tout resplendissans de gravures qui demandent un peu d'air ou d'espace. L'année n'a plus qu'une semaine, et au bout de cette semaine adieu nos beaux livres, ou plutôt ils n'auront plus besoin de notre secours le papillon aura déployé son aile, et il ira où le pousse le caprice ! Mais, d'autre part, la chronologie dramatique doit être complète nous ne voulons oublier aucun mort sur cette liste des longues funérailles. Qui chante ainsi? Quelles sont donc ces piquantes ou touchantes mélodies qui frappent les airs? D'où vient cette sérénade nouvelle qui remplit les salons de ses amours? Ah! je les reconnais! C'est Frédéric Bérat, le musicien et le poëte. Lui-même il compose ses petits drames, lui-même il met ses vers en musique il a trouvé cette année une certaine chansonnette intitulée: Bérénice! À son tour, bien inspirée et
………
… Nous trouvons que cela est plus vite fait de badigeonner en écume de mer Une toile immense; sur cette toile, nous plaçons le simulacre d'un vaisseau de ligne, nous arrangeons de longues paroles pour donner au machiniste le temps de préparer ses ficelles, puis, à, l’heure dite, la toile monte, monte, monte comme ferait le flot de la mer, et le Vengeur disparaît au milieu d'un nuage de fumée. L'œuvre est faite, gloire au Cirque-Olympique et au peuple français! Aimez-vous les Revues? On n'a encore joué que deux Revues. À mon sens, c'est la plus triste façon de nous rappeler toutes les sottises de l'année. À quoi bon, je vous prie, livrer des œuvres mortes à la parodie? Quel triste rire, le rire excité par des funérailles! La plupart du temps il arrive même que l'allusion n'est pas comprise, et que le parterre ne sait plus de quoi on lui parle. Il y a encore cet inconvénient dans ces belles inventions, l'affiche a plus d'esprit que le vaudeville : Puff, Fend-l'Air, Fluisberg, Blagton, Pincé, Trompette, Pelure-d’Ognon, et autres floueurs (style de Revue) s'ils promettent beaucoup, tiennent fort peu. Pour ma part, quand j'assiste à ces sortes de choses il me semble que je m'amuse à lire les feuilletons ou l'almanach de l'an passé; Dieu m'en préserve et vous aussi!
Quant à l'Odéon, si je voulais bien chercher dans cette paille un peu échauffée, je trouverais à coup sûr plus d'une oeuvre qui s'y cache par terreur du grand jour, -- les Réparations; par exemple; mais à quoi bon? Ils ont joué aussi le drame de Calderon, le Médecin de son Honneur, traduit en vers français par M. Hippolyte Lucas, et le drame de Mme Sophie Gay, la Duchesse de Châteauroux.
Ce Médecin de son Honneur peut se ranger parmi les médecins qui ont d'étranges idées. Sur un soupçon, cet homme féroce, amoureux de sa femme qui est jeune, belle, chaste, honnête, fait attacher cette innocente créature aux quatre coins de son lit; il envoie chercher au hasard un honnête opérateur et il veut qu'à l'instant même sa femme soit saignée aux quatre veines. Passe pour raconter cette histoire-là aux Espagnols du bon temps des Espagnes, quand régnait le comte-duc d'Olivarès; mais à nous autres les disciples de Molière, vouloir faire accepter ces horribles vengeances des maris trompés c'est impossible. Nous n'allons pas plus loin que Sganarelle, et nous n'en voulons pas davantage. Ce chirurgien, cette lancette, ce sang, ces meurtres, cette femme égorgée pour si peu! nous font horreur. Un peu de verve, de gaité, d'entrain, de philosophie et de bonne humeur, valent bien mieux que toutes ces complications exécrables. Tant de bruit et tant de sang, pourquoi faire? juste ciel! Ce n'est pas ce médecin de son honneur qui pourrait dire comme dit Marinette:
Vous, si vous connaissez des maris loups-garous,
Envoyez-les, Messieurs, à l'école chez nous!
Et puis, quoi bon Calderon, à quoi bon Lopez de Vega, à quoi bon toute la comédie espagnole? Ne joue-t-on pas chaque matin, en Espagne, une comédie nouvelle que Calderon lui-même, dans ses jours de fièvre, n'aurait pas osé imaginer?
L'autre drame, Mme de Châteauroux est l'œuvre d'une femme qui a dépensé dans sa vie plus d'esprit, argent comptant, qu'il n'en faudrait pour écrire cent tomes de comédie. Bel esprit actif, ingénieux, parfois méchant, ce qui lui réussit toujours, actif, infatigable, une de ces imaginations qui vont si vite qu'il leur estimpossible de se fixer là ou là, seulement le temps de poser un drame ou d'écrire un livre. À ces sortes de personnes rien ne convient mieux que le salon, je veux dire les salons où l'on cause peu, où l'on écoute beaucoup. Là elles vivent, là elles règnent, là elles lancent, sur tout ce qui est à leur portée, la malice, l'ironie, l'épigramme : tant pis pour qui est touché ! Et d'ailleurs les malicieuses elles rient de leur méchanceté de si bon cœur! Les uns les écoutent avec tremblement, ce sont les poltrons ; les autres avec joie ce sont les habiles ; leur trait va souvent plus loin qu'on ne pense ; leur bon mot trouve des échos, plus d'une fois elles ont dû être bien étonnées de retrouver leur paradoxe dans un livre, ou leur raillerie dans une comédie. Alors, à leurs heures oisives, heures bien rares, Dieu merci, elles se disent : -- Mais puisqu'on a fait avec ma substance, un roman une comédie, pourquoi donc, moi aussi, n'écrirais-je pas mon roman ou ma comédie ? -- Aussitôt dit, aussitôt fait. À peine commencée, l'œuvre est achevée; à peine achevée, le théâtre ou le libraire s'en empare et maintenant sauve qui peut ! Notre écrivain n'aura pas de plus grande joie que d'aller se siffler lui-même et s'accabler de ses propres bons mots.
Ainsi, j'imagine, aura été faite cette comédie de la Duchesse de Châteauroux. D'abord, avec son esprit et sa vivacité de tous les jours, Mme Sophie Gay s'est mise à chercher dans la liste du roi Louis XV, cette belle liste brune et blonde, moitié bure et moitié dentelle, qu'eût enviée don Juan, quelqu'une des maîtresses royales que l'on pût réhabiliter. Mais, je vous prie, réhabiliter de quoi? Elle a aimé le roi jeune, beau, spirituel, brave, tout puissant, rien n'est plus juste. Elle a été l'Agnès Sorel du siècle passé, eh! mon Dieu! le roi Louis XV n'a pas aimé une seule méchante femme. Mme de Pompadour lui a donné d'admirables conseils, Mme Dubarry n'a été près du roi qu'une très jolie fille, et très effrontée, dont les saillies n'avaient rien de redoutable pour personne. Ce n'est pas le roi Louis XV qui a été gâté par ses maitresses, c'est lui-même qui les a gâtées; il a eu, sur ces pauvres âmes, l'influence des égoïstes, des cœurs secs, des vanités froides, de l'orgueil; il les a perdues parce qu'il ne les a pas aimées. Sous ce point de vue, la comédie d'Une Maîtresse de Louis XV pouvait être ingénieuse et piquante; mais l'envie de trouver en tout ceci une héroïne a tout gâté. Même, en ceci l'histoire n'est pas d'accord avec le roman. Tant que vous voudrez, Mme de Châteauroux a été une honnête femme; mais cependant il faut reconnaître que si le roi Louis XV a aimé Mme de la Tournelle, Mme de la Tournelle, de son côté, n'a rien fait pour échapper à l'amour du roi. Au contraire, la dame n'a pas nui au renvoi de Mme de Mailly, sa sœur, qui elle-même n'avait pas nui à la disgrâce de Mme de Vintimille sa sœur aînée; Trois sœurs perdues dans une seule et même famille, c'est trop, et il me semble que des trois, la plus coupable et la moins à plaindre, c'est la troisième sœur. En effet, elle a assisté à l'humiliation, aux désordres, aux misères de ses deux ainées; elle a vu la joie du peuple et de la cour chaque fois que le roi a changé de maîtresse :
Grand roi, vous avez de l'esprit
D'avoir renvoyé la Mailly ;
Quelle haridelle vous aviez là!
Alleluia.
C'est ainsi qu'on les traitait voilà dans quel esprit à la Bussy on les trainait, ces malheureuses femmes d'un si beau sang, et qui n'étaient pas faites pour ce métier des Pompadour et des Dubarry! Donc pas de doute sur la bonne et très bonne volonté de Mme de la Tournelle. Quant à son désintéressement, ce titre même de duchesse de Châteauroux et les quatre-vingt mille livres de rentes attachées au duché sont là pour répondre. Bien plus, une lettre écrite par la favorite nous donne une assez malheureuse opinion de son habileté « J'entends bien parfois gratter à ma porte mais je fais là sourde oreille qu'il attende » Voilà pour l'apologie en question, le reste est une affaire de causerie. À ce propos, l'auteur a causé avec sa bonne grâce accoutumée : il est entré dans toutes sortes de piquans détails; il nous a raconté, avec un abandon très amusant, les petits mystères des petite appartemens de Versailles. Malheureusement on ne va pas au théâtre pour entendre causer, même les gens qui ont le plus d'esprit, mais pour les voir agir. D'ailleurs le parterre de l'Odéon (quand il y a parterre) est fantasque, curieux, hâbleur, intelligent, mal appris. Il veut être chez lui; il veut rester le maître du succès ou de la chute ; cela lui déplaît de se rencontrer avec des spectateurs en gants jaunes qui le regardent du bout de leur lorgnon, avec de belles dames qui ne le regardent pas du tout. À ces causes, il a été turbulent, inattentif, railleur: il n'a voulu écouter ni ces piquantes saillies, ni ce dialogue naturel, ni cette causene paradoxale et vivante, entremêlée trop souvent de coups de sonnette et de coups de canon; en un mot, ce même parterre, qui a applaudi avec fureur les vices avoués de Jeanne de Vaubernier, a sifflé avec indignation les vertus de Mme de Châteauroux.
Que j'aurais encore de beaux livres à vous montrer si tétais le maître! Les bonnes folies de la maison Aubert, les magnificences élégantes de Curmer, plus d'un livre dont l'invention nous séduit et nous plaît a des titres dif- férens. Le Voyage en zig-zag, … … …
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J.J.
- 1843 : Le Journal des théâtres [5]
28 décembre 1843 PREMIÈRES REPRESENTATIONS.
LA DUCHESSE DE CUATEAUROUX, comédie en quatre
actes et en prose, de Mme Sophie Gay.
(Première représentation le 22 décembre 1843.)
Personnages et acteurs : Louis XV-Sainte-Marie, Maurepas-Darcourt, d’Agenais-Milon, Richelieu-Bouchet, Lebel-Barré, Duverney-Dérosselle, Germain-Pérès, Renaud-Ludovic, Exempt-Bardin, Huissier-Charles, la Duchesse-Mmes Dorval, la Marquise- Rousset, de Lauragais-Volet.
Mme Sophie Gay est un auteur de talent dont la réputation est depuis long-temps établie par une foule de succès de bon aloi ; Mme Sophie Gav est une femme d’esprit et de goût, à qui le public est redevable de plusieurs romans pleins de charme et de mérite ; enfin, Mme Sophie Gay est une femme ! triple raison, selon nous, sinon pour lui donner gain de cause quand même, du moins pour mettre certaines formes dans la signification de son arrêt. Malheureusement, le public de l’Odéon ne se pique pas de galanterie ; tous les auteurs sont égaux devant ce juge inexorable qui n’a dans son code que deux articles, dont il poursuit rigoureusement l’application : l’un pour les auteurs qui l’amusent, l’autre pour ceux qui… ; c’est de la justice, si l’on veut, mais à cela nous répondrons avec le proverbe que la justice périt par son extrême, et qu’on est souvent plus que cruel, pour avoir voulu se piquer d’une trop parfaite impartialité. Maintenant, disons-le franchement, la pièce de Mme Gay n’est pas une bonne pièce ; et d’abord elle n’est pas une pièce ; et ceci n’est pas un lieu commun derrière lequel nous nous retranchons faute de mieux ; si nous disons que la pièce de Mme Gay n’est pas une pièce, c’est que nous savons bien qu’il en reste au charmant livre, et que ceux qui liront le livre dans la retraite, dans le silence, auront quelque peine à comprendre l’impatiente sévérité du public d’outre-Seine. Donc, et pour être juste envers les juges eux-mêmes, rapprochons à loisir de la sentence les pièces du procès. Une jeune femme, noble et vertueuse, qui, après avoir dignement résisté à l’amour d’un roi, lui cède, moins il est vrai par passion que par dévoûment ; qui, devenue sa favorite, n’use de son ascendant que pour rendre à la gloire et à l’amour de son peuple un prince abâtardi, faible et ingrat qui consent à éloigner et à perdre celle qui lui a sacrifié sa vie et son honneur. Voilà, certes, de quoi fournir quelques pages touchantes au romancier ; mais, en bonne conscience, où est l’intrigue, le drame, enfin ? Et si nous ajoutons que l’auteur n’a pas cru que ce fût trop de quatre actes pour raconter l’histoire de ces angoisses et de cette trahison : deux actes pour la résistance, un pour la faveur, un pour l’abandon ; si nous ajoutons que, pendant ces quatre actes, pas un mot, pas un trait, pas une situation, ne sont venus relever la monotonie élégiaque du morceau ; on reconnaîtra avec nous cette vérité, proclamée par un critique célèbre : qu’on ne s’improvise pas. écrivain dramatique ; que la même histoire qui comblerait sans peine trente chapitres, ne saurait remplir seulement un acte ; que d’une analyse de sentiment à un drame il y a même différence que d’un acte à un chapitre : qu’un chapitre qu’on écoute se lit et se commente, tandis qu’un acte agit, et qu’enfin on dépose un livre, tandis qu’il faut, bon gré malgré, attendre le baisser du rideau. En somme, la Duchesse de Châteauroux n’est pas assez malheureuse pour émouvoir notre pitié. Parvenue au comble des grandeurs et de la félicité, elle en redescend : c’est la loi du monde ; d’un autre côté, elle est assez coupable pour qu’on hésite à lui accorder une sympathie, et l’on ne peut en vouloir au peuple demandant la déchéance d’une favorite ; on ne peut mépriser davantage un roi, congédiant sa maîtresse à l’instigation de ses ministres et des princes de sa famille ; on ne le peut, quand même M. de Richelieu s’écrierait encore plus haut que c’est une indignité, ou même une indignation, comme le dit Bouchet, variante qui fait le plus grand honneur à l’intelligence de ce comédien.
(Voir pour le jeu des acteurs, aux Théâtres de Paris.)
… … …
THÉÂTRES DE PARIS.
Samedi soir.
… … …
Odéon. — En général, la mise en scène de la Duchesse de Châteauroux avait été aussi négligée que possible : le second acte s’est passé dans un salon de nos jours ; le troisième, dans le palais des Vêpres siciliennes ; le quatrième, dans le boudoir de Mme Lucrezzia Borgia. — SAINTE-MARIE, représentant le roi Louis XV, nous a paru aussi bien placé que possible ; nous reviendrons avec détails sur cet acteur ; Mlle EMILIE VOLET, malgré le charme et les agrémens dont elle est pourvue, n’a pu sauver son rôle du ridicule effet qu’il devait produire. Tous les acteurs portaient de la poudre, à une époque où elle n’était pas encore inventée ! (Nous faisons grâce au directeur du calembourg, auquel cet anachronisme pourrait donner lieu à son sujet).— Pour BOUCHET, qui représentait le duc de Richelieu, nous lui saurions gré (si l’humilité ne cessait d’être une vertu hors du confessionnal), des efforts consciencieux qu’il a faits pour s’approprier la tournure et la diction de FIRMIN.
Il nous reste un regret à exprimer, c’est de n’avoir pas entendu rappeler Mme DORVAL à la fin de la pièce ; il est évident que la grande actrice a fait tout ce qu’elle a pu pour donner quelqu’intérêt à celle fable languissante. Il eût été convenable, ce nous semble, après avoir fait justice de l’ouvrage, de rappeler et d’applaudir à outrance, l’artiste dont, pour la première fois peut-être, le talent n’avait pu triompher de la faiblesse de l’œuvre ; cela eût été beau surtout de la part du public de l’Odéon, dont l’indifférence en pareil cas ne saurait échapper au reproche d’ingratitude, c’est que le public ne se contente pas toujours d’être ému, il veut encore savoir pourquoi, et au sujet de quoi. Au théâtre il ne suffit pas de frapper, il faut encore frapper juste.