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Discussion:La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro

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Le Mariage de Figaro. (1784)

(La Folle Journée Ou Le Mariage De Figaro.)

Par Pierre-Augustin Caron De Beaumarchais. (1732-1799)

Épître Dédicatoire Aux Personnes Trompées Sur Ma Pièce Et Qui N’Ont Pas Voulu La
Voir.
Ô vous que je ne nommerai point ! Cœurs généreux, esprits justes, à qui l’on a
donné des préventions contre un ouvrage réfléchi, beaucoup plus gai qu’il n’est
frivole ; soit que vous l’acceptiez ou non, je vous en fais l’hommage, et c’est
tromper l’envie dans une de ses mesures. Si le hasard vous la fait lire, il la
trompera dans une autre, en vous montrant quelle confiance est due à tant de
rapports qu’on vous fait !

Un objet de pur agrément peut s’élever encore à l’honneur d’un plus grand
mérite : c’est de vous rappeler cette vérité de tous les temps, qu’on connaît mal
les hommes et les ouvrages quand on les juge sur la foi d’autrui ; que les
personnes, surtout dont l’opinion est d’un grand poids, s’exposent à glacer sans
le vouloir ce qu’il fallait peut-être encourager, lorsqu’elles négligent de
prendre pour base de leurs jugements le seul conseil qui soit bien pur : celui de
leurs propres lumières.

Ma résignation égale mon profond respect.

L’AUTEUR.



Préface

En écrivant cette préface, mon but n’est pas de rechercher oiseusement si j’ai
mis au théâtre une pièce bonne ou mauvaise ; il n’est plus temps pour moi : mais
d’examiner scrupuleusement, et je le dois toujours, si j’ai fait une œuvre
blâmable.

Personne n’étant tenu de faire une comédie qui ressemble aux autres, si je me
suis écarté d’un chemin trop battu, pour des raisons qui m’ont paru solides,
ira-t-on me juger, comme l’ont fait MM. tels, sur des règles qui ne sont pas les
miennes ? imprimer puérilement que je reporte l’art à son enfance, parce que
j’entreprends de frayer un nouveau sentier à cet art dont la loi première, et
peut-être la seule, est d’amuser en instruisant ? Mais ce n’est pas de cela qu’il
s’agit.

Il y a souvent très loin du mal que l’on dit d’un ouvrage à celui qu’on en
pense. Le trait qui nous poursuit, le mot qui importune reste enseveli dans le
cœur, pendant que la bouche se venge en blâmant presque tout le reste. De sorte
qu’on peut regarder comme un point établi au théâtre, qu’en fait de reproche à
l’auteur, ce qui nous affecte le plus est ce dont on parle le moins.

Il est peut-être utile de dévoiler, aux yeux de tous, ce double aspect des
comédies ; et j’aurai fait encore un bon usage de la mienne, si je parviens, en
la scrutant, à fixer l’opinion publique sur ce qu’on doit entendre par ces mots :
Qu’est-ce que LA DÉCENCE THÉÂTRALE ?

A force de nous montrer délicats, fins connaisseurs et d’affecter, comme j’ai
dit autre part, l’hypocrisie de la décence auprès du relâchement des mœurs,
nous devenons des êtres nuls, incapables de s’amuser et de juger de ce qui leur
convient : faut-il le dire enfin ? des bégueules rassasiées qui ne savent plus ce
qu’elles veulent, ni ce qu’elles doivent aimer ou rejeter. Déjà ces mots si
rebattus, bon ton, bonne compagnie, toujours ajustés au niveau de chaque
insipide coterie, et dont la latitude est si grande qu’on ne sait où ils
commencent et finissent, ont détruit la franche et vraie gaieté qui distinguait
de tout autre le comique de notre nation.

Ajoutez-y le pédantesque abus de ces autres grands mots, décence et bonnes
mœurs, qui donnent un air si important, si supérieur, que nos jugeurs de
comédies seraient désolés de n’avoir pas à les prononcer sur toutes les pièces
de théâtre, et vous connaîtrez à peu près ce qui garrotte le génie, intimide
tous les auteurs, et porte un coup mortel à la vigueur de l’intrigue, sans
laquelle il n’y a pourtant que du bel esprit à la glace et des comédies de
quatre jours.

Enfin, pour dernier mal, tous les états de la société sont parvenus à se
soustraire à la censure dramatique : on ne pourrait mettre au théâtre Les
Plaideurs de Racine, sans entendre aujourd’hui les Dandins et les Brid’oisons,
même des gens plus éclairés, s’écrier qu’il n’y a plus ni mœurs, ni respect
pour les magistrats.

On ne ferait point le Turcaret, sans avoir à l’instant sur les bras fermes,
sous-fermes, traites et gabelles, droits réunis, tailles, taillons, le trop-
plein, le trop-bu, tous les impositeurs royaux. Il est vrai qu’aujourd’hui
Turcaret n’a plus de modèles. On l’offrirait sous d’autres traits, l’obstacle
resterait le même.

On ne jouerait point les fâcheux, les marquis, les emprunteurs de Molière, sans
révolter à la fois la haute, la moyenne, la moderne et l’antique noblesse. Ses
Femmes savantes irriteraient nos féminins bureaux d’esprit. Mais quel
calculateur peut évaluer la force et la longueur du levier qu’il faudrait, de
nos jours, pour élever jusqu’au théâtre l’œuvre sublime du Tartuffe ? Aussi
l’auteur qui se compromet avec le public pour l’amuser ou pour l’instruire, au
lieu d’intriguer à son choix son ouvrage, est-il obligé de tourniller dans des
incidents impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses modèles
hors de la société, crainte de se trouver mille ennemis, dont il ne connaissait
aucun en composant son triste drame.

J’ai donc réfléchi que, si quelque homme courageux ne secouait pas toute cette
poussière, bientôt l’ennui des pièces françaises porterait la nation au frivole
opéra-comique, et plus loin encore, aux boulevards, à ce ramas infect de
tréteaux élevés à notre honte, où la décente liberté, bannie du théâtre
français, se change en une licence effrénée ; où la jeunesse va se nourrir de
grossières inepties, et perdre, avec ses mœurs, le goût de la décence et des
chefs-d’œuvre de nos maîtres. J’ai tenté d’être cet homme ; et si je n’ai pas
mis plus de talent à mes ouvrages, au moins mon intention s’est-elle manifestée
dans tous.

J’ai pensé, je pense encore, qu’on n’obtient ni grand pathétique, ni profonde
moralité, ni bon et vrai comique au théâtre, sans des situations fortes, et qui
naissent toujours d’une disconvenance sociale, dans le sujet qu’on veut traiter.
L’auteur tragique, hardi dans ses moyens, ose admettre le crime atroce : les
conspirations, l’usurpation du trône, le meurtre, l’empoisonnement, l’inceste
dans Œdipe et Phèdre ; le fratricide dans Vendôme ; le parricide dans Mahomet ; le
régicide dans Macbeth, etc., etc. La comédie, moins audacieuse, n’excède pas les
disconvenances, parce que ses tableaux sont tirés de nos mœurs, ses sujets de
la société. Mais comment frapper sur l’avarice, à moins de mettre en scène un
méprisable avare ? démasquer l’hypocrisie, sans montrer, comme Orgon, dans le
Tartuffe, un abominable hypocrite, épousant sa fille et convoitant sa femme ? un
homme à bonnes fortunes, sans le faire parcourir un cercle entier de femmes
galantes ? un joueur effréné, sans l’envelopper de fripons, s’il ne l’est pas
déjà lui-même ?

Tous ces gens-là sont loin d’être vertueux ; l’auteur ne les donne pas pour tels :
il n’est le patron d’aucun d’eux, il est le peintre de leurs vices. Et parce que
le lion est féroce, le loup vorace et glouton, le renard rusé, cauteleux, la
fable est-elle sans moralité ? Quand l’auteur la dirige contre un sot que la
louange enivre, il fait choir du bec du corbeau le fromage dans la gueule du
renard, sa moralité est remplie ; s’il la tournait contre le bas flatteur, il
finirait son apologue ainsi : Le renard s’en saisit, le dévore ; mais le fromage
était empoisonné. La fable est une comédie légère, et toute comédie n’est qu’un
long apologue : leur différence est que dans la fable les animaux ont de
l’esprit, et que dans notre comédie les hommes sont souvent des bêtes, et, qui
pis est, des bêtes méchantes.

Ainsi, lorsque Molière, qui fut si tourmenté par les sots, donne à l’avare un
fils prodigue et vicieux qui lui vole sa cassette et l’injurie en face, est-ce
des vertus ou des vices, qu’il tire sa moralité ? que lui importent ces fantômes ?
c’est vous qu’il entend corriger. Il est vrai que les afficheurs et balayeurs
littéraires de son temps ne manquèrent pas d’apprendre au bon public combien
tout cela était horrible ! Il est aussi prouvé que des envieux très importants,
ou des importants très envieux, se déchaînèrent contre lui. Voyez le sévère
Boileau, dans son épître au grand Racine, venger son ami qui n’est plus, en
rappelant ainsi les faits :

L’Ignorance et l’Erreur, à ses naissantes pièces,

En habits de marquis, en robes de comtesses,

Venaient pour diffamer son chef-d’œuvre nouveau,

Et secouaient la tête à l’endroit le plus beau.

Le commandeur voulait la scène plus exacte ;

Le vicomte, indigné, sortait au second acte :

L’un, défenseur zélé des dévots mis en jeu,

Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu ;

L’autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,

Voulait venger la Cour immolée au parterre.

On voit même dans un placet de Molière à Louis XIV, qui fut si grand en
protégeant les arts, et sans le goût éclairé duquel notre théâtre n’aurait pas
un seul chef-d’œuvre de Molière ; on voit ce philosophe auteur se plaindre
amèrement au roi que, pour avoir démasqué les hypocrites, ils imprimaient
partout qu’il était un libertin, un impie, un athée, un démon vêtu de chair,
habillé en homme ; et cela s’imprimait avec APPROBATION ET PRIVILEGE de ce roi
qui le protégeait : rien là-dessus n’est empiré.

Mais, parce que les personnages d’une pièce s’y montrent sous des mœurs
vicieuses, faut-il les bannir de la scène ? Que poursuivrait-on au théâtre ? les
travers et les ridicules ? Cela vaut bien la peine d’écrire ! Ils sont chez nous
comme les modes : on ne s’en corrige point, on en change.

Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point, mais se déguise en mille
formes sous le masque des mœurs dominantes : leur arracher ce masque et les
montrer à découvert, telle est la noble tâche de l’homme qui se voue au théâtre.
Soit qu’il moralise en riant, soit qu’il pleure en moralisant, Héraclite ou
Démocrite, il n’a pas un autre devoir. Malheur à lui, s’il s’en écarte ! On ne
peut corriger les hommes qu’en les faisant voir tels qu’ils sont. La comédie
utile et véridique n’est point un éloge menteur, un vain discours d’académie.

Mais gardons-nous bien de confondre cette critique générale, un des plus nobles
buts de l’art, avec la satire odieuse et personnelle : l’avantage de la première
est de corriger sans blesser. Faites prononcer au théâtre, par l’homme juste,
aigri de l’horrible abus des bienfaits, tous les hommes sont des ingrats :
quoique chacun soit bien près de penser comme lui, personne ne s’en offensera.
Ne pouvant y avoir un ingrat sans qu’il existe un bienfaiteur, ce reproche même
établit une balance égale entre les bons et les mauvais cœurs, on le sent et
cela console. Que si l’humoriste répond qu’un bienfaiteur fait cent ingrats, on
répliquera justement qu’il n’y a peut-être pas un ingrat qui n’ait été plusieurs
fois bienfaiteur : et cela console encore. Et c’est ainsi qu’en généralisant, la
critique la plus amère porte du fruit sans nous blesser, quand la satire
personnelle, aussi stérile que funeste, blesse toujours et ne produit jamais. Je
hais partout cette dernière, et je la crois un si punissable abus, que j’ai
plusieurs fois d’office invoqué la vigilance du magistrat pour empêcher que le
théâtre ne devînt une arène de gladiateurs, où le puissant se crût en droit de
faire exercer ses vengeances par les plumes vénales, et malheureusement trop
communes, qui mettent leur bassesse à l’enchère.

N’ont-ils donc pas assez, ces Grands, des mille et un feuillistes, faiseurs de
bulletins, afficheurs, pour y trier les plus mauvais, en choisir un bien lâche,
et dénigrer qui les offusque ? On tolère un si léger mal, parce qu’il est sans
conséquence, et que la vermine éphémère démange un instant et périt ; mais le
théâtre est un géant qui blesse à mort tout ce qu’il frappe. On doit réserver
ses grands coups pour les abus et pour les maux publics.

Ce n’est donc ni le vice ni les incidents qu’il amène, qui font l’indécence
théâtrale ; mais le défaut de leçons et de moralité. Si l’auteur ou faible ou
timide, n’ose en tirer de son sujet voilà ce qui rend sa pièce équivoque ou
vicieuse.

Lorsque je mis Eugénie au théâtre (et il faut bien que je me cite, puisque c’est
toujours moi qu’on attaque), lorsque je mis Eugénie au théâtre tous nos jurés-
crieurs à la décence jetaient des flammes dans les foyers sur ce que j’avais osé
montrer un seigneur libertin, habillant ses valets en prêtres, et feignant
d’épouser une jeune personne qui paraît enceinte au théâtre sans avoir été
mariée.

Malgré leurs cris, la pièce a été jugée, sinon le meilleur, au moins le plus
moral des drames, constamment jouée sur tous les théâtres, et traduite dans
toutes les langues. Les bons esprits ont vu que la moralité, que l’intérêt y
naissaient entièrement de l’abus qu’un homme puissant et vicieux fait de son
nom, de son crédit pour tourmenter une faible fille sans appui, trompée,
vertueuse et délaissée. Ainsi tout ce que l’ouvrage a d’utile et de bon naît du
courage qu’eut l’auteur d’oser porter la disconvenance sociale au plus haut
point de liberté.

Depuis, j’ai fait Les Deux Amis, pièce dans laquelle un père avoue à sa
prétendue nièce qu’elle est sa fille illégitime. Ce drame est aussi très moral,
parce qu’à travers les sacrifices de la plus parfaite amitié, l’auteur s’attache
à y montrer les devoirs qu’impose la nature sur les fruits d’un ancien amour,
que la rigoureuse dureté des convenances sociales, ou plutôt leur abus, laisse
trop souvent sans appui.

Entre autres critiques de la pièce, j’entendis dans une loge, auprès de celle
que j’occupais, un jeune important de la Cour qui disait gaiement à des dames :
"L’auteur, sans doute, est un garçon fripier qui ne voit rien de plus élevé que
des commis des Fermes et des marchands d’étoffes ; et c’est au fond d’un magasin
qu’il va chercher les nobles amis qu’il traduit à la scène française. — Hélas !
monsieur, lui dis-je en m’avançant, il a fallu du moins les prendre où il n’est
pas impossible de les supposer. Vous ririez bien plus de l’auteur s’il eût tiré
deux vrais amis de l’Œil-de-bœuf ou des carrosses ? Il faut un peu de
vraisemblance, même dans les actes vertueux."

Me livrant à mon gai caractère, j’ai depuis tenté, dans Le Barbier de Séville,
de ramener au théâtre l’ancienne et franche gaieté, en l’alliant avec le ton
léger de notre plaisanterie actuelle, mais comme cela même était une espèce de
nouveauté, la pièce fut vivement poursuivie. Il semblait que j’eusse ébranlé
l’Etat ; l’excès des précautions qu’on prit et des cris qu’on fit contre moi
décelait surtout la frayeur que certains vicieux de ce temps avaient de s’y voir
démasqués. La pièce fut censurée quatre fois, cartonnée trois fois sur l’affiche
à l’instant d’être jouée, dénoncée même au Parlement d’alors, et moi, frappé de
ce tumulte, je persistais à demander que le public restât le juge de ce que
j’avais destiné à l’amusement du public.

Je l’obtins au bout de trois ans. Après les clameurs, les éloges, et chacun me
disait tout bas. "Faites-nous donc des pièces de ce genre, puisqu’il n’y a plus
que vous qui osiez rire en face."

Un auteur désolé par la cabale et les criards, mais qui voit sa pièce marcher,
reprend courage ; et c’est ce que j’ai fait. Feu M. le prince de Conti, de
patriotique mémoire (car, en frappant l’air de son nom, l’on sent vibrer le
vieux mot patrie), feu M. le prince de Conti, donc, me porta le défi public de
mettre au théâtre ma préface du Barbier, plus gaie, disait-il, que la pièce, et
d’y montrer la famille de Figaro, que j’indiquais dans cette préface.
"Monseigneur, lui répondis-je, si je mettais une seconde fois ce caractère sur
la scène, comme je le montrerais plus âgé, qu’il en saurait quelque peu
davantage, ce serait bien un autre bruit ; et qui sait s’il verrait le jour ? "
Cependant, par respect, j’acceptai le défi ; je composai cette Folle journée, qui
cause aujourd’hui la rumeur. Il daigna la voir le premier. C’était un homme d’un
grand caractère, un prince auguste, un esprit noble et fier : le dirai-je ? il en
fut content.

Mais quel piège, hélas ! j’ai tendu au jugement de nos critiques en appelant ma
comédie du vain nom de Folle journée ! Mon objet était bien de lui ôter quelque
importance ; mais je ne savais pas encore à quel point un changement d’annonce
peut égarer tous les esprits. En lui laissant son véritable titre, on eût lu
L’Epoux suborneur. C’était pour eux une autre piste, on me courait différemment.
Mais ce nom de Folle journée les a mis à cent lieues de moi : ils n’ont plus rien
vu dans l’ouvrage que ce qui n’y sera jamais ; et cette remarque un peu sévère
sur la facilité de prendre le change a plus d’étendue qu’on ne croit. Au lieu du
nom de George Dandin, si Molière eût appelé son drame La Sottise des alliances,
il eût porté bien plus de fruit ; si Regnard eût nommé son Légataire, La Punition
du célibat, la pièce nous eût fait frémir. Ce à quoi il ne songea pas, je l’ai
fait avec réflexion. Mais qu’on ferait un beau chapitre sur tous les jugements
des hommes et la morale du théâtre, et qu’on pourrait intituler : De l’influence
de l’affiche !

Quoi qu’il en soit, La Folle journée resta cinq ans au portefeuille ; les
comédiens ont su que je l’avais, ils me l’ont enfin arrachée. S’ils ont bien ou
mal fait pour eux, c’est ce qu’on a pu voir depuis. Soit que la difficulté de la
rendre excitât leur émulation, soit qu’ils sentissent avec le public que pour
lui plaire en comédie il fallait de nouveaux efforts, jamais pièce aussi
difficile n’a été jouée avec autant d’ensemble, et si l’auteur (comme on le dit)
est resté au-dessous de lui-même, il n’y a pas un seul acteur dont cet ouvrage
n’ait établi, augmenté ou confirmé la réputation. Mais revenons à sa lecture, à
l’adoption des comédiens.

Sur l’éloge outré qu’ils en firent, toutes les sociétés voulurent le connaître,
et dès lors il fallut me faire des querelles de toute espèce, ou céder aux
instances universelles. Dès lors aussi les grands ennemis de l’auteur ne
manquèrent pas de répandre à la Cour qu’il blessait dans cet ouvrage, d’ailleurs
un tissu de bêtises, la religion, le gouvernement, tous les états de la société,
les bonnes mœurs, et qu’enfin la vertu y était opprimée et le vice triomphant,
comme de raison, ajoutait-on. Si les graves messieurs qui l’ont tant répété me
font l’honneur de lire cette préface, ils y verront au moins que j’ai cité bien
juste ; et la bourgeoise intégrité que je mets à mes citations n’en fera que
mieux ressortir la noble infidélité des leurs.

Ainsi, dans Le Barbier de Séville, je n’avais qu’ébranlé l’Etat ; dans ce nouvel
essai, plus infâme et plus séditieux, je le renversais de fond en comble. Il n’y
avait plus rien de sacré, si l’on permettait cet ouvrage. On abusait l’autorité
par les plus insidieux rapports ; on cabalait auprès des corps puissants ; on
alarmait les dames timorées ; on me faisait des ennemis sur le prie-Dieu des
oratoires : et moi, selon les hommes et les lieux, je repoussais la basse
intrigue par mon excessive patience, par la roideur de mon respect,
l’obstination de ma docilité ; par la raison, quand on voulait l’entendre.

Ce combat a duré quatre ans. Ajoutez-les aux cinq du portefeuille : que reste-t-
il des allusions qu’on s’efforce à voir dans l’ouvrage ? Hélas ! quand il fut
composé, tout ce qui fleurit aujourd’hui n’avait pas même encore germé : c’était
tout un autre univers.

Pendant ces quatre ans de débat, je ne demandais qu’un censeur ; on m’en accorda
cinq ou six. Que virent-ils dans l’ouvrage, objet d’un tel déchaînement ? La plus
badine des intrigues. Un grand seigneur espagnol, amoureux d’une jeune fille
qu’il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu’elle doit
épouser, et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein
un maître absolu, que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-
puissant pour l’accomplir. Voilà tout, rien de plus. La pièce est sous vos yeux.

D’où naissaient donc ces cris perçants ? De ce qu’au lieu de poursuivre un seul
caractère vicieux, comme le joueur, l’ambitieux, l’avare, ou l’hypocrite, ce qui
ne lui eût mis sur les bras qu’une seule classe d’ennemis, l’auteur a profité
d’une composition légère, ou plutôt a formé son plan de façon à y faire entrer
la critique d’une foule d’abus qui désolent la société. Mais comme ce n’est pas
là ce qui gâte un ouvrage aux yeux du censeur éclairé, tous, en l’approuvant,
l’ont réclamé pour le théâtre. Il a donc fallu l’y souffrir : alors les grands du
monde ont vu jouer avec scandale

Cette pièce où l’on peint un insolent valet

Disputant sans pudeur son épouse à son maître.

M. GUDIN.

Oh ! que j’ai de regret de n’avoir pas fait de ce sujet moral une tragédie bien
sanguinaire ! Mettant un poignard à la main de l’époux outragé, que je n’aurais
pas nommé Figaro, dans sa jalouse fureur je lui aurais fait noblement poignarder
le Puissant vicieux ; et comme il aurait vengé son honneur dans des vers carrés,
bien ronflants, et que mon jaloux, tout au moins général d’armée, aurait eu pour
rival quelque tyran bien horrible et régnant au plus mal sur un peuple désolé,
tout cela, très loin de nos mœurs, n’aurait, je crois, blessé personne, on eût
crié bravo ! ouvrage bien moral ! Nous étions sauvés, moi et mon Figaro sauvage.

Mais ne voulant qu’amuser nos Français et non faire ruisseler les larmes de
leurs épouses, de mon coupable amant j’ai fait un jeune seigneur de ce temps-là,
prodigue, assez galant, même un peu libertin, à peu près comme les autres
seigneurs de ce temps-là. Mais qu’oserait-on dire au théâtre d’un seigneur, sans
les offenser tous, sinon de lui reprocher son trop de galanterie ? N’est-ce pas
là le défaut le moins contesté par eux-mêmes ? J’en vois beaucoup, d’ici, rougir
modestement (et c’est un noble effort) en convenant que j’ai raison.

Voulant donc faire le mien coupable, j’ai eu le respect généreux de ne lui
prêter aucun des vices du peuple. Direz-vous que je ne le pouvais pas, que c’eût
été blesser toutes les vraisemblances ? Concluez donc en faveur de ma pièce,
puisque enfin je ne l’ai pas fait.

Le défaut même dont je l’accuse n’aurait produit aucun mouvement comique, si je
ne lui avais gaiement opposé l’homme le plus dégourdi de sa nation, le véritable
Figaro, qui, tout en défendant Suzanne, sa propriété, se moque des projets de
son maître, et s’indigne très plaisamment qu’il ose jouter de ruse avec lui,
maître passé dans ce genre d’escrime.

Ainsi, d’une lutte assez vive entre l’abus de la puissance, l’oubli des
principes, la prodigalité, l’occasion, tout ce que la séduction a de plus
entraînant, et le feu, l’esprit, les ressources que l’infériorité piquée au jeu
peut opposer à cette attaque, il naît dans ma pièce un jeu plaisant d’intrigue,
où l’époux suborneur, contrarié, lassé, harassé, toujours arrêté dans ses vues,
est obligé, trois fois dans cette journée, de tomber aux pieds de sa femme, qui,
bonne, indulgente et sensible, finit par lui pardonner : c’est ce qu’elles font
toujours. Qu’a donc cette moralité de blâmable, messieurs ?

La trouvez-vous un peu badine pour le ton grave que je prends ? Accueillez-en une
plus sévère qui blesse vos yeux dans l’ouvrage, quoique vous ne l’y cherchiez
pas : c’est qu’un seigneur assez vicieux pour vouloir prostituer à ses caprices
tout ce qui lui est subordonné, pour se jouer, dans ses domaines, de la pudicité
de toutes ses jeunes vassales, doit finir, comme celui-ci, par être la risée de
ses valets. Et c’est ce que l’auteur a. très fortement prononcé, lorsqu’en
fureur, au cinquième acte, Almaviva, croyant confondre une femme infidèle,
montre à son jardinier un cabinet, en lui criant : Entres-y, toi, Antonio ;
conduis devant son juge l’infâme qui m’a déshonoré ; et que celui-ci lui répond :
Il y a, parguenne, une bonne Providence ! Vous en avez tant fait dans le pays,
qu’il faut bien aussi qu’à votre tour… !

Cette profonde moralité se fait sentir dans tout l’ouvrage ; et s’il convenait à
l’auteur de démontrer aux adversaires qu’à travers sa forte leçon il a porté la
considération pour la dignité du coupable plus loin qu’on ne devait l’attendre
de la fermeté de son pinceau, je leur ferais remarquer que, croisé dans tous ses
projets, le comte Almaviva se voit toujours humilié, sans être jamais avili.

En effet, si la Comtesse usait de ruse pour aveugler sa jalousie dans le dessein
de le trahir, devenue coupable elle-même, elle ne pourrait mettre à ses pieds
son époux sans le dégrader à nos yeux. La vicieuse intention de l’épouse brisant
un lien respecté, l’on reprocherait justement à l’auteur d’avoir tracé des
mœurs blâmables : car nos jugements sur les mœurs se rapportent toujours aux
femmes ; on n’estime pas assez les hommes pour tant exiger d’eux sur ce point
délicat. Mais loin qu’elle ait ce vil projet, ce qu’il y a de mieux établi dans
l’ouvrage est que nul ne veut faire une tromperie au Comte, mais seulement
l’empêcher d’en faire à tout le monde. C’est la pureté des motifs qui sauve ici
les moyens du reproche ; et de cela seul que la Comtesse ne veut que ramener son
mari, toutes les confusions qu’il éprouve sont certainement très morales, aucune
n’est avilissante.

Pour que cette vérité vous frappe davantage, l’auteur oppose à ce mari peu
délicat, la plus vertueuse des femmes par goût et par principes.

Abandonnée d’un époux trop aimé, quand l’expose-t-on à vos regards ? Dans le
moment critique où sa bienveillance pour un aimable enfant, son filleul, peut
devenir un goût dangereux, si elle permet au ressentiment qui l’appuie de
prendre trop d’empire sur elle. C’est pour mieux faire ressortir l’amour vrai du
devoir, que l’auteur la met un moment aux prises avec un goût naissant qui le
combat. Oh ! combien on s’est étayé de ce léger mouvement dramatique pour nous
accuser d’indécence ! On accorde à la tragédie que toutes les reines, les
princesses, aient des passions bien allumées qu’elles combattent plus ou moins ;
et l’on ne souffre pas que, dans la comédie, une femme ordinaire puisse lutter
contre la moindre faiblesse ! O grande influence de l’affiche ! jugement sûr et
conséquent ! Avec la différence du genre, on blâme ici ce qu’on approuvait là. Et
cependant, en ces deux cas, c’est toujours le même principe : point de vertu sans
sacrifice.

J’ose en appeler à vous, jeunes infortunées que votre malheur attache à des
Almaviva ! Distingueriez-vous toujours votre vertu de vos chagrins, si quelque
intérêt importun, tendant trop à les dissiper, ne vous avertissait enfin qu’il
est temps de combattre pour elle ? Le chagrin de perdre un mari n’est pas ici ce
qui nous touche, un regret aussi personnel est trop loin d’être une vertu. Ce
qui nous plaît dans la Comtesse, c’est de la voir lutter franchement contre un
goût naissant qu’elle blâme, et des ressentiments légitimes. Les efforts qu’elle
fait alors pour ramener son infidèle époux, mettant dans le plus heureux jour
les deux sacrifices pénibles de son goût et de sa colère, on n’a nul besoin d’y
penser pour applaudir à son triomphe ; elle est un modèle de vertu, l’exemple de
son sexe et l’amour du nôtre.

Si cette métaphysique de l’honnêteté des scènes, si ce principe avoué de toute
décence théâtrale n’a point frappé nos juges à la représentation, c’est
vainement que j’en étendrais ici le développement, les conséquences ; un tribunal
d’iniquité n’écoute point les défenses de l’accusé qu’il est chargé de perdre,
et ma Comtesse n’est point traduite au parlement de la nation : c’est une
commission qui la juge.

On a vu la légère esquisse de son aimable caractère dans la charmante pièce
d’Heureusement. Le goût naissant que la jeune femme éprouve pour son petit
cousin l’officier, n’y parut blâmable à personne, quoique la tournure des scènes
pût laisser à penser que la soirée eût fini d’autre manière, si l’époux ne fût
pas rentré, comme dit l’auteur, heureusement. Heureusement aussi l’on n’avait
pas le projet de calomnier cet auteur : chacun se livra de bonne foi à ce doux
intérêt qu’inspire une jeune femme honnête et sensible, qui réprime ses premiers
goûts ; et notez que, dans cette pièce, l’époux ne paraît qu’un peu sot ; dans la
mienne, il est infidèle : ma Comtesse a plus de mérite.

Aussi, dans l’ouvrage que je défends, le plus véritable intérêt se porte-t-il
sur la Comtesse ; le reste est dans le même esprit.

Pourquoi Suzanne la camariste, spirituelle, adroite et rieuse, a-t-elle aussi le
droit de nous intéresser ? C’est qu’attaquée par un séducteur puissant, avec plus
d’avantage qu’il n’en faudrait pour vaincre une fille de son état, elle n’hésite
pas à confier les intentions du Comte aux deux personnes les plus intéressées à
bien surveiller sa conduite : sa maîtresse et son fiancé. C’est que, dans tout
son rôle, presque le plus long de la pièce, il n’y a pas une phrase, un mot qui
ne respire la sagesse et l’attachement à ses devoirs : la seule ruse qu’elle se
permette est en faveur de sa maîtresse, à qui son dévouement est cher, et dont
tous les vœux sont honnêtes.

Pourquoi, dans ses libertés sur son maître, Figaro m’amuse-t-il au lieu de
m’indigner ? C’est que, l’opposé des valets, il n’est pas, et vous le savez, le
malhonnête homme de la pièce : en le voyant forcé, par son état, de repousser
l’insulte avec adresse, on lui pardonne tout, dès qu’on sait qu’il ne ruse avec
son seigneur que pour garantir ce qu’il aime et sauver sa propriété.

Donc, hors le Comte et ses agents, chacun fait dans la pièce à peu près ce qu’il
doit. Si vous les croyez malhonnêtes parce qu’ils disent du mal les uns des
autres, c’est une règle très fautive. Voyez nos honnêtes gens du siècle : on
passe la vie à ne faire autre chose ! Il est même tellement reçu de déchirer sans
pitié les absents, que moi, qui les défends toujours, j’entends murmurer très
souvent : "Quel diable d’homme, et qu’il est contrariant ! il dit du bien de tout
le monde ! "

Est-ce mon page, enfin, qui vous scandalise, et l’immoralité qu’on reproche au
fond de l’ouvrage serait-elle dans l’accessoire ? O censeurs délicats, beaux
esprits sans fatigue, inquisiteurs pour la morale, qui condamnez en un clin
d’oeil les réflexions de cinq années, soyez justes une fois, sans tirer à
conséquence. Un enfant de treize ans, aux premiers battements du cœur,
cherchant tout sans rien démêler, idolâtre, ainsi qu’on l’est à cet âge heureux,
d’un objet céleste pour lui, dont le hasard fit sa marraine est-il un sujet de
scandale ? Aimé de tout le monde au château, vif, espiègle et brûlant comme tous
les enfants spirituels, par son agitation extrême, il dérange dix fois sans le
vouloir les coupables projets du Comte. Jeune adepte de la nature, tout ce qu’il
voit a droit de l’agiter : peut-être il n’est plus un enfant, mais il n’est pas
encore un homme ; et c’est le moment que j’ai choisi pour qu’il obtînt de
l’intérêt, sans forcer personne à rougir. Ce qu’il éprouve innocemment, il
l’inspire partout de même. Direz-vous qu’on l’aime d’amour ? Censeurs, ce n’est
pas là le mot. Vous êtes trop éclairés pour ignorer que l’amour, même le plus
pur, a un motif intéressé : on ne l’aime donc pas encore ; on sent qu’un jour on
l’aimera. Et c’est ce que l’auteur a mis avec gaieté dans la bouche de Suzanne,
quand elle dit à cet enfant : Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous
serez le plus grand petit vaurien…

Pour lui imprimer plus fortement le caractère de l’enfance, nous le faisons
exprès tutoyer par Figaro. Supposez-lui deux ans de plus, quel valet dans le
château prendrait ces libertés ? Voyez-le à la fin de son rôle ; à peine a-t-il un
habit d’officier, qu’il porte la main à l’épée aux premières railleries du
Comte, sur le quiproquo d’un soufflet. Il sera fier, notre étourdi ! mais c’est
un enfant, rien de plus. N’ai-je pas vu nos dames, dans les loges, aimer mon
page à la folie ? Que lui voulaient-elles ? Hélas ! rien : c’était de l’intérêt
aussi ; mais, comme celui de la Comtesse, un pur et naïf intérêt : un intérêt…
sans intérêt.

Mais est-ce la personne du page, ou la conscience du seigneur, qui fait le
tourment du dernier toutes les fois que l’auteur les condamne à se rencontrer
dans la pièce ? Fixez ce léger aperçu, il peut vous mettre sur la voie ; ou plutôt
apprenez de lui que cet enfant n’est amené que pour ajouter à la moralité de
l’ouvrage, en vous montrant que l’homme le plus absolu chez lui, dès qu’il suit
un projet coupable, peut être mis au désespoir par l’être le moins important,
par celui qui redoute le plus de se rencontrer sur sa route.

Quand mon page aura dix-huit ans, avec le caractère vif et bouillant que je lui
ai donné, je serai coupable à mon tour si je le montre sur la scène. Mais à
treize ans, qu’inspire-t-il ? Quelque chose de sensible et doux, qui n’est amitié
ni amour, et qui tient un peu de tous deux.

J’aurais de la peine à faire croire à l’innocence de ces impressions, si nous
vivions dans un siècle moins chaste, dans un de ces siècles de calcul, où,
voulant tout prématuré comme les fruits de leurs serres chaudes, les Grands
mariaient leurs enfants à douze ans, et faisaient plier la nature, la décence et
le goût aux plus sordides convenances, en se hâtant surtout d’arracher de ces
êtres non formés des enfants encore moins formables, dont le bonheur n’occupait
personne, et qui n’étaient que le prétexte d’un certain trafic d’avantages qui
n’avait nul rapport à eux, mais uniquement à leur nom. Heureusement nous en
sommes bien loin : et le caractère de mon page, sans conséquence pour lui-même,
en a une relative au Comte, que le moraliste aperçoit, mais qui n’a pas encore
frappé le grand commun de nos jugeurs.

Ainsi, dans cet ouvrage, chaque rôle important a quelque but moral. Le seul qui
semble y déroger est le rôle de Marceline.

Coupable d’un ancien égarement dont son Figaro fut le fruit, elle devrait, dit-
on, se voir au moins punie par la confusion de sa faute, lorsqu’elle reconnaît
son fils. L’auteur eût pu en tirer une moralité plus profonde : dans les mœurs
qu’il veut corriger, la faute d’une jeune fille séduite est celle des hommes et
non la sienne. Pourquoi donc ne l’a-t-il pas fait ?

Il l’a fait, censeurs raisonnables ! Etudiez la scène suivante, qui, faisait le
nerf du troisième acte, et que les comédiens m’ont prié de retrancher, craignant
qu’un morceau si sévère n’obscurcît la gaieté, de l’action.

Quand Molière a bien humilié la coquette ou coquine du Misanthrope par la
lecture publique de ses lettres à tous ses amants, il la laisse avilie sous les
coups qu’il lui a portés : il a raison ; qu’en ferait-il ? Vicieuse par goût et par
choix, veuve aguerrie, femme de Cour, sans aucune excuse d’erreur, et fléau d’un
fort honnête homme, il l’abandonne à nos mépris, et telle est sa moralité. Quant
à moi ; saisissant l’aveu naïf de Marceline au moment de la reconnaissance, je
montrais cette femme humiliée, et Bartholo qui la refuse, et Figaro, leur fils
commun, dirigeant l’attention publique sur les vrais fauteurs du désordre où
l’on entraîne sans pitié toutes les jeunes filles du peuple douées d’une jolie
figure.

Telle est la marche de la scène.

Brid’oison, parlant de Figaro, qui vient de reconnaître sa mère en Marceline.

C’est clair : il ne l’épousera pas.

Bartholo

Ni moi non plus.

Marceline

Ni vous ! et votre fils ? Vous m’aviez juré…

Bartholo

J’étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d’épouser tout le
monde.

Brid’oison

Et si l’on y regardait de si près, personne n’épouserait personne.

Bartholo

Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable !

Marceline, s’échauffant par degrés.

Oui, déplorable, et plus qu’on ne croit ! je n’entends pas nier mes fautes ; ce
jour les a trop bien prouvées ! Mais qu’il est dur de les expier après trente ans
d’une vie modeste ! J’étais née, moi, pour être sage, et je le suis devenue sitôt
qu’on m’a permis d’user de ma raison. Mais dans l’âge des illusions, de
l’inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la
misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d’ennemis rassemblés ?
Tel nous juge ici sévèrement, qui peut-être en sa vie a perdu dix infortunées !

Figaro

Les plus coupables sont les moins généreux, c’est la règle.

Marceline, vivement.

Hommes plus qu’ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions,
vos victimes, c’est vous qu’il faut punir des erreurs de notre jeunesse : vous et
vos magistrats si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever,
par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister ! Est-il un seul
état pour les malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la
parure des femmes ; on y laisse former mille ouvriers de l’autre sexe.

Figaro

Ils font broder jusqu’aux soldats !

Marceline, exaltée.

Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent de vous qu’une
considération dérisoire. Leurrées de respects apparents, dans une servitude
réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes :
ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié.

Figaro

Elle a raison.

Le Comte, à part.

Que trop raison.

Brid’oison

Elle a, mon-on Dieu, raison.

Marceline

Mais que nous font, mon fils, les refus d’un homme injuste ? Ne regarde pas d’où
tu viens, vois où tu vas ; cela seul importe à chacun. Dans quelques mois ta
fiancée ne dépendra plus que d’elle-même ; elle t’acceptera, j’en réponds : vis
entre une épouse, une mère tendres, qui te chériront à qui mieux mieux. Sois
indulgent pour elles, heureux pour toi, mon fils, gai, libre et bon pour tout le
monde, il ne manquera rien à ta mère.

Figaro

Tu parles d’or, maman, et je me tiens à ton avis. Qu’on est sot, en effet ! Il y
a des mille, mille ans que le monde roule et dans cet océan de durée, où j’ai
par hasard attrapé quelques chétifs trente ans qui ne reviendront plus, j’irais
me tourmenter pour savoir à qui je les dois ! Tant pis pour qui s’en inquiète.
Passer ainsi la vie à chamailler, c’est peser sur le collier sans relâche, comme
les malheureux chevaux de la remonte des fleuves, qui ne reposent pas, même
quand ils s’arrêtent, et qui tirent toujours, quoiqu’ils cessent de marcher.
Nous attendrons.

J’ai bien regretté ce morceau ; et maintenant que la pièce est connue, si les
comédiens avaient le courage de le restituer à ma prière, je pense que le public
leur en saurait beaucoup de gré : Ils n’auraient plus même à répondre, comme je
fus forcé de le faire à certains censeurs du beau monde, qui me reprochaient à
la lecture, de les intéresser pour une femme de mauvaises mœurs : — Non,
messieurs, je n’en parle pas pour excuser ses mœurs, mais pour vous faire
rougir des vôtres sur le point le plus destructeur de toute honnêteté publique,
la corruption des jeunes personnes ; et j’avais raison de le dire, que vous
trouvez ma pièce trop gaie, parce qu’elle est souvent trop sévère. Il n’y a que
façon de s’entendre.

— Mais votre Figaro est un soleil tournant, qui brûle, en jaillissant, les
manchettes de tout le monde. — Tout le monde est exagéré. Qu’on me sache gré du
moins s’il ne brûle pas aussi les doigts de ceux qui croient s’y reconnaître : au
temps qui court, on a beau jeu sur cette matière au théâtre. M’est-il permis de
composer en auteur qui sort du collège ? de toujours faire rire des enfants, sans
jamais rien dire à des hommes ? Et ne devez-vous pas me passer un peu de morale
en faveur de ma gaieté, comme on passe aux Français un peu de folie en faveur de
leur raison ?

Si je n’ai versé sur nos sottises qu’un peu de critique badine, ce n’est pas que
je ne sache en former de plus sévères : quiconque a dit tout ce qu’il sait dans
son ouvrage, y a mis plus que moi dans le mien. Mais je garde une foule d’idées
qui me pressent pour un des sujets les plus moraux du théâtre, aujourd’hui sur
mon chantier : La Mère coupable ; et si le dégoût dont on m’abreuve me permet
jamais de l’achever, mon projet étant d’y faire verser des larmes à toutes les
femmes sensibles, j’élèverai mon langage à la hauteur de mes situations ; j’y
prodiguerai les traits de la plus austère morale, et je tonnerai fortement sur
les vices que j’ai trop ménagés. Apprêtez-vous donc bien, messieurs, à me
tourmenter de nouveau : ma poitrine a déjà grondé ; j’ai noirci beaucoup de papier
au service de votre colère.

Et vous, honnêtes indifférents qui jouissez de tout sans prendre parti sur rien ;
jeunes personnes modestes et timides, qui vous plaisez à ma Folle journée (et je
n’entreprends sa défense que pour justifier votre goût), lorsque vous verrez
dans le monde un de ces hommes tranchants critiquer vaguement la pièce, tout
blâmer sans rien désigner, surtout la trouver indécente, examinez bien cet
homme-là, sachez son rang, son état, son caractère, et vous connaîtrez sur-le-
champ le mot qui l’a blessé dans l’ouvrage.

On sent bien que je ne parle pas de ces écumeurs littéraires qui vendent leurs
bulletins ou leurs affiches à tant de liards le paragraphe. Ceux-là, comme
l’abbé Bazile, peuvent calomnier ; ils médiraient, qu’on ne les croirait pas.

Je parle moins encore de ces libellistes honteux qui n’ont trouvé d’autre moyen
de satisfaire leur rage, l’assassinat étant trop dangereux, que de lancer, du
cintre de nos salles, des vers infâmes contre l’auteur, pendant que l’on jouait
sa pièce. Ils savent que je les connais ; si j’avais eu dessein de les nommer,
ç’aurait été au ministère public ; leur supplice est de l’avoir craint, il suffit
à mon ressentiment. Mais on n’imaginera jamais jusqu’où ils ont osé élever les
soupçons du public sur une aussi lâche épigramme ! semblables à ces vils
charlatans du Pont-Neuf, qui, pour accréditer leurs drogues, farcissent
d’ordres, de cordons, le tableau qui leur sert d’enseigne.

Non, je cite nos importants, qui, blessés, on ne sait pourquoi, des critiques
semées dans l’ouvrage, se chargent d’en dire du mal, sans cesser de venir aux
noces.

C’est un plaisir assez piquant de les voir d’en bas au spectacle, dans le très
plaisant embarras de n’oser montrer ni satisfaction ni colère ; s’avançant sur le
bord des loges, prêts à se moquer de l’auteur, et se retirant aussitôt pour
celer un peu de grimace ; emportés par un mot de la scène et soudainement
rembrunis par le pinceau du moraliste, au plus léger trait de gaieté jouer
tristement les étonnés, prendre un air gauche en faisant les pudiques, et
regardant les femmes dans les yeux, comme pour leur reprocher de soutenir un tel
scandale ; puis, aux grands applaudissements, lancer sur le public un regard
méprisant, dont il est écrasé ; toujours prêts à lui dire, comme ce courtisan
dont parle Molière, lequel, outré du succès de L’Ecole des femmes, criait des
balcons au public : Ris donc, public, ris donc ! En vérité, c’est un plaisir, et
j’en ai joui bien des fois.

Celui-là m’en rappelle un autre. Le premier jour de La Folle journée, on
s’échauffait dans le foyer (même d’honnêtes plébéiens) sur ce qu’ils nommaient
spirituellement mon audace. Un petit vieillard sec et brusque ; impatienté de
tous ces cris, frappe le plancher de sa canne, et dit en s’en allant : Nos
Français sont comme les enfants, qui braillent quand on les éberne. Il avait du
sens, ce vieillard ! Peut-être on pouvait mieux parler, mais pour mieux penser,
j’en défie.

Avec cette intention de tout blâmer, on conçoit que les traits les plus sensés
ont été pris en mauvaise part. N’ai-je pas entendu vingt fois un murmure
descendre des loges à cette réponse de Figaro :

Le Comte

Une réputation détestable !

Figaro

Et si je vaux mieux qu’elle ! Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire
autant ?

Je dis, moi, qu’il n’y en a point, qu’il ne saurait y en avoir, à moins d’une
exception bien rare. Un homme obscur ou peu connu peut valoir mieux que sa
réputation, qui n’est que l’opinion d’autrui. Mais de même qu’un sot en place en
parait une fois plus sot, parce qu’il ne peut plus rien cacher, de même un grand
seigneur, l’homme élevé en dignités, que la fortune et sa naissance ont placé
sur le grand théâtre, et qui en entrant dans le monde, eut toutes les
préventions pour lui, vaut presque toujours moins que sa réputation, s’il
parvient à la rendre mauvaise. Une assertion si simple et si loin du sarcasme
devait-elle exciter le murmure ? Si son application paraît fâcheuse aux Grands
peu soigneux de leur gloire, en quel sens fait-elle épigramme sur ceux qui
méritent nos respects ? Et quelle maxime plus juste au théâtre peut servir de
frein aux puissants, et tenir lieu de leçon à ceux qui n’en reçoivent point
d’autres ?

Non qu’il faille oublier (a dit un écrivain sévère, et je me plais à le citer
parce que je suis de son avis), "non qu’il faille oublier, dit-il, ce qu’on doit
aux rangs élevés : il est juste, au contraire, que l’avantage de la naissance
soit le moins contesté de tous, parce que ce bienfait gratuit de l’hérédité,
relatif aux exploits, vertus ou qualités des aïeux de qui le reçut, ne peut
aucunement blesser l’amour-propre de ceux auxquels il fut refusé ; parce que,
dans une monarchie, si l’on ôtait les rangs intermédiaires, il y aurait trop
loin du monarque aux sujets ; bientôt on n’y verrait qu’un despote et des
esclaves : le maintien d’une échelle graduée du laboureur au potentat intéresse
également les hommes de tous les rangs, et peut-être est le plus ferme appui de
la constitution monarchique."

Mais quel auteur parlait ainsi ? qui faisait cette profession de foi sur la
noblesse, dont on me suppose si loin ? C’était PIERRE AUGUSTIN CARON DE
BEAUMARCHAIS, plaidant par écrit au Parlement d’Aix, en 1778, une grande et
sévère question qui décida bientôt de l’honneur d’un noble et du sien. Dans
l’ouvrage que je défends, on n’attaque point les états, mais les abus de chaque
état : les gens seuls qui s’en rendent coupables ont intérêt à le trouver
mauvais. Voilà les rumeurs expliquées : mais quoi donc ! les abus sont-ils devenus
si sacrés, qu’on n’en puisse attaquer aucun sans lui trouver vingt défenseurs ?

Un avocat célèbre, un magistrat respectable, iront-ils donc s’approprier le
plaidoyer d’un Bartholo, le jugement d’un Brid’oison ? Ce mot de Figaro sur
l’indigne abus des plaidoiries de nos jours (C’est dégrader le plus noble
institut) a bien montré le cas que je fais du noble métier d’avocat ; et mon
respect pour la magistrature ne sera pas plus suspecté quand on saura dans
quelle école j’en ai recherché la leçon, quand on lira le morceau suivant, aussi
tiré d’un moraliste, lequel parlant des magistrats, s’exprime en ces termes
formels :

"Quel homme aisé voudrait, pour le plus modique honoraire, faire le métier cruel
de se lever à quatre heures, pour aller au Palais tous les jours s’occuper, sous
des formes prescrites, d’intérêts qui ne sont jamais les siens ? d’éprouver sans
cesse l’ennui de l’importunité, le dégoût des sollicitations, le bavardage des
plaideurs, la monotonie des audiences, la fatigue des délibérations, et la
contention d’esprit nécessaire aux prononcés des arrêts, s’il ne se croyait pas
payé de cette vie laborieuse et pénible par l’estime et la considération
publiques ? Et cette estime est-elle autre chose qu’un jugement, qui n’est même
aussi flatteur pour les bons magistrats qu’en raison de sa rigueur excessive
contre les mauvais ? "

Mais quel écrivain m’instruisait ainsi par ses leçons ? Vous allez croire encore
que c’est PIERRE-AUGUSTIN ; vous l’avez dit : c’est lui, en 1773, dans son
quatrième Mémoire, en défendant jusqu’à la mort sa triste existence, attaquée
par un soi-disant magistrat. Je respecte donc hautement ce que chacun doit
honorer, et je blâme ce qui peut nuire.

— Mais dans cette Folle journée, au lieu de saper les abus, vous vous donnez des
libertés très répréhensibles au théâtre ; votre monologue surtout contient, sur
les gens disgraciés, des traits qui passent la licence ! — Eh ! croyez-vous,
messieurs, que j’eusse un talisman pour tromper, séduire, enchaîner la censure
et l’autorité, quand je leur soumis mon ouvrage ? que je n’aie pas dû justifier
ce que j’avais osé écrire ? Que fais-je dire à Figaro, parlant à l’homme déplacé ?
Que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le
cours. Est-ce donc là une vérité d’une conséquence dangereuse ? Au lieu de ces
inquisitions puériles et fatigantes, et qui seules donnent de l’importance à ce
qui n’en aurait jamais ; si, comme en Angleterre, on était assez sage ici pour
traiter les sottises avec ce mépris qui les tue, loin de sortir du vil fumier
qui les enfante, elles y pourriraient en germant, et ne se propageraient point.
Ce qui multiplie les libelles est la faiblesse de les craindre ; ce qui fait
vendre les sottises est la sottise de les défendre.

Et comment conclut Figaro ? Que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge
flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits.
Sont-ce là des hardiesses coupables, ou bien des aiguillons de gloire ? des
moralités insidieuses, ou des maximes réfléchies, aussi justes
qu’encourageantes ?

Supposez-les le fruit des souvenirs. Lorsque, satisfait du présent, l’auteur
veille pour l’avenir, dans la critique du passé, qui peut avoir droit de s’en
plaindre ? Et si, ne désignant ni temps, ni lieu, ni personnes, il ouvre la voie
au théâtre à des réformes désirables, n’est-ce pas aller à son but ?

La Folle journée explique donc comment, dans un temps prospère, sous un roi
juste et des ministres modérés, l’écrivain peut tonner sur les oppresseurs, sans
craindre de blesser personne. C’est pendant le règne d’un bon prince qu’on écrit
sans danger l’histoire des méchants rois ; et plus le gouvernement est sage, est
éclairé, moins la liberté de dire est en presse : chacun y faisant son devoir, on
n’y craint pas les allusions ; nul homme en place ne redoutant ce qu’il est forcé
d’estimer, on n’affecte point alors d’opprimer chez nous cette même littérature
qui fait notre gloire au-dehors, et nous y donne une sorte de primauté que nous
ne pouvons tirer d’ailleurs.

En effet, à quel titre y prétendrions-nous ? Chaque peuple tient à son culte et
chérit son gouvernement. Nous ne sommes pas restés plus braves que ceux qui nous
ont battus à leur tour. Nos mœurs plus douces, mais non meilleures, n’ont rien
qui nous élève au-dessus d’eux. Notre littérature seule, estimée de toutes les
nations, étend l’empire de la langue française et nous obtient de l’Europe
entière une prédilection avouée qui justifie, en l’honorant, la protection que
le gouvernement lui accorde.

Et comme chacun cherche toujours le seul avantage qui lui manque, c’est alors
qu’on peut voir dans nos académies l’homme de la Cour siéger avec les gens de
lettres ; les talents personnels et la considération héritée se disputer ce noble
objet, et les archives académiques se remplir presque également de papiers et de
parchemins.

Revenons à La Folle journée.

Un monsieur de beaucoup d’esprit, mais qui l’économise un peu trop, me disait un
soir au spectacle : — Expliquez-moi donc, je vous prie, pourquoi dans votre pièce
on trouve autant de phrases négligées qui ne sont pas de votre style ? — De mon
style, monsieur ? Si par malheur j’en avais un, je m’efforcerais de l’oublier
quand je fais une comédie, ne connaissant rien d’insipide au théâtre comme ces
fades camaïeux où tout est bleu, où tout est rose, où tout est l’auteur, quel
qu’il soit.

Lorsque mon sujet me saisit, j’évoque tous mes personnages et les mets en
situation. — Songe à toi, Figaro, ton maître va te deviner. Sauvez-vous vite,
Chérubin, c’est le Comte que vous touchez. — Ah ! Comtesse, quelle imprudence
avec un époux si violent ! — Ce qu’ils diront, je n’en sais rien, c’est ce qu’ils
feront qui m’occupe. Puis, quand ils sont bien animés, j’écris sous leur dictée
rapide, sûr qu’ils ne me tromperont pas ; que je reconnaîtrai Bazile, lequel n’a
pas l’esprit de Figaro, qui n’a pas le ton noble du Comte, qui n’a pas la
sensibilité de la Comtesse, qui n’a pas la gaieté de Suzanne, qui n’a pas
l’espièglerie du page, et surtout aucun d’eux la sublimité de Brid’oison. Chacun
y parle son langage : eh ! que le dieu du naturel les préserve d’en parler
d’autre ! Ne nous attachons donc qu’à l’examen de leurs idées, et non à
rechercher si j’ai dû leur prêter mon style.

Quelques malveillants ont voulu jeter de la défaveur sur cette phrase de Figaro :
Sommes-nous des soldats qui tuent et se font tuer pour des intérêts qu’ils
ignorent ? Je veux savoir, moi, pourquoi je me fâche ! A travers le nuage d’une
conception indigeste, ils ont feint d’apercevoir que je répands une lumière
décourageante sur l’état pénible du soldat ; et il y a des choses qu’il ne faut
jamais dire. Voilà dans toute sa force l’argument de la méchanceté ; reste à en
prouver la bêtise.

Si, comparant la dureté du service à la modicité de la paye, ou discutant tel
autre inconvénient de la guerre et comptant la gloire pour rien, je versais de
la défaveur sur ce plus noble des affreux métiers, on me demanderait justement
compte d’un mot indiscrètement échappé. Mais du soldat au colonel, au général
exclusivement, quel imbécile homme de guerre a jamais eu la prétention qu’il dût
pénétrer les secrets du cabinet, pour lesquels il fait la campagne ? C’est de
cela seul qu’il s’agit dans la phrase de Figaro. Que ce fou-là se montre, s’il
existe ; nous l’enverrons étudier sous le philosophe Babouc, lequel éclaircit
disertement ce point de discipline militaire.

En raisonnant sur l’usage que l’homme fait de sa liberté dans les occasions
difficiles, Figaro pouvait également opposer à sa situation tout état qui exige
une obéissance implicite, et le cénobite zélé dont le devoir est de tout croire
sans jamais rien examiner, comme le guerrier valeureux, dont la gloire est de
tout affronter sur des ordres non motivés, de tuer et se faire tuer pour des
intérêts qu’il ignore. Le mot de Figaro ne dit donc rien, sinon qu’un homme
libre de ses actions doit agir sur d’autres principes que ceux dont le devoir
est d’obéir aveuglément.

Qu’aurait-ce été, bon Dieu ! si j’avais fait usage d’un mot qu’on attribue au
grand Condé, et que j’entends louer à outrance par ces mêmes logiciens qui
déraisonnent sur ma phrase ? A les croire, le grand Condé montra la plus noble
présence d’esprit lorsque, arrêtant Louis XIV prêt à pousser son cheval dans le
Rhin, il dit à ce monarque : Sire, avez-vous besoin du bâton de maréchal ?

Heureusement on ne prouve nulle part que ce grand homme ait dit cette grande
sottise. C’eût été dire au roi, devant toute son armée : "Vous moquez-vous donc,
Sire, de vous exposer dans un fleuve ? Pour courir de pareils dangers, il faut
avoir besoin d’avancement ou de fortune ! "

Ainsi l’homme le plus vaillant, le plus grand général du siècle aurait compté
pour rien l’honneur, le patriotisme et la gloire ! Un misérable calcul d’intérêt
eût été, selon lui, le seul principe de la bravoure ! Il eût dit là un affreux
mot, et si j’en avais pris le sens pour l’enfermer dans quelque trait, je
mériterais le reproche qu’on fait gratuitement au mien.

Laissons donc les cerveaux fumeux louer ou blâmer au hasard, sans se rendre
compte de rien ; s’extasier sur une sottise qui n’a pu jamais être dite, et
proscrire un mot juste et simple, qui ne montre que du bon sens.

Un autre reproche assez fort, mais dont je n’ai pu me laver, est d’avoir assigné
pour retraite à la Comtesse un certain couvent d’Ursulines. Ursulines ! a dit un
seigneur, joignant les mains avec éclat. Ursulines ! a dit une dame, en se
renversant de surprise sur un jeune Anglais de sa loge. Ursulines ! ah ! milord !
si vous entendiez le français !… — Je sens, je sens beaucoup, madame, dit le
jeune homme en rougissant. — C’est qu’on n’a jamais mis au théâtre aucune femme
aux Ursulines ! Abbé, parlez-nous donc ! L’abbé (toujours appuyée sur l’Anglais),
comment trouvez-vous Ursulines ? — Fort indécent, répond l’abbé, sans cesser de
lorgner Suzanne. Et tout le beau monde a répété : Ursulines est fort indécent.
Pauvre auteur ! on te croit jugé, quand chacun songe à son affaire. En vain
j’essayais d’établir que, dans l’événement de la scène, moins la Comtesse a
dessein de se cloîtrer, plus elle doit le feindre et faire croire à son époux
que sa retraite est bien choisie : ils ont proscrit mes Ursulines !

Dans le plus fort de la rumeur, moi, bon homme, j’avais été jusqu’à prier une
des actrices qui font le charme de ma pièce de demander aux mécontents à quel
autre couvent de filles ils estimaient qu’il fût décent que l’on fît entrer la
Comtesse ? A moi, cela m’était égal ; je l’aurais mise où l’on aurait voulu : aux
Augustines, aux Célestines, aux Clairettes, aux Visitandines, même aux Petites
Cordelières, tant je tiens peu aux Ursulines. Mais on agit si durement !

Enfin, le bruit croissant toujours, pour arranger l’affaire avec douceur, j’ai
laissé le mot Ursulines à la place où je l’avais mis : chacun alors content de
soi, de tout l’esprit qu’il avait montré, s’est apaisé sur Ursulines, et l’on a
parlé d’autre chose.

Je ne suis point, comme l’on voit, l’ennemi de mes ennemis. En disant bien du
mal de moi, ils n’en ont point fait à ma pièce ; et s’ils sentaient seulement
autant de joie à la déchirer que j’eus de plaisir à la faire, il n’y aurait
personne d’affligé. Le malheur est qu’ils ne rient point ; et ils ne rient point
à ma pièce, parce qu’on ne rit point à la leur. Je connais plusieurs amateurs
qui sont même beaucoup maigris depuis le succès du Mariage : excusons donc
l’effet de leur colère.

A des moralités d’ensemble et de détail, répandues dans les flots d’une
inaltérable gaieté ; à un dialogue assez vif, dont la facilité nous cache le
travail, si l’auteur a joint une intrigue aisément filée, où l’art se dérobe
sous l’art, qui se noue et se dénoue sans cesse, à travers une foule de
situations comiques, de tableaux piquants et variés qui soutiennent, sans la
fatiguer l’attention du public pendant les trois heures et demie que dure le
même spectacle (essai que nul homme de lettres n’avait encore osé tenter ! ), que
reste-t-il à faire à de pauvres méchants que tout cela irrite ? Attaquer,
poursuivre l’auteur par des injures verbales, manuscrites, imprimées : c’est ce
qu’on a fait sans relâche. Ils ont même épuisé jusqu’à la calomnie, pour tâcher
de me perdre dans l’esprit de tout ce qui influe en France sur le repos d’un
citoyen. Heureusement que mon ouvrage est sous les yeux de la nation, qui depuis
dix grands mois le voit, le juge et l’apprécie. Le laisser jouer tant qu’il fera
plaisir est la seule vengeance que je me sois permise. Je n’écris point ceci
pour les lecteurs actuels : le récit d’un mal trop connu touche peu ; mais dans
quatre-vingts ans il portera son fruit. Les auteurs de ce temps-là compareront
leur sort au nôtre, et nos enfants sauront à quel prix on pouvait amuser leurs
pères.

Allons au fait ; ce n’est pas tout cela qui blesse. Le vrai motif qui se cache,
et qui dans les replis du cœur produit tous les autres reproches, est renfermé
dans ce quatrain :

Pourquoi ce Figaro qu’on va tant écouter

Est-il avec fureur déchiré par les sots ?

Recevoir, prendre et demander,

Voilà le secret en trois mots !

En effet, Figaro parlant du métier de courtisan, le définit dans ces termes
sévères. Je ne puis le nier, je l’ai dit. Mais reviendrai-je sur ce point ? Si
c’est un mal, le remède serait pire : il faudrait poser méthodiquement ce que je
n’ai fait qu’indiquer ; revenir à montrer qu’il n’y a point de synonyme, en
français entre l’homme de la Cour, l’homme de Cour, et le courtisan par métier.

Il faudrait répéter qu’homme de la Cour peint seulement un noble état ; qu’il
s’entend de l’homme de qualité, vivant avec la noblesse et l’éclat que son rang
lui impose ; que si cet homme de la Cour aime le bien par goût, sans intérêt, si,
loin de jamais nuire à personne, il se fait estimer de ses maîtres, aimer de ses
égaux et respecter des autres ; alors cette acception reçoit un nouveau lustre,
et j’en connais plus d’un que je nommerais avec plaisir, s’il en était question.

Il faudrait montrer qu’homme de Cour, en bon français, est moins l’énoncé d’un
état que le résumé d’un caractère adroit, liant, mais réservé ; pressant la main
de tout le monde en glissant chemin à travers ; menant finement son intrigue avec
l’ait de toujours servir ; ne se faisant point d’ennemis, mais donnant prés d’un
fossé, dans l’occasion, de l’épaule au meilleur ami, pour assurer sa chute et le
remplacer sur la crête ; laissant à part tout préjugé qui pourrait ralentir sa
marche ; souriant à ce qui lui déplaît, et critiquant ce qu’il approuve, selon
les hommes qui l’écoutent ; dans les liaisons utiles de sa femme ou de sa
maîtresse, ne voyant que ce qu’il doit voir, enfin…

Prenant ! tout, pour le faire court,

En véritable homme de Cour.

LA FONTAINE.

Cette acception n’est pas aussi défavorable que celle du courtisan par métier,
et c’est l’homme dont parle Figaro.

Mais quand j’étendrais la définition de ce dernier ; quand parcourant tous les
possibles, je le montrerais avec son maintien équivoque, haut et bas à la fois ;
rampant avec orgueil, ayant toutes les prétentions sans en justifier une ; se
donnant l’air du protégement pour se faire chef de parti ; dénigrant tous les
concurrents qui balanceraient son crédit ; faisant un métier lucratif de ce qui
ne devrait qu’honorer ; vendant ses maîtresses à son maître ; lui faisant payer
ses plaisirs, etc., etc., et quatre pages d’etc., il faudrait toujours revenir
au distique de Figaro :

Recevoir, prendre et demander,

Voilà le secret en trois mots.

Pour ceux-ci, je n’en connais point ; il y en eut, dit-on, sous Henri III, sous
d’autres rois encore ; mais c’est l’affaire de l’historien, et, quant à moi, je
suis d’avis que les vicieux du siècle en sont comme les saints ; qu’il faut cent
ans pour les canoniser. Mais puisque j’ai promis la critique de ma pièce, il
faut enfin que je la donne.

En général son grand défaut est que je ne l’ai point faite en observant le
monde ; qu’elle ne peint rien de ce qui existe, et ne rappelle jamais l’image de
la société où l’on vit ; que ses mœurs, basses et corrompues, n’ont pas même le
mérite d’être vraies. Et c’est ce qu’on lisait dernièrement dans un beau
discours imprimé, composé par un homme de bien, auquel il n’a manqué qu’un peu
d’esprit pour être un écrivain médiocre. Mais médiocre ou non, moi qui ne fis
jamais usage de cette allure oblique et torse avec laquelle un sbire, qui n’a
pas l’air de vous regarder, vous donne du stylet au flanc, je suis de l’avis de
celui-ci. Je conviens qu’à la vérité la génération passée ressemblait beaucoup à
ma pièce ; que la génération future lui ressemblera beaucoup aussi ; mais que pour
la génération présente, elle ne lui ressemble aucunement ; que je n’ai jamais
rencontré ni mari suborneur, ni seigneur libertin, ni courtisan avide, ni juge
ignorant ou passionné, ni avocat injuriant, ni gens médiocres avancés, ni
traducteur bassement jaloux. Et que si des âmes pures, qui ne s’y reconnaissent
point du tout, s’irritent contre ma pièce et la déchirent sans relâche, c’est
uniquement par respect pour leurs grands-pères et sensibilité pour leurs petits-
enfants. J’espère, après cette déclaration, qu’on me laissera bien tranquille :
ET J’AI FINI.


Caractères et habillements de la pièce


Le Comte Almaviva doit être joué très noblement, mais avec grâce et liberté. La
corruption du cœur ne doit rien ôter au bon ton de ses manières. Dans les
mœurs de ce temps-là les Grands traitaient en badinant toute entreprise sur les
femmes. Ce rôle est d’autant plus pénible à bien rendre, que le personnage est
toujours sacrifié. Mais joué par un comédien excellent (M. Molé), il a fait
ressortir tous les rôles, et assuré le succès de la pièce.

Son vêtement des premier et second actes est un habit de chasse avec des
bottines à mi-jambe, de l’ancien costume espagnol. Du troisième acte jusqu’à la
fin, un habit superbe de ce costume.

La Comtesse, agitée de deux sentiments contraires, ne doit montrer qu’une
sensibilité réprimée, ou une colère très modérée ; rien surtout qui dégrade, aux
yeux du spectateur, son caractère aimable et vertueux. Ce rôle, un des plus
difficiles de la pièce, a fait infiniment d’honneur au grand talent de
mademoiselle Saint-Val cadette.

Son vêtement des premier, second et quatrième actes, est une lévite commode et
nul ornement sur la tête : elle est chez elle, et censée incommodée. Au cinquième
acte, elle a l’habillement et la haute coiffure de Suzanne.

Figaro. L’on ne peut trop recommander à l’acteur qui jouera ce rôle de bien se
pénétrer de son esprit, comme l’a fait M. Dazincourt. S’il y voyait autre chose
que de la raison assaisonnée de gaieté et de saillies, surtout s’il y mettait la
moindre charge, il avilirait un rôle que le premier comique du théâtre, M.
Préville, a jugé devoir honorer le talent de tout comédien qui saurait en saisir
les nuances multipliées, et pourrait s’élever à son entière conception.

Son vêtement comme dans le Barbier de Séville.

Suzanne. Jeune personne adroite, spirituelle et rieuse, mais non de cette gaieté
presque effrontée de nos soubrettes corruptrices ; son joli caractère est dessiné
dans la préface, et c’est là que l’actrice qui n’a point vu mademoiselle Contat
doit l’étudier pour le bien rendre.

Son vêtement des quatre premiers actes est un juste blanc à basquines, très
élégant, la jupe de même, avec une toque, appelée depuis par nos marchandes à la
Suzanne. Dans la fête du quatrième acte, le Comte lui pose sur la tète une toque
à long voile, à hautes plumes et à rubans blancs. Elle porte au cinquième acte
la lévite de sa maîtresse, et nul ornement sur la tête.

Marceline est une femme d’esprit, née un peu vive, mais dont les fautes et
l’expérience ont réformé le caractère. Si l’actrice qui le joue s’élève avec une
fierté bien placée à la hauteur très morale qui suit la reconnaissance du
troisième acte, elle ajoutera beaucoup à l’intérêt de l’ouvrage.

Son vêtement est celui des duègnes espagnoles, d’une couleur modeste, un bonnet
noir sur la tête.

Antonio ne doit montrer qu’une demi-ivresse, qui se dissipe par degrés ; de sorte
qu’au cinquième acte on ne s’en aperçoive presque plus. Son vêtement est celui
d’un paysan espagnol, où les manches pendent par-derrière ; un chapeau et des
souliers blancs.

Fanchette est une enfant de douze ans, très naïve. Son petit habit est un juste
brun avec des ganses et des boutons d’argent, la jupe de couleur tranchante, et
une toque noire à plumes sur la tête. Il sera celui des autres paysannes de la
noce.

Chérubin. Ce rôle ne peut être joué, comme il l’a été, que par une jeune et très
jolie femme ; nous n’avons point à nos théâtres de très jeune homme assez formé
pour en bien sentir les finesses. Timide à l’excès devant la Comtesse, ailleurs
un charmant polisson ; un désir inquiet et vague est le fond de son caractère. Il
s’élance à la puberté, mais sans projet, sans connaissances, et tout entier à
chaque événement ; enfin il est ce que toute mère, au fond du cœur, voudrait
peut-être que fût son fils, quoiqu’elle dût beaucoup en souffrir.

Son riche vêtement, au premier et second actes, est celui d’un page de Cour
espagnol, blanc et brodé d’argent ; le léger manteau bleu sur l’épaule, et un
chapeau chargé de plumes. Au quatrième acte, il a le corset, la jupe et la toque
des jeunes paysannes qui l’amènent. Au cinquième acte, un habit uniforme
d’officier, une cocarde et une épée.

Bartholo. Le caractère et l’habit comme dans Le Barbier de Séville ; il n’est ici
qu’un rôle secondaire.

Bazile. Caractère et vêtement comme dans Le Barbier de Séville ; il n’est aussi
qu’un rôle secondaire.

Brid’oison doit avoir cette bonne et franche assurance des bêtes qui n’ont plus
leur timidité. Son bégaiement n’est qu’une grâce de plus, qui doit être à peine
sentie ; et l’acteur se tromperait lourdement et jouerait à contre-sens, s’il y
cherchait le plaisant de son rôle. Il est tout entier dans l’opposition de la
gravité de son état au ridicule du caractère ; et moins l’acteur le chargera,
plus il montrera de vrai talent.

Son habit est une robe de juge espagnol moins ample que celle de nos procureurs,
presque une soutane ; une grosse perruque, une gonille ou rabat espagnol au cou,
et une longue baguette blanche à la main.

Double-Main. Vêtu comme le juge ; mais la baguette blanche plus courte.

L’Huissier ou Alguazil. Habit, manteau, épée de Crispin, mais portée à son côté
sans ceinture de cuir. Point de bottines, une chaussure noire, une perruque
blanche naissante et longue, à mille boucles, une courte baguette blanche.

Gripe-Soleil. Habit de paysan, les manches pendantes, veste de couleur tranchée,
chapeau blanc.

Une Jeune Bergère. Son vêtement comme celui de Fanchette.

Pédrille. En veste, gilet, ceinture, fouet, et bottes de poste, une résille sur
la tête, chapeau de courrier.

Personnages muets, les uns en habits de juges, d’autres et habits de paysans,
les autres en habits de livrée.


Personnages


Le Comte Almaviva, grand corrégidor d’Andalousie.

La Comtesse, sa femme.

Figaro, valet de chambre du Comte et concierge du château.

Suzanne, première camariste de la Comtesse et fiancée de Figaro.

Marceline, femme de charge.

Antonio, jardinier du château, oncle de Suzanne et père de Fanchette.

Fanchette, fille d’Antonio.

Chérubin, premier page du Comte.

Bartholo, médecin de Séville.

Bazile, maître de clavecin de la Comtesse.

Don Gusman Brid’oison, lieutenant du siège.

Double-Main, greffier, secrétaire de don Gusman.

Un Huissier Audiencier.

Gripe-Soleil, jeune patoureau.

Une Jeune Bergère.

Pédrille, piqueur du Comte.

Personnages muets

Troupe de valets.

Troupe de paysannes.

Troupe de paysans.

La scène est au château d’Aguas-Frescas, à trois lieues de Séville.
Placement des acteurs
Pour faciliter les jeux du théâtre, on a eu l’attention d’écrire au commencement
de chaque scène le nom des personnages dans l’ordre où le spectateur les voit.
S’ils font quelque mouvement grave dans la scène, il est désigné par un nouvel
ordre de noms, écrit en marge à l’instant qu’il arrive. Il est important de
conserver les bonnes positions théâtrales ; le relâchement dans la tradition
donnée par les premiers acteurs en produit bientôt un total dans le jeu des
pièces, qui finit par assimiler les troupes négligentes au plus faibles
comédiens de société.

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