Discussion:Narcisse (Sand)

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Informations sur l’édition de Narcisse (Sand)

Édition : Calmann Lévy, 1884


Source : IA


Contributeur(s) :


Niveau d’avancement : Texte validé


Remarques :


Relu et corrigé par : *j*jac, Tipram Poivre, Sapcal22



  • voir pour acquit... autre occurrence dans le livre
  • à noter : arome, collége, l'ajoutance, résolûment


Éditions[modifier]

Présentation[modifier]

Narcisse, roman de la maturité de George Sand traite de plusieurs sujets délicats comme l'amour entre une noble et un roturier, le libertin, la fille mère… et l'on y suit les métamorphoses des caractères principaux du roman dans une atmosphère de petite ville. Extrait : « Dès qu’en province on renonce à s’amuser, on ne s’ennuie plus. Cette placidité de l’habitude, cette langueur d’une intimité où les amis de tous les jours, n’ayant rien de neuf à se dire, ne se forcent plus pour dire quelque chose,… » Environ 61 000 mots et 4 heures de lecture.

Statistiques[modifier]

  • caractères : 351 620 (290 843 sans les espaces)
  • mots 61 220

Critiques, résumés…[modifier]

Le Figaro 26 avril 1859[modifier]

CAMPAGNES LITTÉRAIRES


NARCISSE, par George Sand[1]

Il y a plusieurs manières d’être bienveillant. Nous nous contenterons aujourd’hui d’indiquer la première, qui consiste à lire l’ouvrage dont on a l’intention de s’occuper. C’est ce que nous venons de faire pour la femme célèbre qui est incontestablement, à l’heure qu’il est, le meilleur (nous ne disons pas le plus amusant) de nos romanciers. En dépit de la production effrénée à laquelle elle se livre et qui accuse plus de nécessités pécuniaires qu’un irrésistible besoin de manifestation, elle n’est jamais descendue à des travaux indignes d’elle. Si précipités, si lâchés même que soient ses derniers livres, ils portent tous sa griffe ; ils renferment une idée, des caractères, des tableaux. À quelque point de vue qu’on se place pour apprécier Evenor et Leucippe, le Diable aux champs, les Beaux messieurs de Bois-Doré, on se trouve en présence de curieuses œuvres, inquiétantes toujours, ce qui, en art, n’est pas un défaut, et surtout écrites haut la main. Nous n’avons pas choisi la plus caractéristique ; nous avons pris au hasard, et le hasard nous a fait tomber sur la plus récente.


Narcisse semble être, au premier coup d’œil, un retour à ce genre simple et vrai dont André et plus tard la Mare au Diable et la Petite Fadette ont donné la note exacte, charmante. Le lieu de la scène est une petite ville dont, par une discrétion de convention, la topographie n’est pas indiquée. Un monsieur, qui sert à abriter la personnalité de madame George Sand, raconte qu’en 1816 il a été chargé par une compagnie financière de reconnaître les environs de La Faille-sur-Gouvre pour y établir une usine. Un cafetier du nom de Narcisse Pardoux lui a offert un logement au bout de son jardin, dans un pavillon, attenant d’un côté à la salle de spectacle de la ville, de l’autre à une sorte de couvent habité par cinq ou six demoiselles de condition, appelées les sœurs bleues. Rentrant sur le tard, un soir, ce monsieur aperçoit un individu franchissant le mur du jardin et venant déposer un billet dans les grappes rouges d’un chèvrefeuille. Il s’empare du papier et y lit ces mots « Demain jeudi, à six heures du matin, ici. Y viendrez-vous ? Votre dévoué, Fra Diavolo. » Le lendemain, il s’embusque et assiste à un rendez-vous entre le premier ténor du théâtre, Albany, et une sœur bleue, mademoiselle d’Estorade.


Voilà un point de départ très franc, et dont nous avons été charmé. Malheureusement, l’effet en est détruit presque aussitôt par des atténuations dont les convenances peuvent s’accommoder, mais dont l’intérêt est victime. Madame George Sand, qui a osé bien des choses, et qui a souvent eu raison d’oser, a craint, cette fois, d’aborder son sujet tel qu’il a dû se présenter à son esprit. Elle n’a pas voulu que la liaison de la dévote et du comédien fût l’effet du hasard, d’une spontanéité elle a créé des antécédents à leur rencontre dans le jardin. Cette précaution nous a étonné de sa part. Du moment qu’Albany n’est plus Albany, mais un ancien voisin de campagne, M. Alban Gerbier, devenu chanteur malgré la volonté de sa famille, l’intérêt perd de sa saveur un peu âpre. La démarche de mademoiselle d’Estorade, expliquée par un souvenir de jeunesse et presque entièrement justifiée par un sentiment de bienfaisance, nous regrettons d’avoir été pris à un piége romanesque et de nous être attendu à d’attrayantes énormités.

Il faut en prendre son parti, cependant, et se laisser entraîner par la fantaisie du narrateur. Cette fantaisie nous dépeint mademoiselle d’Estorade comme une figure angélique, une statuette de madone bizantine ce sont ses expressions. Au premier aspect, on la prendrait pour bossue, mais elle n’est que voûtée « On pouvait dire d’elle qu’elle était une bossue manquée, mais si bien manquée en tant que bossue, qu’il en restait une personne frêle, souple, et d’un charme inexprimable. » Le fond de son caractère est une grande timidité unie à une sincère conviction religieuse. Elle paie les dettes d’Albany, elle le fait soigner pendant une maladie par le médecin de la ville, elle lui écrit tout cela par charité chrétienne. Si, par une faiblesse qui devient la source de ses inquiétudes et de ses remords, elle consent à l’entendre une seule fois (une seule !) dans le jardin du cafetier Narcisse, c’est qu’il a menacé de se tuer, et que d’ailleurs il doit quitter le lendemain La Faille-sur-Gouvre. Maintenant n’entre-t-il pas un peu d’amour dans sa sollicitude pour Albany ? Elle n’en convient pas, et l’auteur lui-même éprouve quelque peine à en convenir. Albany est un sacripant, Albany embrasse les grisettes dans la rue, on ne peut pas sérieusement aimer Albany.


Il y a un type dont madame George Sand semble fatalement obsédée, non pas depuis quelques années seulement, mais depuis le commencement de sa carrière littéraire. Ce type est celui d’un homme dégradé, beau de visage (indispensable condition !) faible de caractère, capable de tout, d’une sublime action comme d’une infamie, roi au tripot, prince dans un salon, plus blasé qu’un membre de l’Académie des sciences, avec des naïvetés soudaines et d’incomparables élans de poésie. Cet homme, madame George Sand ne manque jamais de l’habiller de dentelles magnifiques, mais fripées ; de lui donner des mains blanches et des pieds d’une petitesse idéale. Elle l’a aperçu pour la première fois dans la Marquise, sous les traits d’un cabotin du boulevard, et il est resté dans son souvenir ; elle l’a revu dans Leone Leoni, plus méprisable et plus séduisant ; il a traversé encore plusieurs de ses romans italiens, dont les titres ne sont pas présents à notre mémoire puis, d’aventure en aventure, de pays en pays, nous le retrouvons aujourd’hui dans Narcisse, peu ou point changé, toujours insouciant et toujours ballotté par la mauvaise fortune. C’est Albany.


Albany n’est pas bien certain, lui non plus, d’aimer mademoiselle d’Estorade ; il faut que les événements s’en mêlent pour l’éclairer sur la véritable nature de ses sentiments. Un an environ après son départ de La-Faille-sur-Gouvre, une jeune et riche veuve de Nantes s’éprend d’enthousiasme pour lui et lui offre sa main. Avant d’accepter, Albany croit de son honneur de soumettre cette proposition à mademoiselle d’Estorade. Cette démarche, maladroitement faite, et pour laquelle il a le tort de choisir des intermédiaires intéressés à lui nuire, brouille toutes les cartes. La religieuse s’offense de ce qu’Albany a pu croire que ce mariage troublerait sa tranquillité ; elle le rassure avec une indifférence affectée et, quelques mois plus tard, afin do prouver aux autres et à elle-même que son cœur est parfaitement libre, elle épouse le cafetier Narcisse.

Vous ne vous attendiez guère à cette conclusion, n’est-ce pas ? C’est pourtant cette rivalité entre un cafetier et un comédien, au sujet d’une demoiselle noble, qui est le fond du livre. On retrouve là un reflet, considérablement dépoétisé il est vrai, de l’idée obstinée qui a inspiré à madame Sand l’amour de Bénédict pour madame de Lansac, dans Valentine, l’amour du barcarol Lého dans la Dernière Aldini, l’amour du Compagnon du tour de France, et tant d’autres amours encore de condition moyenne ou basse.


Il n’entre pas dans nos intentions de blâmer, ni même de discuter ce parti pris nous n’insistons que sur la mise en œuvre, beaucoup plus faible dans Narcisse que dans les romans que nous rappelons. On remarque de l’embarras dans la manière dont les faits sont exposés, de l’hésitation dans leur enchaînement. Est-il bien sûr que madame George Sand possédât absolument son sujet au moment où elle en a abordé l’exécution ? N’a-t-il pas dévié sous sa plume ? Nous sentons quelque chose comme un essor contrarié dans cette narration qui, à mesure qu’elle s’avance vers le dénoûment, se ralentit, s’abaisse et se refroidit de la façon la plus complète et la plus désespérante. La thèse que madame Sand s’est proposée n’est pas même soutenue avec un courage égal la chaleur y manque un peu plus, et elle y renoncerait.

Quels que soient, en effet, ses efforts vers l’honnêteté et la simplicité natives, l’antagonisme de Narcisse Pardoux et d’Albany n’est pas supportable. L’un est un brave garçon, sans doute, mais qui n’a jamais eu à lutter contre la vie, bouffi de bière et blême d’absinthe (c’est madame Sand qui en convient), vêtu dé couleurs voyantes, condamné par sa profession à un langage commun, à des manières triviales. Elle nous le donne pour une belle âme. Une belle âme ! c’est bientôt dit. Pour nous, nous avons la conviction qu’une belle âme se compose d’éléments plus purs et d’aspirations plus élevées. Une belle âme ne s’accommode pas si tranquillement d’un milieu fétide. Simple et bon comme nous le reconnaissons, Narcisse n’est pas de force à remporter la victoire sur Albany dans un cœur à la fois aussi ardent et aussi replié que celui de mademoiselle d’Estorade. Albany a la supériorité d’une éducation artistique ; on ne lui conteste ni la loyauté ni la sincérité si peu qu’on lui accorde de tact, il lui en reste encore assez pour primer le cafetier. Du jour où il retrouve mademoiselle d’Estorade, sa conduite non-seulement avec elle, mais avec tout le monde, est celle d’un homme d’honneur il paye ses dettes, brise une liaison honteuse et renonce à ses habitudes d’estaminet. Qu’exiger de plus ? Pourquoi est-il injurié d’un bout à l’autre du volume, et finalement bafoué ? Au fond, madame George Sand, qui ne me semble pas bien se rendre compte elle-même des qualités certaines dont elle l’a doué, ne lui reproche qu’une vanité de chanteur de second ordre, jointe à quelques bouffées de fatuité dans ses rapports avec les femmes. Nous cherchons autre chose, sans rien trouver. Évidemment, les touches dont elle s’est servie pour ce portrait manquent de décision, et, chez les lectrices, Albany excitera, nous en sommes persuadé, des sympathies qu’il n’était point dans l’intention de l’auteur de faire naître.


Serait-ce que, tournant le dos à son œuvre entière et mue par un de ces caprices dont elle ne veut pas que la critique lui demande raison (voir la préface de Mont-Revêche) madame George Sand aurait tenu cette fois à célébrer la bourgeoisie obscure et candide, en lui donnant le pas sur la bohème de l’art, cette bohème à qui elle doit tant de pages éclatantes et passionnées ? Cela serait possible ; mais alors qu’en aura pensé Maître Favilla ? Il aura pensé comme nous, d’abord que l’apothéose est manquée par ce reste d’attraction inavouée vers les chanteurs et vers les beaux cavaliers ensuite que c’est grand dommage de voir ce noble esprit, cette hardie imagination embrasser un ordre d’idées auquel nous ne devons guère d’autres chefs-d’œuvre que les tentatives dramatiques de l’école dite du bon sens et les récits émollients de M. Octave Feuillet.

Elle-même, d’ailleurs, ne condamne-t-elle pas son livre, c’est-à-dire l’idée de son livre, en faisant mourir mademoiselle d’Estorade quelques heures après son mariage avec Narcisse ? Voilà où est la défaillance, l’illogisme naïf. Elle n’a pu envisager, sans en frémir dans ses fibres les plus délicates, la consommation de cette alliance stupéfiante. Engagée dans une impasse, et ne voulant pas revenir sur ses pas, elle a tué son héroïne plutôt que de l’abandonner dans une situation impossible et ridicule.

Nous ajouterons qu’il entre beaucoup de la taquinerie de Marivaux dans les procédés psychologiques de madame Sand. Elle lasse le cœur et l’esprit par des raffinements de torture imités à son insu du Jeu de l’Amour et du hasard, par des exagérations de scrupules, par des cruautés mystiques, par des exigences et des restrictions qui, petit à petit, exaspèrent le lecteur. Mademoiselle d’Estorade est de ce côté très proche parente de l’Edmée de Mauprat ; c’est la même façon de tenir à distance son amant, sous prétexte d’épreuves. À la hauteur où elle place l’âme de ses héroïnes, il devient presque impossible a un homme d’y atteindre.


Nous n’avons rien dire sur le style de Narcisse : il est, comme d’habitude, plein, facile, abondant. Les étrangers ne doivent point avoir de difficulté à le traduire. Il se colore dans le paysage et arrive à l’émotion naturelle dans les dernières pages du livre, celles qui racontent l’agonie douce de mademoiselle d’Estorade. Les agonies sont de mode. Comme dans Pauline, mais avec un sentiment moins poignant de mélancolie, la vie de province y est étudiée. Citons un passage « Dès qu’en province on renonce à s’amuser, on ne s’ennuie plus. Cette placidité de l’habitude, cette langueur d’une intimité où les amis de tous les jours, n’ayant rien de neuf à se dire, ne se forcent plus pour dire quelque chose, ce laisser-aller paresseux de gens qui ont fait leur petite tâche de la journée et qui se permettent de végéter, pour recommencer la même tâche le lendemain, un je ne sais quoi d’intime et de mystérieux comme l’eau qui coule sans murmurer, me pénétrèrent et assoupirent mes habitudes de réflexion. Je sentis la douceur de cette vie à émotions cachées ou lentement savourées, qui fait le charme des petites existences, et qui étonne tant quand on y entre sans transition au sortir de la fièvre de Paris. »


Malgré deux ou trois autres endroits où se retrouve en partie l’écrivain de race, Narcisse n’ajoutera rien à la réputation de son auteur. C’est, pour nous résumer, un roman qui parait fait avec des reliefs d’autres romans. Tous les personnages qui y figurent sont des connaissances un peu pâlies par l’absence ou par l’âge elles reviennent de loin, il est vrai, les unes du romantisme, les autres du socialisme ; telles qu’elles sont, on les aime encore, par la seule raison qu’on les a aimées autrefois ; on les salue d’un sourire éclairé des lueurs du souvenir. C’est bien pour nous. Mais pour la génération actuelle, qui les voit pour la première fois, n’est-elle pas en droit d’exiger davantage ? N’y a-t-il pas à craindre que, Narcisse ne satisfaisant ni sa curiosité ni son émotion, elle ne laisse de côté le nom et les antécédents illustres de George Sand pour s’enquérir de la Pauline Foucault de M. Louis Ulbach ou du Daniel de M. Ernest Feydeau ?

CHARLES MONSELET.

Annabelle M. REA - Narcisse ou la réécriture d'un mythe[modifier]

Fleurs et jardins dans l'œuvre de George Sand - Presses Études réunies et présentées par Simone Bernard-Griffiths et Marie-Cécile Levet, Universitaires Blaise Pascal [1]

  1. Librairie Hachette ; 1 vol.