Discussion:Une vieille fille
Éditions[modifier]
Titre et éditions | ||
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1859 : | Une Vieille Fille | par Léo, propriété de l’éditeur, Bruxelles, Alphonse Lebegue, imprimeur-éditeur, 1851[1][2] |
1864 : | Une Vieille Fille | Librairie Achille Faure |
Présentation de wikisource[modifier]
Titre et éditions | Genre | |||
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1859 : | Une vieille fille | Roman | Premier roman de Léodile Béra sous le pseudonyme de Léo. « Cette vieille fille, encore jeune malgré son nom, se couvre d’habillements passés de mode et d’un large bonnet destiné à cacher les plus beaux cheveux du monde, afin de paraître réellement vieille et de pouvoir vivre seule, loin de ce monde à la fois brillant et misérable, dont elle connaît à fond les défauts et les vices. L’amour — ce trompeur éternel — lui ravit en un jour ses espérances et ses illusions. La trahison de l’objet aimé la rend misanthrope ; dès ce moment elle n’aime plus que l’humanité. C’est par humanité qu’elle s’attache fortement à l’avenir d’un jeune homme qui devient un moment le fiancé de sa sœur, plus jeune qu’elle de dix années. Mais cette sœur est une coquette qui comprend peu l’amour sérieux et profond d’Albert. Celui-ci aime éperduement cette Pauline qu’il délaissera plus tard pour donner son cœur à la vielle fille. Après mille combats, mille tourments, l’union s’accomplit et le bonheur en est le résultat. » Premier volet d’une trilogie sur le mariage. |
Critiques, Résumés…[modifier]
- 1859, février, parution à Bruxelles du premier roman de Léodile Champseix, Une vieille fille, signé “Léo”" [1]
- Couverture du livre une vieille fille, Bruxelles, 1851 [2]
- Journal des débats/20-01-1865/Variétés
Il semble que l’auteur en avait eu la première idée en commençant son autre ouvrage, Une vieille Fille, qui, publié en second lieu, a été, je crois, composé le premier. Puis l’idée se serait modifiée à mesure que l’œuvre avançait. Il se trouve, en définitive que celle qu’on nommait vieille fille ne l’était pas autant qu’on le croyait et qu’elle le croyait elle-même. Un amour vrai, honnête et partagé la rajeunit et la métamorphose. Il y a plusieurs pièces sur cette idée-là, qui n’en est pas plus régalante : la Vieille, la Douairière de Brionne, et d’autres encore. En un mot, la Vieille Fille est une œuvre indécise et faible, mais ornée de beaux paysages, ceux de Lausanne et du Léman. L’auteur a un don singulier pour sentir la nature et pour la peindre.
- La Célébrité : industrielle, artistique… [3] 18 décembre 1864
Nos Derniers Romans
I. — Du caractère de notre Littérature romanesque dans ces derniers temps.— II. — L’Héritage de Charlemagne, par M. Charles Deslye ; Hachette et Cife, éditeurs. Olga, par Louis Enault, même éditeur. — III. — Une vieille fille, par André Léo (pseudonyme de Mme de Champceix) ; Achille Faure éditeur. — Les Deux Filles de M.Plichon, par André Léo ; Achille Faure, éditeur. — IV. — Les Impressions d’un Japonais en France, par Richard Cortambert ; Achille Faure, éditeur.
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Voici un autre romancier qui a plu de vigueur, mais dont l’art n’est pas aussi grand, quoiqu’il promet certainement un maître. André Léot en effet, a été traité comme tel par la critique. À l’apparirition de son premier roman, il y eut un concert unanime de louanges. Dernièrement encore plusieurs critiques rappelaient ce succès très littéraire, à propos des deux nouvelles œuvres que vient de publier l’auteur d’Un Mariage scandaleux. Nos études littéraires constatent aussi que l’année dernière cette œuvre remarquable fît naître en nous de brillantes espérances, qui, malheureusement ne se réalisent guère. Après avoir lu les deux nouveaux romans d’André Léo (Mme de Champceix on est un peu désappointé. On était en droit d’attendre une épopée rustique plus fouillée et certainement plus puissante que la première ? mais dans une Vieille Fille — l’auteur n’aime pas à généraliser, on le voit par ses titres— ou trouve tout simplement un petit roman d’intrigue dont l’intérêt est vif à la vérité, mais qui semble un peu terne si l’on se rappelle les scènes brillantes d’un Mariage scandaleux. Cette vieille fille, encore jeune malgré son nom, se couvre d’habillements passés de mode et d’un large bonnet destiné à cacher les plus beaux cheveux du monde, afin de paraître réellement vieille et de pouvoir vivre seule, loin de ce monde à la fois brillant et misérable, dont elle connaît à fond les défauts et les vices. L’amour — ce trompeur éternel — lui ravit en un jour ses espérances et ses illusions. La trahison de l’objet aimé la rend misanthrope ; dès ce moment elle n’aime plus que l’humanité. C’est par humanité qu’elle s’attache fortement à l’avenir d’un jeune homme qui devient un moment le fiancé de sa sœur, plus jeune qu’elle de dix années. Mais cette sœur est une coquette qui comprend peu l’amour sérieux et profond d’Albert. Celui-ci aime éperduement cette Pauline qu’il délaissera plus tard pour donner son cœur à la vielle fille. Après mille combats, mille tourments, l’union s’accomplit et le bonheur en est le résultat.
Morale ! La vieille fille est la pierre de touche de l’amour.
Dans le deuxième roman — Les Deux filles de M. Plichon, — c’est encore à peu près la même histoire. Des deux filles de ce bon père de famille dont les vues ne vont pas plus loin que le bout du nez, le comte William de Montsalvan épouse celle à laquelle il n’était pas fiancé d’abord. C’est absolument comme dans la Vieille Fille. Celle qu’il épouse n’est ni vieille ni jeune, mais elle est plutôt vieille que jeune si l’on juge de son cœur par son caractère, ce qui, j’en conviens, n’est pas toujours une raison. Cependant ici, on ne peut se dispenser de l’admettre. Le caractère d’Édith ressemble aussi terriblement à celui de la vielle fille en question. Ces deux femmes sont parentes au premier degré comme sont assurément frères les deux héros sur lesquels l’auteur appelle plus particulièrement l’attention. Albert et William, après avoir aimé chacun une coquette sans cœur, reviennent l’un et l’autre à la femme raisonnable à la vielle fille enfin, car, n’en déplaise aux jeunes poupées à ressort qui fréquentent les bals même les plus comme il faut, la raison n’a jamais habité un moment dans leur tête. Elles agissent avec leur tempérament. C’est là tout leur patrimoine. Leur rougeur au plus petit mot égrillard ne prouve rien. La bête en elles n’efface jamais l’autre, et cela pour une bonne raison, parce que l’autre n’existe pas dans la jeunesse. Donc, mais je m’arrête, J’allais finir mon raisonnement par un théorème et dire résolument : la jeune fille manque de cœur et c’est à la vieille fille qu’il faut aller se désaltérer. Cette coupe suave et pure n’enivre point, mais elle fortifie. La poésie n’habite point en elle ; c’est à la philosophie de prendre sa place. Au lieu d’épouser des illusions et partant des déceptions, on s’unit à la raison personnifiée. Le bonheur en est souvent la récompense. Cela doit être. Une telle union ne peut être que le fruit ou de l’amour puissant, suborneur, ou celui de la raison. Quand on aime une femme raisonnable et sérieuse, en un mot une vieille fille, soit par l’âge ou par le caractère, on a certainement raisonné d’avance son amour ; quand au contraire on se laisse conseiller par la raison sans aimer une telle femme, la paix à part tout ce bonheur calme et durable en est encore la récompense. Mais on ne peut atteindre à cette existence fortunée que dans ces conditions. Hors de là, la lutte, les passions, les haines, entrent dans la maison. La jeune fille apporte dans sa corbeille une véritable boîte de Pandore. Tous les maux imaginables fondent sur ce pauvre nid exposé aux vents et à la tempête…
Voilà à peu près ce qui ressort des deux livres de Mme André Léo. Nous partageons jusqu’à un certain point son opinion, bien qu’elle ne devrait pas être émise par une femme. Il y a encore des exceptions à la règle, malheureusement ces exceptions deviennent de plus en plus rares. Plus les peuples se civilisent, moins on trouve de jeunes filles possédant ce que l’on appelle du cœur. Elles ont bien quelques petits talents, un peu d’argent, quelques colifichets, des robes et des crinolines à profusion, mais cela est navrant, rien ne bat plus sous la mamelle gauche. Depuis qu’on se marie par ambition, le besoin ne se fait plus généralement sentir d’avoir du cœur, des idées, du talent, du dévouement et du savoir-faire dans le ménage. On nous élève, je répète le mot, des poupées à ressort à qui l’on apprend à jouer du piano et à faire les grandes dames. Du diable si elles connaissent un mot de la Cuisinière bourgeoise. On me dira qu’elles ne peuvent lire les romans en vogue, jouer tous les quadrilles sur leur chaudron, les danses dans les salons, monter à cheval au manège et, au milieu de ces nombreuses occupations, raccommoder les chaussettes de leurs papas ; je ne puis me contenter de ces raisons. Le raccommodage des chaussettes vaut mieux que tout cela. En vain, les jeunes crieront à la profanation ! Je les attends. Ils viendront plus tard me montrer leurs bas en lambeaux et leur ventre vide. Leurs chères moitiés les guériront assez de leurs illusions… Partant, réhabilitation de la vieille fille…
L’idée, certes, est hardie et ce n’est pas trop de lui sacrifier deux romans coup sur coup. Cepenpendant, on aimerait à trouver dans ces livres des scènes originales, une action bien conduite, des types et des caractères de notre temps, et par malheur rien de semblable ne s’y montre. S’il fallait opter pour l’un de ces deux romans, je préférerais celui d’une Vieille Fille, L’intrigue en est simple et naturelle, mais sans atteindre cependant au réalisme du premier chef-d’œuvre d’André Léo. Cette histoire est très intéressante ; elle est préférable par l’unité de son action et la manière dont elle est conduite au roman trop compliqué des Deux filles de M. Plichon. Ici l’auteur aborde le Demi-Monde. Le comte de Montsalvan est un prodigue qu’on retrouve dans toutes nos épopées contemporaines. Quant aux personnages secondaires, l’auteur en a fait des caricatures. Ses femmes sont les mêmes que dans une Vieille fille. Nous avons dit que ses deux jeunes premiers avaient été créés et mis au mis au monde par la même mère. Pourquoi deux livres pour raconter la même histoire ? Et dans l’un de ces deux livres n’est-ce pas un tort grave d’avoir adopté le genre des romans par correspondance ? La mode en est passée. Rien, du reste, de plus ennuyeux que cette façon de bâtir une intrigue romanesque. Le récit, trop monotone, finit par jeter une teinte nuageuse sur le fond des idées, au point d’en cacher tout l’effet. On ne se retrouve plus dans ce dédale. Pour réussir dans ce genre difficile, et contraire à l’art d’écrire les romans, il faut une fécondité à toute épreuve, et encore une autre forme est-elle préférable. Un autre défaut du livre de Mme André Léo c’est le sentiment critique trop prononcé dont son personnage principal est animé. Il ne raconte pas, il raisonne ; s’il croit analyser ses peines, il philosophe sur tout ce qu’il lui vient à l’idée ; jamais il ne va jusqu’à empoigner le lecteur par un intérêt soutenu. C’est un de ces jeunes blasés du demi-monde qui sont à charge à eux-mêmes et qui se croient supérieurs aux autres hommes. La société tout entière se trouve en butte à leurs attaques.
Il faut convenir cependant que la langue de ce dernier livre d’André Léo, est beaucoup plus puissante et plus précise. On y sent comme le travail d’un talent qui se cherche encore, et qui, après avoir analysé les mœurs cherche à se rendre compte de la valeur des idées. En le lisant on s’aperçoit que le style est ferme, raide, martelé comme sur une enclume. Le romancier devient un penseur. Il n’a qu’à mieux se concentrer en lui-même, et avec la force il acquerra sans aucun doute, la précision, sans laquelle on se perd dans des essais sans fin. Qu’il plane un moment sur le monde actuel et il y découvrira de nombreux sujets de romans. Après avoir écrit un vrai chef-d’œuvre, il serait désolant pour notre littérature qu’un talent comme le sien demeurât stérile.
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Adolphe de Rouvaire
- Journal des débats politiques et littéraires 9 septembre 1866 [4]
CAUSERIE DE QUINZAINE.
Il y a quinze jours, à propos (les ouvrages de M. André Léo, j’ai parlé des romans de femme, des romans anglais, des romans de littérateurs parisiens, et je n’ai presque rien dit de ceux de l’auteur même qui avait été l’occasion de toutes ces réflexions générales. Aujourd’hui je reviens à lui, comme je l’ai promis, car il est de ceux qui ont droit à une critique détaillée.
Ainsi que je l’ai dit, son bagage de romancier se compose de quatre volumes, car je ne veux mentionner que pour mémoire une petite historiette intitulée Jacques Galeron, où sont racontées avec simplicité et vérité les tribulations d’un malheureux instituteur communal aux prises avec les nombreuses suzerainetés qui, d’après notre organisation administrative, ont droit à son hommage et à son service. Je ne reviendrai pas sur le premier roman de M. André Léo, Un Mariage scandaleux, dont j’ai parlé à son apparition, et de son second ouvrage, Une vieille Fille, je ne dirai que quelques mots. C’est l’histoire d’une femme de trente-quatre ans, encore belle et charmante, qui se vieillit volontairement de dix ans ; et s’affuble, comme porte-respect d’un costume suranné, parce que sa position de fortune l’oblige à vivre seule et à ajouter à son mince revenu en prenant des locataires. Jamais précaution n’eut moins de succès, car, malgré ses trente-quatre ans réels et ses quarante-quatre ans supposés, elle finit par aimer et épouser un jeune homme de vingt-cinq ans, qui l’adore et qui l’adorera jusqu’à la fin de ses jours, à ce qu’assure l’auteur. Ainsi soit-il !
Ce petit roman, dont la scène se passe au bord du lac de Genève, a des descriptions d’une grande fraîcheur, mais il ne mérite pas de nous arrêter. Les caractères n’y sont pas étudiés avec assez de soin pour motiver ce que le sujet a de bizarre. Il n’y a rien d’impossible, sans doute, dans la situation que M. André Léo a dépeinte dans Une vieille Fille, mais elle est du moins fort exceptionnelle ; il faudrait donc quelque chose de rare aussi chez les personnages pour que le lecteur l’acceptât sans difficulté. Plus les actes et les sentimens sont excentriques dans un roman, plus il est nécessaire que les caractères et les détails soient naturels, et c’est une très grande, mais très commune erreur chez les conteurs que de se figurer qu’ils peuvent racheter le manque de travail et de fini dans le détail par une plus grande hardiesse et plus de nouveauté dans la façon de placer leurs personnages. C’est le contraire qui est vrai, et quand il s’agit d’ébauches, il faut éviter les attitudes ou les groupes compliqués. Quand on veut se contenter de bâcler quelques feuilletons faciles pour les réunir ensuite en un volume qui se laisse lire agréablement, c’est être bien malavisé que d’aller choisir des sujets qui demanderaient tout l’art et tout le soin d’un très habile romancier pour devenir simplement vraisemblables.
Un des chefs-d’œuvre de Thackeray, Esmond, est là pour prouver qu’un héros de roman peut fort bien aimer et épouser une femme qui a dix ans de plus que lui sans que personne s’avise d’y trouver à redire mais qu’il y faut d’art et de soins ! En un mot, la chose est aussi rare et aussi difficile à accomplir dans un livre que dans la vie réelle c’est touf dire.
Les deux Filles de M. Plichon, qui a paru l’an dernier, repose, au contraire, sur une donnée très simple et très naturelle. L’action se passe en province, dans un milieu bourgeois. M. André Léo excelle à peindre la vie bourgeoise avec ses préjugés étroits et ses honnêtetés un peu mesquines, et il a eu le bon esprit de lui rester fidèle dans tous ses romans. On ne peut l’accuser d’avoir crée une seule de ces grandes dames formidables, un seul de ces paysans sublime et impossibles dont nos romans modernes sont peuplés. Seulement, ces bourgeois sont aussi un peu campagnards, ce qui a l’avantage de permettre au lecteur de respirer à l’aise en pleine campagne, au milieu de paysages et de scènes champêtres toujours vrais et toujours décrits avec amour. Rien de plus naturel que l’intérieur de la famille Plichon. Le père, un ancien notaire, sot, vaniteux, rusé et crédule à la fois, —- vieux voltairien qui ne se possède pas de joie à l’idée d’avoir à dîner un évéque et de l’appeler monseigneur, démocrate qui laisse mourir sa porte des villageois affamés et qui n’apprécie chez son futur gendre que son titre de comte ; la mère, douce et simple, comprenant tout par le cœnr ; mais incapable d’initiative ou même d’une résistance un peu intelligente ; la tante Clotilde, une jeune vieille-fille bonne et romanesque, qui caresse et berce avec complaisance sur son cœur, qu’elle aime à croire brisé, un vieux chagrin d’amour datant de sa première jeunesse et mort depuis longtemps, -— tous ces personnages sont vivans. Les deux sœurs, filles de M. Plichon, Blanche et Edith, ne se ressemblent en rien. La plus jeune, Blanche, est une enfant belle, frivole, ignorante, pleine de grâce, de gentillesse et d’égoïsme naïf ; l’aînée, Edith, sous des dehors excentriques qui sont une défense contre son entourage vulgaire, cache une âme ferme et une intelligence vigoureuse qu’elle cultive en secret. Elle n’a, à mes yeux, qu’un défaut, c’est d’être, avec un peu trop d’affectation, ce qu’on se plaît à nommer en langage moderne une femme supérieure.
Au milieu de cette famille tombe un jeune et loyal gentilhomme plus d’à demi ruiné, le comte de Montsalvan, qui est devenu amoureux de Blanche et que M. Plichon a accepté pour gendre, malgré sa ruine, afin de voir sa fille comtesse. Toute l’histoire de cet amour est racontée dans une série de lettres adressées par M. de Montsalvan à un de ses amis. Il existe contre le roman par lettres un préjugé très général -— préjugé injuste, selon moi, car il n’est pas, en réalité, de forme de récit plus naturelle, si elle est bien employée. M. de Montsalvan raconte, sans trop d’invraisemblance, à son meilleur ami, ses aventures dans la famille Plichon ; comment son amour si vif pour Blanche s’éteint peu à peu en présence d’une incorrigible futilité ; comment la sérieuse Edith prend graduellement dans son cœur la place de Blanche, et comment il se fait qu’à la fin tout finit bien, grâce à Blanche, qui se prête à un dénoûment heureux en repoussant un futur par trop ruiné qui ne peut pas la mener vivre à Paris, tandis qu’Édith accepte avec enthousiasme, l’idée d’une vie mêlée de travaux rustiques et d’étude. Elle ne voit pas de plus bel avenir que de défricher une lande, de fonder une école et de faire à deux du socialisme pratique, selon la mode des personnages vertueux de George Sand. Cela s’appelle, je crois, « faire progresser l’humsnité dans ses voies. »
Tout cela est bien raconté dans les lettres du héros, et j’y renvoie sans crainte le lecteur. Il y a beaucoup de véritable talent dans les deux Filles de M. Plichon, et, de plus, une pensée morale et utile se trouve cachée au fond de ce joli petit roman. Tous les jours on nous donne des peintures d’un monde hideux et l’analyse minutieuse des vices les plus révoltans sous prétexte de mettre la jeunesse sur ses gardes ; il est peut-être non moins urgent de prémunir les hommes à marier contre les séductions dangereuses de ces candides nullités qui, assises comme des sirènes sur l’écueil, du mariage, entraînent tant d’imprudens dans des gonffres insondables d’ennui et d’incompatibilité. Que d’hommes intelligens se figurent qu’une jeune fille belle, innocente et douce, ne peut manquer de faire une charmante épouse, et ne se doutent pas des horreurs de la longue solitude à deux d’un mariage disparate. Pour ceux-là, n’est-il pas utile de rappeler qu’il n’est pas de pire mésalliance que celle qui résulte de la disparité des intelligences et des caractères ? Blanche Plichon est jeune, jolie, honnête, aimante à sa façon pour le premier venu un peu bien tourné qui se présentera, avec l’aveu de ses parens, pour le bon motif et en lui apportant l’émancipation du mariage : mais quelle compagne pour un homme intelligent ! et comment donner le nom d’union à un mariage avec un être aussi incomplet ?
Le personnage de Blanche, si simple en apparence, est tracé avec une rare habileté, depuis le premier jour où elle s’éprend par vanité du plus beau danseur des bains de Royan, le comte de Montsalvan jusqu’à celui de la rupture, quand elle voit avec consternation, après avoir fait le budget approximatif du mobilier futur, qu’il ne leur restera pas de quoi acheter une pendule pour la cheminée du salon. Son prétendu propose naturellement de supprimer la pendule : « Supprimer la pendule ! » répète-t-elle avec horreur ; « je crois que vous êtes fou ! Vous ne m’avez jamais aimée »
Je voudrais donner un exemple de la justesse d’observation qui distingue M. André Léo et de sa manière de dire. Je transcris ici une demi-page qui me semble justifier tous mes éloges. Disons seulement qu’il y a eu une discussion entre M. Plichon et son futur gendre, et que Blanche s’est chargée d’apaiser son père et de le faire céder :
« Au bout d’un moment, la tante Clotilde vint me rejoindre.
» —— Ce que femme veut, Dieu le veut, me souffla-t-elle à l’oreille, et M. Plichon est un Dieu à cet égard-là. Voyez le tableau. Votre grâce va être accordée.
» En tournant les yeux dans la direction qu’elle m’indiquait, je vis le père et la fille enlacés, elle, souple, insinuante, prenant tour à tour des airs tendres ou fâchés, appuyant d’un baiser chacune de ces insistances… lui, feignant encore la rudesse, mais n’y tenant plus que pour se faire prier un peu plus longtemps.
» Ce jeu-là, je l’avais déjà vu plusieurs fois. Blanche y était savante ; tantôt hardie et tantôt câline, ordonnant, priant, gorgeant le bonhomme de flatteries, l’attendrissant de caresses, puis emportant la victoire par une saillie dont il riait tout le jour.
» J’avais vu cela plusieurs fois, et cela m’avait toujours un peu sonné faux, mais je n’y avais pas attaché ma pensée. À ce moment, au sortir de cette discussion dout j’étais encore animé, tout un monde d’objections et de répugnances afflua dans mon cerveau, et je me sentis nettement hostile. C’est toujours ainsi, par l’opposition soudaine de ma conscience à certaines paroles où à certains faits, que la lumière se fait en moi.
» Tout ce système odieux et absurde qui met le gouvernement du monde aux mains de la fantaisie, de l’ignorance et des vanités m’apparut là comme incarné. Et toutefois bien plus dans ce père imbécile qui veut sa fille enfant et se laisse gouverner par elle, que dans cette charmante créature mal élevée par ses éducateurs.
» Non, je n’aime pas cela…… »
Voilà qui est très finement observé, et je ne m’étonne plus que des critiques astucieux aient deviné le sexe de l’auteur. Un homme ne s’indignerait pas tant que cela du gouvernement du monde par la ruse, et les femmes seules peut-être savent au juste ce qu’il en coûte à la dignité et à la sincérité de régner par la câlinerie et la gentillesse.
Jusqu’ici je n’ai eu que des éloges à donner, mais… n’y a-t-il pas toujours des mais ? Déjà, dans mon précédent feuilleton, j’ai fait mes réserves au sujet de certaines admirations littéraires de l’auteur qui me paraissaient avoir amené chez lui de fâcheuses émulations. À ce sujet ma critique pourra d’autant mieux être franche, sans être blessante, que les qualités que je me plais à reconnaître à M. André Léo lui sont toutes personnelles, tandis que les défauts que je lui reproche me semblent être adoptés volontairement. Je ne lui demande que de conserver son indépendance. Je m’explique.
Lorsque, dans une des premières lettres de M. de Monssivan, j’ai vu que, pour former le cœur et l’esprit de sa future, il allait faire venir pour elle de Paris, entre autres livres, le dernier roman de George Sand, j’ai tout de suite frémi, — non pas pour la jeune fille, quoique de ce côté-là il y aurait beaucoup à dire, — mais pour l’auteur des Deux Filles de M. Plichon. C’est un modèle bien dangereux que Mme Sand. Ses merveilleuses qualités, son incomparable clarté et sa simplicité de style (quand elle veut bien être claire et simple), son génie descriptif, qui parfois va jusqu’à la magie, elle ne pourra les donner à personne ; — en présence de ses derniers romans, on peut même se demander si elle saura les conserver et les défendre contre les périls d’une prédication incessante et contre l’affaissement qui est le résultat infaillible d’une production trop rapide. Mais ses défauts sont faciles à copier, et ils ne laissent pas que d’être tentans pour les romanciers comme M. André Léo, qui veulent non seulement amuser, mais moraliser et réagir contre les préjugés, surtout en ce qui touche le mariage et les femmes. Les femmes c’est là un sujet très délicat, et il faut l’aborder avec, beaucoup de précautions, — à cause des hommes. Il en est tant qui, à cet égard, sont encore plongés dans les ténèbres !
Il y a trois choses insupportables, selon moi, dans les romans de Mme Sand, — les romans de sa dernière manière, s’entend. À bien compter, il y en a même quatre, qui apparaissent à tour de rôle et souvent toutes à la fois. Il y a d’abord la femme supérieure, être didactique et souverainement ennuyeux ; il y a la thèse, toujours présente et souvent intempestive ; il y a l’homme trompé « aux pardons sublimes », et enfin l’indélicatesse continuelle en ce qui touche les rapports de famille et de sentiment. Par parenthèse, pourquoi les romanciers féminins vantent-ils toujours tant ces hommes de pardon ? Ne serait-ce pas pour la même raison qui fait que les romanciers de l’autre sexe aiment les femmes qui ont des « trésors d’indulgence ? » Il est bon de savoir pardonner, je le veux bien, mais il ne faut de l’excès en rien, et il s’agit avant tout de rester simplement humain, car c’est là le sine quâ non de l’intérêt du lecteur.
Les personnages de Mme Sand sont souvent très moraux ; ils poussent la vertu jusqu’au sublime ; ils enjambent même assez fréquemment ce pas fameux qui dépasse le sublime de toute, la distance qui le sépare du ridicule ; mais ils se montrent bien rarement délicats, comme le sont sans effort les gens dont le sens moral n’a pas été faussé. Ils se meuvent dans un monde de théories vertueuses et de systèmes philanthropiques, mais ils ne font jamais tout bonnement ce que tous les honnêtes gens feraient à leur place. C’est pourtant là le vrai secret pour faire un roman moral. Prenez les inçidens que vous voudrez, inventez telle situation qu’il vous plaira, et mettez aux prises avec tout cela un honnête homme ou une véritablement honnête femme ; qu’ils agissent selon leur nature, et le roman sera moral sans prédication et sans théories. C’est très simple ; mais encore faut-il savoir……
Dans Les deux Filles de M. Plichon, M. André Léo n’a fait que de légers emprunts à la manière de Mme Sand, et tout ce que je viens d’énumérer tout à l’heure ne s’y retrouve pas. Sa femme supérieure, Édith, ne l’est que d’une façon supportable, et même elle se repent à la fin d’avoir été, à cause de sa supériorité, désagréable et tranchante pour tout son entourage. Il faut lui tenir compte de ce repentir tardif ; cependant je ne puis m’empêcher d’en vouloir à cette jeune fille d’avoir un cahier où sont consignées ses pensées sur l’amour et le mariage, cahier qu’elle donne à lire à celui qu’elle aime. Quand à mon tour j’y lis des réflexions comme celle-ci : « L’amour est un plaisir dont les hommes rient et dont les femmes rougissent », ou bien encore que « les hommes trouvent sans doute la nature impure à cause de leur propre impureté », le tout accompagné de réflexions sur l’histoire d’Abeilard et d’Héloïse, je suis tenté d’abord de me dire que ces remarques ne sont pas absolument neuves, même dans la forme, et ensuite de m’écrier comme l’amoureux, mais avec moins d’admiration que lui : « D’où vient-elle ? mon Dieu ! Comment possède-t-elle tant de hauts secrets ? » Et involontairement je songe à Mlle La Quintinie, dont « l’âme de diamant », au dire de George Sand, « n’avait pas besoin de cette petite honte ingénue et touchante qu’on nomme la pudeur. »
La lande qu’on défriche et qui rapporte d’une façon invraisemblable, l’école qu’on fonde ont bien une petite teinte de ce socialisme romanesque si fort à la mode dans l’école de George Sand, mais elles ne tiennent pas grand’place et sont reléguées à la fin du volume. Quant à moi, je leur pardonne en faveur de l’idée qu’a Mlle Édith de réunir dans son école les petites filles aux petits garçons. Il y a là une pensée très morale, selon moi, mais que je ne puis développer ici. C’est, du reste, une idée de femme que fort peu d’hommes partagent — et qui m’est une preuve que l’éducation de l’enfance des deux sexes ne sera vraiment morale que quand elle sera confiée aux femmes.
Si donc j’ai parlé de l’influence dangereuse de George Sand à propos de M. André Léo, c’est surtout parce qu’il me semble s’avancer sur une pente fatale. En effet, dans son dernier roman, un Divorce, il devient bien plus nettement un disciple de George Sand, et tout ce que je reproche à celui-ci s’y retrouve : la thèse, la femme supérieure, et jusqu’à l’époux débonnaire. Malheureusement dans les deux derniers romans de M. André Léo, il y a ce manque de soin à respecter les délicatesses de la vie de famille que j’ai noté chez son modèle. Je dis manque de soin, car, chez lui, il n’y a pas ignorance. Tout à l’heure, j’ai fait une citation à propos de mes éloges ; voici une, pièce justificative de mes critiques. Elle expliquera mon reproche mieux que je ne pourrais le faire en plusieurs pages. C’est une lettre du héros à son ami Gilbert Valencin.
« Je voulais te dire une chose que j’ai eue sur les lèvres quelquefois et que je n’ai jamais osé te dire. Il m’est venu souvent à l’idée que nous étions frères. M. Valencin, tu le sais, ne rendait point heureuse ta pauvre mère. Il avait un caractère haïssable et tu ne lui ressembles pas. Mon père, au contraire, était si beau, si bon, si séduisant, — pas trop sévère non plus sur le chapitre. Tu en penseras ce que tu voudras ; pour moi, c’est une conviction secrète. En tout cas, la cause nous importe peu ; c’est de l’effet qu’il s’agit ; que nos parens s’en soient ou non mêlés, nous sommes frères. »
Cela veut dire, je crois, en bon-français :
« Mon ami, je crois que ta mère a été la maîtresse de mon père et que tu es un enfant adultérin. En tout cas, la chose importe peu. » Eh bien ! entre honnêtes gens cela importe beaucoup ! Un gentilhomme bien élevé ne dit pas ces choses-là à un ami, et si par hasard il les disait, celui-ci, loin de lui en savoir gré, lui en demanderait raison.
Je me suis laissé fort peu de place pour parler d’un Divorce. C’est le dernier et le plus ambitieux des ouvrages de M. André Léo, et les défauts, ainsi que les qualités du romancier, s’y accusent plus fortement. L’action se passe en Suisse, et le divorce dont il s’agit a lieu selon les lois du canton de Vaud. L’auteur, évidemment, connait très bien la Suisse et la dépeint très fidèlement, trop fidèlement peut-être au gré de bien des gens qui trouveront certains chapitres un peu longs. Il ne faut pas trop de fidélité quand on peint ce qui est trivial ou ennuyeux. Mais, en somme, c’est là un bon défaut, et il fallait bien expliquer comment deux époux qui ont commencé par s’aimer, ou croire qu’ils s’aimaient, finissent par recourir à la loi pour se délivrer l’un de l’autre. Je neveux pas raconter ici les discordes conjugales de M. et Mme Desfayes. J’ai assez dit pour engager ceux qui ne demandent pas à leurs lectures des émotions violentes, et qui apprécient les peintures consciencieuses de mœurs et de caractères, à lire les romans de M. André Léo. Les caractères surtout, sont remarquables comme logique, et même ses personnages les plus secondaires se tiennent dans leur rôle jusqu’au bout. C’est en cela que consiste, après tout, le grand, le principal art du romancier, — et cette logique des caractères est la seule qualité que rien ne peut remplacer.
Je reprocherai seulement à M. André Léo d’attribuer souvent à la religion ce qui dépend du pays et de rendre le protestantisme responsable de ce qui est particulier à la Suisse. Quand il parle, par exemple, de la séparation profonde que les usages protestans établissent entre les sexes, il prouve seulement qu’il ne connaît ni l’Amérique ni l’Angleterre. S’il était entré dans un temple protestant, même en France, il y aurait vu que les hommes et les femmes s'y trouvent confondus, et que c’est simplement un usage suisse que de les séparer à l’église. Il y a mauvaise grâce aussi à parler, dans un livre intitulé un Divorce, et à propos du pouvoir marital, du « dogme d’autorité, qui est l’âme du protestantisme », puisque le protestantisme accorde cette triste chance de libération à la femme tandis que chez les catholiques le mariage est une concession à perpétuité.
M. André Léo n’est point partisan du divorce, et, dans son roman, l’inconsolable douleur de la mère divorcée, qui voit dépérir et mourir loin d’elle son enfant, est un plaidoyer éloquent en faveur de l’indissolubilité du lien conjugal. Que le mariage doive être un lien indissoluble, c’est là une opinion fort soutenable, et si M. André Léo s’était borné à un plaidoyer en faveur de cette opinion, rien de mieux ; mais, hélas ! il voulu, selon la mode du jour, développer magistralement sa thèse. Il a amené de Russie, dans les derniers chapitres de son livre, un vieillard — ce même époux trompé et clément qui rappelle si désagréablement le M. Valvèdre et le M. Sylvestre de George Sand — qui professe sur la matière. Voici ce qu’il en dit entre autres choses :
« Le mariage est une loi dont les hommes, pauvres sacrilèges, ont voulu faire une institution. Si j’étais législateur, ma fille, j’inscrirais à ce chapitre un seul article dans le Code humain :
» L’amour, ou mariage, étant d’institution divine, est naturellement indissoluble. La loi civile ne peut l’établir ; elle le constate, soit en vertu de la libre déclaration des deux époux, soit par l’acte de naissance de leur premier-né. »
Franchement, qu’est-ce que cela veut dire ? Et si tous les hommes étaient rivés indissolublement à la mère de leur premier né, où en serions-nous ?
La question du divorce est bien vaste, et quoique chacun puisse avoir son opinion, il faut bien réfléchir et bien étudier, ce me semble, pour oser légiférer là-dessus. Il y a bien des législations pour le divorce, et, sans aller plus loin, il y a, la loi du divorce telle qu’elle existe en Angleterre depuis quelques années, qui diffère autant du divorce suisse pour incompatibilité d’humeur, que du refus de tout recours, qu’opposent aux malheureux notre Code et notre religion.
En finissant, j’éprouve la crainte d’avoir été bien sévère pour M. André Léo, dont je me sépare pourtant avec sympathie et espérance. Il est de ceux dont on se dit, volontiers, que, si l’on savait faire aussi bien qu’eux on ferait bien mieux. Si j’avais son talent, je voudrais écrire un roman hors ligne. Pour cela, je prendrais mon temps ; je me ferais la règle de ne pas lire de romans contemporains — surtout ceux de George Sand — et je ne tiendrais pas trop de compte des critiques littéraires, qui poussent presque, toujours les écrivains à s’enrôler dans une école. Je fais une exception, bien entendu, en faveur du Journal des Débats.
Horace de Lagardie.
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