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Égalité des peines – L’Empereur me commande l’historique minutieusement détaillé de mon Atlas.


Mercredi 15.

L’Empereur, dans la promenade, traitait divers sujets ; il s’est arrêté sur celui des délits et des peines. L’Empereur disait que les grands jurisconsultes, même ceux qui avaient été influencés par l’esprit du temps, se partageaient sur le principe de l’égalité des peines. À la consécration du Code, il eût été pour leur inégalité, si les circonstances n’avaient forcé à une décision contraire. Il m’a commandé de donner mon avis. « J’étais tout à fait pour l’inégalité. Nos idées demandaient une hiérarchie dans les peines, analogue à celle que nous concevions dans les crimes. L’harmonie de nos sensations semblait le demander aussi. Je ne pouvais prendre sur moi de mettre sur la même ligne celui qui aurait égorgé son père et celui qui n’aurait commis qu’un léger vol avec effraction : pouvaient-ils être punis des mêmes châtiments ?

Le coupable est celui qui m’occupait le moins dans la question. La peine était son affaire, il l’avait méritée ; et puis l’humanité avait bien des moyens occultes d’arriver au secours de ses souffrances physiques. C’étaient ses idées morales avant le crime, c’étaient celles des spectateurs, celles de toute la société que le législateur devait prétendre frapper par l’inégalité des peines. C’est à tort que l’on prétendrait que la mort seule suffit, et que le genre de supplice n’influe en rien sur l’esprit du criminel ni sur la préméditation du crime ; car, s’il y avait inégalité, il n’y a pas de condamné qui ne fit un choix, si on l’en laissait maître. Que chaque membre de la société se consulte, il frémit à l’idée de certains supplices, lorsqu’il serait à peu près indifférent à certains genres de mort. L’inégalité des peines, l’appareil des supplices, sont donc dans la justice et dans la politique de la civilisation, et je conçois néanmoins qu’il serait impossible aujourd’hui de vaincre l’opinion sur ce point1. »

L’Empereur était tout à fait de cet avis ; et, comme on avait parlé du meurtre du souverain, il disait qu’il était en effet au-dessus de tous les autres crimes, à cause de ses grandes conséquences. « Celui qui m’aurait tué en France, a-t-il dit, aurait bouleversé l’Europe ; et que de fois j’y ai été exposé ! etc. »