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Dissertations sur l’histoire de Saint-Louis/3

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Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France
Texte établi par Claude-Bernard Petitot (p. 89-109).
DES COURS ET DES FESTES SOLENNELLES


DES ROIS DE FRANCE.

(JOINVILLE, p. 199.)


Outre ces champs de mars, ou de may, et ces assemblées générales, que nos roys convoquoient tous les ans pour les affaires publiques, ils en faisoient encore d’autres aux principales festes de l’année, où ils se faisoient voir à leurs peuples et aux étrangers, avec une pompe et une magnificence digne de la majesté royale : ce qui fut pratiqué pareillement dés le commencement de la monarchie Chrétienne ; car nous lisons dans notre histoire que Chilperic estant venu à Tours, y solennisa la feste de Pasques avec appareil[1] : Chilpericus… Toronis venit, ibique et dies sanctos Paschæ tenuit. Eguinart témoigne que Pépin observa les mêmes cérémonies aux festes de Pasques et de Noël dans tout le cours de sa vie, ce qui fut continué par ses successeurs. Le même auteur écrit que Charlemagne avoit coutume de parètre dans ces grandes festes revêtu d’habits de drap d’or, de brodequins brodez de perles, et des autres vétemens royaux, avec la couronne sur la teste : In festivitatibus veste auro textâ, et calciamentis gemmatis, et fibulâ aureâ sagum astringente, diademate quoque ex anre, et gemmis ornatus incedebat[2]. Thegan fait la même remarque de Louys le Débonnaire : Nunquam aureo resplenduit indumento, nisi tantùm in summis festivitatibus, sicut patres ejus solebant agere. Nihil illis diebus se induit præter camisiam, et feminalia nisi cum aure texta, lembo aureo, baltheo præcinctus, et ense aure fulgente, ocreas aureas, et chlamydem auro textam, et coronam auream auro fulgentem in capite gestans, et baculum aureim in manu tenens[3]. Je crois que ces deux empereurs françois voulurent imiter en cela ceux de Constantinople, qui avoient coutume de se trouver dans les églises aux grandes festes de l’année, revêtus de leurs habits impériaux, et avec la couronne sur la teste, ce que Theophanes[4] nous apprend en la vie du grand Justinian. Du moins il est constant que Charles le Chauve fils de Louys le Débonnaire, affecta particulièrement de les imiter, ainsi que les annales de Fulde rapportent : Karolus, rex de Italiâ in Galliam rediens, novos et insolitos habitus assumpsisse perhibetur ; nam talari dalmalictà indutus, et baltheo desuper accinctus pendente usque ad pedes, necnon capite involute serico velamine, ac diademate desuper imposito, dominicis et festis diebus ad ecclesiam procedere solebat. Omnem enim consuetudinem regum Francorum contemnens, Græcas glorias optimas arbitrabatur[5].

Mais ces termes regardent la forme des vétemens et celle de la couronne ; car quant aux habits des François de ces siècles-là, le moine de S. Gal[6] en fait la description, et fait voir qu’ils estoient bien différents de ceux des Grecs ; dautant que nos princes portoient alors au dessus de leurs habits, et de leur baudrier, un manteau blanc, ou bleu, de forme quarrée, court par les côtez, et long devant et derrière : Ultimum habitus eorum erat pallium canum, vel saphurinum quadrangulum, duplex, sic formatum, ut cùm imponeretur humeris, antè et retrò, pedes tangeret, de lateribus verò vix genua contegeret. Tertullian[7] parle en quelque endroit de ces manteaux quarrez, que les Grecs nomment τετράγωυα. C’est ainsi que Charlemagne est représenté à Rome en l’église de sainte Susanne, en un tableau à la mosaïque, où il est à genoux devant S. Pierre, qui lui met entre les mains un étendard bleu parsemé de roses rouges, avec ces caractères au-dessus, d. n. carvlo rex ; de l’autre côté est le pape Léon, avec ces mots, scissmus d. n. leo pp. ; au dessus de la teste de S. Pierre, csc petrus. au dessous de ses pieds, est le fragment de cette inscription : ..... donas ..... bicto .... ia. Cette forme de manteau s’est toujours conservée depuis ce temps-là en France. Manuel Comnene[8] empereur de Constantinople, estant à Antioche, voulant faire voir aux François qu’il n’estoit pas moins adroit qu’eux à manier la lance dans les tournois, y parut à la françoise couvert d’un manteau, qui estoit fendu par la droite, et attaché d’une agraffe, afin d’avoir le bras libre pour combattre : χλαμύδα ἠσθημένος ἀστειοτέραν περὶ τὸν δεξιὸν ὦμον περονουμένην, καὶ ἀφιεῖσαν ἐλευθέραν τὴν χεῖρα κατὰ τὸ πόρπημα. De sorte que c’est cette espèce de manteau, dont il est parlé au testament de S. Everard duc de Frioul[9], Mantellum unum de auro paratum, cum fibulâ aureâ. Le compte d’Estienne de la Fontaine [10] argentier du Roy de l’an 1351, décrit ainsi les manteaux de nos roys, des princes du sang, et des chevaliers : « pour xx. aulnes et demie de fin velluiau vermeil de fors, pour faire une garnache, un long mantel fendu à un costé, et chaperon de meismes tout fourré d’ermines pour le Roy à la dernière feste de l’Estoille, etc. pour fourrer un surcot, un mantel long fendu à un costé, et chaperon de meismes, que le Roy ot d’une escarlate vermmeille, pour cause de ladite feste. » Et ailleurs : « pour le duc d’Orliens, pour fourrer un grand surcot, un mantel fendu à un costé, et chaperon de meismes, que ledit seigneur ot d’une escarlate vermeille. » Ce manteau représentoit le paludamentum des Romains, et est encore entre les habits royaux de nos princes, d’où les présidens à mortier du parlement les ont empruntez. J’ai fait cette reflexion en passant à l’égard des manteaux des anciens François, acause que le sire de Joinville remarque que le roy de Navarre parut en cotte et en mantel à la cour solennelle que le roy S. Louys tint à Saumur en l’an 1242.

Il est constant que non seulement les roys de la seconde race ont solennisé les grandes festes avec ces cérémonies, et cet appareil, mais encore ceux de la troisiéme. Helgaud[11] parle des cours solennelles que le roy Robert tint aux jours de Pasques en son palais de Paris, où il fit des festins publics. Orderic Vital écrit que le roy Philippes I, ayant esté excommunié acause de son mariage avec Bertrade de Montfort, cessa deslors de porter la couronne, et de se trouver à ces festes solennelles : Nunquam diadema portavit, nec purpuram induit, neque solennitatem aliquani regio more celebravit[12]. Et quoy que le roy S. Louys affecta la modestie dans ses habits, neantmoins il observa tousjours dans ces occasions la bien-séance qui estoit requise à la dignité royale : comme il fit en cette cour et maison ouverte qu’il tint à Saumur, où, au récit du sire de Joinville, il fut vêtu superbement, et où il ne se vit jamais tant d’habits de drap d’or. Et quoy qu’il ne dise pas qu’il y parut la couronne sur la teste, cela est neantmoins à présumer, puisque le roy de Navarre, qui s’y trouva présent, y estoit « moult paré et aourné de drap d’or, en cotte et mantel, la çainture, fermail et chappael d’or fin. » Nangis confirme cette magnificence de S. Louys, en ces termes : In solennitatibus regiis, et tàm in quotidianis sumptibus domùs suæ quàm in parlamentis et congregationibus militum et baronum, sicut decebat regiam dignitatem, liberaliter ac largiter se habebat, etc.[13] Ce qu’il semble avoir tiré de nostre auteur : « Aux parlemens et états qu’il tint à faire ses nouveaux establissemens, il faisoit tous servir à sa court les seigneurs, chevaliers, et autres, en plus grande abondance, et plus hautement, que jamais n’avoient fait ses prédécesseurs[14] ». Mais ce qui justifie que nos roys portoient la couronne en ces occasions, est le testament de Philippes de Valois, qu’il fit au bois de Vincennes le 2 de juillet l’an 1350, par lequel il donna la reyne Blanche de Navarre, sa femme, tous ses joyaux, exceptée tant seulement nostre couronne royale, de laquelle nous avons usé, ou accoustumé à user en grands festes, ou en solennitez, et de laquelle nous usâmes, et la portâmes à la chevalerie de Jean, nostre ainsné fils. » Ce sont les termes du testament. C’est donc acause de la couronne que les roys portoient sur la teste en ces grandes festes, que ces cours solennelles sont appellées curiæ coronatæ, dans le titre de la commune, qui fut accordée à la ville de Laon par le roy Louys le Jeune l’an 1138[15] : Pre his igitur, et aliis heneficiis, quæ prædictis civibus regali benignitale contulimus, ipsius pacis homines hanc nobis conventionem habuerunt, quod exceptâ curia coranata, sive expeditione, vel equitatu, tribus vicibus in anno singulas procurationes, si in civitatem venerimus, pro eis XXm libr. nobis persolvent.

La cour des princes est toujours remplie de courtisans, et c’est assez de dire que le Roy est en un lieu, pour inferer qu’il est fréquenté d’un grand nombre de personnes. Ce qui a fait dire à Guntherus :

Non est magnorum cum paucis vivire regum.
Quotlibet emittat, plures tarneri aula reservat.
Nec Princeps latebras, nec sol desiderat umbras :
Abscondat solem, qui vult abscondere Begem.
Sive noyi veniant, seu qui venêre recedant,
Semper inexhaustâ celebratur curia turbâ.[16]

Toutefois les roys ont choisi les occasions des festes solennelles, pour y faite parétre leur magnificence par le nombre des seigneurs et des prélats, qui y arrivoient de toutes parts pour composer leur cour, par l’éclat de leurs habits, et de ceux des officiers de la maison royale, par les splendides festins, les largesses et les libéralitez ; et enfin par les grandes cérémonies et particulièrement celles des chevaleries, qu’on réservoit pour ces jours-là. Ainsi c’est avec raison qu’on appelloit ces grandes assemblées, Cours plenieres[17], solennelles[18], publiques[19] generales [20], ouvertes[21]. La chronique de Bertrand du Guesclin :

Et toute sa vaisselle fasse amener droit là,
Pource que cour plainiere ce dit tenir voudra.

Ils choisissoient toujours à cet effet un de leurs palais, ou quelque grande ville, capable de loger toute leur suite, comme les annales d’Eguinhart, et les auteurs font foy, et entre autres le même Guntherus[22]

en ces vers, parlant de l’empereur Frederic I :

Instabat veneranda dies, quâ Christus in unâ
Æqualis Deitate Palri, sine temporis ortu,
Natus ab æterno, sub tempore, temporis auctor
Cælitus infusâ voluit de Virgine nasci, etc.
Hunc celebrare diem digno meditatus honore
Cæsar, ubi illustrem legeret sibi Curia sedem,
Quæ posset pleno tot millia pascere cornu,
Wormatiam petiit, etc.

Dans la seconde race de nos roys, je ne remarque presque que les festes de Pasques et de Noël, où ils tinssent ces assemblées : mais dans la troisième il y en avoit d’autres. Un titre du roy Robert[23], par lequel il exempte le monastère de S. Denys de ces cours selennelles, y ajoûte les festes des Toys, et de la Pentecoste. Un autre du roy Louys le Gros de l’an 1133[24], est ainsi souscrit, Actum Suessioni générali curia Pentecostes coram archiepiscopis, et episcopis, et coram optimatibus regni nostri. Ives évesque de Chartres parle en l’une de ses epîtres de la cour, quæ Aurelianis in Natali Domini congreganda erat[25], où il fait voir qu’on y traittoit des affaires publiques.

Mais, afin que les princes du sang, toute la maison royale, les grands officiers de la Couronne, et ceux de l’hostel, ou de la maison du Roy, y parussent avec éclat, les roys leur faisoient donner des habits suivant le rang qu’ils tenoient, et qui estoient convenables aux saisons ausquelles ces cours solennelles se celebroient[26] : ces habits estoient appeliez livrées[27] parce qu’ils se livroient et se donnoient des deniers provenans des coffres du Roy, et dans les auteurs latins liberatæ[28], et liberationes[29], et souvent les nouvelles robes[30]. Mathieu Paris, Appropinquante verò et imminente prœclaræ Dominicæ Nativitatis festivitate, quâ mutatoria recentia, quæ vulgariter novas robas appellamus, Magnates suis domesticis distribuere consueverunt, etc.[31]. Il parle encore ailleurs en divers endroits des robes de Noël[32]. C’est delà qu’on dit que celui qui porte les livrées, ou les robes de quelque seigneur, est censé estre de sa maison[33]. Les loix des barons d’Escoce, Dummodo non sit persona suspecta, utpote si fuerit tenèns suus, vel de familiâ suâ, vel portans robas suas, etc. Et, aujourd’hui, nous appelions livrées les habits des domestiques et des valets des seigneurs, qui sont ordinairement d’une même couleur, ainsi que Corippus décrit ceux de la suite de Justin :

.....ætsi quibus omnibus una,
Par habitus, par forma fuit, vestisque rubebat
Concolor, atque auro lucebant cingula mundo.[34]

Le moine de S. Gai dit que l’empereur Louys le Débonnaire faisoit des présens à ses domestiques, et donnoit des habits à chacun d’eux, selon leurs qualitez : Cunctis in palatio ministrantibus, et in curiâ regiâ servientibus, juxta singulorum personas donativa largitus est : ita ut nobilioribus quibuscumque, aut baltheos, aut flascilones, pretiosissimaque vestimenta à latissime imperio perlata, distribui juberet ; inferioribus verò saga Fresonica omnimodi coloris darentur[35]. Les comptes d’Estienne de la Fontaine, argentier du Roy de l’an 1351, font mention des livrées qui se donnoient à la maison du Roy, aux festes de Noël, de la Chandeleur, de la Pentecoste, de la my-aoust, et de la Toussains, et nous apprennent qu’elles se donnoient aux reynes, aux princes du sang, aux officiers de la couronne, aux chevaliers de l’hostel, qui sont nommez vulgairement les chevaliers du Roy, et généralement à tous les officiers de la maison du Roy, et encore à ceux qui estoient faits chevaliers par le Roy en ces solennitez. On appelloit encore ces livrées manteaux et en latin Pallia, parce qu’aux uns on donnoit des manteaux, aux autres des robes. Un compte du trésor de l’an 1300. Pallia milituin de termino Pentecost. etc. Pallia clericorum, etc. Robæ valletorum et aliorum hospitii',[36] etc. En une ordonnance de Charles V, de l’an 1364, pour le parlement : Wadia et pallia[37]. Une autre de Charles VII[38], pour les officiers du parlement du 24 de fevr. 1439, porte que les présidens, les conseillers, les greffiers, et les notaires du parlement seront payez de leurs gages et de leurs manteaux par debentur. Ce droit de manteaux appartenoit pareillement aux maîtres des requêtes, aux maîtres des comptes, et aux trésoriers de France, comme on peut recueillir de la lecture des anciennes ordonnances. Cela ne fut pas particulier à nos François, puisque nous lisons dans le code Theodosien que cette coutume fut encore pratiquée par les empereurs d’Orient, qui donnoient des habits aux officiers de leur palais : Olim statuimus, ut ultrà definitas dignitates nullus nec annonas, nec strenas perciperet. Sed quia plerosque de diversis palatinis officiis sub occasione indepti honoris strenas et vestes, cœteraque solennia ultrà statutum mimerum percepisse cognovimus, et id quod ex superfluo prœbitum est exigi facias, et deinceps ultrà statutas dignitates, nihil prœberi permittas[39]. Ces étreines, qui estoient données aux officiers, furent depuis appellées rogœ[40].

Helgaud, le sire de Joinville, et les autres auteurs remarquent encore qu’à ces festes solemnelles il se faisoit des festins publics, où les roys mangeoient en présence de toute leur suite, et y estoient servis par les grands officiers de la Couronne, et de l’hostel, chacun selon la fonction de sa charge. Il y avoit avec cela les divertissemens des ménestrels, ou des ménétriers. Sous ce nom estoient compris ceux qui joüoient des naquaires, du demy-canon, du cornet, de la guiterne latine, de la fluste behaigne, (bohemiene) de la trompette, de la guiterne meresche, et de la vieille, qui sont tous nommez dans un compte de l’hostel du duc de Normandie et de Guienne de l’an 1348. Il y avoit encore des farceurs, des jongleurs (joculatores) et des plaisantins, qui divertissoient les compagnies par leurs facéties et par leurs comédies, pour l’entretien desquels les roys, les princes, et les simples seigneurs faisoient de si prodigieuses dépenses, qu’elles ont donné lieu à Lambert d’Ardres[41], et au cardinal Jacques de Vitry[42], d’invectiver contre ces superfluitez de leur temps, qui avoient ruiné des familles entières. Ce que S. Augustin avoit fait avant eux, en ces termes : Donare res suas histrionibus vitium est immane, non virtus. Illa sanies Romæ recepta, et favorihus aucta, tandem collabefecit bonos mores, et civitates perdidiL, coegitque imperatores sœpius eos expellere [43]. Les annales de France justifient encore que les ménétriers et les farceurs estoient appeliez à ces cours solennelles, lorsqu’elles parlent de Louys le Débonnaire : Nunquam in risu exaltavit vocem suam, nec quando in summis festivitatibus ad lætitiam populi procedebant thymelici, scurræ, et mimi, cum coraulis et citharistis ad mensam coram eo [44], etc. Ils sont appeliez ministrels ou ministellu, quasi parvi ministri, c’est à dire les petits officiers de l’hostel du Roy.

Mais ce qui faisoit particulièrement parétre la magnificence des princes en ces occasions, estoient les liberalitez qu’ils exerçoient à l’endroit de leur principaux officiers, leur donnant divers joyaux et particulièrement ceux qu’ils portoient sur leurs habits. Mathieu Paris : Eodem celeberrime festo (Natalis Dominici) licèt omnes prædecessores sui indumenta regalia et jocalia pretiosa consuevissent ab antiquo disiribuere, ipse tamen Rex… nulla penitùs militibus distribuit, vel familiaribus [45]. Enfin comme les anciens empereurs et les consuls de Rome et de Constantinople, lorsqu’ils prenoient possession de leurs dignitez faisoient répandre quantité de pièces d’or et d’argent, que les auteurs latins appellent missilia, et les Grecs ύπάτια : ainsi nos roys faisoient crier largesse par leurs roys d’armes, et leurs heraux, durant les festins, chacun deux tenans en la main de grands hanaps, ou de grandes couppes, remplis de toute sorte de monnoyes, qu’ils jettoient dans le peuple. Le compte de Guillaume Charrier receveur général des finances, qui commence en l’an 1422, confirme ceci en ces termes[46]. « À Touraine et Pontoise heraux du Roy, la somme de 41 ll. 6. s. en 30 escus d’or, à eux donnée par ledit seigneur aux mois de may 1448 ; tant pour eux, que pour autres heraux, poursuivans, ménestrels, et trompetes, pour avoir le jour de la Pentecoste oudit an crié largesse devant sa personne, ainsi qu’il est accoustumé. » Comme encore le quatrième comte de Mathieu Beauvarlet receveur général des finances de Languedoc, qui commence au premier d’octobre 1452. « À Pontoise, Berry, et Guyenne heraux du Roy pour avoir crié largesse au disner dudit seigneur le jour et feste de Toussains, ainsi qu’il est accoustumé défaire, »

La forme de crier et de publier ses largesses par les roys d’armes dans ces festes solennelles est ainsi décrite par un heraud qui vivoit sous Henry VI, roy d’Angleterre, en son traité MS. du Devoir et de l’Office desherauds, et des poursuivans d’armes. « Après Heraulx et poursuivans doivent cognoistre quand ils sont devers les princes et grands seigneurs, comme ils doivent crier leur Largesses, lesquelles se crient aux grans festes : et se doit la largesse crier quand ils sont à disner, quand le segont cours et entremais sont servis. Et doit le grand maistre d’hostel en une aumuche ou sachet honorable appeller le roy d’armes, mareschal, ou herauld, ou poursuivant le plus notable l’absence de herault, et luy dire, vecy que Monseigneur ou le Prince vous présente. Et devant sa table doit crier, Largesse ! Largesse ! Largesse ! et prendre garde de quel estat il est ; et, selon les salutations cy-dessus escrites, selon l’estat de quoy est celuy qui fait la feste en la manière de la salutation qui luy est deuë, doit nommer après. Largesse de tres, etc. avec les titres de la seigneurie dont les heraux au devant doivent estre informez, et par prenant garde en cette manière, apeine peuvent faillir. Et après quand il a ciré, tous heraux et poursuivans doivent crier après luy. Largesse, sans dire autre chose, et en plusieurs lieux, au long de la salle, ou palais, doit estre fait en telle manière que chascun l’oe, etc. Et pour mieux faire entendre cris de largesse, en sera mis deux cy-aprés, l’un pour l’Empereur, l’autre pour le Roy, etc. Largesse de Ferry le tres-haut des haults de tous Princes, Empereur Auguste roy des Romains, et duc en Autriche, largesse, largesse, largesse. Et au premier se doit crier trois fois, et en la fin tous les herauds le doivent crier et poursuivre tous ensemble seulement Largesse, etc. Largesse, Largesse, Largesse de Henry par la grâce de Dieu très-haut et très-Chrestien et très-puissant roy Franc des François et Anglois, seigneur d’Irlande, Largesse, Largesse, Largesse, etc ». Thomas Milles[47], auteur anglois écrit qu’encore à présent en Angleterre on fait les cris de largesse, en Frrançois : ce qui est confirmé par le cérémonial[48], lorsqu’il parle de l’entreveuë du roy François I, et d’Henry VII, roy d’Angleterre entre Guines et Ardres l’an 1520.

L’usage de ces festes royales, car c’est ainsi que Mathieu Paris les appelle, (regalia festa)[49] fut introduit en Angleterre par Guillaume le Bâtard, après qu’il eut conquis ce royaume. Orderic Vital[50], Interbella Guillelmus ex civitate Guentâ jubet afferri coronam, aliaque ornamenta regalia et vasa, et dimisso exercitu in castris, Eboracum venit, ibique Natale Salvatoris nostri concelebret. Guillaume de Malmesbury écrit la même chose de lui en ces termes[51] : Convivia in præcipuis festivitatibus sumptuosa et magnifica inibat. Natale Domini apud Glocestriam, Pascha apud Wintoniam, Pentecostem apud Westmonasterium agens quotannis, quibus in Angliâ morari liceret : ovines eò cujuscumque professionis magnates regium edictum accersebat, ut exterarum gentium legati speciem multitudinis, appatumque de liciarum mirarentur, nec ullo tempore comior, aut indulgendi facilior erat, ut qui advenerant largitatem ejus cum divitiis conquadrare ubique gentium jactitarent. Les annales de France nous font voir en quelques endroits, que nos roys de la seconde race choisissoient pareillement ces occasions, pour recevoir les ambassadeurs étrangers.

Guillaume le Roux fils et successeur de Guillaume le Bâtard, continua ces festes solennelles. Le roy Henry I les célébra pareillement avec de grandes magnificences. Eadmer, qui rend ce témoignage de lui, appelle ces jours de solennitez, les jours de la couronne du Roy[52], parce qu’il la portoit en ces occasions. In subsequenti festivitate Pentecostes, rex Henricus curiam suam Londoniæ in magna gloriâ et divite apparatu celebravit, qui, transactis coronæ suæ festivioribus diebus, cœpit agere cuni episcopis et regni principibus, quid esset agendum[53]. Il nous apprend encore que les roys se faisoient mettre la couronne sur la teste par l’archevesque, ou l’evesque le plus qualifié, à la messe, qui se disoit le jour de la feste[54]. In sequenti Nativitate Domini Christi regnum Angliæ ad curiam Regis Lundoniæ pre more convenit, et magna solennitas habita est, atque sublimis. Ipsâ die archiepiscopus Eboracensis, se loce Primatis Cantuariensis Regem coronaturum, et missam sperans celebraturum, ad id animo paratum se exhibuit. Cui episcopus Lundoniensis non acquiescens coronam capiti Regis imposuit, eumque per dexteram induxit Ecclesiæ, et officium diei percelebravit. Et ailleurs [55] il raconte comme lorsqu’Henry épousa Alix de Brabant sa seconde femme, Raoul archevêque de Cantorbery, qui avoit le droit de couronner le roy d’Angleterre, après avoir commencé la messe, l’ayant apperceu avec la couronne dans son siège, quitta l’autel, et vint lui demander, qui la luy avoit mise sur la teste, et ensuite il l’obligea de la tirer ; mais les Barons firent tant envers lui, qu’il la luy rendit. Ces cours solennelles cessèrent en Angleterre sous le règne du roy Estienne[56], qui fut obligé d’en abandonner l’usage, acause des grandes guerres qu’il eut sur les bras, et parce que de son temps tous les trésors du royaume furent épuisez. Guillaume de Malmesbury, parlant de Guillaume le Bâtard : Quem morem convivandi primus successor obstinatè tenuit, tertius omisit. Ce qui est encore témoigné par les historiens anglois, et entre autres par Henry d’Huntindon : Curiæ solennes, et ornatus regii scheniatis ab antiquâ servie descendens prorsus evanuerunt[57]. Mais Henry II[58], son successeur les rétablit, Roger de Hoveden remarquant qu’il se fit couronner jusques à trois fois avec la reyne Eleonor sa femme, et qu’à la troisième fois en une feste de Pasques, l’un et l’autre estant venus à l’offrande, y quittèrent leurs couronnes, et les mirent sur l’autel, voventes Deo, quòd nunquam in vitâ suâ de cætero coronarentur[59]. Ce que j’interprète de ces cours solennelles. Le roy Jean en l’an 1201, celebravit Natale Domini apud Guildenford, ubi multa militibus suis festiva distribuit indumenta. Et au jour de Pasques suivant estant venu à Cantorbery, ibidem die Paschæ cutn reginâ suâ coronam portavit. Mathieu de Westminster dit qu’Henry III célébra pareillement ces festes avec appareil en l’an 1249, à Westminster, ubi cum dapsili valdè conviavio, ut solet, dies transegit Natalitios, cum multitudine uobilium copiosâ[60]. Et, en l’an 1253, il remarque qu’à une feste qu’il tint à Wincestre à Noël, les habitans de cette ville, justa ritum tantæ solennitatis, fecerunt (Regi) xenium nobilissimum[61]. Ce qui sert encore pour justifier qu’en ces occasions les roys recevoient des présens de leurs sujets, et que les habitans des villes où ces festes se solennisoient estoient tenus de contribuer à une partie des dépenses : ce qui est exprimé dans le titre de la commune de Laon, dont j’ay fait mention, Edoüard I les mit aussi en usage, au récit de Thomas de Walsingham, Rex verò Bristoliam veniens, ibique festum Dominicæ Nativitatis tenuit eo anno[62]. Comme aussi Edoüard II, suivant le même auteur, Rex iter versus insulam Eliensem arripuitj, ubi solennitatem Paschalem tenuit nobiliter et festivè[63] ; où il faut remarquer ces termes de tenir feste, qui estoit une expression françoise. Guillaume Guiart en l’an 1202, parlant de Philippes Auguste :

Tint li Rois leans une feste,
Où moult dépendi grant richece.

Les grands seigneurs ont aussi affecté à l’exemple des souverains de tenir leurs cours solennelles aux grandes festes de l’année. Un ancien auteur[64] dit que Richard II, duc de Normandie, avoit coutume de tenir sa cour aux festes de Pasques au monastere de Fescan, qui avoit esté bâti par son père : Ibi erat solitus ferè omni tempore suant curiam in Paschali solennitate tenere. Il est souvent parlé des cours plenieres des seigneurs dans les titres, particulièrement dans un de Pierre comte de Bigorre, qui porte ces mots : Cuira namque ibi erat magna et plenaria[65]. Mais je crois que ces cours pleniaires estoient des assemblées des pairs de fief, et où le seigneur se trouvoit, dans lesquelles on décidoit et on jugeoit les différents des fiévez. Il y a au Cartulaire de Vendôme un jugement rendu plenariâ curiâ vidente[66]. Aussi cette cour pleniere estoit une dépendance des grands fiefs, et qui estoit accordée par le prince. Guillaume le Bâtard la donna à l’église de Dunelme : Et ut curiam suam plenariam, et Vrech in terrâ suâ liberè, et quietè in perpetuum habeant, concedo et confirmo[67]. Il se trouve une autre charte d’Henry III, aussi roy d’Angleterre pour le prioré de Repindon au comté de Derby, qui porte de semblables termes[68], Et curiam suam plenariam, præterquam de furtis, et de hominibus comitis, etc. Ce qui fait voir que ces cours plenieres des seigneurs regardoient pour l’ordinaire la justice et la connoissance des cas qui en dépendent. Il y a au Cartulaire de l’abbaye de Valoires[69], au diocèse d’Amiens, un titre d’Enguerrand vicomte de Pont de Remy de l’an 1274, par lequel l’abbé et les moines de ce monastère reconnoissent qu’ils sont obligez de le loger, et sa suite dans les maisons qui leur appartiennent dans Abbeville, le jour de la Pentecoste, et les trois suivans, et de lui fournir des estables, deux charettes de fourage, des cuisines, des tables, et des napes, au cas que le comte de Pontieu l’obligeât de venir à Abbeville, lorsqu’il y tiendroit sa cour. Ce qui fait voir que les vassaux estoient obligez à raison de leurs fiefs de se trouver aux cours solennelles de leurs seigneurs. Conformément à cet usage, j’ay leu un autre titre de Renaud d’Amiens, chevalier seigneur de Vinacourt, de l’an 1210, par lequel il reconnoît qu’il est homme lige d’Enguerrand seigneur de Pinquegny[70], et qu’il luy doit six semaines de service au même lieu avec armes, à ses propres dépens, s’il en a besoin pour sa guerre. Puis ajoûte ces mots : Et si dictus Vicedominus me pre festo faciende summonuerit, ege cum uxore meâ per octe dies secum ad custum meum debeo remanere, etc. Par un autre aveu de l’an 1280, Dreux d’Amiens seigneur de Vinacourt, reconnoît qu’il doit huit jours de stages et huit jours de feste au vidame d’Amiens ; où il est à remarquer que ce qui est icy appellev festum, est appellé dans un autre titre du même Enguerrand de l’an 1218 dies hastiludii, et dans un autre de Jean vidame d’Amiens de l’an 1217, le jour du Bouhordeis, parce qu’en ces jours-là on faisoit des behourds, des tournois, et des joustes. Et afin que ces assemblées fussent plus célèbres, les seigneurs obligeoient, ainsi que j’ay dit, leurs vassaux de s’y trouver à leurs dépens, et leur envoyoient faire les semonces à cet effet. Mais parce que la matière des tournois et des behours est curieuse, et que leur origine est peu connue, je prendray icy occasion d’en faire quelques dissertations qui ne sçauroient estre qu’agréables, puisqu’elles en découvriront la source, et en feront voir l’usage, et les abus.

Non seulement les vassaux estoient tenus de se trouver aux festes de leurs seigneurs, mais encore ils y estoient obligez à quelques devoirs particuliers, suivant les conditions des inféodations[71]. Dans un acte passé l’an 1340, Humbert dauphin donne à Aynard de Clermont la terre de Clermont en Trieves, avec le titre de vicomté, à la charge que, lorsque le dauphin, ou son fils ainé seroit fait chevalier, le vicomte porteroit l’espée devant luy, et qu’aux jours de chevalerie et de mariage, il serviroit à cheval, ou à pied, selon que la feste le requerroit, pour raison dequoy il prendroit deux plats et quatre assietes d’argent de seize marcs, et si la feste duroit plus d’un jour, un plat de quatre ou cinq marcs chaque jour.


  1. Greg. Tur. l. 5. Hist. c. 2.
  2. Eguinardi Annal. A. 750. et seq. Id. in Carolo M. p. 102.
  3. Thegan. c. 19. Annal. Met. A. 837.
  4. Theophan. p. 148, 196. Codin. de Off.
  5. Annal. Fuld. A. 876.
  6. Monach. Sangall. l I, c. 36.
  7. Terlull. de Pallio, et ibi Salmasius, p. 56.
  8. Nicet. Chon. in Man. l. 3, §. 3.
  9. Vanderhaer Mir. etc.
  10. En la Ch, des Compt. de Paris, Corn, par M. de Vion.
  11. Helgald. in Rob. p. 66, 70.
  12. Order. l. 8, p. 699.
  13. Nangius in S. Lud.
  14. Joinville.
  15. Reg. de Philip. August. appart. à Md. d’Herouval.
  16. Gunther. l. 4. Ligur. p. 97.
  17. Monast. Angl. to. 2, p. 281. To. 1, p. 44.
  18. To. 4. Spicil. p. 550. Goldast. to. I. Constit. Imp. p. 366, 208. Thwrocz.
  19. W. Heda p. 334, I. Edit.
  20. Chr, Longipont.
  21. Joinville.
  22. Gunther. l. 5, p. 110.
  23. Apud. Doublet. p. 823, et in prob. Hist. Mont. mor. p. 9.
  24. Chr. Lougip. p. 8.
  25. Ivo ep. 190.
  26. Compte de l’Hostel du Roy de l’an 1280, rapporté dans les Observ. rigalt et Meurs.
  27. Gloss, V. λιϐρίον.
  28. V. Spelman.
  29. Will. Malinesb. L 2. Hist. Nou. p. 178.
  30. Howed. p. 738.
  31. Math. Paris. A. 1243.
  32. Id. p. 143, 157, 172, 255.
  33. Quoniam attach. c. 13, §. 2.
  34. Coripp. l. 4, de laud. Justini. p. 57.
  35. Mon. Sangall. l. 2, c. 41.
  36. Com. par M d’Herouval.
  37. Ordon. Barbines fol. 54.
  38. Ib.
  39. L. II. C. Th. de Palatin. Sacrar. Largit.
  40. Luithpr. V. Meursii Gloss.
  41. Lambert. Ard. p. 247.
  42. Jac de Vitriaco in Hist. occid. l. 1. c. 3.
  43. D. Aug. tract. 100, in Jo. cap. 6.
  44. Annal. Fr. Metz. A. 873.
  45. Math. Paris, A. 1251, p. 540.
  46. En la ch, des comp. de Paris, Commun. par M. de Herouval.
  47. Thomas Milles de Nobilit. Polit, p. 59, 72, 109.
  48. Ceremon. de Fr. to. 2, p. 742.
  49. Math. Paris, A. 1135, p. 51.
  50. Order. L 4, p. 515.
  51. Will, Malmesb. l. 3, p. 112.
  52. Eadmer, l. 4. Hist. Novor. p. 102.
  53. Eadmer. l. 2, vitæ S. Anselmi Cant. c. 3.
  54. Id. p. 105.
  55. Lib. 6, p. 137.
  56. Rog. Howed. part. 2, p. 491.
  57. Henric. Huntind. l. 8, p. 390.
  58. Rob. de Monte A. 1139. Gesta Steph. Reg.
  59. Math. Paris, p. 53. Rog. Howed. part. 2, p. 491.
  60. Mat. West. A. 1201.
  61. Math. West. A. 1249, 1253.
  62. Th. Walsingh. p. 52.
  63. Id. p. 104.
  64. Addit. ad Will. Gemet. p. 317.
  65. Reg. Bigorr. fol. 13.
  66. Tabular. Vindoc. fol. 250.
  67. Monaster. Angl. to. 1, p. 44.
  68. Ib. to. 2, p . 281.
  69. Cart. de Valoires.
  70. Tabular. Pinconiense, p. 37.
  71. M. de Boissieu au traité des Droits Seig. ch. 4.