Dix journées de la vie d’Alphonse Van Worden/06

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SIXIÈME JOURNÉE.


Je fus réveillé par Zoto, qui me dit que j’avois dormi très-long-temps, et que le dîner étoit prêt. Je m’habillai à la hâte, et trouvai mes cousines qui m’attendoient dans la salle à manger. Leurs yeux me caressoient encore ; et elles sembloient occupées de la veille plus que du dîner que l’on servoit. Lorsque l’on eut ôté la table, Zoto prit place auprès de nous, et continua en ces termes le récit de son histoire.


Suite de l’histoire de Zoto.


« J’avois promis de vous parler de Testa-Lunga ; je vais vous tenir parole. Mon ami étoit un paisible habitant de Val-Castera, petit bourg au pied de l’Etna : il avoit une femme charmante. Le jeune prince de Val-Castera visitant un jour ses domaines, vit cette dame qui étoit venue le complimenter avec les autres femmes des notables. Le présomptueux jeune homme, loin d’être sensible à l’hommage que ses vassaux lui offroient par les mains de la beauté, ne fut occupé que des charmes de madame Testa-Lunga. Il lui expliqua, sans détour, l’effet qu’elle faisoit sur ses sens, et mit la main dans son corset. Le mari se trouvoit, dans cet instant, derrière sa femme : il tira un couteau de sa poche et l’enfonça dans le cœur du jeune prince. Je crois qu’à sa place tout homme d’honneur en eût fait autant. Testa-Lunga, après avoir fait ce coup, se retira dans une église, où il resta jusqu’à la nuit ; mais jugeant qu’il lui falloit prendre d’autres mesures pour l’avenir, il forma la résolution de joindre quelques bandits qui s’étoient, depuis peu, réfugiés sur le sommet de l’Etna. Il y alla, et les Bandits le reconnurent pour leur chef.

L’Etna avoit alors vomi une prodigieuse quantité de laves ; et ce fut au milieu de ces torrens enflammés que Testa-Lunga fortifia sa troupe dans des repaires, dont les chemins n’étoient connus que de lui. Lorsqu’il eut ainsi pourvu à sa sûreté, ce brave chef s’adressa au vice roi, et lui demanda sa grâce et celle de ses compagnons. Le gouvernement refusa, dans la crainte, à ce que j’imagine, de compromettre l’autorité. Alors Testa-Lunga entra en pour-parler avec les principaux fermiers des terres voisines. Il leur dit : « Volons en commun ; je viendrai et je demanderai, vous me donnerez ce que vous voudrez, et vous n’en serez pas moins à couvert devant vos maîtres. » — C’étoit toujours voler ; mais Testa-Lunga partageoit le tout entre ses compagnons, et ne gardoit pour lui que l’absolu nécessaire : au contraire, s’il traversoit un village il faisoit tout payer au double ; si bien qu’il devînt, en peu de temps, l’idole du peuple des deux Siciles.

Je vous ai déjà dit que plusieurs bandits de la troupe de mon père avoient été joindre Testa-Lunga, qui, pendant quelques années, se tint au midi de l’Etna, pour faire des courses dans le Val di Noto et le Val di Mazara. Mais à l’époque dont je vous parle ; c’est-à-dire, lorsque j’eus atteint quinze ans, la troupe revint au Val Dunoni ; et un beau jour, nous les vîmes arriver à la ferme des Moines.

» Tout ce que vous pouvez imaginer de leste et de brillant, n’approcheroit pas encore des hommes de Testa-Lunga : des habits de Miquelets, les cheveux dans une résille de soie, une ceinture de pistolets et de poignards ; une épée de longueur et un fusil de même ; tel étoit à peu près leur équipage de guerre. Ils furent trois jours à manger nos poules et à boire notre vin. Le quatrième, on vint leur annoncer qu’un détachement des dragons de Siracuse, s’avançoit avec l’intention de les envelopper. Cette nouvelle les fit rire de tout leur cœur. Ils se mirent en embuscade dans un chemin creux, attaquèrent le détachement et le dispersèrent. Ils étoient un contre dix ; mais chacun d’eux portoit plus de dix bouches à feu, et toutes de la meilleure qualité.

» Après la victoire, les bandits revinrent à la ferme ; et moi, qui de loin les avois vu combattre, j’en fus si enthousiasmé que je me jetai aux pieds du chef, pour le conjurer de me recevoir dans sa troupe. Testa-Lunga demanda qui j’étois ? Je répondis que j’étois le fils du bandit Zoto. — À ce nom chéri, tous ceux qui avoient servi sous mon père poussèrent un cri de joie. Puis l’un d’eux me prenant dans ses bras, me posa sur la table, et dit : « Mes camarades, le lieutenant de Testa-Lunga a été tué dans le combat, nous sommes embarrassés pour le remplacer, que le petit Zoto soit notre lieutenant. Ne voyez-vous pas que l’on donne des régimens aux fils des ducs et des princes, faisons pour le fils du brave Zoto ce que l’on fait pour eux ; je réponds qu’il se rendra digne de cet honneur. » — Ce discours mérita de grands applaudissemens à l’orateur, et je fus proclamé à l’unanimité.

» Mon grade d’abord n’étoit qu’une plaisanterie, et chaque bandit éclatoit de rire en m’appelant « Signor tenente. » — Mais il leur fallut changer de ton ; non-seulement j’étois toujours le premier à l’attaque et le dernier à couvrir la retraite, mais aucun d’eux n’en savoit autant que moi, lorsqu’il s’agissoit d’épier les mouvemens de l’ennemi ou d’assurer le repos de la troupe. Tantôt je gravissois le sommet des rochers pour découvrir plus de pays et faire les signaux convenus, et tantôt je passois des journées entières tout au milieu des ennemis, ne descendant d’un arbre que pour grimper sur un autre. Souvent même il m’est arrivé de passer les nuits sur les plus hauts châtaigniers de l’Etna ; et lorsque je ne pouvois plus résister au sommeil, je m’attachois aux branches avec une courroie : tout cela ne m’étoit pas bien difficile, puisque j’avois été mousse et ramoneur.

» J’en fis tant enfin que la sûreté commune me fût entièrement confiée. Testa-Lunga m’aimoit comme son fils ; mais si je l’ose dire, j’acquis une renommée qui surpassoit presque la sienne ; et les exploits du petit Zoto devinrent, en Sicile, le sujet de tous les entretiens. Tant de gloire ne me rendit pas insensible aux douces distractions que m’inspiroit mon âge. Je vous ai déjà dit que chez nous, les bandits étoient les héros du peuple ; et vous jugez bien que les bergères de l’Etna ne m’auroient pas disputé leur cœur ; mais le mien étoit destiné à se rendre à des charmes plus délicats, et l’amour lui réservoit une conquête plus flatteuse.

» J’étois lieutenant depuis deux ans, et j’en avois dix-sept accomplis lorsque notre troupe fut obligée de retourner vers le sud, parce qu’une nouvelle éruption du volcan avoit détruit nos retraites ordinaires. Au bout de quatre jours nous arrivâmes à un château, appelé Rocca Fiorita, fief et manoir en chef du Principino, mon ennemi.

» Je ne pensois plus guère aux injures que j’en avois reçues ; mais le nom du lieu me rendit toute ma rancune. Ceci ne doit point vous surprendre ; dans nos climats, les cœurs sont implacables. Si le Principino eût été dans son château, je crois que je l’aurois mis à feu et à sang. Je me contentai d’y faire tout le dégât possible ; et mes camarades qui connoissoient mes motifs, me secondoient de leur mieux. Les domestiques du château, qui avoient d’abord voulu nous résister, ne résistèrent point au bon vin de leur maître, que nous répandions à grands flots. Ils furent des nôtres. Enfin, nous fimes de Rocca-Fiorita un véritable pays de cocagne.

» Cette vie dura cinq jours. Le sixième, nos espions m’avertirent que nous allions être attaqués par le régiment de Siracuse tout entier ; et que le Principino viendroit ensuite avec sa mère et plusieurs dames de Messine. Je fis retirer ma troupe ; mais je fus curieux de rester, et je m’établis sur le sommet d’un chêne touffu, qui étoit à l’extrémité du jardin ; cependant j’avois eu la précaution de faire un trou dans la muraille du jardin, pour faciliter mon évasion.

» Enfin je vis arriver le régiment, qui campa devant la porte du château, après avoir placé des postes tout autour. Puis arriva une file de litières, dans lesquelles étoient des dames ; et dans la dernière étoit le Principino lui-même, couché sur une pile de coussins. Il descendit avec peine, soutenu par deux écuyers, se fit précéder par une compagnie de soldats ; et lorsqu’il sût que personne de nous n’étoit resté au château, il y entra avec les dames et quelques gentilshommes de sa suite.

» Il y avoit au pied de mon arbre une source d’eau fraîche, une table de marbre et des bancs. C’étoit la partie du jardin la plus ornée. Je supposois que la société ne tarderoit pas à s’y rendre, et je résolus de l’attendre, pour la voir de plus près. Effectivement, au bout d’une demi-heure, je vis venir une jeune personne, à peu-près de mon âge. Les anges n’ont pas plus de beauté ; et l’impression qu’elle fit sur moi fut si forte et si subite, que je serois peut-être tombé du haut de l’arbre, si je n’y eusse été attaché par ma ceinture, précaution que je prenois quelquefois, pour me reposer avec plus de sûreté.

» La jeune personne avoit les yeux, baissés et l’air de la mélancolie la plus profonde. Elle s’assit sur un banc, s’appuya sur la table de marbre, et versa beaucoup de larmes. Sans trop savoir ce que je faisois, je me laissai couler en bas de l’arbre, et me plaçai de manière à ce que je pouvois la voir, sans être moi-même aperçu. Alors je vis le Principino qui s’avançoit tenant un bouquet à la main. Il y avoit près de trois ans que je ne l’avois vû. Il s’étoit formé. Sa figure étoit belle, pourtant assez fade.

» Lorsque la jeune personne le vit, sa physionomie exprima le mépris d’une manière dont je lui sus bon gré. Cependant le Principino l’aborda d’un air content de lui-même, et lui dit : « Ma chère promise, voici un bouquet, que je vous donnerai, si vous me promettez de ne jamais me parler de ce petit gueux de Zoto. »

» La demoiselle répondit : « Monsieur le prince, il me semble que vous avez tort de mettre des conditions à vos faveurs ; et puis, quand je ne vous parlerois pas du charmant Zoto, toute la maison vous en entretiendroit. Votre nourrice, elle-même, ne vous a-t-elle pas dit qu’elle n’avoit jamais vû un aussi joli garçon, et pourtant vous étiez là. »

Le Principino, fort piqué, répliqua : « Méprisable créature, puisque tu es amoureuse d’un bandit, voilà ce que tu mérites. » En même tems, il lui donna un soufflet.

» Alors la demoiselle s’écria : » Zoto, que n’es-tu ici pour punir ce lâche. » Elle n’avoit pas achevé ces mots, que je parus, et je dis au prince : « Tu dois me reconnoître. Je suis bandit, et je pourrois t’assassiner ; mais je respecte mademoiselle, qui a daigné m’appeler à son secours, et je veux bien me battre à la maniere de vous autres nobles. » J’avois sur moi deux poignards et quatre pistolets. J’en fis deux parts, je les mis à dix pas l’une de l’autre, je laissai le choix au Principino. Mais le malheureux étoit tombé évanoui sur un banc.

Sylvia prit alors la parole, et me dit : « Brave Zoto, je suis noble et pauvre. Je devois demain épouser le prince, ou bien être mise au couvent ; je ne ferai ni l’un ni l’autre ; je veux être à toi pour la vie. » Et elle se jeta dans mes bras.

» Vous pensez bien que je ne me fis pas prier. Cependant il falloit empêcher le prince de troubler notre retraite. Je pris un poignard, et me servant d’une pierre en guise de marteau, je lui clouai la main contre le banc sur lequel il étoit assis. Il poussa un cri et retomba évanoui. — Nous sortîmes par le trou que j’avois fait dans le mur du jardin, et nous regagnâmes le sommet des montagnes.

» Mes camarades avoient tous des maîtresses ; ils furent charmés que j’en eusse trouvé une, et leurs belles jurèrent d’obéir en tout à la mienne.

» Il y avoit quatre mois que j’étois avec Sylvia, lorsque je fus obligé de la quitter, pour reconnoître les changemens que la dernière éruption avoit faite dans le nord. Je trouvai, à la campagne, dans ce voyage, des charmes qu’auparavant je n’avois pas aperçus. Je remarquai des gazons, des grottes, des ombrages, dans des sites où je n’aurois jadis vû que des embuscades ou des postes de défence. Enfin, Sylvia avoit attendri mon cœur de brigand ; mais il ne tarda pas à reprendre toute sa férocité.

» Je reviens à mon voyage au nord de la montagne. Je m’exprime ainsi, parce que les Siciliens, lors qu’ils parlent de l’Etna, disent toujours « il monte » — ou le mont par excellence. Je dirigeai d’abord ma marche sur ce que nous appelons la tour du philosophe ; mais je ne pus y parvenir. Un gouffre qui s’étoit ouvert sur les flancs du volcan, avoit vomi un torrent de laves, qui, se divisant un peu au-dessus de la tour, et se rejoignant un mille au-dessous, y formoient une isle tout-à-fait inabordable.

» Je sentis tout de suite l’importance de cette position, et de plus nous avions, dans la tour même, un dépôt de châtaignes que je ne voulois pas perdre. À force de chercher, je retrouvai un conduit souterrain, où j’avois passé autre fois, et qui me conduisit dans la tour. Aussitôt je résolus de placer dans cette isle tout notre peuple femelle. J’y fis construire des huttes de feuillage. J’en ornai une autant que je le pus ; puis, je retournai au sud, d’où je ramenai toute la colonie, qui fut enchantée de son nouvel asile.

» À présent, lorsque je reporte ma mémoire au temps que j’ai passé dans cet heureux séjour, je l’y retrouve, comme isolé, au milieu des cruelles agitations qui ont assailli ma vie. Nous étions séparés des autres hommes par des torrens de flammes. Tout obéissoit à mes ordres, et tout étoit soumis à ma chère Sylvia. Enfin, pour mettre le comble à mon bonheur, mes deux frères me vinrent trouver. Tous les deux avoient eu des aventures intéressantes ; et j’ose vous assurer que si quelque jour vous voulez en entendre le récit, il vous donnera plus de satisfaction que celui que je vous fais.

» Il est peu d’hommes qui ne puissent compter de beaux jours ; mais je ne sais s’il y en a qui peuvent compter de belles années. Mon bonheur à moi ne dura pas un an entier. Les braves de la troupe étoient très honnêtes entr’eux. Nul n’auroit osé jeter les yeux sur la maîtresse de son camarade, et moins encore sur la mienne. La jalousie étoit donc bannie de notre isle, ou plutôt elle n’en étoit qu’exilée pour un temps ; car cette furie ne retrouve que trop aisément le chemin des lieux qu’habite l’amour.

» Un jeune bandit, appelé Antonino, devint amoureux de Sylvia ; et sa passion étoit si forte, qu’il ne pouvoit la cacher. Je m’en aperçus moi-même ; mais le voyant fort triste, je jugeai que ma maîtresse n’y répondoit pas, et j’étois tranquille. Seulement j’aurois voulu guérir Antonino, que j’aimois, à cause de sa valeur. Il y avoit dans la troupe un autre bandit, appelé Moro, que je détestois, au contraire, à cause de sa lâcheté ; et si Testa-Lunga m’en avoit cru, il l’auroit dès longtems chassé.

» Moro sut gagner la confiance du jeune Antonino, et lui promit de servir son amour. Il sut aussi se faire écouter de Sylvia, et lui fit accroire que j’avois une maîtresse dans un village voisin. Sylvia craignit de s’expliquer avec moi ; elle eut un air contraint que j’attribuai à un changement dans le sentiment qu’elle me portoit. En même temps, Antonino, instruit par Moro, redoubla d’assiduités auprès de Sylvia ; et il prit un air de satisfaction, qui me fit supposer qu’elle le rendoit heureux.

» Je n’étois pas exercé à démêler des trames de ce genre. Je poignardai Sylvia et Antonino. Celui-ci, qui ne mourut pas sur le champ, me dévoila la trahison de Moro. J’allai chercher le scélérat, le poignard sanglant à la main, il en fût effrayé, tomba à genoux, et m’avoua que le prince Rocca-Fiorita l’avoit payé pour me faire périr, ainsi que Sylvia ; et qu’enfin, il ne s’étoit joint à notre troupe que dans l’intention d’accomplir ce dessein. Je le poignardai. Puis j’allai à Messine ; et, m’étant introduit chez le prince, à la faveur d’un déguisement, je l’envoyai dans l’autre monde, joindre son confident et mes deux autres victimes. Telle fut la fin de mon bonheur et même de ma gloire. Mon courage tourna en une entière indifférence pour la vie ; et comme j’avois la même indifférence pour la sûreté de mes camarades, je perdis bientôt leur confiance. Enfin, je puis vous assurer que depuis lors, je suis devenu un brigand des plus ordinaires.

» Peu de tems après Testa Lunga mourut d’une pleurésie, et toute sa troupe se dispersa. Mes frères, qui connoissoient bien l’Espagne, me persuadèrent d’y aller. Je me mis à la tête de douze hommes. J’allai dans la baie de Taormine, et m’y tins caché pendant trois jours. Le quatrième, nous nous emparâmes d’un senant, sur lequel nous arrivâmes aux côtes d’Andalousie.

» Quoiqu’il y ait en Espagne plusieurs chaînes de montagnes, qui pouvoient nous offrir des retraites avantageuses, je donnai la préférence à la Sierra-Moréna, et je n’eus point lieu de m’en repentir. J’enlevai deux convois de piastres, et je fis d’autres coups importans. Enfin, mes succès donnèrent de l’ombrage à la cour. Le gouverneur de Cadix eut ordre de nous avoir morts ou vifs, et fit marcher plusieurs régimens. D’un autre côté, le grand scheïk de Gomèlèz me proposa d’entrer à son service, et m’offrit une retraite dans cette caverne. J’acceptai sans balancer.

» L’audience de Grenade ne voulut point en avoir le démenti. Voyant qu’elle ne pouvoit nous trouver, elle fit saisir deux pâtres de la vallée, et les fit pendre sous le nom des deux frères de Zoto. Je connoissois ces deux hommes, et je sais qu’ils ont commis plusieurs meurtres. On dit pourtant qu’ils sont irrités d’avoir été pendus à notre place ; et que la nuit ils se détachent du gibet, pour commettre mille désordres. Je n’en ai pas été témoin, et je ne sais que vous en dire. Cependant il est certain qu’il m’est arrivé plusieurs fois de passer près du gibet pendant la nuit, et lorsqu’il y avoit clair de lune, j’ai bien vu que les deux pendus n’y étoient point ; et le matin ils y étoient de nouveau.

» Voilà, mes chers maîtres, le récit que vous m’avez demandé. Je crois que mes deux frères, dont la vie n’a pas été aussi sauvage, auroient des choses plus intéressantes à vous dire ; mais ils n’en auront pas le temps, car notre embarquement est prêt, et j’ai des ordres positifs pour qu’il ait lieu demain matin. »

Zoto se retira, et la belle Emina s’écria, avec l’accent de la douleur : « Cet homme avoit bien raison, le temps du bonheur tient bien peu de place dans la vie humaine ; nous avons passé ici deux jours que nous ne retrouverons peut-être jamais. — Le souper ne fut point gai, et je me hâtai de souhaiter le bon soir à mes cousines. J’espérois les revoir dans ma chambre à coucher, et réussir mieux à dissiper leur mélancolie.