Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Introduction/X

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X.


le principe suprême de la doctrine du droit était analytique ; celui de la doctrine de la vertu est synthétique.


Il est clair, d’après le principe de contradiction, que la contrainte extérieure, en tant qu’elle est une résistance opposée à la liberté extérieure, au nom des lois générales auxquelles cette liberté doit se soumettre pour être d’accord avec elle-même (en tant qu’elle est un obstacle opposé à l’obstacle même de la liberté), il est clair, dis-je, que cette contrainte peut très-bien se concilier avec des fins en général, et je n’ai pas besoin de sortir du concept de la liberté pour la concevoir, quelle que soit d’ailleurs la fin que chacun se propose. — Le principe suprême du droit est donc une proposition analytique.

Au contraire le principe de la doctrine de la vertu dépasse le concept de la liberté extérieure, et y joint en outre, suivant des lois générales, celui d’une fin, dont il fait un devoir. Ce principe est donc synthétique. — Sa possibilité est contenue dans sa déduction (§ IX).

L’extension du concept du devoir au delà de celui de la liberté extérieure, et de la limitation apportée à cette liberté par la seule forme qui lui permette de s’accorder entièrement avec elle-même, cette extension qui à la contrainte extérieure substitue la liberté intérieure, c’est-à-dire la faculté de se contraindre soi-même, non pas au moyen d’autres penchants, mais au moyen de la raison pure pratique (laquelle repousse tous ces auxiliaires), cette extension consiste à poser des fins, dont en général le droit fait abstraction, et elle s’élève par là au-dessus du devoir de droit. — Dans l’impératif moral, lequel entraîne nécessairement la supposition de la liberté, la loi, le pouvoir de la remplir, et la volonté qui détermine les maximes, sont tous les éléments qui constituent le concept du devoir de droit. Mais le concept du devoir de vertu contient en outre, avec celui d’une contrainte intérieure, celui d’une fin, que nous ne nous proposons pas naturellement, mais que nous devons nous proposer, et qui par conséquent est contenue dans la raison pure pratique, dont la fin suprême et absolue (laquelle est elle-même un devoir) consiste en ce que la vertu est à elle-même sa propre fin et trouve sa récompense dans le mérite qu’elle donne aux hommes. Aussi la vertu, dans son idéal, brille-t-elle d’un si vif éclat qu’elle paraît, au regard des hommes, éclipser la sainteté même, laquelle est au-dessus de toute tentation[Note de l’auteur 1]. C’est là une illusion : comme nous n’avons pas de mesure pour apprécier le degré de notre force, ainsi que la grandeur des obstacles que nous avons pu surmonter (c’est-à-dire les penchants de notre nature), nous sommes conduits à prendre les conditions subjectives de l’estimation d’une grandeur pour les conditions objectives de la grandeur en soi. Mais, si on la compare aux fins humaines, qui toutes ont leurs obstacles à surmonter, il est vrai de dire que le prix de la vertu, en tant qu’elle est à elle-même sa propre fin, surpasse de beaucoup celui de toute l’utilité, de toutes les fins empiriques et de tous les avantages qu’elle peut avoir pour conséquence.

On peut très-bien dire que l’homme est obligé à la vertu (considérée comme une force morale). Car, quoique, à parler absolument, on puisse et l’on doive supposer dans l’homme le pouvoir (facultas) de surmonter, par sa liberté, tous les penchants contraires de sa nature sensible, ce pouvoir, considéré comme une force (robur), est quelque chose que l’on acquiert nécessairement, en fortifiant le mobile moral (la représentation de la loi) par la contemplation (contemplatione) de la dignité de cette loi purement rationnelle qui réside en nous, en même temps que par l’exercice (exercitio).

Notes du traducteur[modifier]

Notes de l’auteur[modifier]

  1. Si bien que l’on pourrait varier ainsi les deux vers si connus de Haller :

    L’homme avec ses défauts
    Est supérieur à la foule des anges privés de volonté.