Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Partie 1/Division 2/S1/$19

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Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (seconde partie de la Métaphysique des moeurs), suivis d'un Traité de pédagogie et de divers opuscules relatifs à la morale
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 112-115).


DEUXIÈME DIVISION


DES DEVOIRS ENVERS SOI-MÊME.
DES DEVOIRS IMPARFAITS DE L’HOMME ENVERS LUI-MÊME (RELATIVEMENT À SA FIN).




PREMIÈRE SECTION.


du devoir envers soi-même, qui consiste dans le développement et dans l’accroissement de sa perfection naturelle, c’est-à-dire sous le rapport pragmatique.


§ 19.


La culture (cultura) de ses facultés naturelles (des facultés de l’esprit, de l’âme et du corps), comme moyens pour toutes sortes de fins possibles, est un devoir de l’homme envers lui-même. — L’homme se doit à lui-même (en sa qualité d’être raisonnable) de ne pas négliger et laisser en quelque sorte se rouiller les dispositions naturelles et les facultés, dont sa raison peut avoir à faire usage dans la suite ; et, à supposer même qu’il puisse se contenter[1] du degré de puissance qu’il trouve en lui pour satisfaire ses besoins naturels, sa raison doit d’abord l’éclairer, à l’aide de ses principes, au sujet de cette disposition à se contenter d’un médiocre développement de ses facultés, puisque, étant un être capable de se proposer des fins, ou de prendre pour but certains objets, il est redevable de l’usage de ses facultés, non-seulement à l’instinct de la nature, mais encore à la liberté avec laquelle il détermine cette mesure. Il n’est donc pas question des avantages que la culture de nos facultés peut nous procurer (relativement à toutes sortes de fins) ; car, à ce point de vue (suivant les principes de Rousseau), ce serait peut-être à la grossièreté des besoins naturels qu’il faudrait donner la préférence ; mais c’est une loi de la raison moralement pratique et un devoir de l’homme envers lui-même, de cultiver ses facultés (et parmi elles l’une plus que les autres, suivant la nature particulière de ses fins), et de se rendre, sous le rapport pragmatique, propre à la fin de son existence.

Les facultés de l’esprit sont celles dont l’exercice n’est possible qu’au moyen de la raison. Elles sont créatrices, en ce sens que leur usage ne vient pas de l’expérience, mais dérive à priori de certains principes. Telles sont celles auxquelles nous devons les mathématiques, la logique et la métaphysique de la nature. Ces deux dernières se rattachent aussi à la philosophie, je veux dire à la philosophie théorétique ; et, quoique celle-ci ne signifie pas alors, comme son nom l’indique, l’étude de la sagesse, mais seulement la science, elle peut à son tour aider cette étude dans la poursuite de son but.

Les facultés de l’âme sont celles qui sont aux ordres de l’entendement et des règles dont il se sert pour réaliser les desseins qu’il lui plaît de poursuivre ; elles suivent par conséquent le fil de l’expérience. Telles sont la mémoire, l’imagination, et d’autres facultés du même genre, sur lesquelles se fondent l’érudition, le goût (l’embellissement intérieur ou extérieur), etc., et qui fournissent des instruments pour des fins diverses.

Enfin la culture des facultés corporelles (ce que l’on appelle proprement la gymnastique) est le soin de ce qui constitue dans l’homme l’instrument[2] (la matière), sans lequel il ne saurait atteindre aucune de ses fins ; par conséquent veiller sur la vie et sur la durée de l’animal dans l’homme est un devoir de l’homme envers lui-même.


§ 20.


Laquelle de ces perfections naturelles l’homme doit-il préférer, et dans quelle proportion, relativement aux autres, doit-il se la proposer pour fin, s’il veut remplir son devoir envers lui-même ? C’est ce qu’il faut laisser à chacun le soin de décider raisonnablement, suivant qu’il se sent du goût pour tel ou tel genre de vie et les facultés nécessaires pour y réussir, et qu’il fixe son choix en conséquence (soit, par exemple, sur le travail des mains, ou sur le commerce, ou sur la science). Car, pour ne rien dire du besoin de se conserver soi-même, qui ne peut par lui-même fonder aucun devoir, c’est un devoir de l’homme envers lui-même d’être un membre utile dans le monde, puisque cela fait partie de la valeur de l’humanité qui réside en sa propre personne, et à laquelle il ne doit pas déroger.

Mais les devoirs de l’homme envers lui-même, quant à sa perfection physique, ne sont que des devoirs larges et imparfaite, puisque, s’ils fournissent une loi pour les maximes des actions, ils ne déterminent rien relativement aux actions mêmes, à leur mode et à leur degré, mais qu’ils laissent une certaine latitude au libre arbitre.


Notes du traducteur[modifier]

  1. Dieses Zufriedenseyn.
  2. Zeug.

Notes de l’auteur[modifier]