Documents biographiques/Édition Garnier/6

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VI.

MÉMOIRE INSTRUCTIF

des discours que m’a tenus le sieur arouet depuis qu’il est
de retour de chez m. de caumartin[1].

Je le vis trois jours après chez lui rue de la Calandre, au Panier-Vert, où il me demanda ce que l’on disait de nouveau ; je lui répondis qu’il avait paru quantité d’ouvrages sur M. le duc d’Orléans et Madame, duchesse de Berry. Il se mit à rire, et me demanda si on les avait trouvés beaux ; je lui ai dit que l’on y avait trouvé beaucoup d’esprit, et qu’on lui mettait tout cela sur son compte ; mais que je n’en croirais rien, et qu’il n’était pas possible qu’à son âge on pût faire de pareilles choses. Il me répondit que j’aurais fort de ne pas croire que c’était lui véritablement qui avait fait tous les ouvrages qui avaient paru pendant son absence : j’ai remis à M. Leblanc tous ces ouvrages ; et pour empêcher que M. le duc d’Orléans et ses ennemis crussent que c’était lui qui les avait faits, il avait quitté Paris dans le carnaval pour aller à la campagne, où il a resté deux mois avec M. de Caumartin, qui a vu le premier ses ouvrages ; après quoi ils ont été envoyés à Paris. Il m’a dit que puisqu’il ne pouvait se venger de M. le duc d’Orléans d’une certaine façon, il ne l’épargnait pas dans ses satires. Je lui demandai ce que M. le duc d’Orléans lui avait fait. Il était couché en ce moment ; il se leva comme un furieux, et me répondit : « Comment, vous ne savez pas ce que ce boug..-là m’a fait ? Il m’a exilé, parce que j’avais fait voir en public que sa Messaline de fille était une p…… »

Je sortis, et y retourne le lendemain, où je retrouve M. le comte d’Argental[2]. Je sortis de mes tablettes le Puero regnante ; il me demanda sur-le-champ ce que j’avais de curieux. Je l’ai montré ; quand il eut vu ce que c’était : « Pour celui-là, je ne l’ai pas fait chez M. de Caumartin, mais beaucoup de temps avant que je parte. »

Deux jours après j’ai retourné, où je trouve encore M. le comte d’Argental. Je lui dis : « Comment, mon cher ami, vous vous vantez d’avoir fait le Puero regnante, pendant que je viens de savoir d’un bon endroit que c’est un professeur des jésuites qui l’a fait ! » Il prit son sérieux là-dessus, et dit qu’il ne s’embarrassait pas si je le croyais ou si je ne le croyais pas, et que les jésuites faisaient comme le geai de la fable, qu’ils empruntaient les plumes du paon pour se parer. M. le comte d’Argental était présent pendant tout cela. Il nous dit en continuant que Madame,



  1. Beauregard est le nom de l’espion autour de ce rapport. Au lieu d’Arouet il avait écrit Arroy. Dans le tome II (page 23) de l’Histoire de la détention des philosophes, etc., par J. Delort, on trouve une pièce qui me paraît n’être qu’un extrait de celle que je donne, et dont je ne connais point d’impression. (B.)
  2. Au lieu de d’Argental, l’original porte partout d’Argenteuil.


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