Doutes sur la religion/10

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Anonyme
(p. 33-44).


CHAPITRE X.

Sur l’Egliſe & les Conciles.

Qui m’aſſurera, dit un Indien, que l’Ecriture-Sainte eſt un livre révélé ?

L’Egliſe.

C’eſt moi.

L’Indien.

Pourquoi faut-il que je vous croye ?

L’Egliſe.

Je ſuis infaillible.

L’Indien.

Prouvez-moi cela.

L’Egliſe.

Jéſus-Chriſt me l’a promis en St. Mathieu.

L’Indien.

Qui m’aſſurera que St. Mathieu dit vrai ?

L’Egliſe.

C’eſt moi.

L’Indien.

Ainſi vous prouvez St. Mathieu, & St. Mathieu vous prouve. Je ne me rends point à ce cercle vicieux : à d’autres ! n’eſt-ce pas vous qui avez décidé autrefois qu’il n’y avoit point d’Antipodes ?

L’Egliſe.

Oui.

L’Indien.

Etes-vous encore de cet avis ?

L’Egliſe.

Non.

L’Egliſe.

Vous vous trompâtes donc autrefois ?

L’Egliſe.

Oui parce que c’étoit un fait, & je ſuis faillible dans les faits.

L’Egliſe.

Ah ! vous pouvez vous tromper dans les faits ! Mais l’exiſtence, la miſſion, les miracles, les ſouffrances, la mort, la réſurrection & l’aſcenſion de Jéſus-Chriſt ſont des faits, ainſi que la deſcente du St. Eſprit, la prédication des Apôtres, l’arrivée de St. Pierre à Romd, &c. & tous les fondemens de votre foi

L’Egliſe.

Oh ! ce ſont des faits dogmatiques ; & dans l’affaire du Janséniſme on a prouvé d’une façon victorieuſe que je ſuis infaillible dans les faits dogmatiques. J’ai toujours acquis quelque choſe dans les différentes attaques que les hérétiques m’ont faites ; cela a ſervi à développer mes droits. Dans les commencemens je rampois aux pieds des Souverains & des Magiſtrats, je les flattois ; je conſacrois le pouvoir le plus tyrannique quand j’avois beſoin des tyrans ; dans la ſuite engraiſſée des bienfaits des Souverains je ſuis devenue auſſi puiſſante qu’eux, j’ai même été juſqu’à les dépoſer, les faire aſſaſſiner &c. oh ! depuis les Apôtres je ſuis bien changée !

L’Indien.

Mais ſoiez donc d’accord avec vos principes. Vous dites que le pouvoir des Rois vient de Dieu ; comment pouvez-vous déſobéir à une puiſſance qui vient de Dieu ?

L’Egliſe.

Dieu & moi nous ne ſommes qu’un ; c’eſt mon Epoux, il approuve tout ce que je dis & ce que je fais. Grégoire VII. que j’ai mis au nombre de mes Saints dépoſa l’Empereur Henry IV, fit révolter ſon fils contre lui & publia des indulgences pour tous ceux qui ſerviroient le fils contre ſon pere ; le tout parce qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.

L’Indien.

Cela eſt merveilleux ! vos Souverains d’Occident ſont donc bien débonnaires ? ah ! ſi le Mogol…

L’Egliſe.

Ah ! je ne crains point les Souverains, quelque méchans qu’ils puiſſent être. J’ai de pieuſes reſſources pour mettre à la raiſon ceux qui ne font point aſſez ſoumis à mes loix. Henry III. Henry IV…

L’Indien.

Je vous entends. Voilà une abominable Epouse. Je vois, Madame, qu’il eſt dangereux de ſe brouiller avec vous !

L’Indien ne put tenir à cet horrible entretien : ayant appris qu’il y avoit un Concile aſſemblé à Conſtance, il y alla par curioſité & pour s’inſtruire ; mécontent de l’Egliſe diſperfée il voulut la voir aſſemblée dans l’eſpérance d’en être plus ſatiſfait. En arrivant à Conſtance il ne trouva que théâtres, bains & filles de joye, aux fenêtres. Qu’eſt-ce donc que ceci, dit-il, au Secrétaire du Concile ! ah ! lui dit celui-ci, nous ne ſommes pas toujours occupés à diſputer, quand nous avons bien chicanné de part & d’autre, ſans nous entendre, nous nous donnons un peu de relâche, ainſi pour la commodité & l’uſage des Peres il, y a… 1370. perſonnes occupées à nous délaſſer.

Savoir.
Pu… ſuivant le Concile 450.
Étuviſtes, baigneurs, parfumeurs. 600.
Bateleurs, farceurs &c. 320.
 
Total des Perſonnages conſacrés à récréer les Peres du Concile 1370.
Vous voiez que le St. Eſprit eſt en

bonne compagnie.

Mais, reprit l’Indien, combien êtes-vous de Peres aſſemblés ? Nous ſommes tant Evêques qu’Abbés & Docteurs, répondit le Secrétaire, 910.

Mais 450. filles ne vous ſuffiſent pas ! oh ! que ſi ! repartit le Secrétaire, car vous obſerverez que le plus grand nombre eſt Italien, & vous ſavez…

J’entends. Quelles horreurs ! & vous prétendez que le St. Eſprit préſide à votre aſſemblée ?

En doutez-vous, dit le Secrétaire ? le St. Eſprit ne s’embaraſſe point de nos mœurs, la diſcipline ne l’intéreſſe point ; il n’y a que le dogme dont il prend ſoin. Auſſi nous ne ſommes point infaillibles ſur la diſcipline, nous ne le ſommes que ſur le dogme. Telle action damne aujourd’hui un Chrétien qui ne le damnoit point dans les premiers ſiècles de l’Egliſe ; c’eſt une ſuite de la variété de notre diſcipline & de l’inſtabliité de nos loix, que nous faiſons & que nous annullons à volonté ſuivant les tems & les[1] circonſtances.

Ainſi donc, reprit l’Indien, vous rendez inutile la paſſion du fils de Dieu & vous en réhabilitez la valeur comme il vous plaît ? j’entends…

Mais pourquoi êtes-vous aſſemblés ici ?

Pour trois choſes, dit le Secrétaire, 1°. pour faire ceſſer le ſchiſme. 2°. pour condamner Wiclef & Jean Hus. 3°, pour réformer la diſcipline.

1°. Pourquoi vouloir abolir le ſchiſme ? il ne fait aucun mal. Ste. Catherine de Sienne s’eſt ſauvée dans un parti & le B. Pierre de Luxembourg dans un autre. Vous voiez donc qu’il eſt indifférent de tenir pour l’un ou pour l’autre des Papes.

2°. Vous voulez condamner Wiclef & Jean Hus : mais vous ne ſauriez être juges dans votre propre cauſe, où eſt le tiers qui vous jugera, car ſans cela ſuivant les loix naturelles on aura droit d’appeller de votre ſentence ?

Oh ! nous l’empêcherons bien, dit le Secrétaire, car nous les ferons brûler.

Brûler, dit l’Indien ; comment ! vous oubliez donc que votre loi eſt une loi de charité ? Vous faites un crime à Mahomet d’avoir établi ſa religion par l’Epée, & vous défendez la vôtre par le feu ? Vous appeliez tyrans les Souverains qui vous persécutoient autrefois & qui brûloient les Chrétiens qui ne penſoient point comme eux. Vous avez là un sûr moyen de faire des prosélytes.

3°. Vous voulez réformer la diſcipline ; cela me paroît inutile, car après vous d’autres Conciles vous réformeront vous-mêmes. Vous prenez ſans doute conſeil de ces 1370. perſonnes que vous entretenez à votre ſuite ? n’appréhendez-vous pas qu’on ne vous diſe : medice, cura te ipſum ?

Oh ! nous ne craignons point la rétorſion, dit le Secrétaire, parceque nous ſommes les maîtres. C’eſt bien le moins que nous ſoyons diſpensés des loix que nous avons la peine de faire. Savez-vous pourquoi nous les faiſons ?

C’eſt ſans doute, dit l’Indien, pour obliger à bien vivre & pour rendre les mœurs plus ſaintes.

Quelle erreur ! répliqua le Secrétaire, voici le ſecret, n’en dites rien à perſonne. Comme l’Egliſe eſt obligée d’être ſainte nous faiſons des loix qui ordonnent la ſainteté, afin de ſauver les apparences ; mais ces loix n’obligent que les pauvres, pour de l’argent nous en diſpenſons les riches : de-là deux avantages ; 1°. nous ſommes beaucoup plus riches que les Apôtres, les deux recettes de la Datterie de la Pénitencerie font entrer tous les ans 30. millions dans les coffres du Pape ; l’or tombe à proportion dans les Secrétariats des Evéchés. 2°. par là les Grands qui n’ont pas le tems de s’inſtruire ſont toujours dans notre dépendance ; en faiſant ſemblant d’avoir beaucoup de foi en nous, ils en impoſent au peuple qui a une foi ſincere ; d’ailleurs ces mêmes Grands trouvent en nous de la reconnoiſſance, nous leur ſoumettons le peuple qu’ils écorchent ſans qu’il oſe crier, & nous ne les gênons point dans leurs déréglemens.

L’Indien furieux quitta bruſquement l’honnête Secrétaire du Concile & retourna dans ſa patrie, où il mourut tenant une vache par la queue, parceque le Dieu Brama a attaché des indulgences à ceux qui mourront dans cette attitude.

Le Concile de Bâle n’a été œcuménique que juſqu’à la 25e. ſeſſion, alors par ordre du Pape Eugene IV. le St. Eſprit ſe retira pour ſe rendre à Florence. Le St. Pere le punit par-là d’avoir inſpiré aux Peres les déciſions ſuivantes. 1°. que le Concile général eſt ſupérieur au Pape. 2°. que les réſerves, les expectatives, les annates ſont des abus à réformer. En effet le Saint Eſprit n’avoit-il pas tort de ruiner & d’humilier ſon Vicaire ?

Æneas Sylvius devenu Pape déſavoua tout ce qu’il avoit fait au Concile de Bâle dont il étoit Secrétaire. Voilà à quoi le St. Eſprit s’expoſe lorſqu’il n’eſt pas favorable à la Cour de Rome. Jugez comment elle traite les vils mortels qui oſent s’élever contre elle.

Les Conciles ont ſeuls le droit d’interpréter l’Ecriture, ainſi que celui d’établir ſon autenticité, moyen sûr de n’avoir jamais tort. Cela posé, le Concile a toute l’autorité & l’Ecriture n’a que celle que le Concile lui donne. Mais la Cour de Rome a ſoin d’empêcher que le Concile n’aille trop loin. Le Saint Eſprit de Rome lié d’intérêt avec Philippe étoit le Cenſeur & l’examinateur de celui de Trente.

Un Concile général a ſeul droit de donner des déciſions. Un Concile national ne jouit point de la même autorité : cependant le St. Eſprit a promis de ſe trouver par-tout où trois perſonnes s’aſſembleroient en ſon nom.

  1. Les Apôtres ont renouvellé les cérémonies légales abolies par leur maître ; au Concile de Jéruſalem elles ont été détruites de nouveau. Chaque Concile a détruit ou ajouté quelque choſe au culte & au dogme. Autrefois les Chrétiens n’alloient point à la Meſſe, aujourd’hui l’on, eſt damné lorſqu’on y manque &ç.