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Du contrat social/Édition 1762/Livre III/Chapitre 13

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Marc Michel Rey (p. 205-208).
LIVRE III

CHAPITRE XIII.

Suite.


Il ne suffit pas que le peuple assemblé ait une fois fixé la constitution de l’Etat en donnant la sanction à un corps de loix : il ne suffit pas qu’il ait établi un Gouvernement perpétuel ou qu’il ait pourvu une fois pour toutes à l’élection des magistrats. Outre les assemblées extraordinaires que des cas imprévus peuvent exiger, il faut qu’il y en ait de fixes & de périodiques que rien ne puisse abolir ni proroger, tellement qu’au jour marqué le peuple soit légitimement convoqué par la loi, sans qu’il soit besoin pour cela d’aucune autre convocation formelle.

Mais hors de ces assemblées juridiques par leur seule date, toute assemblée du Peuple qui n’aura pas été convoquée par les magistrats préposés à cet effet & selon les formes prescrites doit être tenue pour illégitime & tout ce qui s’y fait pour nul ; parce que l’ordre même de s’assembler doit émaner de la loi.

Quant aux retours plus ou moins fréquens des assemblées légitimes, ils dépendent de tant de considérations qu’on ne sauroit donner là-dessus de regles précises. Seulement on peut dire en général que plus le Gouvernement a de force, plus le Souverain doit se montrer fréquemment.

Ceci me dira-t-on, peut être bon pour une seule ville ; mais que faire quand l’Etat en comprend plusieurs ? Partagera-t-on l’autorité Souveraine, ou bien doit-on la concentrer dans une seule ville & assujetir tout le reste ?

Je reponds qu’on ne doit faire ni l’un ni l’autre. Premierement, l’autorité souveraine est simple & une, & l’on ne peut la diviser sans la détruire. En second lieu, une ville non plus qu’une Nation ne peut être légitimement sujette d’une autre, parce que l’essence du corps politique est dans l’accord de l’obéissance & de la liberté, & que ces mots de sujet & de souverain sont des corrélations identiques dont l’idée se réunit sous le seul mot de Citoyen.

Je reponds encore que c’est toujours un mal d’unir plusieurs villes en une seule cité, & que, voulant faire cette union, l’on ne doit pas se flater d’en éviter les inconvéniens naturels. Il ne faut point objecter l’abus des grands États à celui qui n’en veut que de petits : mais comment donner aux petits États assez de force pour résister aux grands ? Comme jadis les villes grecques résisterent au grand Roi, & comme plus récemment la Hollande & la Suisse ont resisté à la maison d’Autriche.

Toutefois si l’on ne peut réduire l’État à de justes bornes, il reste encore une ressource ; c’est de n’y point souffrir de capitale, de faire siéger le Gouvernement alternativement dans chaque ville, & d’y rassembler aussi tour-à-tour les États du pays.

Peuplez également le territoire, étendez-y par tout les mêmes droits, portez-y par-tout l’abondance & la vie, c’est ainsi que l’État deviendra tout à la fois le plus fort & le mieux gouverné qu’il soit possible. Souvenez-vous que les murs des villes ne se forment que du débris des maisons des champs. À chaque Palais que je vois élever dans la capitale, je crois voir mettre en mazures tout un pays.