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Du contrat social/Édition 1762/Livre III/Chapitre 14

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Marc Michel Rey (p. 209-210).
LIVRE III

CHAPITRE XIV.

Suite.


A l’instant que le Peuple est légitimement assemblé en corps Souverain, toute jurisdiction du Gouvernement cesse, la puissance exécutive est suspendue, & la personne du dernier Citoyen est aussi sacrée & inviolable que celle du premier Magistrat, parce qu’où se trouve le Représenté, il n’y a plus de Représentant. La plupart des tumultes qui s’éleverent à Rome dans les comices vinrent d’avoir ignoré ou négligé cette regle. Les Consuls alors n’étoient que les Présidens du Peuple, les Tribuns de simples Orateurs[1], le Sénat n’étoit rien du tout.

Ces intervalles de suspension où le Prince reconnoit ou doit reconnoitre un supérieur actuel, lui ont toujours été redoutables, & ces assemblées du peuple, qui sont l’égide du corps politique & le frein du Gouvernement, ont été de tout tems l’horreur des chefs : aussi n’épargnent-ils jamais ni soins, ni objections, ni difficultés, ni promesses, pour en rebuter les Citoyens. Quand ceux-ci sont avares, lâches, pussillanimes, plus amoureux du repos que de la liberté, ils ne tiennent pas longtems contre les efforts redoublés du Gouvernement ; c’est ainsi que la force résistante augmentant sans cesse, l’autorité Souveraine s’évanouit à la fin, & que la plupart des cités tombent & périssent avant le tems.

Mais entre l’autorité Souveraine & le Gouvernement arbitraire, il s’introduit quelquefois un pouvoir moyen dont il faut parler.


  1. A peu près selon le sens qu’on donne à ce nom dans le Parlement d’Angleterre. La ressemblance de ces emplois eut mis en conflit les Consuls & les Tribuns, quand même toute juridiction eut été suspendue.