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Du contrat social/Édition 1762/Livre III/Chapitre 16

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Marc Michel Rey (p. 220-223).
LIVRE III

CHAPITRE XVI.

Que l’institution du Gouvernement n’est point un contract.


Le pouvoir Législatif une fois bien établi, il s’agit d’établir de même le pouvoir exécutif ; car ce dernier, qui n’opere que par des actes particuliers, n’étant pas de l’essence de l’autre, en est naturellement séparé. S’il étoit possible que le Souverain, considéré comme tel, eut la puissance exécutive, le droit & le fait seroient tellement confondus qu’on ne sauroit plus ce qui est loi & ce qui ne l’est pas, & le corps politique ainsi dénaturé seroit bien-tôt en proye à la violence contre laquelle il fut institué.

Les Citoyens étant tous égaux par le contract social, ce que tous doivent faire tous peuvent le prescrire, au lieu que nul n’a droit d’exiger qu’un autre fasse ce qu’il ne fait pas lui-même. Or c’est proprement ce droit, indispensable pour faire vivre & mouvoir le corps politique, que le Souverain donne au Prince en instituant le Gouvernement.

Plusieurs ont prétendu que l’acte de cet établissement étoit un contract entre le Peuple & les chefs qu’il se donne ; contract par lequel on stipuloit entre les deux parties les conditions sous lesquelles l’une s’obligeoit à commander & l’autre à obéir. On conviendra, je m’assure, que voilà une étrange maniere de contracter ! Mais voyons si cette opinion est soutenable.

Premierement, l’autorité suprême ne peut pas plus se modifier que s’aliéner, la limiter c’est la détruire. Il est absurde & contradictoire que le Souverain se donne un supérieur ; s’obliger d’obéir à un maitre c’est se remettre en pleine liberté.

De plus, il est évident que ce contract du peuple avec telles ou telles personnes seroit un acte particulier. D’où il suit que ce contract ne sauroit être une loi ni un acte de souveraineté, & que par conséquent il seroit illégitime.

On voit encore que les parties contractantes seroient entre elles sous la seule loi de nature & sans aucun garant de leurs engagemens réciproques, ce qui répugne de toutes manieres à l’état civil : Celui qui a la force en main étant toujours le maitre de l’exécution, autant vaudroit donner le nom de contract à l’acte d’un homme qui diroit à un autre ; „je vous donne tout mon bien, à condition que vous m’en rendrez ce qu’il vous plaira”.

Il n’y a qu’un contract dans l’Etat, c’est celui de l’association ; & celui-là seul en exclut tout autre. On ne sauroit imaginer aucun Contract public, qui ne fut une violation du premier.